Extrait du dernier article du Groupe Internationaliste sur Oaxaca et notamment la notion de "Commune" utilisee ici et la pour qualifier l'APPO.
"La Commune de Paris était un gouvernement ouvrier, une incarnation de la dictature du prolétariat – deux expressions synonymes – non pas parce que Marx et Engels la caractérisèrent ainsi, mais en raison de la conception qu’elle avait d’elle-même, de sa composition et de ses actions. La proclamation de la Commune, faite par la déclaration du Comité central de la Garde nationale du 18 mars 1871, indiquait: « Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l'heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu'il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d'en assurer le triomphe en s'emparant du pouvoir. »
Marx ajouta immédiatement : « Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machinerie de l’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte ». Le prolétariat se devait de construire son propre gouvernement, dans lequel « la majorité de ses membres étaient naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois ». C’était l’amendement principal de Marx et Engels faisaient au Manifeste communiste écrit en 1848.
Jetons donc un coup d’œil sur la situation dans le Oaxaca aujourd’hui. Le principal organe de lutte, l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO), ne se définit pas comme un gouvernement, et il ne l’est pas dans les faits. C’est plutôt un organe de lutte, dont la direction se compose des représentants de différentes organisations. Jusqu’ici, la grande majorité des délégués n’ont pas été élus mais désignés par les directions des groupes qui composent l’APPO. Son épine dorsale est la section 22 du SNTE-CNTE (le syndicat des enseignants), et elle intègre divers syndicats des employés du secteur public (ouvriers du Secrétariat de la santé, de l’Institut de la sécurité sociale, de l’ISSTE, de l’Université de Oaxaca, des aéroports, etc.) appartenant au FSODO (Front des syndicats et organisations démocratiques de Oaxaca), ainsi que des travailleurs du secteur téléphonique et des chauffeurs de bus, des groupes semi-prolétariens (Association des femmes syndicalistes, Retraités des chemins de fer), et des organisations de gauche (Front populaire révolutionnaire, Comité de défense des droits du peuple, Partido Obrero Socialista, maintenant rebaptisé Mouvement pour le socialisme). L’APPO inclut également un certain nombre d’organisations des peuples autochtones – l’Organisation des peuples indigènes Zapotec (OPIZ en espagnol), le Conseil indigène populaire de Oaxaca (CIPO), l’Union des communautés indigènes du Nord de l’isthme (UCIZONI), le Mouvement de lutte uni des Triquis (MULT) - et des organismes paysans.
Il n’y a aucun doute que l’APPO s’est enracinée dans les masses de Oaxaca en ayant résisté si longtemps au siège du gouvernement fédéral et du gouvernement de l’Etat, et à la violence meurtrière des gangsters et des paramilitaires. Mais ce n’est pas un gouvernement ouvrier en gestation.
L’APPO a un caractère pluriclassiste, avec une direction petite-bourgeoise au sein de laquelle l’orientation politique front-populiste prédomine. Le Forum national sur la construction de la démocratie et la « gouvernabilité », convoqué par l’APPO les 16 et 17 août derniers, a par exemple appelé « à générer des alliances avec différents secteurs et acteurs politiques se plaçant sur le même terrain que notre demande principale : l’éviction d’Ulises Ruiz Ortiz ». En même temps, le Forum a insisté sur « l’installation d’un Conseil populaire de gouvernement » et la formation d’une « grande Assemblée populaire nationale ». Pour de nombreux participants à l’APPO, ces appels sont adressés au PRD, dont les représentants ont eu des discussions avec l’APPO à Oaxaca ces derniers jours.
Bien sûr, l’APPO et la section 22 ont dû assumer certaines fonctions gouvernementales, en constituant par exemple le « Corps honorable de Topiles » (une espèce de police populaire, calquée sur les organisations indigènes communautaires) et la Police des professeurs de Oaxaca (POMO) pour maintenir l’ordre dans la ville occupée, quitte à détenir les voleurs et dans certains cas à les soumettre à un jugement populaire. Mais ce sont seulement des organes et mesures épisodiques de lutte qui surgiraient dans n’importe quelle grève durant un certain temps.
Il est également vrai qu’il y a des aspects de dualité de pouvoir avec l’occupation de la ville de Oaxaca par l’APPO et l’installation de conseils municipaux populaires dans une vingtaine de municipalités.
Mais ce n’est pas l’expression d’une dualité de pouvoir de différentes classes.
L’APPO s’est gardée soigneusement d’entreprendre toute action contre la propriété privée: elle n’a pas pris le contrôle d’hôtels, haciendas, usines ou compagnies de transport. Elle ne s’est non plus pas emparée d’institutions du gouvernement fédéral, telles que les autoroutes ou les aéroports. Surtout, avec son appel à une résistance « pacifique » à l’assaut des forces d’Ulises Ruiz et du gouvernement fédéral, elle n’a pas remis en question le monopole de l’Etat bourgeois sur la force armée. En fait, pendant les négociations avec le Ministère de l’intérieur (Gobernación), les chefs de l’APPO ont accepté le principe d’une incursion de la Police préventive fédérale dans Oaxaca.
En décembre 1905, alors qu’il était emprisonné en tant que président du Soviet de Pétersbourg, Léon Trotsky écrivait un article intitulé « 35 ans après : 1871-1906 » qui expliquait :
« La Commune de Paris de 1871 n’était naturellement pas une commune socialiste ; son régime n’était même pas un régime développé de révolution socialiste. La Commune de Paris était seulement un prologue. Elle a établi la dictature du prolétariat, prémisse nécessaire à la révolution socialiste.
Paris est rentré dans le régime de la dictature du prolétariat non pas parce la république fut proclamée, mais parce que 72 de ses 90 représentants élus étaient des travailleurs, et qu’elle se tenait sous la protection de la garde prolétarienne ».
Rien de tel n’existe encore dans le Oaxaca. Pour l’instant il s’agit d’une Zukunftsmusik, musique du futur, à laquelle nous pouvons aspirer et pour laquelle luttent les communistes. Mais confondre nos désires avec la réalité actuelle serait fatal pour le développement futur du combat révolutionnaire au Mexique. Il n’y a pas de pouvoir prolétarien a Oaxaca et, pour que ce dernier puisse prendre forme, la lutte devra franchir les confins d’un Etat à prédominance paysanne et rurale
pour s’étendre à la capitale et aux centres industriels du pays. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable de forger une direction, un parti, qui combatte non pas pour une démocratie « authentique » bourgeoise mais ouvertement pour la révolution prolétarienne. "h
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