a écrit :Au Nicaragua, le possible retour au pouvoir du sandiniste Daniel Ortega est l'enjeu des élections
LE MONDE | 04.11.06 | • MANAGUA ENVOYÉ SPÉCIAL
Dans le vaste marché oriental qui s'étend non loin de ce qui fut le centre de Managua avant le tremblement de terre de 1972, les avis sont partagés, à la veille des élections présidentielle et législatives du dimanche 5 novembre. "Les candidats se sont jeté tellement de boue que je ne sais pour qui me décider", dit Eleisi devant son étal de fromages.
Un peu plus loin, une vendeuse de tomates, Marta Lanuza, votera pour le candidat conservateur José Rizo. "Si Daniel Ortega (le candidat de la gauche sandiniste) gagne, on aura la guerre à nouveau. C'est lui qui a imposé le service militaire obligatoire et il est aussi corrompu que les autres", soutient-elle.
A 74 ans, José Urbina Madriz reste fidèle au Front sandiniste de libération nationale (FSLN, gauche), parvenu au pouvoir en 1979, dont il est membre "depuis 1968". "Daniel va faire un bon gouvernement, sans guerre, en faveur des pauvres. Il va améliorer la santé et l'éducation", affirme-t-il dans sa boutique.
"Au Nicaragua, nous avons presque tous été sandinistes. Mais beaucoup se sont éloignés à cause de la guerre ou parce que le Front sandiniste n'a pas respecté ses engagements", intervient Irvin Zelaya. Venu acheter des légumes pour un restaurant, il confie qu'il votera pour Edmundo Jarquin, le candidat sandiniste dissident.
La guerre des années 1980 entre les sandinistes au pouvoir et les "contras" armés et financés par Washington a fait plus de 30 000 morts. Peu de familles y ont échappé. Dans leurs spots télévisés, les candidats conservateurs ont rappelé cette période fratricide et les étalages vides, en en faisant porter la responsabilité à M. Ortega, qui gouvernait alors le Nicaragua. "Les gens veulent de la prospérité et des emplois. Ils ont peur de Daniel Ortega, car ils craignent un retour au passé", dit Manina Noguera, jeune cadre.
Beaucoup continuent de faire confiance à M. Ortega, malgré son passé. "Il est d'une famille modeste, il sait ce que c'est qu'avoir faim", explique Miguel Angel. Cet ex-policier sandiniste, bachelier en communication, devenu charretier, trimballe sa carriole entre les bâtiments en ruine de l'ancien centre de Managua pour nourrir ses quatre enfants.
Les analystes sont prudents. "Les indécis sont nombreux, plus de 15 %, et il faut tenir compte du syndrome du güegüense", dit Pedro Solorzano, conseiller politique du président sortant, Enrique Bolaños. Archétype populaire de l'époque coloniale, le "güegüense" était un personnage qui dissimulait ses intentions pour tromper les autorités.
Outre les divisions de la gauche et de la droite, les règles électorales renforcent l'incertitude. Pour l'emporter au premier tour, un candidat doit obtenir 40 % des suffrages ou 35 % avec cinq points d'avance sur le suivant. Selon les sondages, M. Ortega frôle les 35 %, sans les atteindre, en raison de l'éparpillement des voix entre cinq candidats. Il aurait peu de chances au second tour face à l'unité retrouvée de la droite.
La fracture du sandinisme remonte à la défaite électorale de M. Ortega, en 1990. "J'ai été le premier responsable sandiniste à démissionner pour protester contre la piñata", rappelle Carlos Tünnermann, qui fut ambassadeur à Washington. Nom donné à la distribution de sucreries lors des anniversaires infantiles, la piñata désigne ici l'appropriation de terres, de maisons et de véhicules par les sandinistes avant d'abandonner le pouvoir. Nombre de dirigeants, comme l'ancien vice-président Sergio Ramirez ou Ernesto Cardenal, ont rompu avec le FSLN, alors que d'autres, comme Bayardo Arce, se lançaient avec succès dans les affaires.
"La piñata a été mal perçue. Ça a été une sorte de compensation pour des cadres qui ont travaillé pendant des années avec des salaires de 10 ou 20 dollars par mois", justifie encore Sabrina Leal, responsable d'une organisation de développement rural restée fidèle au FSLN. "C'était une sorte de vol révolutionnaire. Ce n'était pas honnête, mais c'était équitable", plaide Yader Sequiera, un universitaire qui se dit "sandiniste mais pas danieliste".
Le pacte conclu en 1999 par Daniel Ortega et Arnoldo Aleman, l'ancien président conservateur condamné pour corruption, a été la goutte d'eau qui a provoqué une nouvelle vague de départs du FSLN. Selon les dissidents sandinistes, ce pacte a permis à M. Ortega de prendre le contrôle du pouvoir judiciaire et à M. Aleman de purger sa peine en famille, assigné à résidence.
Jean-Michel Caroit
rien à en attendre de bon....
par exemple sur l'avortement...
a écrit :Au Nicaragua, le vote d'une loi antiavortement par la gauche sandiniste divise ses électeurs
LE MONDE | 02.11.06 | MANAGUA ENVOYÉ SPÉCIAL
Sabrina Leal ne cache pas son malaise. Militante sandiniste, elle n'a pas digéré le vote de son parti en faveur de l'interdiction de toute forme d'avortement, y compris pour les femmes victimes de viol ou dont l'accouchement présente un risque mortel. "Cette décision n'a pas été discutée, elle est arrivée comme une bombe", s'indigne-t-elle. A un peu plus d'une semaine des élections présidentielle et législatives du dimanche 5 novembre au Nicaragua, les députés de la gauche sandiniste ont joint leurs voix à celles du Parti libéral (conservateur) pour approuver, le 26 octobre, une loi condamnant de quatre à huit ans de prison les médecins pratiquant un avortement thérapeutique et les femmes qui y ont recours.
"Le Front sandiniste de libération nationale aurait mieux fait de reporter ce vote après les élections", regrette Sabrina Leal, qui votera malgré tout pour Daniel Ortega, l'ex-président sandiniste (1979-1990), en tête dans les sondages. "Les femmes qui ont de l'argent continueront à se faire avorter, mais les paysannes pauvres ou les adolescentes violées n'auront plus cette possibilité, ajoute cette responsable d'une association de développement rural ; c'est à la femme et aux médecins qu'il appartient de décider, les Eglises devraient rester à l'écart."
Dissident sandiniste, Edmundo Jarquin est le seul des quatre principaux candidats à la présidence à s'être opposé au vote interdisant l'avortement thérapeutique, autorisé au Nicaragua depuis 1893. "Il est douloureux de voir que, par pur opportunisme électoral, les députés de Daniel Ortega ont voté cette loi qui viole les droits des femmes et nous place dans le petit club honteux des pays interdisant l'avortement thérapeutique", dit cet ancien fonctionnaire international, opposé à la généralisation du droit à l'avortement.
"Au nom de la réconciliation nationale, Daniel Ortega a fait alliance avec le cardinal Obando, et il a voulu satisfaire l'Eglise catholique qui avait organisé une grande manifestation pour demander l'interdiction de l'avortement thérapeutique", confirme Carlos Tünnermann. Cet ancien ambassadeur à Washington a été un des premiers responsables sandinistes à démissionner en 1990. Il est l'un des fondateurs du Mouvement pour le Nicaragua, qui réclame la moralisation de la vie politique dans le pays le plus pauvre des Amériques après Haïti.
"COUP À LA DÉMOCRATIE"
Journaliste, Carlos Fernando Chamorro a reçu de nombreux appels adressés à son programme de télévision de personnes scandalisées par la position du Front sandiniste. "Surtout des femmes et des intellectuels", dit-il. "Daniel Ortega espère que cette décision sera bien accueillie dans les secteurs les moins évolués", ajoute le fils de l'ex-présidente Violeta Chamorro.
Sous le choc, les mouvements féministes et des associations de médecins tentent de réagir. Azahalea Solis, du Mouvement autonome des femmes, dénonce "un coup à la démocratie qui risque de provoquer la mort de nombreuses femmes pauvres". Plusieurs organisations de femmes ont appelé à voter contre les députés qui ont approuvé la loi et briguent un nouveau mandat ainsi que contre les trois candidats à la présidence qui l'ont appuyée.
Ouvertement soutenu par l'ambassadeur des Etats-Unis, Paul Trivelli, le candidat de droite Eduardo Montealegre justifie son opposition à toute forme d'avortement par son expérience personnelle. Lors d'une rencontre avec la presse étrangère, il a confié que sa femme, enceinte de triplés, s'en était remise "à la volonté de Dieu". Deux des trois bébés sont morts peu après la naissance. Sa fille, aujourd'hui âgée de 18 ans, participe à la campagne de ce riche homme d'affaires.
"Cette affaire nous a valu d'être traités de "diplomates criminels représentant des pays libertins" par le député Wilfredo Navarro, du Parti libéral", raconte mi-amusé mi-indigné l'ambassadeur de France, Jean-Pierre Lafosse. Avec plusieurs de ses homologues européens et les représentants des agences des Nations unies, il avait demandé que la décision soit reportée après les élections et fasse l'objet d'un large débat prenant en compte les avis médicaux.
Jean-Michel Caroit