Nero a écrit :Plestin
Les russophones d'Ukraine (majoritaires dans certaines régions de l'Est mais cohabitant avec des ukrainophones) sont-ils des Ukrainiens ou bien des Russes vivant en Ukraine voire occupant l'Ukraine ? Ont-ils le droit de disposer d'eux-mêmes comme les autres, dans un pays où ils pourraient librement parler leur langue ?
La classe ouvrière russophone d'Ukraine fait-elle partie de la classe ouvrière ukrainienne qui devrait s'organiser "contre Zelensky" et pour "l'agitation pour le départ des troupes russes" ? Ou fait-elle partie de la classe ouvrière russe ?
Quid de ceux ayant un parent russophone et un parent ukrainophone ? Ont-ils le droit de disposer d'eux-mêmes ou doivent-ils choisir ?
Ah, comme tout serait plus simple si les choses étaient noires ou bien blanches, jamais mélangées, sans teintes intermédiaires et données une fois pour toutes.
Posées de cette manière, je ne peux évidemment pas apporter de réponses à ces questions, qui ne pourraient être tranchées, de notre point de vue socialiste, que par les populations concernées et au cours d’une révolution prolétarienne. Je ferai juste remarquer que la situation était déjà au moins aussi embrouillée avant et pendant la révolution de 1917, ça n’a pas empêché les bolchéviks de militer pour le droit des peuples à l’autodétermination, puis au jeune État soviétique de Russie de parrainer la naissance d’un État ukrainien. Car le sentiment national est un des plus forts de toute l’histoire contemporaine (plus même à certains égards et dans certaines situations que le sentiment de classe) et ne pas vouloir en tenir compte revient à se condamner à l’échec de la révolution ouvrière, d’autant plus quand les peuples ont été mêlés par l’histoire comme en Europe centrale et dans les Balkans par exemple. Les bourgeois savent très bien, eux, en tenir compte et l’utiliser à leur profit en l’attisant et en l’orientant au travers diverses manifestations de xénophobie pouvant aller jusqu’aux guerres, voire aux génocides.
Je suis d’ailleurs très étonné de voir des camarades aussi expérimentés et cultivés que Com_71 et Plestin, si attachés d’habitude – et à juste titre – à défendre le patrimoine du communisme révolutionnaire et des « grands ancêtres », attaquer le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » avec des arguments aussi faibles que la constatation du mélange des populations et du succès présumé – et à confirmer – de la propagande bourgeoise.
Déjà, je trouve consternant de ne pas répondre au moins à une partie de la première question, à savoir "Les Russophones d'Ukraine sont-ils (...) des Russes occupant l'Ukraine ?" mais je mettrai ça plutôt sur le compte de l'inattention, au milieu d'autres questions plus complexes. Concernant les autres, répondre qu'elles ne "
pourraient être tranchées, de notre point de vue socialiste, que par les populations concernées et au cours d'une révolution prolétarienne" peut s'entendre, mais dans ce cas, pourquoi ne pas l'appliquer au "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" étant donnée la difficulté de définir un tel peuple ukrainien ? Et si une partie du "peuple" en question est pour le vivre ensemble et l'autre pour vivre séparément (entre Ukrainophones et Russophones), que défend-t-on avec le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", et est-ce que les deux positions se valent ? Bref, difficile de savoir si le flou de ta réponse vient seulement du fait que, ici en France, nous ne voyons les choses que de loin et nous avons forcément une connaissance insuffisante de la question, ou si c'est une façon de mettre la poussière sous le tapis pour ne pas trop creuser la chose, en se retranchant derrière des formules générales telles que le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes".
Mais le plus inquiétant, c'est ta phrase sur le "
sentiment national" qui est "
un des plus forts de toute l'histoire contemporaine" et dont "
ne pas vouloir en tenir compte revient à se condamner à l'échec de la révolution ouvrière, d'autant plus quand les peuples ont été mêlés par l'histoire comme en Europe centrale et dans les Balkans par exemple". On retrouve le flou artistique dans l'expression "
en tenir compte" (en tenir compte de quelle façon ? en s'alignant dessus ?) mais par contre, aucune référence à la présence ou pas d'une oppression nationale. Est-ce que ne pas vouloir tenir compte du sentiment national français revient à se condamner à l'échec de la révolution ouvrière ? Est-ce que ne pas vouloir tenir compte du sentiment national serbe, ou croate, ou bosniaque, ou tibétain, ou ossète du Nord, ou alsacien revient à se condamner à l'échec de la révolution ouvrière ? Dois-je en conclure que tu considères que l'éclatement de l'ex-Yougoslavie a permis d'avancer sur le chemin de la révolution ouvrière ? Sauf explications plus poussées, j'ai tendance à prendre ça davantage pour une capitulation devant le "sentiment national" que pour une simple prise en compte de celui-ci... s'il existe.
Ensuite, je suis tout à fait d'accord avec ce qu'écrit com_71 quand il explique que "
aux abstractions énumérées dans le Programme de transition, on peut ajouter aujourd'hui celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ou encore la souveraineté du peuple ukrainien sur les territoires que les soubresauts de l'histoire lui avaient attribués, avec, en dernier ressort, la bénédiction de l'impérialisme en un moment donné".
Ce qui est sûr, c'est que les militants communistes révolutionnaires ne sont pas des indépendantistes et ne devraient jamais aller dans le sens de la création d'un sentiment national qui n'existe pas ni du renforcement d'un sentiment national ultraminoritaire, par exemple, l'indépendance de l'île de la Réunion ou celle de la Savoie. Va-t-on revendiquer le droit du "peuple réunionnais à disposer de lui-même" ? Certainement pas et ce, malgré l'oppression coloniale toujours présente. Si ce sentiment n'existe pas, il ne faut pas le créer, et la façon de militer des camarades locaux ne vise pas à détacher l'île de la Réunion de la métropole, mais à faire en sorte que les travailleurs de l'île et ceux de métropole luttent ensemble. Mais les militants communistes révolutionnaires n'iront pas non plus dans le sens du renforcement d'un sentiment national qui serait bien présent ou même majoritaire. Par exemple en Martinique et en Guadeloupe (où un tel sentiment est très présent sans être majoritaire pour autant), les camarades de Combat Ouvrier qui forcément en "tiennent compte" se distinguent très clairement des indépendantistes. En "tenir compte", c'est d'ailleurs la raison de l'existence d'une organisation distincte, Combat Ouvrier, aux Antilles, alors qu'il y a Lutte Ouvrière à La Réunion. (Ce qui n'empêche pas CO de faire liste commune avec LO dans toutes les élections où cela a un sens).
Les Ukrainiens étaient-ils opprimés dans l'ex-URSS ? La classe ouvrière oui, mais pas parce qu'elle était ukrainienne ; elle était opprimée au même titre que la classe ouvrière russe. Pour le reste, être ukrainien n'a jamais été un handicap chez un bureaucrate pour faire carrière même en Russie, il me semble. Alors, d'où vient le sentiment national ukrainien d'aujourd'hui, sinon des manœuvres passées de la bureaucratie locale et de l'impérialisme qui n'ont eu de cesse de l'attiser ? Des bureaucrates locaux préférant être n°1 en Ukraine que n°10 dans une URSS ou une CEI (comme pour les dirigeants des différentes républiques de l'ex-Yougoslavie), et un impérialisme qui cherche à éloigner l'Ukraine de la Russie et la faire basculer dans son camp non seulement économique, mais politique et militaire. Mettre en avant le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" dans ces conditions, c'est juste en rajouter une couche, à l'échelle de ses moyens minuscules, dans cette stratégie de détachement.