Norman Mailer : "Hitler ? Un petit-bourgeois... "

Dans le monde...

Message par Proculte » 04 Oct 2007, 17:05

Dans une interview, Norman Mailer parle de son dernier ouvrage sur l'enfance de Hitler, et l'historien Ernst Nolte commente les magistraux Mémoires de ses compatriotes, Joachim Fest et Günter Grass.

De notre correspondant à New YorkÀ 84 ANS, Norman Mailer a troqué son horizon new-yorkais pour l'immense plage de Provincetown à la pointe du cap Cod. Des baies vitrées de son salon ou de son bureau à l'étage, l'écrivain a constamment vue sur l'infini. La source de son interrogation métaphysique est peut-être là. Son dernier livre, Un château en forêt, n'est que la première partie d'une trilogie annoncée sur Hitler. Mais, en recevant Le Figaro dans son domaine marin, l'auteur, qui se déplace péniblement avec des béquilles, avoue que le projet est peut-être au-dessus de ses forces. Il s'est attelé au tome suivant, qu'il espère conduire aussi loin que possible, si Dieu, ou le diable, lui prête vie.

LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Vous êtes nés en 1923. Enfant, vous avez entendu votre mère vous parler d'Hitler ?

Norman MAILER. - Mes grands-parents maternels étaient de Lituanie et ma mère avait deux ans quand ils ont émigré en Amérique. Elle était d'obédience juive, sans plus. Mais en 1932, quand on a commencé à prendre Hitler au sérieux, je me souviens de l'avoir entendue dire : « Si cet homme est élu, il va tuer tous les juifs... » J'ai toujours gardé ça dans un coin de ma tête.



Pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire sur le sujet ?

Dans la vie, on se laisse facilement distraire... On a envie d'écrire tel livre et puis tel livre. Mais quand on a neuf enfants à nourrir, ce qui était mon cas, on écrit aussi des ouvrages sur commande, pour lesquels il faut tenir un calendrier. Pas de problème quand on a la matière et qu'on maîtrise le sujet. On peut se dire : « Bon, je vais commencer à écrire mardi. » Cela ne se passe pas comme ça avec un roman. On tombe sur une idée de roman comme on tombe amoureux. On ne se dit pas : « Je vais tomber amoureux mardi ! » L'idée de ce roman m'est venue il y a cinq ans.



Votre livre se lit à plusieurs niveaux. Comment le définiriez-vous ?

Comme une tentative d'aborder la psychologie d'une autre façon. Notre compréhension de la psychologie vient des Lumières. Avec elles, la nature humaine a déclaré en avoir assez du médiévisme, du combat entre Dieu et le diable. Les philosophes ont déclaré : « Voyons ce qu'on peut faire tout seul. » Il est intéressant de voir ce que les humains ont pu réaliser par eux-mêmes. D'autant que très vite sont apparues des questions auxquelles les humains n'avaient pas de réponses : l'une d'elles étant Hitler lui-même. Dans ma vie bien sûr, j'ai d'abord été athée et fier de l'être, comme n'importe quel jeune de dix-huit ans et je le suis resté pendant une vingtaine d'années, mais philosophiquement, j'ai toujours été préoccupé par cette question : comment tout ceci a-t-il pu se produire ex nihilo ? Il m'a donc semblé raisonnable de concevoir ou même de poser le postulat d'un créateur.



Cela implique-t-il l'existence de son contraire ?

Oui. Il faut dire que marxiste à dix-huit ans, j'ai toujours pensé qu'une force crée sa contre-force. Et il me semblait que je pouvais croire en un dieu qui était un dieu existentiel, un dieu qui, au bout du compte, n'était pas forcément sympathique, un dieu qui n'était pas tout puissant ni nécessairement bon, un dieu qui était une création, comme nous-mêmes mais beaucoup plus grand, qui comme nous-mêmes faisait de son mieux dans des circonstances singulières, et qui faisait face à un adversaire déterminé, bien plus grand que lui, et tout à fait à l'opposé - le diable. Les racines de mon livre sont là. Je me suis dit que la meilleure façon de raconter l'histoire, c'était de choisir comme narrateur un démon, un assistant du diable.



N'avez-vous jamais envisagé de raconter à la première personne en vous glissant dans la peau du jeune Hitler ?

Non, jamais. Le choix du narrateur détermine le genre du livre. Il est donc très délicat. Dans le cas présent, il m'a semblé que compte tenu des idées que je voulais faire passer, l'assistant du diable était parfait. En matière de religion, la plupart des gens s'imaginent surveillés par Dieu et guettés par le diable, qui serait prêt à prendre le contrôle de leur existence. Je suis sûr que la réalité est bien différente : les humains sont têtus et complexes, et les démons doivent travailler comme des acharnés pour provoquer le moindre changement chez les hommes. J'ai même vu un élément comique dans le mal qu'ils se donnent pour de bien minimes résultats. Il m'est apparu naturel d'écrire de cette façon et j'étais enchanté du choix de mon narrateur car il me donnait une liberté que je n'aurais pas eue en parlant de ma propre voix.



Vous parlez beaucoup plus du père de Hitler, finalement...

Pendant deux ans j'ai lu tout ce que j'ai pu sur Hitler et sur les autres principaux personnages qui l'entouraient - Goebbels, Goering, etc. C'était passionnant et j'ai pris des tas de notes. Je me suis dit que je ne pouvais pas faire un bon boulot sans écrire sur l'enfance de Hitler. Et le père m'a fasciné. Je n'avais jamais écrit sur un type pareil. Je me suis bien amusé avec ce vrai sexiste de la vieille école, ses tares et ses bons côtés.



Avez-vous mis un peu de vous-même dans ce personnage ?

Quand j'ai dit à Warren Beatty, qu'après sa prestation dans son film Bugsy, je me demandais si ses amis allaient désormais se méfier de lui, il m'a dit : « Pour bien jouer un rôle, je n'ai besoin d'y mettre que 5 % de moi-même ! » Cette règle m'a semblé valable pour les romanciers. Je pense que j'ai 5 % du diable en moi ; c'est donc bien assez pour écrire sur le père de Hitler.



Pourquoi avez-vous retenu deux rumeurs non confirmées sur Hitler : qu'il était le produit d'une relation incestueuse entre père et fille biologique, et qu'il n'avait qu'un testicule ?

Ces rumeurs ne sont pas confirmées mais restent vraisemblables. Le testicule unique est présenté comme un fait acquis dans de nombreux ouvrages historiques. Je pense que cette thèse a autant de sens que son contraire. Quant à celle selon laquelle Hitler est le produit de rapports incestueux, elle est fréquente. Au minimum, on parle d'une relation entre oncle et nièce. J'ai avancé dans cette voie. N'étais-je pas en train d'essayer de comprendre un homme incompréhensible ? J'avais besoin de tous les avantages que m'offrait ma qualité de romancier. Si j'avais fait la même chose en tant qu'historien, ce n'aurait pas été légitime. Mais en tant que romancier, je pouvais me le permettre.



Ce livre n'est donc que la première partie d'une trilogie ?

Ce mot est sorti de ma bouche à un moment donné. Probablement parce que le mot « duologie » n'existe pas ! Il pourrait n'y avoir qu'un seul autre livre. Je n'en promettrai pas deux : à quatre-vingt-quatre ans, on ne devrait pas faire de promesses !



Le déterminisme que vous avez choisi pour rendre compte de Hitler, et qui consiste à le soumettre à des interventions extérieures de Satan, n'est-il pas une explication simpliste ?

Certains critiques ont estimé que j'enlevais à Hitler toute responsabilité. Je ne pense pas que ce soit la question. La vraie question, c'est que si le mal existe dans le monde, qu'il soit totalement humain, ou partiellement humain et partiellement diabolique, il a le même effet. Tout cela va ensemble. Nous, les humains, sommes Dieu et le diable, c'est le fondement de notre humanité d'êtres imparfaits. Qui est Hitler ? Un être humain et en fait, une très modeste créature. Lisez ce qu'on a écrit sur lui et Eva Braun. C'est un petit-bourgeois, à peine supérieur à sa femme, mais juste assez pour être à l'aise avec elle. Il n'est exceptionnel que par son génie maléfique qui éclate, disons, entre 1933 et 1938, époque où il accomplit des choses très audacieuses. Devant pareil personnage, on est quasiment obligé d'imaginer la main d'un guide supérieur, le diable.



Vous décrivez, dans votre livre, le patriotisme comme « la plus puissante des locomotives sociales pour entraîner l'engourdissement psychique » et « l'instrument le plus fiable pour guider les masses ». Serait-ce une pierre dans le jardin de George W. Bush ?

Non. Je crois simplement que le patriotisme est une émotion dangereuse car essentiellement antihumaniste. Vous savez, les États-Unis ont perdu 3 500 personnes le 11 Septembre. Mais depuis la guerre en Irak, les Irakiens en ont perdu 60 000 ou plus - j'ai même lu le chiffre de 600 000. Prenez encore la tuerie de Virginia Tech qui a fait 32 victimes l'autre jour. Ce genre de drame se produit trois fois par semaine en Irak. On s'émeut des vies amputées brutalement chez nous, mais on est insensibles face aux souffrances irakiennes. Le patriotisme a tendance à rendre une nation moralement insensible. Et quand le patriotisme ne s'appuie pas sur une culture, ce n'est que du vent. Les Français peuvent citer Malraux. Les Américains n'ont pas ce genre de référence. C'est tout juste s'ils savent ce que signifie la Constitution. Tout ce que nous sommes capables de dire, c'est que nous sommes un grand pays et que nous méritons de diriger le monde.



N'avez-vous jamais pensé à écrire un roman sur le 11 Septembre ?

Moi aussi je détestais ces tours, mais certainement pas assez pour les faire sauter ! Alors oui, je pourrais écrire sur un terroriste qui veut faire sauter les tours parce qu'elles symbolisent toute la haine que lui inspire l'Amérique. Sans pour autant me sentir totalement solidaire de lui (5 % suffisent). Mais si vous demandez pourquoi je ne le fais pas, je n'en sais rien. Le 11 Septembre représente un tournant de l'histoire, quelque chose de très différent de tout ce qui a précédé et je me dis que je suis peut-être au bout de mes pouvoirs d'écrivain. En tout cas, je ne suis pas prêt à relever le défi.



Aurait-ce été différent il y a dix ans ?

Peut-être. Pour l'heure je ne parviens pas à me mettre dans l'esprit des terroristes, de me représenter l'objet de leur haine. Je ne me sens aucune affinité avec l'islam. En d'autres termes, si vous vous lancez dans l'évocation d'une créature extraordinaire, d'un monstre comme Hitler, en profondeur, autant avoir une raison supérieure de le faire, et cette raison serait ici, me semble-t-il, d'expliquer les agissements du diable. Bon. Parviendrais-je à faire ça avec des terroristes islamistes ? Probablement pas, parce que je suis beaucoup plus éloigné de leur culture que de la culture allemande. Je ne pourrais pas traiter le sujet avec autorité. Dans ce cas, il ne faut pas faire de livre, du moins pas ce livre-là.



Croyez-vous en l'avenir de l'humanité ?

Oui. Je crois que Dieu a une vision positive de l'existence. Nous ne sommes pas sur terre pour simplement obéir à un ensemble de règles qu'il aurait édictées comme un auteur d'opéra. Nous sommes tous dans le même bateau, nous, Dieu et le diable. Nous voguons vers quelque chose de plus grand que nous. Mais la route sera longue et pleine de culs-de-sac. Le succès n'est pas assuré. Nous pouvons échouer. Nous pouvons encore nous détruire. J'ai dit plus d'une fois que le grand défi du XXe siècle serait de se finir sans que le monde se détruise. C'est encore plus vrai du XXIe siècle.



Satan peut donc encore gagner ?

Oui.



Quelles sont les chances de l'humanité ?

Je ne fais jamais de paris...



Un château en forêt de Norman Mailer traduit de l'anglais (États-Unis) par G. Meudal Plon, 454 p., 22 eur.

«Devant pareil personnage, on est quasiment obligé d'imaginer la main d'un guide supérieur, le diable»

Le Figaro
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Message par Matrok » 04 Oct 2007, 21:33

Cette interview est un tissus de bêtises ! Il a beau citer Marx, sa pensée est une caricature moyen-âgeuse. Alors il y a Dieu, mais c'est un faiblard, il y a forcément le diable, qui est vachement plus fort, et en fait derrière Hitler c'est lui qui dirigeait tout... :swoon:
Matrok
 
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Message par Jul » 04 Oct 2007, 22:43

:124: :rocketwhore: :gun2: :tronco: :pendu:


je me ferai bien un curé moi ! ça ouvre l'appétit des trucs pareil !!
Jul
 
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Message par redsamourai » 04 Oct 2007, 23:36

pourquoi faut-il que je lise des trucs comme ça à une heure pareille, juste au moment de me coucher?

il y a vraiment quelquechose de pourris dans ce monde :nono2:
redsamourai
 
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Message par Vérié » 05 Oct 2007, 15:05

Il y a une autre interview de Mailer du même genre dans Libération d'hier jeudi.
En plus, il tient des propos sexistes stupides du genre "Les femmes ne font pas de bons révolutionnaires", "Les féministes radicales sont frustrées" etc

C'est bien triste de la part de quelqu'un qui s'est tout de même engagé contre la guerre du Vietnam, plus récemment contre celle d'Irak (notamment dans son livre précédent) et contre Bush.

De plus, cette conception - Hitler habité par le diable - est bien utile à tous ceux qui veulent faire du nazisme un phénomène inexplicable, étranger au capitalisme.
Vérié
 
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Message par toulaiev » 05 Oct 2007, 18:35

c'est à tomber sur la tête :trotsky:
toulaiev
 
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Message par Koceila » 05 Oct 2007, 21:32

Chez certains la bêtise atteint un niveau infinitésimal...........
Koceila
 
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Message par Louis » 06 Oct 2007, 05:00

Bon, je vais mettre tout le monde d'accord avec une citation (probablement apocryphe) de Einstein : "Il existe deux choses infinie : l'univers et la bétise humaine. Quoique pour l'univers, je n'en soit pas si sur...." Effectivement, l'entretien ne donne pas vraiment envie de lire le livre... Expliquer la personnalité de Adolf parce qu'il n'avait qu'une couille me semble assez.... vide d'un point de vue intelectuel...
Louis
 
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