J'ai trouve cet article interessant. Dommage que cette esperance populaire sera trahie par les maoistes.
ls arrivent à deux dans le petit matin ensoleillé, tranquilles et souriants, chemises et pantalons, deux jeunes Népalais ordinaires. Mais quand ils s'arrêtent, on comprend qu'ils ne sont pas ce qu'ils ont l'air d'être. Les poings sont aussitôt brandis dans le geste de reconnaissance des maoïstes népalais : "Lal salam !" ("Salut rouge !").
La veille, dans la ville voisine de Banepa, on avait pris langue, par un intermédiaire, avec les contacts des insurgés locaux. Rien de plus facile, le cessez-le-feu est en vigueur. De toute façon, les maos contrôlent 73 des 75 districts du royaume ou y sont présents... Ici, à une trentaine de kilomètres de Katmandou - ses embouteillages, sa pollution, ses touristes -, c'est déjà le Népal profond.
Un bus passe sur le chemin défoncé, emmenant sa cargaison humaine sur le toit. En arrière-plan, le soleil s'est levé sur l'Himalaya et dissipe la brume qui brouillait la chaîne du Lamtang. Sur le chemin, quatre hommes trottinent au rythme d'un palanquin-brancard sur lequel gît une petite fille. "Elle est malade", lance l'un d'eux. L'hôpital le plus proche est à deux heures. Plus loin marchent des femmes, décorées comme des arbres de Noël, la poudre rouge sang du sindur dans la raie des cheveux annonçant leur statut d'épouses. C'est la Fête des mères népalaises, et les femmes, bébés dans les bras, s'en vont par groupes rendre hommage à leur génitrice.
Dans le salon discret d'une petite maison, Prakash et Chintay, assis autour d'une tasse de thé au lait, se présentent comme "des cadres" du "comité intellectuel" de la guérilla maoïste du district de Kavre. Ces deux-là, même s'ils racontent en souriant avoir subi "un entraînement militaire", n'ont rien de combattants aguerris. L'insurrection, pensent les experts, n'est forte que d'une dizaine de milliers d'hommes, répartis en 3 divisions, 9 brigades, 29 bataillons.
Mais seulement la moitié des jeunes maoïstes, hommes et femmes, seraient actifs dans leur "armée populaire de libération". Certains sont en uniforme camouflé et disposent de fusils d'assaut américains M-16, volés à l'armée royale lors de leurs opérations. Les autres se répartissent un armement sommaire - kalachnikovs, fusils belges, armes chinoises... -, sans doute pas plus de quelques milliers. Mais, en dix ans, ils sont devenus une force insurrectionnelle dont les soldats népalais ne sont pas arrivés à venir à bout. Le secret de leur réussite ? Militairement, ils sont plus mobiles ; plus motivés, aussi, que leurs adversaires.
Politiquement, ils tiennent un discours attrayant pour les populations les plus pauvres, dans un monde de castes, féodal et inégalitaire. Humainement, ils sont impitoyables : sans avoir atteint la cruauté des Khmers rouges, ils n'hésitent jamais à se débarrasser de tous ceux qui se mettent en travers de leur route.
En cette matinée, Prakash et Chintay sont détendus et tiennent un discours plus policé, la direction maoïste étant ces jours-ci encline au compromis. Fin avril, le roi Gyanendra a cédé devant un mouvement populaire sans précédent et accepté de remettre le pouvoir, confisqué en février 2005, à un gouvernement issu des formations démocratiques.
Les chefs du Parti communiste népalais (maoïste) - le CPN (M) - ont accepté de jouer le jeu de la négociation et décrété un cessez-le-feu de trois mois. "Nous avons fait un compromis dans l'objectif d'en finir avec le féodalisme", explique Chintay. Silencieux, Prakash approuve en hochant la tête. "En France, en 1789, c'est la classe bourgeoise qui a renversé la monarchie. Nous avons fait au Népal une alliance avec les partis bourgeois pour également en finir avec la monarchie et la remplacer par une "loktantric ganatantra"", une république démocratique.
Sur un ton rapide, Chintay enchaîne de grandes phrases empesées de dogmatisme révolutionnaire : "Les Népalais veulent la justice, l'égalité, le changement !" Il conclut d'un regard pétillant : "Nous voulons la paix, mais pas la paix des cimetières, la vraie paix. Nul n'a besoin de violence pour parvenir à ses fins..."
Les maobadis (partisans de Mao) ont aujourd'hui de quoi se réjouir. Aucune force politique népalaise ne peut plus faire l'économie de leur soutien, sous peine de voir dérailler une fois de plus un processus politique qui pourrait, dans le meilleur des cas, mettre fin à une rébellion dont on estime qu'elle a fait quelque 13 000 morts dans le pays depuis 1996.
L'une de leurs exigences principales a fini par être acceptée par les partis qui ont mené le mouvement du mois d'avril contre le roi, quand des centaines de milliers de personnes ont manifesté pour forcer le souverain à rétablir les droits démocratiques et à réinstaurer le Parlement : la réunion d'une Assemblée constituante qui devrait avoir pour projet de réécrire la Constitution, d'amoindrir les pouvoirs du monarque, voire de transformer l'antique royaume hindou en une république. C'est l'obsession des maoïstes.
"A 99 %, les Népalais ne veulent plus de la monarchie", assure Chintay. Un chiffre très exagéré : la plupart des 26 millions d'habitants haïssent le roi Gyanendra, mais beaucoup respectent la monarchie et considèrent qu'elle est facteur de stabilité.
Interrogé sur le côté archaïque du maoïsme en ce début de XXIe siècle, Prakash concède qu'il ne s'agit pas "de suivre la pensée Mao Zedong de la manière la plus orthodoxe". "Nous avons d'ailleurs adopté récemment une résolution affirmant qu'il faut nous adapter à l'époque de la mondialisation", ajoute-t-il. "Nous avons réfléchi, conclut-il, sur les causes de la disparition de l'Union soviétique, tout en condamnant le révisionnisme du régime de Pékin. Les dirigeants chinois ont remis les clés de leur pays à l'impérialisme américain !"
De fait, les responsables de la République populaire de Chine ont toujours conspué une insurrection qu'ils n'ont jamais soutenue ni armée.
Chintay complète, sur un autre registre : "La génération actuelle est celle de l'ère Internet. Il n'y a rien de pire que cette "cyber-génération", car elle dissocie durablement le peuple de la société." "Elle fait de l'individu un être coupé du monde, totalement isolé !", proclame-t-il. Prakash et Chintay, tous deux âgés de 29 ans, sont assez représentatifs du "cadre mao" moyen.
Le premier est fils de brahmane, la plus haute des castes hindoues. Son père est paysan et sa famille "a toujours mangé à sa faim". Mais il est devenu partisan de la lutte armée après avoir milité dans des syndicats étudiants d'extrême gauche et fait partie de ces "bac + 2" frustrés d'avoir été laissés sur le carreau de l'emploi.
Chintay, lui, vient d'un milieu très différent : il est membre de l'ethnie tamang bouddhiste, une population montagnarde très pauvre. Chez lui, "on avait du mal à vivre des récoltes". "Je suis devenu maoïste, dit-il, car c'est la meilleure théorie politique pour sauver le Népal !" Tous les Népalais ne sont pas d'accord. Y compris les autres communistes, en cette terre himalayenne où le PC, créé en 1949, a connu près d'une vingtaine de scissions...
Plus tard, sur la route du Tibet, le long de la rivière qui traverse le bourg de Daulalghat, Suresh Shrestha, représentant local du Parti communiste du Népal-Union marxiste léniniste (CPN-UML), une formation qui a "dérivé" vers la social-démocratie, lâchera ce jugement définitif sur les insurgés : "Si les maoïstes sont populaires, ce n'est pas parce qu'ils ont le soutien des gens, c'est parce qu'ils ont des fusils."