Mumia Abu-Jamal

Dans le monde...

Message par mael.monnier » 13 Mai 2004, 17:04

(L'Humanité @ 13 mai 2004 a écrit :Etats-Unis : visite à Mumia dans le couloir de la mort
La prison n’a pas enfermé son esprit

Par Mireille Mendès France

Ce n’est pas la première fois que j’emprunte le long couloir bleu glacé qui m’amène dans la salle où sont répartis des boxes dans lesquels chaque visiteur peut s’entretenir avec le condamné à mort détenu à la prison de Greene. J’ai failli ne pas arriver jusque-là. Le passage par le détecteur est un test que l’on ne peut se permettre de manquer. Trois essais, et la visite est annulée. Évidemment, ce matin je n’ai pas pensé à cela. Le détecteur sonne deux fois. Je suis arrivée de Paris la veille, dans l’après-midi, j’ai quitté Philadelphie à trois heures du matin et je risque, par mon inadvertance, de ne pas rencontrer Mumia. Pourtant la visite a été longue à organiser. Chaque fois Mumia doit remettre à plus tard la visite de sa famille ou d’amis très proches. Ma visite a été sauvée par l’intervention de Lennox Hinds qui m’accompagnait et qui allait rencontrer Mumia pour la première fois, en tant qu’avocat (1). Aujourd’hui, 23 avril, j’aurai droit à une escorte puisque le signal a retenti. À mon arrivée, tous les boxes sont vides. Le gardien, enfermé dans son bunker mais qui a la vue sur l’ensemble des 18 boxes, me désigne le numéro 13. J’attends en face.

Voilà Mumia, ses dreadlocks encore plus longues que la dernière fois, souriant. Il semble en bonne forme physique. La dernière fois, en septembre, il souffrait de problèmes circulatoires. Tout est rentré dans l’ordre. À travers l’épaisseur de la fenêtre qui nous sépare, nous posons nos paumes face à face et tapons nos poings contre la vitre. Il me lance un tonitruant : " Welcome to the hell " (bienvenue en enfer). Oui, c’est l’enfer, mais il est vite oublié, tout comme sont oubliées et les menottes qui lui enserrent les mains et l’immense salopette orange dans laquelle son corps est perdu.

Les membres du collectif français m’avaient chargée de lui transmettre un certain nombre d’informations. Les nouvelles lui font plaisir. Il apprécie le travail accompli, le nombre de membres venus pour être près de lui en ce jour de ses cinquante ans, dont vingt-trois ans passés dans le couloir de la mort. À l’annonce des 13 000 dollars récoltés grâce à des dons individuels mais aussi par la vente d’un CD de musique de jazz, il jubile, plus pour son avocat que pour lui-même. Oui, aux États-Unis, le droit à se défendre coûte cher, très cher (2).

Commence alors un long échange où je découvre que je n’ai rien à lui apprendre de l’extérieur. Il précise les conséquences de l’utilisation de la notion de terrorisme et affirme que la seule façon dont nous pouvons combattre toutes les atteintes au droit privé des personnes mais aussi aux droits fondamentaux, c’est de continuer à lutter contre la globalisation néolibérale. Mumia a une présence au monde, un esprit d’ouverture et une capacité d’analyse critique intacts. La prison n’a pas entamé sa force de combattre. La prison n’a pas enfermé son esprit. Il pourrait sortir demain et reprendrait sa fonction de journaliste comme s’il l’avait quittée hier, mais il trouverait aussi rapidement sa place au sein du mouvement altermondialiste. Il réfléchit au problème de la gestion de l’eau, de l’énergie, à la destruction systématique des services publics, à la santé, à l’éducation. Depuis 1954, il y a neuf fois plus d’Africains-Américains dans les prisons. Il faut aussi noter que 52 % de ces jeunes, qui ont quitté le système scolaire très tôt, connaissent la prison avant leurs trente ans (3). Il me fait part de son interrogation face à la désinformation du public et à la pauvreté des analyses politiques dans la plupart des situations. Il évoque l’importance pour le mouvement d’avoir ses propres médias alternatifs et parle d’Indymedia. Comment a-t-il eu connaissance de son existence ? Ses amis, de par le monde, non seulement demandent à ce que justice soit rendue et que soit déclarée son innocence mais aussi constituent autour de lui un réseau qui lui fournit des informations. Au fin fond de la Pennsylvanie, de l’intérieur de la prison, du fond du couloir de la mort, Mumia défend le choix d’un autre monde possible. Et pourtant Mumia pourrait ne se centrer que sur son affaire. Rien n’a bougé depuis que le juge fédéral Yohn a précisé qu’au bout de cent quatre-vingts jours (4), la peine de mort pourrait être commuée en emprisonnement à vie. Les cent quatre-vingts jours sont loin derrière nous. Cet ordre reste virtuel. Mumia est toujours dans le couloir de la mort. Tous les appels déposés par l’équipe de défense ont été refusés au prétexte qu’ils étaient hors délais.

En octobre 2003, les avocats ont fait deux démarches pour le réexamen des différents appels. L’une interroge la possibilité pour une même personne d’assurer la fonction de juge et de procureur dans une même affaire. Selon les amendements 5, 6 et 14, ce fait constitue une violation de la Constitution des États-Unis. L’autre pose le fait qu’il devrait être constitutionnellement impossible à un juge de présider le tribunal - où l’affaire est jugée - alors que, pendant une audience, il a affirmé : " Yeah, and I’m going to help ’em fry the nigger " (oui, je vais les aider à faire griller ce nègre).

Selon les amendements 5 et 14 de la Constitution des États-Unis, un accusé a le droit à un procès juste et équitable. Où est l’impartialité lorsque de tels propos racistes sont proférés ? Y a-t-il impartialité dans un pays, mais il n’est maintenant plus le seul, où les femmes et les hommes sont stigmatisés pour leur couleur de peau, leur religion, leurs origines sociales ? Nous revenons en arrière. Il y a, en l’espèce, une attaque contre les droits fondamentaux. Pour Mumia, l’espoir réside dans la pression que la communauté internationale - qui doit aussi inclure l’ensemble des associations de barreaux d’avocats de nombreux pays - peut exercer, au nom des droits de l’homme, pour obtenir que son droit à être entendu soit accepté. De nombreux Américains luttent contre l’application de la peine de mort, comme de nombreux autres citoyens de pays où elle est encore appliquée. Quelques États sur les 52 appliquent des moratoires, mais cela n’est pas suffisant. Il faut abolir la peine de mort qui est un traitement inhumain et dégradant, et nombre d’études ont prouvé que son application ne réduisait en rien la criminalité.

Retournant sur le parking après la visite, mon regard a été attiré par les fils de fer barbelés sur le haut des grillages. Fils de fer barbelés dans lesquels sont insérées de fines lames - type rasoir - à intervalle régulier. Je les ai vus ailleurs. La globalisation va-t-elle jusqu’à échanger des fils de fer qui font leur preuve ailleurs ? Je les ai vus entourant certaines parties de la Cisjordanie, je les ai vus dans la bande de Gaza (5). Ils sont aussi présents le long de la frontière mexicaine.

Marchant jusqu’à la voiture, je peux voir, au loin, dans une cour de promenade des prisonniers. Là aussi, je m’arrête interloquée, leur uniforme est marron, tunique mal taillée, col en V, sur un pantalon trop long. J’ai aussi vu cela ailleurs : aux tribunaux de Tel-Aviv ou de Jérusalem, où j’accompagne parfois une amie avocate. Les prisonniers palestiniens ont la même tenue.

Pourrais-je un jour avoir assez d’humour et penser que là aussi se joue cette fameuse globalisation contre laquelle nous nous mobilisons et dont on nous vante le bonheur assuré pour tous ? Je suis sûre que non, je sais juste qu’il est grand temps de penser à construire des mobilisations qui tiennent compte à la fois des violations répétées des droits fondamentaux, des droits civils et politiques, mais aussi du fait qu’elles touchent les populations les plus démunies.

Qui nous dit que, demain, l’Europe, pour des mesures de sécurité et pour lutter contre le terrorisme, et à la demande de nos " amis " américains, n’aura pas quelque velléité de restaurer la peine de mort ? Alors partout, mobilisons-nous pour son abolition et pour que les moratoires se transforment en abolition définitive. Plaçons-nous sur le plan du respect des droits de l’homme et de l’égalité entre les hommes, et faisons en sorte que cette parole ne soit pas seulement portée par quelques-uns mais qu’elle soit l’expression du mouvement altermondialiste comme l’est la paix, car vivre dans un climat " apaisé " suppose de ne plus être confronté à une bataille en règle contre les droits fondamentaux. Le combat pour l’abolition de la peine de mort fait partie de cette lutte. La paix n’a pas qu’un seul visage, il faut savoir démasquer toutes les attaques qui lui sont faites.

Il n’y a pas de bon ou de mauvais condamné à mort. Il n’y a que l’incapacité des systèmes judiciaires à assumer la déviance, si monstrueuse soit-elle, il n’y a, dans l’application de la peine de mort, que la peur d’une société face à elle-même, une société qui ne sait pas et n’ose même pas regarder ce qu’elle produit.

(1) Avocat de New York, vice-président pour les États-Unis de l’Association internationale des juristes démocrates.

(2) À ce jour, la défense de Mumia a coûté la somme de un million de dollars.

(3) Écoles et prisons, cinquante ans après la décision Brown, ce rapport peut être trouvé http://www.sentencingproject.org/pdfs/brownborad.pdf

(4) À partir du 18 décembre 2001.

(5) Chaque mètre coûte 12 000 dollars.
mael.monnier
 
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