a écrit :DROITS DE L'HOMME Dans son rapport annuel
Amnesty International dénonce le «goulag» de Guantanamo
Londres : de notre correspondant Jacques Duplouich
[26 mai 2005]
Chaque année, Amnesty International (AI) publie un rapport détaillé sur l'état des droits de l'homme à travers le monde. Le bilan de l'année 2004 paru, hier, à Londres, est comme tous les précédents, un catalogue notarié de l'inhumanité qui règne sur la planète. Après la lecture du pavé – 308 pages – le mot de Chamfort vient à l'esprit : «C'est l'inutilité du premier déluge qui retient Dieu d'en envoyer un second.» C'est que les droits de l'homme «ne sont pas qu'une promesse inaccomplie» relève Irene Khan, secrétaire générale d'Amnesty. Ils sont aussi «une promesse trahie» dans «une combinaison létale d'indifférence, d'érosion et d'impunité».
Le plus mauvais exemple est donné par les États-Unis qui s'appliquent «à restreindre l'application de la Convention de Genève» dans sa lutte contre le terrorisme et à «redéfinir» la notion de torture. AI souligne que le Pentagone s'est efforcé de justifier ses techniques brutales d'interrogatoire de présumés terroristes en les étiquetant «manipulations sensorielles» ou «environnementales». L'épisode de la prison d'Abou Ghraïb n'est pas unique. «D'autres détenus, en Afghanistan, à Guantanamo et ailleurs» ont été victimes de pratiques contraires aux droits élémentaires de chaque individu. Sans compter les «prisonniers fantômes» – pour qui il n'existe pas de registre – et ceux que leur renvoi dans leurs pays expose à la torture.
Guantanamo «est devenu le goulag de notre temps» explique Irene Khan. «La pratique de l'arbitraire et de la détention illimitée» qu'elle illustre s'apparente à la même «violation de la loi internationale» qui prévalait, jadis, en URSS et appelle la même condamnation. Quand, brandissant les étendards de «la justice et la liberté», le pays le plus puissant du monde «foule aux pieds, ainsi, la prééminence de la loi et des droits de l'homme, il montre la voie à d'autres». Rien d'étonnant, donc, si «d'Israël à l'Ouzbékistan, de l'Égypte au Népal en passant par le Pakistan, la Chine et le Vietnam, l'Indonésie et la Tchétchénie» des gouvernements ont «ouvertement défié la loi internationale et bafoué les droits de l'homme, au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme».
La «guerre contre la terreur» initiée par les États-Unis «apparaît plus efficace dans l'amoindrissement des principes qui régissent les droits humains que dans l'éradication du terrorisme» ironise Amnesty International. Pourtant, dans un rapport publié la veille, à Londres, l'IISS (International Institute for Strategic Studies) assurait le contraire. Du moins, pour ce qui concerne le Moyen-Orient. C'est oublier, assure AI, que le conflit israélo-palestinien, avec sa spirale sinistre d'attentats et de répression, a été ponctué, en 2004, «de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité» par chacun des antagonistes.
Ailleurs, en Tchétchénie, les exactions de l'armée russe sont couvertes par «une impunité presque totale». Les rebelles tchétchènes qui pratiquent les assassinats, la torture, les enlèvements et les prises d'otages – comme à Beslan, en septembre dernier –, méprisent tout aussi bien les droits des populations civiles, note Amnesty.
La Chine, malgré de timides avancées, est épinglée, elle aussi. Répression des minorités ethniques, entraves à la liberté d'expression, condamnations à mort par milliers, mauvais traitements y demeurent monnaie courante.
En Afrique, que ravagent des conflits armés, les atteintes aux droits de l'homme – «homicides, rapts, viols» – demeurent pratiques courantes, en Ouganda, en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan, notamment.
Et puis, violences et discriminations contre les femmes, «dans l'indifférence, l'apathie et l'impunité» continuent d'être «choquantes», constate Amnesty. En particulier, en Asie, où les défigurations à l'acide, au Bangladesh, les avortements contraints de foetus féminins, en Chine, les viols collectifs, au Népal, les crimes d'honneur, au Pakistan, et jusqu'aux brutalités conjugales, en Australie, ont redoublé l'an dernier.
L'inventaire des atrocités, des injustices et des manquements au droit international peut bien être déprimant, l'ONU est apparue «incapable ou peu désireuse de rappeler ses membres à l'ordre» remarque Amnesty. Le bilan 2004 des droits de l'homme est calamiteux. Mais pas question de renoncer à «plaider la justice et la liberté pour tous» insiste l'organisation. «Parce que nous sommes d'inlassables apôtres d'espoir».
"Parce que nous sommes d'inlassables apôtres d'espoir", j'aime pas cette formulation.