Colombie, Vénézuéla, Equateur : la tension monte

Dans le monde...

Message par Matrok » 04 Mars 2008, 23:15

Bonsoir. Pour commencer ce fil, un article de Libération :

a écrit :La guerre des mots fait rage entre la Colombie, le Venezuela et l'Equateur
Bogotà veut poursuivre Chavez pour «financement de génocide» et accuse les guérilla de chercher à fabriquer des «armes sales». Selon les Farc, Reyes tentait d'organiser une réunion avec Sarkozy pour Betancourt.
François Vignal (avec source AFP), LIBERATION.FR : mardi 4 mars 2008

Entre Colombie, Venezuela et Equateur, la tension va crescendo. Depuis le raid colombien contre la guérilla des Farc en territoire équatorien, les déclarations, accusations et décisions se succèdent, créant dans la région une crise diplomatique sans précédent.

Forte tention entre Uribe et Chavez

C’est entre la Colombie et le Venezuela que l’escalade est la plus forte. Dernière annonce de la journée: la décision du président colombien Alvaro Uribe de poursuivre devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye son homologue vénézuélien Hugo Chavez pour «parrainage et financement de génocide». Le gouvernement colombien a affirmé hier être en possession d'une lettre - elle proviendrait de l’ordinateur de Raul Reyes - d'un dirigeant des Farc dans laquelle il est écrit qu’Hugo Chavez s'engage à remettre 300 millions de dollars à la guérilla.

Un peu plus tôt dans la journée, les autorités vénézuéliennes ont décidé la fermeture de la frontière entre la Colombie et le Venezuela. Lundi, Hugo Chavez avait déjà massé des troupes le long de la frontière commune des deux pays – tout comme l’Equateur – et a expulsé l’ambassadeur de Colombie.

Bogotà affirme que la guérilla aurait acquis 50 kilos d’uranium

Toujours aujourd’hui, le vice-président colombien, Francisco Santos Calderon, a assuré que les Farc «seraient en train de négocier l’achat de matériel radioactif, nécessaire à la fabrication d’armes sales de destruction et de terrorisme». Calderon a lancé ces accusations devant la conférence du désarmement de l’ONU, en citant les premiers résultats de l’enquête policière sur des ordinateurs de Raul Reyes, le numéro 2 des Farc tué samedi lors d’un raid militaire en territoire équatorien.

Le directeur de la police colombienne, le général Oscar Naranjo, a lui affirmé hier à Bogotà que la guérilla avait acquis 50 kilos d’uranium. L'information proviendrait également des données informatiques retirées de l’ordinateur de Raul Reyes. Pour le général Naranjo, cela démontre que l’organisation aspire au «terrorisme international», reprenant une rhétorique chère à l’administration Bush. Les Etats-Unis soutiennent d’ailleurs son allié colombien dans cette crise diplomatique. George W. Bush a appelé aujourd'hui Alvaro Uribe pour le «remercier» pour son action «forte» contre les Farc.

«Très grave pour l’Amérique latine»

Le torchon brûle aussi entre la Colombie et l’Equateur. Selon le président équatorien, Rafael Correa, ce qui se passe est «très grave pour l’Amérique latine. Ce n’est pas un problème bilatéral, c’est un problème régional, et si un tel précédent s’installe, nous aurons en Amérique latine un nouveau Moyen-Orient». Intervenant quelques heures avant une réunion aujourd’hui à Washington du conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (OEA) consacrée à cette crise, le président équatorien a demandé «qu’on arrête fermement l’agresseur». L’Equateur a rompu hier ses relations diplomatiques avec Bogotà, alors qu’Alvaro Uribe a soutenu hier que le disque dur de Reyes prouvait l’existence de liens entre la guérilla colombienne et Rafael Correa. L’Equateur a rejeté ces accusations.

Le président équatorien cherche des appuis

En quête du soutien de ses voisins contre la Colombie, le président socialiste de l’Equateur compte rendre visite jeudi à Hugo Chavez dans le cadre d’une tournée régionale entamée aujourd’hui au Pérou, où il doit s'entretenir avec son homologue Alan Garcia. Il doit se rendre demain au Brésil, pour y rencontrer le président Lula da Silva, puis au Panama. Il devrait achever sa tournée vendredi à Saint-Domingue, où il interviendra dans la réunion du Groupe de Rio.

La France affirme que la Colombie «était au courant» de ses contacts avec les Farc

Cet après-midi, le ministère des Affaires étrangères français est venu se mêler à cet imbroglio en affirmant que les autorités colombiennes «étaient au courant» des contacts de la France, de l'Espagne et de la Suisse avec Raul Reyes dans le cadre des efforts pour libérer Ingrid Betancourt. De son côté, dans un communiqué, la guérilla a annoncé que Raul Reyes tentait d'organiser grâce à la médiation d'Hugo Chavez une réunion avec Nicolas Sarkozy au moment où il a été tué. Cette réunion «visait à rechercher des solutions pour parvenir à régler la situation d'Ingrid Betancourt», poursuit le communiqué. Lundi, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait qualifié de «mauvaise nouvelle» la mort de Reyes, dans l’optique de la libération d’Ingrid Betancourt.

Voila, je ne sais pas ou va mener cette escalade, mais je pense que ça vaut le coup d'ouvrir un fil pour y mettre autant d'informations que possible pour comprendre ce qui se passe. Surtout qu'il y a pas mal de mythologie autour aussi bien des FARC que de Chavez, aussi bien chez ceux qui y voient "l'axe du mal" que chez ceux qui voudraient de "nouvelles brigades internationales pour défendre la révolution bolivarienne"...
Matrok
 
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Message par yannalan » 05 Mars 2008, 09:27

C'est encore des hsitoires compliquées. Les FARC existent depuis 64, la violence politique en Colombie depuis 1948. Si je me souviens bien, les FARC ont commencé en lien avec le PC colombien, par des milices paysannes locales d'autodéfense qui ont évolué en force armée.
Il y a eu une période où les guerilleros sont revenus à la vie civile pour participer aux élections, le bilan a été de milliers de candidats liquidés par la droite. Ils sont repartis dans la jungle.
Le problème de toute organisation clandestine est justement comment en sortir, quand on n'a pas de perspective de victoire proche. Personne n'a envie d'eller se retrouver 20 ans en taule ou de se faire liquider. Donc, on trouve des justifications politiques à rester.
Sur les trafics de drogue, je pense que les FARC font payer des taxes aux narcos, mais s'ils étaient uniquement des trafiquants, ils n'auraient pas besoin d'aller chope rle palu dans la jungle, il leur suffirait de s'engager dans l'armée colombienne ou dans un cartel quelconque, c'est beaucoup plus confortable.
yannalan
 
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Message par Vérié » 05 Mars 2008, 09:50

Il faut tout de meme se méfier des calomnies du gouvernement colombien, lui meme lié aux narcos, du gouvernement américain, de la CIA etc, non moins liés aux narcos. Les FARC font en effet payer un impôt aux paysans dans les zones qu'ils controlent et n'ont pas interdit la culture de la coca, après avoir essayé pendant un certain temps d'inciter les paysans à cultiver autre chose.

Les dirigeants des FARC sont des staliniens et des dizaines d'années de guérilla n'ont pas du les changer dans le bon sens. Néanmoins, on ne peut pas renvoyer les FARC dos à dos avec le gouvernement et l'impérialisme américain. Ce sujet a déjà été discuté dans un fil consacré je crois à Isabelle Bétancourt.

Un article assez détaillé, reprenant l'histoire de cette guérilla, crée pour résiter à la répression sanglante contre les paysans et les syndicats, a été publié dans LO, qui me semble très correct. De son côté la Fraction a publié un article dans Convergences, qui tombe à mon avis dans le travers consistant à renvoyer dos à dos les FARC et l'armée.

En ce moment, se dessine un front Farc -gouvernement vénézuélien - gouvernement équatorien contre le gouvernement colombien et, derrière lui, l'impérialisme américain. Nous ne pouvons pas être neutre et devons soutenir ce front contre l'impérialisme américain, sans le parer de vertus socialistes, communistes, révolutionnaires, internationalistes etc. Il ne s'agit qu'une tentative de résister à la mainmise de l'impérialisme américain.

De plus, les médias qui dénoncent la captivité de Bétancourt - qui est tout de meme une politicienne ayant fait certains choix, meme si ce n'est pas la pire - oublient de parler des milliers de prisonniers qui croupissent dans les prisons du gouvernement colombien, et qui ont subi des sévices sans commune mesure avec ceux subis par les prisonniers des FARC.
Vérié
 
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Message par Matrok » 05 Mars 2008, 19:35

Voila les articles dont parle Vérié. Pour commencer, les deux articles de Lutte Ouvrière n°2057 du 4 janvier 2008 :

a écrit :Colombie : derrière l'arbre de la guérilla, la forêt du terrorisme d'État.
La libération de trois otages détenus par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), annoncée le 9 décembre dernier semble suspendue. C'est que ce rapatriement intervient dans un pays en guerre civile, dont le dictateur-président fait tout pour que la guérilla ne puisse tirer un quelconque crédit de cette libération annoncée.

Soixante ans de guerre civile.

Contrairement à ce que prétend la presse, les FARC sont loin d'être les seuls ou même les principaux responsables de la violence en Colombie. Elles ne sont apparues qu'en réaction aux menaces perpétrées par les propriétaires terriens contre les paysans pauvres, une situation qui remonte à 1948.

Depuis très longtemps, deux partis bourgeois, l'un, le parti conservateur, composé à l'origine d'éleveurs, et l'autre d'hommes d'affaires, le parti libéral (lié à la social-démocratie), se sont relayés au pouvoir par la voie électorale mais souvent par la force et les hommes de main. En 1948, un dissident du parti libéral, Jorge Gaitan, qui cherchait l'appui des ouvriers et des paysans contre l'oligarchie terrienne, fut assassiné par des tueurs du parti conservateur pour l'empêcher d'être élu président. Ce fut le début d'une guerre civile appelée pudiquement « les violences », qui se poursuivit dans les années cinquante et a fait 300 000 morts.

Tandis que les politiciens s'entretuaient, éliminant au passage les militants communistes ou supposés tels, les propriétaires terriens faisaient la guerre aux paysans, les chassant de leurs terres pour élargir de grands domaines réservés à l'élevage. Des paysans résistèrent en formant des groupes d'autodéfense, dont a fait partie le fondateur des FARC, Manuel Marulanda.

Les FARC, nées en 1964, actuellement estimées à 20 000 combattants, mais aussi l'ELN (Armée de Libération nationale), apparue en 1962, 4 000 membres, existent toujours.

Les FARC dépendent de la paysannerie et lui sont liées. Dans les régions sous leur contrôle, elles lèvent des impôts sur les paysans et leur assurent une certaine protection sociale. Les années soixante-dix amenèrent un « boom » de la production de coca, base de la cocaïne, puis du pavot, base de l'héroïne. Des paysans se convertirent à ces productions qui leur permettaient d'échapper à la misère. Les FARC s'en accommodèrent car l'impôt pouvant être prélevé leur donnait le moyen d'équiper leur armée.

En revanche, la transformation et la livraison de la drogue vers les États-Unis ou l'Europe dépendaient des barons de la drogue, les « cartels » de Medellin ou de Cali. Les relations entre guérilleros et trafiquants s'envenimèrent quand les narco-trafiquants blanchirent leur fortune en achetant des terres, se mêlant ainsi à la bourgeoisie terrienne.

Les paramilitaires, bras armé des classes riches.

Dès lors, la guerre civile opposa les FARC aux narco-propriétaires qui créèrent les « escadrons de la mort » pour éliminer les guérilleros ou simplement des paysans pauvres dont ils voulaient voler la terre. Au début des années quatre-vingt, la guérilla kidnappa des narco-propriétaires. En réaction, le cartel de Cali créa un groupe de tueurs appelé « Mort aux kidnappeurs ». Les années suivantes apparurent des centaines de groupes paramilitaires, parrainés par les politiciens, les hommes d'affaires, les éleveurs et les compagnies étrangères.

En 1985, le président colombien d'alors proposa un cessez-le-feu aux FARC. Celles-ci créèrent un parti politique légal, l'Union patriotique, participant aux élections.

Mais l'accord fut rompu en 1986 par le président suivant. Et les paramilitaires assassinèrent alors trois mille militants de ce parti, ses cadres, des centaines d'élus et deux candidats à la présidence.

Ce que le Brésil, l'Uruguay, le Chili ou l'Argentine ont connu sous des dictatures militaires, la Colombie l'a vécu ces vingt-cinq dernières années du fait des paramilitaires. Le bilan est effrayant : trois à quatre millions de personnes déplacées, 70 000 personnes assassinées, des guérilleros, des paysans pauvres, des trafiquants concurrents, des politiciens non corrompus, et tous ceux qui ont relevé la tête même sans soutenir la guérilla.

Dans les régions sous leur contrôle, les paramilitaires ont massacré des villages entiers, assassiné les militants des minorités indiennes ou des mouvements de femmes et plusieurs milliers de syndicalistes.

Une situation entretenue par le pouvoir.

Des organismes comme Amnesty International ont publié des bilans de la guerre civile en Colombie : 70 % des actes de violence seraient le fait des paramilitaires, 15 % le fait de l'armée officielle et le reste pourrait être attribué à la guérilla. En effet, la majorité des enlèvements contre rançon est le fait de délinquants. Ces bilans n'empêchent pas la majorité des journalistes de prétendre que les enlèvements sont le fait de la seule guérilla.

Le président Uribe, qui s'affiche comme voulant en finir avec la guérilla, a surtout tenté de légaliser les paramilitaires. Une commission devait les démobiliser, mais des scandales ont mis en lumière leur rôle dans la corruption et dans des crimes peu pardonnables rendant difficile l'opération.

Si la libération annoncée récemment des trois otages avait abouti, les FARC auraient fait un pas en direction de la libération d'Ingrid Bétancourt. Mais les chances sont minces. Le président Uribe et les intérêts qu'il représente ne sont pas partisans de l'apaisement, dans la mesure où les conflits en cours ont favorisé l'enrichissement des possédants. La présence de la guérilla a plus d'une fois servi de prétexte à l'expropriation des paysans pauvres. C'est dire qu'on est loin d'un règlement politique du conflit avec la guérilla. Et les manœuvres d'Uribe, dont vraisemblablement le déplacement de troupes gouvernementales vers le lieu présumé de l'échange, ne peuvent qu'aboutir à prolonger volontairement la captivité d'Ingrid Betancourt et des autres otages.

Jacques FONTENOY.


a écrit :Colombie : le président Uribe, allié naturel des « narcos » et des paramilitaires.
La solidarité entre les possédants, les narco-trafiquants, les politiciens et les grandes entreprises est si étroite qu'un baron de la drogue a pu déclarer sans faire scandale que 35 % des parlementaires étaient sous son contrôle.

Le comportement de l'actuel président Uribe, peu enclin à chercher un arrangement avec la guerilla pour tirer d'affaire Ingrid Betancourt, s'explique par le fait qu'il est lui-même un fleuron de cette narco-bourgeoisie.

Uribe explique que son père a été assassiné par les FARC. C'est vrai ! Mais il ne dit pas que son père, politicien lié aux narco-trafiquants, prêtait sa propriété pour les entraînements des paramilitaires. Il est mort justement lors d'une attaque des FARC contre ce camp d'entraînement. Pour tenter de sauver son père, le futur président emprunta un hélicoptère à un ami... Pablo Escobar, parrain de la drogue, assassiné depuis.

Un temps gouverneur d'une province, Uribe y mit sur pied une troupe de paramilitaires. Il était alors en situation d'accorder les permis de pilotage, ce qu'il fit notamment pour certains des convoyeurs de drogue !

J.F.
Matrok
 
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Message par Matrok » 05 Mars 2008, 19:41

L'article de Convergences Révolutionnaires, Numéro 55, janvier-février 2008 :

a écrit :Les FARC : des staliniens pourchassés par la terreur blanche aux seigneurs de guerre « anti-impérialistes »

Mis en ligne le 17 janvier 2008

La mobilisation du gouvernement français pour la libération d’Ingrid Betancourt et les dernières péripéties de la médiation d’Hugo Chávez pour la libération des otages détenus par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), braquent les projecteurs médiatiques sur celles-ci, présentées généralement comme la cause de la violence en Colombie. Un seul chiffre permet de tordre le coup à cette idée : en 1999 selon un rapport de l’ONU, 73% des assassinats étaient imputables aux bandes paramilitaires anti-guérilla [1]. Faut-il pour autant voir dans les FARC une guérilla défendant, les armes à la main, les droits des plus pauvres ? Revenons sur leur histoire.

1947-1966 : les FARC, produits de la terreur blanche

Le 9 avril 1948, Jorge Eliécer Gaitan, ancien ministre et leader du parti libéral, promoteur de réformes sociales, notamment agraires, est assassiné à Bogota.. Son assassinat déclenche des émeutes. L’armée réprime. Des milliers de victimes. S’ouvre une décennie de terreur connue comme celle de « la Violencia » : 400 000 morts.

Bon nombre de militants trouvent refuge dans les campagnes. Des militants du petit Parti communiste de Colombie (PCC) organisent des groupes d’autodéfense armés dans les campagnes. Ce PCC stalinien, né en 1930, n’a jamais réussi à se développer massivement dans les villes, mais avait acquis un petit crédit dans certaines zones rurales.

Lorsqu’en 1958 la terreur cesse, des groupes communistes décident de maintenir leur implantation paysanne. Le PCC tente également de reprendre pied dans les villes. Sa ligne officielle affirme à partir de 1961 la « combinaison de toutes les formes de lutte ».

En 1964, sur injonction des USA et dans le cadre du plan militaire anti-guérillas LASO (Opération de sécurité en Amérique Latine) lancé suite à la révolution castriste à Cuba, le gouvernement colombien vient à bout de la « République libre de Marquetalia », une petite zone rurale au centre du pays.

Les forces rurales du PCC se réorganisent en une petite armée paysanne. Deux ans plus tard, en 1966, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) sont officiellement fondées, sous l’égide du PCC, comme, en quelque sorte, sa branche armée paysanne.

1966-1982 : une guérilla marginale

Sur un effectif du Parti Communiste estimé à 13 000 militants en 1966 (d’après le département d’État des USA), les FARC en comptent entre un et deux milliers. Pour la direction du PC, les FARC ne sont qu’une force d’appoint, un moyen de contrôler les noyaux d’autodéfense paysanne que les militants organisaient depuis la « Violencia ». Sa ligne reste celle des partis staliniens latino-américains : l’impossibilité d’une révolution ouvrière dans les pays sous-développés et l’alliance avec les partis démocrates bourgeois, au nom de la révolution par étapes.

Du coup, d’autres guérillas se constituent : l’ELN (Armée de libération de la Colombie) guévariste, l’EPL (Armée Populaire de Libération) maoïste, ou le M19 (Mouvement du 19 avril) populiste. Prônant explicitement la prise du pouvoir, ces groupes bénéficient plus que les FARC d’une certaine radicalisation dans la jeunesse étudiante.

Mais l’ensemble des guérillas reste marginal et tend même à décliner dans le courant des années 1970, une fois la vague d’enthousiasme de la jeunesse intellectuelle retombée. En 1975, le PC envisage même la démobilisation des FARC.

À partir de 1982 : De l’impôt révolutionnaire à la coca

En 1982, lors de leur 7e conférence, les FARC décident pourtant de passer à l’offensive. Elles annoncent un plan devant les amener au pouvoir en 8 ans.. En 1982, elles disposaient d’un quinzaine de « fronts » (l’unité de base de la guérilla) et d’un effectif total d’environ 2 000 combattants. Ce chiffre passe à une quarantaine de fronts et près de 8 000 combattants en 1990, pour atteindre plus de 60 fronts regroupant 17 000 guérilleros en 2000.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ce regain de vitalité. À partir de 1977, la répression étatique contre les classes populaires se durcit à nouveau, notamment suite à la tentative du M19 de s’implanter dans les villes. D’où, quoiqu’à un degré moindre que dans les années 1950, un nouvel afflux militant vers les campagnes, en tous cas un regain de popularité pour les groupes combattants. Par ailleurs les guerres au Salvador, au Nicaragua et au Guatemala contribuent à redorer le blason « anti-impérialiste » des guérillas paysannes.

Surtout, les guérillas trouvent une nouvelle assise économique. Jusque-là, elles se contentaient de prélever un « impôt révolutionnaire » tout en réclamant des rançons en échange d’otages. Or le pays devient le premier producteur mondial de cocaïne durant les années 1980. Après une période d’hostilité de principe à la culture de la coca, les FARC décident de l’accepter et l’encouragent bientôt. La coca représenterait aujourd’hui leur première source de revenus (autour de 40%) [2]. Ces rentrées d’argent lui donnent accès au marché mondial de l’armement, et la guérilla peut passer à une échelle supérieure.

Naissance des paramilitaires

En même temps que des revenus inespérés, l’économie de la coca attire aux FARC l’hostilité des grands propriétaires terriens qui sont souvent des grands trusts impérialistes (comme Chiquita Brand, ex-United Fruits) et des narcotrafiquants établis qui mettent sur pied leurs propres groupes armés au début des années 1980. Bénéficiant de la passivité bienveillante, voire de la complicité active, des forces militaires officielles, ces groupes paramilitaires représenteraient aujourd’hui autour de 20 000 hommes.

Milices des trafiquants, ils sont aussi utilisés par les compagnies agro-alimentaires pour exproprier les petits paysans. Entre 1997 et 2003, 5 millions d’habitants ont été spoliés de leur terre par les paramilitaires afin d’implanter des palmiers à huile dans le cadre du développement des agrocarburants voulu par l’actuel pouvoir. Enfin, les paramilitaires sont l’instrument d’une politique sanglante de répression anti-syndicale. Un rapport d’Amnesty International fait état de «  2 245 homicides, 3 400 menaces et 138 disparitions forcées à l’encontre de syndicalistes entre janvier 1991 et décembre 2006 ».

Terrorisme d’État

À partir de 1982, l’attitude du gouvernement oscille entre velléités de négociation et répression. En 1984, le président Bétancur obtient une trêve dans la lutte armée en échange de mesures d’amnistie. La guérilla dépose les armes. L’Union Patriotique (UP) regroupant les principaux mouvements de guérilla et le PCC est fondée. Sur la base d’un programme de réforme modéré, et apparaissant surtout comme une alternative face aux deux partis, libéraux et conservateurs, qui se partagent le pouvoir depuis des décennies, l’UP obtient de petits succès lors d’élections locales en 1984 et 1985. Mais la trêve se révèle un piège. La répression s’abat. Les militants sortis de la clandestinité sont pourchassés et assassinés. 3000 morts entre 1985 et 1994.

Malgré des annonces régulières de négociations, la politique de l’État colombien consiste dès lors essentiellement dans la répression appuyée sur les paramilitaires. Il reçoit le soutien des USA qui lancent en août 2000 le « plan Colombie » : une aide de 5 milliards de dollars prétendument destinée à la lutte contre la drogue mais qui va surtout financer la lutte contre la guérilla.

Alors que le M19, l’EPL et une partie de l’ENL déposent les armes au cours des années 1990, les FARC les reprennent. C’est encore sur la base de la guerre totale contre les FARC que le président actuel, Alvaro Uribe, lié de longue date aux paramilitaires [3], a été élu en 2002.

Guérilleros ou seigneurs de guerre ?

L’évolution des FARC de petits groupes d’autodéfense en armée installée a eu des effets politiques. Elles se sont émancipées de la tutelle politique du PC suite à l’échec de l’Union patriotique. Si elles affichent encore de temps à autre un discours politique anti-impérialiste, l’activité des FARC consiste surtout à garder le contrôle de leurs territoires. La guérilla constitue en fait un mini appareil d’État, vivant sur le dos des populations paysannes en échange de sa « protection ». Les FARC ne sont certes pas la cause de la violence en Colombie, ni un simple groupe terroriste comme le prétendent les États-Unis ou l’Union Européenne. Mais elles n’incarnent pas non plus, en quoi que ce soit, une perspective pour la population pauvre de Colombie.

Leur forme actuelle de bandes contrôlant des régions entières, vivant de leurs ressources et de l’impôt paysan, illustre l’échec de la politique du PCC qui n’avait à offrir à ses militants que le choix entre le maquis et la gestion armée de zones rurales, et une politique d’accompagnement « de gauche » de la bourgeoisie libérale (politique qu’il poursuit aujourd’hui encore au sein du « Pôle démocratique alternatif »). En outre, si face à la répression, le refuge hors des villes a pu être une nécessité, le renoncement à s’implanter dans la classe ouvrière ne l’était pas. D’autant qu’aujourd’hui, la Colombie est un pays largement industrialisé (la population est urbaine à 76%), avec un mouvement syndical combatif malgré la répression dont il est l’objet.

12 janvier 2008

Yves LEFORT

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Pour en savoir plus :

- Jean-Pierre Minaudier, Histoire de la Colombie de la conquête à nos jours, l’Harmattan, 1997

- Sur la période de la « Violencia » : Gonzalo Sanchez, Guerre et politique en Colombie , L’Harmattan, 1998

- Pietro Lazzeri, Le conflit armé en Colombie et la communauté internationale , L’Harmattan, 2004

- Daniel Pécaut, « Les FARC : longévité, puissance militaire, carences politiques », dans la revue Hérodote, n°123, automne 2006

- À écouter : la série de l’émission « Là-bas, si j’y suis » de Daniel Mermet du 4 au 21 décembre 2007, intitulée « Colombie, la mort facile, les preuves de vie », en écoute sur le site de l’émission. En particulier sur l’histoire des FARC l’émission du 7 décembre « Juanita, guérilléra repentie » et celle du 19 décembre « Histoire de la U.P. ». Ces émissions valent surtout par la richesse de leurs nombreux témoignages.

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[1] Voir l’article dans Lutte Ouvrière n°2057 du 4 janvier 2008 : « Colombie : derrière l’arbre de la guérilla, la forêt du terrorisme d’État »

[2] Chiffre tiré de l’article de Daniel Pécaut, « Les FARC : longévité, puissance militaire, carences politiques », Hérodote n°123, automne 2006

[3] Sur les liens entre Uribe et les paramilitaires, voir « Colombie : le président Uribe, allié naturel des « narcos » et des paramilitaires », Lutte Ouvrière n°2057 du 4 janvier 2008.
Matrok
 
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