La Libye, l'autre pays du mirage

Dans le monde...

Message par shadoko » 06 Avr 2011, 21:01

(Granit a écrit :
Le problème c'est t p contagion : si Kadafi tombe ce n'est pas le même signal que s'il reste 40 ans de plus après avoir massacré tout le monde.

C'est marrant cette logique binaire, de celui qui ne veut envisager que ce qui lui plait; je vois encore des tas d'autres éventualités: il tombe après avoir massacré pas mal de monde, il tombe après que les armées occidentales aient massacré pas mal de monde, le conflit s'enlise et une autre sorte d'intervention est organisée, il ne tombe pas et un embargo est organisé, qui dure des années, et qui fait un nombre de morts incalculable dans la population, etc. C'est quoi, le signal, dans tous ces cas?
shadoko
 
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Message par com_71 » 09 Avr 2011, 01:54

(granit @ vendredi 8 avril 2011 à 23:41 a écrit : Quelque chose de rare, l'irruption des masses dans la vie politique : et cela bouleverse la donne.
Et, encore plus rare, l'appui à ces masses de toutes les brutes galonnées des états-major des grandes puissances... :roll:
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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Message par titi » 09 Avr 2011, 19:25

(granit @ vendredi 8 avril 2011 à 23:41 a écrit : Comparer en permanence les massacres les uns entre les autres, les faux prétextes des interventions de l'impérialisme dans le passé, cela mène où ?

quelqu'un peut me dire ce que Madagascar 1947 à à voir avec la Libye aujourd'hui ?

ne fais pas semblant de ne pas comprendre
les armées impérialistes se sont toujours servies de certaines actions pour en justifier d'autres
la démocratie française, de gaulle en tête, s'est glorifiée de sa "lutte contre la dictature nazie" pour justifier les massacres qu'elle a perpétrée dès 1944 dans les colonies
titi
 
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Message par Puig Antich » 09 Avr 2011, 20:24

Publié sur un blog qui relaie le témoignage de français présents sur place : setrouver.wordpress.com



a écrit :Benghazi s’éveille, notre peuple est mort.

Benghazi nadad, metou fia shuadad.

Benghazi s’éveille, notre peuple est mort.



maison incendiée à Benjawad

Cette guerre ressemble à une pièce de théatre qui inlassablement et quotidiennement, se rejouerait. Seul le décor change, de Brega à Benjawad, de Benjawad à Brega, invariablement; quoi que chaque fois un peu plus abîmé.

L’Etat provisoire ne s’adresse désormais plus qu’aux troupeaux de journalistes qui, ne sachant pas trop quoi faire de leurs journées, s’occupent à s’agglutiner, de conférences de presse en conférence de presse. Tout paraît normal. On voudrait que tout soit comme avant, pourtant tout est différent.

Le coeur de Benghazi compte toujours autant de ces officines du nouvel Etat. Organisations de jeunesse ou de travailleurs, toujours plus boulimiques de symboles, de drapeaux, de bureau-avec-des-noms-sur-la-porte. Mais les gardes armés, si chiants et si fiers hier encore, se font maintenant rares, las de traîner leurs sabres devant des occidentaux blasés.

Le véritable Etat de la nouvelle Libye n’est pas et n’a jamais été le Comité National de Transition. Il semble d’ailleurs que sa seule activité extra-médiatique aura été de récupérer de l’argent du pétrole afin de remplir on ne sait quelle caisse. Il n’est très certainement que le prétexte d’un appareil de presse qui construit pêle-mêle le pathétique, les images, le discours et le rythme de ce spectacle qu’est l’éthique révolutionnaire en Libye.

S’il y avait quelque chose comme un « Etat », il se situerait bien plus dans les bureaux d’Al Jazeera. Si l’on veut des nouvelles de la guerre ou si l’on veut savoir ce que c’est que cette manif’, il faut allumer la télé.

Non, ici personne n’obéit à personne. Certes les flics réapparaissent mais la moitié sont des gamins ou des types qui ont récupéré des uniformes. Ils ne sont pas organisés ensemble et encore moins sous la tutelle du CNT.

L’armée organisée c’est la plus répondue des rumeurs. (Egalée peut-être par celle du soulèvement de Syrte, aussi mythique que récurrente.)

Le front est d’ailleurs redevenu un club très sélect‘. Dans cette bataille qui s’éternise de Brega à Benjawad, il n’y a rien à faire d’intéressant pour qui n’est pas dans une équipe d’artillerie, ou ne veut pas mourir en martyr. La guerre se spécialise mais parler de « specialistes » du côté des insurgés, c’est beaucoup dire. Les militaires professionnels, organisés et furtifs qu’un brouillard de généraux et de colonels pretend commander et que de nombreux journalistes prétendent avoir vus est une farce de moins en moins drôle. Il y a bien des militaires formés et bien equipés en avant des lignes des shebabs, mais ce sont les soldats de Kadhafi, et c’est sur nous qu’ils tirent.  A vrai dire, ce fantôme évadé d’un mauvais clip pour le recrutement des marines sert surtout à tenter de bloquer les journalistes au dernier check-point, ce qui n’a que très peu d’effet. Il suffit d’un rien pour le passer et tous le font.

Quand dans un précédent article nous décrivions la constitution d’un « avant » et d’un « arrière« , il faut comprendre cela au niveau de la forme de vie. Ce sont tous des civils, ce qui différencie ceux qui vont sur le front c’est un certain intérêt pour les combats et par conséquent un rapport assez démystifié à l’affrontement brute. Il y a bien évidemment quelques personnes qui après être allées au front une fois retournent en ville pour s’auréoler de leurs faits d’armes assez maigres, mais c’est plutôt rare.

La question tribale se pose ou ne se posera que dans les villes de Sabba et de Syrte. De ce que l’on nous dit, partout ailleurs, c’est comme ici: l’insurrection c’est une somme d’individus collectés et rassemblés sur le front. Ils s’organisent en groupes de trois ou quatre véhicules au plus et assurent eux-même leur logistique de l’arrière au front, bien aidés par les types qui individuellement remplissent leur pick-up de nourriture et d’eau pour les amener en premiere ligne. On part sur le front ensemble parce qu’on est potes de boulot ou de la même famille ou du même club de plongée sous-marine maisIls partent ensemble sur le front soit parcequ’ils sont de la même famille, du même boulot ou du même club de plongée sous-marine mais il n’y a vraiment rien qui ressemble à une composition « clanique » tout comme il n’y a aucune distinction formelle entre militaire et civile. Dans les rues de Benghazi, il est impossible de distinguer les « combattants » du reste de la population.

tank détruit par l'Otan

Les chefs en herbe et la curiosité des citoyens de Benghazi ont abandonnés le front aux seuls personnes qui croyaient suffisament en ce qu’ils faisaient.

Les rôles se dissolvent et les rapports entre les gens deviennent des rapports véritablement partisans. Même les photographes de guerre venus jouer dans ce bac à sable géant sont pris dedans et vivent puissament la camaraderie des shebabs. Le rapport aux occidentaux sur le front est devenu très clair. Autant, les shebabs considèrent quasiment comme des camarades ceux qui mangent avec eux, les accompagnent dans leur voiture sur le front, etc. Autant ils sont capables de la plus grande froideur à l’encontre de ceux qui semblent être de simples curieux envoyés là comme ils auraient été envoyés couvrir le salon de l’agriculture.

Comme lors de l’occupation de Ras Lanouf que nous avions décrite, la guerre est de plus en plus assumée comme l’état normal des choses. L’armée est plus petite que jamais, mais bien organisée, l’artillerie se positionne sur les crêtes, le rechargement est rapide et réalisé par tous, et de nouvelles armes font leur apparition.

Eh oui, même l’artillerie lourde se bricole: grad commandés par des interrupteurs de maison, mortiers faits de tubes récupérés, et cerise sur le gateau, paniers à roquettes d’hélicoptère Mi-24 montés sur des pick-up capables d’envoyer une trentaine de roquettes de 57mm en un rien de temps à l’aide d’une commande de tir improvisée.

La solidarité internationnale, on ne l’a pas vu sur le front. Il n’y a que les pick-up des habitants de Benghazi, de Brega, ou de Tobrouk qui ramènent les trucs qu’ils ont achetés avec leurs petits sous.

A Benghazi également la normalité a une odeur de souffre. Toutsles commerces sont ouverts, à l’exception des banques, pourtant d’une grande importance symbolique. Le marchand de cuir qui, il y a une semaine encore vendait des ceintures et réparait des chaussures de gamins, vend désormais en une après-midi, cinq ou six holster, trois ou quatre bretelles pour kalach, un gilet pare-balles et … une ceinture rose pour ado branché.

Dans un quartier chaud, les mêmes types qui deux semaines auparavant étaient prêts à te planter pour un appareil photo t’offrent désormais trois heures de boulot juste parce que tu va à la guerre pour prendre… des photos.

En retrouvant, il y a deux jours, des jeunes du front d’Ajdabia, ils m’emmènent jusqu’à un tank où, avec deux tambours, ils dansent en improvisant des chants qui se répondent, repris par certains, décriés par d’autres, s’interrompent, reprennent… Depuis, tous les soirs de tels groupes se forment avec des personnes et des danses differentes.

Aujourd’hui un bateau turque qui amenait de l’aide alimentaire a été refoulé après quinze minutes à quai. Les libyens insistent sur le fait qu’ils n’ont pas besoin de nourriture mais d’armes et de soutien militaire. Ici, les gens sont de plus en plus nombreux à  dire clairement que si elle ne bombarde pas les troupes de Kadhafi, c’est un choix que fait la coalition. Alors qu’elle a nettoyé chirurgicalement tous les véhicules loyalistes de Benghazi à Brega et au vu de la précision avec laquelle les tanks ennemis ont été décapités de leurs tourelles on peut effectivement penser qu’elle a intentionnellement décidé d’arrêter là. Certains n’ont aucun doute à ce sujet, la France doit sûrement vouloir rester fidèle à sa vieille habitude qui consiste à mettre en place une armée formée par ses soins. L’hélicoptère français qui à quitter le port de Benghazi ne peut que confirmer cette lourde impression.

Les « dérapages » de la coalition sont finalement plutôt insignifiant. S’il s’agit de buter des gens, les rebelles et les kadhafistes font cela très bien. En dernière instance, il suffit de priver les uns de soutien pendant quelques jours, -ce qui vient de se produire- pour que la guerre devienne suffisament sale et que cela fournisse une Libye bien docile.

Ce serait une erreur que de se focaliser sur les trois bombes que l’Otan a largué dans le tas (même si elles ont fait plus de morts que trois jours d’affrontements). Ce que ne manqueront certainement pas de faire des journalistes à la con l’histoire de se sentir un peu « critiques ». Ce que les gens du front craignent c’est que la stratégie de l’Otan soit de laisser pourrir la situation. Certes, les francais et les américains pourraient se permettre de négocier jusqu’à la couleur de la cravate du chef du CNT, mais c’est tellement plus facile de se servir soi-même une fois que tout le monde s’est entre-tué.

Lorsque le front était parvenu jusqu’à Harawa, dix tanks dégommés auraient permis de contourner gentiment Syrte (ici, personne n’est assez con pour aller se foutre là bas) et alors Kadhafi n’aurait plus eu qu’à aller garer ses miches au Vénézuela.

(Note de l’éditeur: Au vu des jugements géopolitiques quelque peu Olé Olé à la fin de ce texte, nous avons demandé à son auteur s’il ne versait pas trop dans l’impression de comptoir. Ce à quoi il nous a laconiquement répondu:

« Ouais les considérations internationnales sont un peu osées,

mais je vois pas d’autres explications, sauf si les avions manquent de fuel du fait de la révolution en libye ou des grèves de l’automne en France.« )
Puig Antich
 
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Message par Jacquemart » 11 Mai 2011, 21:32

Bêtise, vraiment ? :altharion:

Tiens, allez, un article de la dernière Lutte de Classe, une revue écrite par des gens qui pensent que l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes, et pas de l'armée de Sarkozy ou d'Obama :

a écrit :
Libye - Non à l’intervention impérialiste occidentale !

Trois mois après le début de la vague de contestation qui a touché le monde arabe à partir de la Tunisie, les puissances impérialistes occidentales sous couvert de l’OTAN sont engagées dans une intervention militaire, censée aider le peuple libyen à se libérer de la dictature du colonel Kadhafi, mais qui vise d’abord à sauvegarder leurs intérêts présents et futurs dans toute la région.

Lorsque, au mois de janvier dernier, les manifestations contre le régime de Ben Ali en Tunisie se sont intensifiées, l’intervention des dirigeants impérialistes et en particulier des États-Unis avait pu se borner à conseiller plus ou moins discrètement au dictateur de laisser la place. Les dirigeants de l’armée tunisienne avaient également reçu le conseil de ne pas se compromettre trop ouvertement dans la répression, exercée essentiellement par les forces de police. Ainsi, après le départ de Ben Ali, les responsables de l’armée ont pu affirmer que celle-ci était restée au service du peuple et s’appuyer sur ce crédit pour être les véritables arbitres de la « transition démocratique » censée prendre la place du régime déchu.

De même, en prenant leurs distances à temps d’avec un dictateur trop discrédité, les dirigeants des États-Unis ont pu apparaître eux aussi comme des partisans d’une plus grande démocratie en Tunisie. Même s’il y a évidemment là une scandaleuse hypocrisie de la part d’hommes qui ont soutenu Ben Ali pratiquement jusqu’au bout, il s’agissait pour eux de sauvegarder l’essentiel, c’est-à-dire la possibilité pour les trusts occidentaux de continuer à faire des affaires dans ce pays et de voir leurs intérêts protégés par un régime ami. Et en passant, les dirigeants des États-Unis ont pu agir avec une longueur d’avance sur les dirigeants français, trop bornés et trop habitués à collaborer étroitement avec leur « ami Ben Ali » pour comprendre à temps que le moment était venu de le lâcher.

La même manœuvre a eu lieu pour l’essentiel en Égypte lorsque des manifestations ont commencé à grossir contre le régime de Moubarak. Encore plus ouvertement que dans le cas tunisien, les dirigeants des États-Unis ont fait savoir à celui-ci que dans l’intérêt général il était souhaitable qu’il se retire. Là aussi, l’armée a pris soin de ne pas trop se compromettre dans la répression exercée par le régime égyptien, ce qui lui a permis de sortir de la crise auréolée de la réputation d’être une « armée du peuple » qui s’est refusée à défendre la dictature. C’est ainsi que des chefs de l’armée ou des services secrets, qui ont pourtant été parmi les principaux rouages de cette dictature pendant des décennies, ont pu se présenter après le départ de Moubarak comme les artisans d’une transition démocratique et disposer pour cela d’un certain crédit, au moins dans une partie de l’opinion. Quant à leurs protecteurs et conseilleurs, les États-Unis mais aussi les autres puissances impérialistes comme la France qui, cette fois, avait compris la manœuvre, ils ont pu se présenter eux aussi comme des partisans de la liberté des peuples arabes. Ils évitaient ainsi, au moins pour le moment, le risque de voir leurs intérêts sur place remis en cause en même temps que la dictature de celui qui les a protégés pendant plus de trente ans.

Cependant, les choses se sont avérées plus complexes lorsque les manifestations ont touché la Libye, pays placé lui aussi sous une dictature. Là aussi, si le colonel Kadhafi a pu au début de son règne se présenter comme un défenseur du nationalisme arabe contre la domination des puissances impérialistes, il a su depuis longtemps se faire un de leurs meilleurs partenaires, dans le cadre d’une collaboration particulièrement cynique. Kadhafi n’a pas répugné à se faire un exécuteur des basses œuvres de l’impérialisme, par exemple en arrêtant les candidats à l’émigration vers l’Europe à partir de ses côtes et en les renvoyant mourir dans des camps ou quelque part dans le désert. En retour, les Sarkozy ou Berlusconi se sont affichés sans retenue auprès de leur ami Kadhafi.

Cependant, instruits cette fois par les précédents tunisien et égyptien, les dirigeants impérialistes ont pris leurs distances d’avec la dictature de Kadhafi dès que des manifestations ont commencé à mettre celle-ci en cause, et en particulier quand elles ont amené la perte de contrôle du régime sur la partie orientale de la Libye, la Cyrénaïque autour de la ville de Benghazi. Et là aussi, les puissances impérialistes ont conseillé à Kadhafi de partir afin de permettre une démocratisation de la Libye. Elles l’ont fait avec d’autant plus de conviction que, dans un premier temps, le régime semblait destiné à s’écrouler rapidement de l’intérieur, perdant le contrôle d’une ville après l’autre.

Las ! Le dictateur libyen, à la différence de ses collègues tunisien et égyptien, ne s’est pas laissé convaincre aussi facilement de laisser la place. Et, ce qui n’est guère surprenant étant donné l’histoire du régime libyen, les dirigeants impérialistes n’avaient pas sur lui les mêmes moyens de pression que sur un Ben Ali ou un Moubarak, ni les mêmes relations directes avec l’appareil militaire libyen qu’avec ceux de Tunisie et d’Égypte. On a donc pu voir le régime de Kadhafi réprimer violemment les manifestations là où il le pouvait, et s’engager dans une reconquête militaire des régions qui lui avaient échappé.

Face à cela l’attitude des puissances impérialistes a été d’abord, tout en exprimant leur réprobation officielle à l’égard de Kadhafi, d’observer prudemment l’évolution de la situation sur le terrain. C’est ce qui a donné à Sarkozy, au nom de l’impérialisme français, la possibilité de se distinguer en étant le premier à reconnaître le Conseil national de transition représentant les insurgés libyens, en leur manifestant son soutien et en appelant les autres puissances à intervenir pour aider ces insurgés à renverser Kadhafi.

Il y a eu bien sûr dans cette attitude du gouvernement français une grande part de calcul politicien, lié au besoin de se mettre en avant sur le plan extérieur pour tenter de combler son discrédit en politique intérieure. Mais il y a eu aussi le calcul de compenser l’effet désastreux causé dans le monde arabe par le soutien accordé jusqu’au bout à Ben Ali par la diplomatie française, en tentant d’apparaître désormais comme le partisan le plus déterminé d’une démocratisation. Enfin, il y a eu le pari, en étant le premier à soutenir les rebelles de Cyrénaïque, la région de Libye la plus riche en pétrole, il faut le noter, d’améliorer pour la suite les positions de l’impérialisme français dans cette région, fût-ce au détriment de ses alliés et concurrents tels que l’Italie.

Le pari cependant s’est révélé risqué lorsqu’on a vu les rebelles, après une première avancée, perdre du terrain face aux troupes de Kadhafi. Et c’est au dernier moment, alors que les troupes du dictateur étaient en passe de reprendre Benghazi, que cette fois l’ensemble des puissances impérialistes se sont trouvées d’accord pour voter au Conseil de sécurité de l’ONU l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, et pour intervenir militairement contre ses troupes.

La raison officielle invoquée, notamment par Barack Obama pour les États-Unis, était qu’il ne fallait pas laisser le dictateur libyen continuer à tirer sur son propre peuple, ce qui lui retirait « toute légitimité ». Il faut noter qu’au même moment les troupes de l’Arabie saoudite intervenaient au Bahreïn pour aider le dictateur local à écraser la contestation en cours, sans qu’aucun des dirigeants impérialistes émette même une protestation. Quant à faire toute la liste des situations où ceux-ci ont laissé ou aidé directement un régime ami à écraser son peuple ou un peuple voisin, ce serait évidemment trop long.

Cependant, dans le cas libyen, les puissances impérialistes se sont retrouvées prises à leur propre jeu. Après s’être proclamées en faveur d’une transition démocratique dans tout le monde arabe, après avoir affirmé comprendre et partager les aspirations des peuples arabes à la liberté et à la démocratie, le fait de laisser les armées de Kadhafi écraser les rebelles de Benghazi aurait sonné comme l’aveu que tout cela n’était que des discours. Au contraire, voler à leur secours permettait de donner un peu de crédit aux discours démocratiques des dirigeants impérialistes, et en même temps de faire un peu oublier qu’au même moment ils couvraient la répression au Bahreïn ou au Yémen, pour ne pas parler d’Israël et de son obstination à nier les droits des Palestiniens. À une journaliste qui lui demandait le pourquoi de cette différence d’attitude suivant les pays, l’ex-ministre des Affaires étrangères français Bernard Kouchner a ainsi pu répondre tranquillement, et cyniquement : mais nous ne pouvons pas intervenir partout !

Et en effet, l’impérialisme choisit où il intervient. Dans le cas de la Libye, il y a les raisons politiques données plus haut, des raisons qui sous-tendent aussi des intérêts bien concrets, et notamment l’opportunité d’accéder au pétrole libyen par le biais d’un gouvernement qui pourrait être plus malléable que ne l’était celui de Kadhafi. Quant au caractère de l’intervention occidentale, les premiers jours de bombardements des positions de Kadhafi ont permis aux insurgés de reconquérir du terrain au moment où leur cause semblait perdue. Mais par la suite l’armée de Kadhafi a pu reconquérir des positions, en même temps que les interventions de la coalition occidentale se faisaient plus rares, ou en tout cas moins efficaces.

On ne peut évidemment prédire ce qu’il en sera de la suite des opérations militaires. Mais tout se passe maintenant comme si les responsables de l’OTAN, dont, après les polémiques initiales entre alliés, le contrôle a maintenant été imposé sur les opérations, ne souhaitaient ni une victoire totale des insurgés, ni leur écrasement complet par l’armée de Kadhafi. Tout en déclarant qu’il faut que Kadhafi parte, les dirigeants occidentaux ont précisé ne pas vouloir fournir une aide militaire directe aux insurgés. On a appris aussi que des agents de la CIA avaient été envoyés en Libye pour étudier directement la situation et, apparemment aussi, pour s’assurer directement de qui sont ces insurgés et des éléments sur lesquels ils peuvent vraiment s’appuyer.

Et en effet cette situation de guerre entre les deux factions qui se disputent désormais la Libye permet aux dirigeants impérialistes de n’accorder leur aide aux insurgés qu’en s’assurant en retour de leur fiabilité, et en même temps de faire pression sur le camp de Kadhafi pour qu’il cède la place. Les contacts ne sont évidemment pas rompus avec celui-ci, avec qui des négociations ont lieu en coulisse. Pour les dirigeants impérialistes, en premier lieu les États-Unis qui se sont assuré la direction politique des opérations, la meilleure solution serait sans doute d’arriver à un compromis entre les deux camps, avec un gouvernement recyclant différents anciens ministres de Kadhafi, entre ceux qui ont mis en place le Conseil national de transition à Benghazi et d’autres qui se sont dissociés du dictateur libyen aux différentes étapes du conflit. Le plus difficile est visiblement de convaincre ce dernier de partir, quitte à lui trouver un asile doré où finir ses jours.

Cette situation peut évidemment aussi s’éterniser et déboucher sur une division durable du pays entre une Cyrénaïque tenue par des insurgés sur lesquels les dirigeants impérialistes auraient affermi leur contrôle, et une Tripolitaine restée dans les mains de Kadhafi et de ses partisans. Mais dans les deux cas les puissances impérialistes auraient réussi à renforcer leur contrôle sur la région, tout en pouvant présenter leur intervention comme en faveur de la démocratie et de la liberté des peuples.

Car le problème n’est pas seulement la Libye. En l’occurrence, celle-ci offre l’occasion d’une démonstration plus générale, à l’intention de tout le monde arabe.
Il n’est pas besoin de souligner l’importance stratégique bien connue de toute cette région pour l’impérialisme, une région où ses intérêts politiques, économiques et militaires s’entrelacent étroitement. La mise en coupe réglée de la région sur le plan économique, au profit des trusts occidentaux, entraîne la misère de ses peuples à côté d’invraisemblables accumulations de richesses et est grosse d’explosions sociales. Son découpage en États rivaux, armés jusqu’aux dents, pourvus de régimes répressifs appuyés par l’impérialisme, crée partout des situations explosives et des foyers de conflits. Les dirigeants impérialistes sont les premiers conscients qu’il y a là un baril de poudre dont il faut tenter d’éviter l’explosion, mais où il faut aussi être prêts à intervenir pour faire face à toute éventualité.

En ce sens, l’intervention armée occidentale en Libye n’est pas seulement une pression bien calculée sur le régime de Kadhafi, elle est aussi une démonstration à l’égard de tout le monde arabe. Il s’agit d’avertir les gouvernants, les dirigeants politiques et les populations que, de toute façon, l’impérialisme tient à rester un acteur de premier plan des évolutions politiques. Et, derrière le masque de la recherche d’une évolution démocratique qui se révélera rapidement de simple façade, se cache surtout la préoccupation de la sauvegarde des intérêts des grandes sociétés capitalistes américaines, européennes et autres dans la région.
C’est dire que cette intervention militaire ne va en aucune façon dans le sens de la défense des droits des peuples et des aspirations pour lesquelles les peuples des pays arabes se sont mis en mouvement. La défense des insurgés libyens contre la répression de Kadhafi n’est qu’un prétexte, qui est d’ailleurs en train de se révéler comme tel. Et il faut rappeler que toutes les interventions impérialistes précédentes se sont dissimulées derrière des prétextes du même genre, allant du rétablissement de la démocratie en Irak à la lutte contre l’intégrisme des talibans et pour la liberté des femmes en Afghanistan. Dans tous les cas, le résultat de l’intervention impérialiste a été une aggravation dramatique de la situation pour la population et ce n’est pas par hasard : elle s’est appuyée logiquement sur les forces les plus réactionnaires, sur différents clans militaires et religieux, sur de petits potentats seigneurs de guerre. Il en sera de même en Libye, même si l’intervention impérialiste aujourd’hui en est encore à chercher sa voie par agents de la CIA et bombardements sélectifs interposés.

On peut bien sûr comprendre que, pour les jeunes insurgés libyens, la nouvelle d’une intervention occidentale contre les forces de Kadhafi ait été un soulagement. Mais le déroulement successif des opérations militaires l’a rendu de courte durée. Et plus le temps passe, et plus la fraction de la population libyenne qui y a mis ses espoirs risque de s’apercevoir que le soutien impérialiste n’est pas gratuit. Il ira de pair avec un contrôle croissant des puissances occidentales sur le camp des insurgés, à travers la remise en selle d’anciens dignitaires de Kadhafi recyclés en « démocrates », et éventuellement des fractions de l’armée qui, en Cyrénaïque, se sont détachées du régime de Kadhafi. Celles-ci se sont gardées jusqu’à présent de prendre vraiment part aux combats, mais elles pourraient en revanche se révéler bien utiles pour remettre en selle un appareil d’État et une autorité dans cette région.

Dans la vague de révolte qui traverse les pays arabes, le seul véritable espoir est qu’elle permette à des fractions de la classe ouvrière de ces pays de prendre conscience de ses intérêts propres, de lutter pour ses objectifs de classe et en même temps pour une transformation sociale en faveur de tous les exploités. Cette lutte se heurte inévitablement aux intérêts des classes privilégiées, aux appareils d’État qui les soutiennent, aux intérêts impérialistes auxquels les uns et les autres sont liés.

C’est dire que des travailleurs conscients, des militants luttant pour une véritable révolution sociale dans les pays arabes ne peuvent en aucun cas souhaiter ou soutenir l’intervention politique ou militaire des puissances impérialistes en considérant qu’elle pourrait être leur alliée. Et c’est dire aussi que des travailleurs conscients, des militants révolutionnaires de pays impérialistes comme la France, ne peuvent en aucun cas soutenir l’intervention militaire de leur pays. Quel que soit le prétexte humanitaire ou démocratique derrière lequel elle se cache, cette intervention ne peut, à court ou long terme, que renforcer les couches privilégiées, les divers clans militaires et les forces réactionnaires contre lesquels les travailleurs et les couches populaires des pays arabes ont commencé à se lever, et finalement préparer une aggravation de leur exploitation et de leur oppression.
Les militants révolutionnaires prolétariens ne peuvent que souhaiter la chute de Kadhafi, mais aussi celle de tous les régimes réactionnaires de la région, de celui d’Arabie saoudite à celui d’Israël, et s’opposer à toutes les interventions impérialistes qui les renforcent. Ils ne peuvent que s’opposer à tout ce qui aboutit à renforcer la présence impérialiste dans la région et donc à l’intervention occidentale en Libye.

31 mars 2011
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Message par Zorglub » 12 Mai 2011, 11:07

Il est sûr que malgré tout ce que l'on peut te dire, tu ne supposes pas toi, tu es plein d'illusions béates, pardon de certitudes.
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Message par abounouwas » 17 Mai 2011, 17:08

voilà une contribution fort claire d'un ancien militaire qui a quelques "biscuits" en matière de terrain.

a écrit :
Libye: qui veut lâcher BHL?

22/4/2011 Mediapart

Ancien diplomate à l'ambassade de France à Tripoli, Patrick Haimzadeh critique les modalités de l'intervention militaire en Libye et démontre la faiblesse de la position défendue par Bernard-Henri Lévy.


Au titre accusateur de la tribune de Bernard-Henri Lévy, «Qui veut lâcher la Libye?», parue dans le journal Libération du 11 avril, j'ai choisi de répondre par la question volontairement provocatrice du titre de cette tribune.

Derrière la question «qui veut lâcher la Libye?» formulée à la manière du «J'accuse» de Zola, dans la plus pure tradition française de l'intellectuel engagé, apparaît en effet en filigrane une grave accusation à l'encontre des «imbéciles» que sont pour  Bernard-Henri Lévy ceux qui ont le malheur de ne pas penser comme lui.

Bernard-Henri Lévy ne précise pas ce qu'il entend par «lâcher la Libye». Il cite néanmoins comme exemple d'arguments en faveur de ce «lâchage», les critiques qui auraient été formulées à l'encontre du Conseil national de Transition, le qualifiant de «ramassis d'ex-kadhafistes (...), infiltré par des éléments al-Qaeda ».

S'ensuit une plaidoirie éloquente en faveur du Conseil national de transition dont Bernard-Henri Lévy «connaît chacun de ses membres». Nous y apprenons notamment qu'ils envisageraient d'instaurer «une société laïque». Ayant passé plus de trois ans en Libye et conservé des amitiés suivies avec de nombreux Libyens, je pense connaître aussi un peu la Libye et son peuple: le concept de «société laïque» n'est guère pertinent dans ce pays où l'islam fait naturellement partie intégrante de l'identité et du système de valeurs auxquels sont attachés tous les Libyens. Quel ethnocentrisme et quel manque de respect pour le peuple libyen que de penser qu'il aspire à une société laïque! Si les membres du CNT le prétendent, ils ne peuvent se prévaloir d'un soutien populaire dans ce domaine ...

Bernard-Henri Lévy balaie ensuite, à juste titre, les critiques qui ont pu être entendues parfois à l'encontre des membres du CNT, dont certains sont effectivement d'anciens cadres du régime Kadhafi. Il évoque au passage le cas d'Ali Zeidan, né à Waddan et originaire de «la tribu des aljourfa». Cette tribu libyenne n'existant pas, Bernard-Henry Lévy a sans doute confondu avec l'oasis d'al Joufra, dans laquelle se situe la ville de Waddan.

Bernard-Henry Lévy balaie tout aussi justement les accusations d'infiltrations d'éléments d'al-Qaeda en Cyrénaïque proférées par certains pour discréditer l'insurrection. En conclusion, pour lui, ceux qui «veulent lâcher la Libye» sont évidemment pétris d'esprit munichois, insensibles aux souffrances du peuple libyen, adeptes d'une vision orientalisante et culturaliste d'une société libyenne pétrie de tribalisme et obsédés par les islamistes.

Revenons à l'expression «lâcher la Libye». Suffit-il d'émettre des doutes sur le bien fondé et les objectifs de la guerre que mène la «coalition» en Libye depuis un mois pour être qualifié de «lâcheur de la Libye»? Car je ne m'appuie sur aucun des arguments évoqués par Bernard-Henry Lévy pour maintenir mon opposition à ces bombardements en Libye qui sont aussi inadaptés que dénués d'objectifs stratégiques clairs.

Officiellement, cette campagne de bombardements a été lancée pour protéger les populations civiles. La ville de Benghazi, nous dit-on, allait être plongée dans un bain de sang. Le massacre était imminent. La répression serait terrible. L'armée de Kadhafi s'apprêtait à faire un carnage. Les populations étaient terrorisées, et il n'existait aucune issue que les bombardements de la «coalition».

Belle histoire d'un sauvetage réalisé in extremis par les armées de la «coalition» qui en détruisant cinq chars (source Etat-major des armées françaises) auraient sauvé la Cyrénaïque! Nous aimons tous les belles histoires de ce genre: elles permettent d'avoir des idées simples sur des évènements complexes qui sont le propre des situations de guerre.

Belle image aussi que celle de Messieurs Lévy et Sarkozy apparaissant sur le perron de l'Elysée comme les symboles inflexibles de l'engagement et du volontarisme d'une France revenue à son rôle historique de défenseur des opprimés contre les tyrans! Et d'un seul coup, comme d'habitude, le consensus est général et les bombardements apparaissent comme la seule option possible. Nous voilà donc engagés dans une nouvelle guerre, dont nos autorités annoncent désormais qu'elle sera longue.

Et pourtant, l'histoire de ces vingt dernières années au Moyen-Orient aurait pu nous faire un peu réfléchir. Nous avions déjà eu en 1991, le mensonge de l'armée irakienne, troisième armée du monde. En 2003, celui de Saddam Hussein possesseur d'armes de destruction massive. Cette fois-ci, nous dit-on, les choses seraient différentes, il y avait urgence. C'était une question de vie ou de mort de la révolution libyenne. En sauvant cette révolution, nous sauverions toutes les révolutions à venir dans le monde arabe par cette sorte de cercle vertueux prôné par l'idéologie néoconservatrice américaine des années 90. La chute du régime de Saddam Hussein et l'avènement de la démocratie dans ce pays devaient eux aussi constituer le début d'un cercle vertueux au Moyen-Orient.

Mais revenons sur ce fameux «sauvetage de Benghazi» qui compte désormais au nombre des mythes fondateurs de cette guerre. Je ne nie nullement la crainte des habitants de Benghazi de voir leur ville retomber aux mains du régime dictatorial de Kadhafi. J'imagine parfaitement les angoisses de mes amis de Cyrénaïque à l'idée d'un échec de leur insurrection. Je connais néanmoins suffisamment bien la configuration de la ville pour affirmer que le millier d'hommes de l'armée de Kadhafi, équivalent à l'effectif d'un bataillon accompagné de ses soutiens en blindés (une trentaine de chars au grand maximum) n'avait pas les moyens de prendre et de contrôler la ville de Benghazi qui compte plus de 800 000 habitants et s'étend sur près de 30 km de longueur sur 10 km de largeur. Le commandement libyen en était parfaitement conscient, puisqu'une semaine après sa reprise d'Ajdabiya, située à une centaine de kilomètres de Benghazi, ordre n'avait toujours pas été donné d'investir la ville. Ajoutons à cela que ce bataillon était à ce moment là à plus de 500 km de ses soutiens les plus proches à Syrte. Les autres bataillons de sécurité libyens étaient quant à eux déjà engagés dans d'autres combats à Misurata et en Tripolitaine. Kadhafi ne disposait donc d'aucune réserve stratégique.

Le général Abdelfattah Younès chef militaire de la rébellion libyenne et ancien commandant des forces spéciales libyennes, qui réclame désormais à cors et à cris de l'OTAN plus de bombardements avait tout le temps d'organiser la défense de sa ville et de faire de chaque rue et chaque immeuble un bastion contre les troupes de Kadhafi.

L'avantage tactique que procurent les blindés en terrain découvert face à une guérilla disparaît en effet dès lors que les combats se déroulent en zone urbaine, a fortiori sur un terrain que les insurgés connaissent parfaitement. Pour les insurgés, il s'agissait là de défendre leur ville et ils ne manquaient pas de moyens antichars pour le faire. Une bataille gagnée par les insurgés leur aurait permis de s'approprier réellement leur révolution sans le devoir à une intervention militaire occidentale. N'oublions pas que la rébellion avait réussi en février l'assaut à mains nues du bataillon de sécurité de Benghazi qui comptait parmi les plus redoutables des gardes prétoriennes libyennes. Après plus de 3 jours d'héroïques combats, les insurgés avaient détruit les murailles du bataillon à coup de bulldozer sous le feu d'armes lourdes. Il est vrai que le général Abdelfattah Younès était encore à l'époque ministre de l'Intérieur de Kadhafi.

En mettant en avant la perspective de bombardements, alors que les insurgés ne demandaient d'ailleurs au début qu'une zone d'interdiction de survol, nous les avons non seulement empêché de battre les troupes de Kadhafi par eux-mêmes mais également installés dans l'idée fausse que les troupes de Kaddhafi pouvaient être vaincues grâce au simple soutien aérien de la coalition. Et nous avons vu à nouveau les mêmes chababs sur leurs pick-up, qui avaient déjà été mis en déroute un mois auparavant à Ras-Lannouf, reprendre leur charge héroïque vers l'Ouest, avant de tomber à nouveau sur les troupes de Kadfhafi dans la région de Syrte et de battre en retraite vers l'Est jusqu'à Ajdabiya.

Le brillant général Abdelfattah Younès a donc envoyé deux fois ses jeunes combattants se battre en terrain découvert contre une armée, ce qui témoigne soit d'une grande incompétence tactique, soit d'un grand mépris pour la vie de ses combattants, soit les deux. Continuer à le conforter dans l'idée que les bombardements lui permettront de l'emporter est une erreur stratégique et une tragédie pour tous les jeunes Libyens qu'il continue d'envoyer à la mort sans préparation ni organisation. Bernard-Henri Lévy pourrait profiter de ses bonnes relations avec ses amis du CNT pour leur suggérer que les soldats de l'insurrection méritent un meilleur chef.

Il est facile, me dira t-on, de tenir ces propos quand on vit à des milliers de kilomètres dans un pays en paix. Ce n'est pas une raison pour accepter sans critique cette intervention militaire qui témoigne d'une méconnaissance et d'un mépris profonds des réalités de ce pays. Il n'est qu'à voir ce qui se passe à Misrata où les insurgés résistent depuis deux mois alors qu'ils ne disposent d'aucune profondeur stratégique, contrairement à ceux de Benghazi, pour voir que le massacre annoncé à Benghazi est une reconstruction de l'Histoire. En outre, contrairement à Benghazi et à la Cyrénaïque, une partie de la population de cette ville n'a pas basculé dans l'insurrection.

L'objectif annoncé de protection des populations civiles pour justifier cette campagne de bombardements découle donc au mieux d'une grave erreur d'analyse, au pire d'une manipulation. Quant à l'objectif sous-jacent de chute du régime, qui n'apparaît pas officiellement dans les buts de guerre puisqu'il ne figure pas dans la résolution 1973, il est également illusoire de croire qu'il pourrait être atteint par des bombardements aériens. L'histoire militaire de ces cinquante dernières années démontre en effet que l'arme aérienne n'a jamais permis à elle seule d'atteindre ce type d'objectif.

L'issue de la tragédie libyenne ne passe donc pas par la poursuite de ces bombardements, fussent-ils plus nombreux et «mieux ciblés», mais par la capacité des habitants de Tripolitaine et du Fezzan (soit les deux-tiers de la population lybienne) qui vivent toujours sous la coupe du colonel Kadhafi de se soulever et de porter des coups décisifs au coeur du régime.

Une partie de cette population résiste avec des moyens dérisoires. Et ce ne sont pas les quelques chars ou dépôts de munitions détruits par des missiles à 500 000 euros pièce qui les aideront à emporter la décision. Ils ne demandent pour ce faire que quelques téléphones satellitaires Thuraya, des moyens radio et des dispositifs de vision nocturne.

Une autre partie de la population soutient le régime. Avoir négligé au départ cette donnée fondamentale a constitué une grave erreur d'analyse.

Les 80 % de la population restants sont effrayés par les sbires du régime, préoccupés à juste titre par leur survie quotidienne et ne redescendront dans la rue qu'à la faveur d'une dynamique insurrectionnelle par essence imprévisible.

Non, Monsieur Bernard-Henry Lévy, s'opposer à cette nouvelle guerre de l'OTAN n'est pas synonyme de «lâchage de la Libye».

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Patrick Haimzadeh est notamment l'auteur de l'ouvrage Au coeur de la Libye de Kadhafi, chez Jean-Claude Lattès.
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Inscription : 10 Jan 2007, 00:47

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