Je cite ici un extrait d'un article paru dans CPS il y a un an:
a écrit :Liban : la « révolution du cèdre» vainct grâce à Chirac et au Pentagone
Le 14 février mourait, dans l’explosion d’une voiture piégée, l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri. Aussitôt, les autorités américaines accusaient la Syrie de l’attentat et étaient relayées, sur place, par une « opposition unifiée » proclamée, en décembre, au Bristol, un hôtel cinq étoiles de Beyrouth. A son tour, Chirac se précipitait aux funérailles de son « ami », se prononçait en faveur d’une « commission d’enquête internationale », puis réclamait, de concert avec Bush, l’application immédiate de la résolution 1559 de l’ONU – résolution adoptée par eux quelques mois plus tôt et exigeant le retrait des troupes syriennes installées au Liban, ainsi que le désarmement des milices (le Hezbollah et les camps palestiniens).
Dans les semaines qui suivent, l’ « opposition du Bristol » organise des manifestations de dizaines, puis de centaines de milliers de manifestants pour exiger le départ des troupes de Bachar El-Assad et la démission du gouvernement pro-syrien dirigé par Omar Karamé. Le 29 février, Karamé annonce la dissolution de son gouvernement, puis, devant l’impossibilité de constituer un gouvernement d’ « union nationale » intégrant l’opposition, présente sa démission – refusée par le président Lahoud – le 29 mars. Parallèlement, les troupes de Damas s’engagent à un retrait progressif de leurs troupes et agents, avant de présenter publiquement, le 7 avril, un calendrier de retrait définitif qui doit prendre fin avant le 30 avril – date du début des élections législatives.
Est-ce à dire que, comme l’ont laissé entendre la télévision, la radio et la presse française, les rassemblements organisés par l’opposition - que certains appellent la « Révolution du Cèdre » - est parvenue à imposer la volonté du « peuple libanais » ? Les choses sont assurément plus compliquées, si l’on tient compte du fait que des manifestations pro-syriennes organisées en particulier par le Hezbollah, ont rassemblé des foules au moins équivalentes à celles qu’encadre l’opposition. Il suffit, au contraire, de constater que la Syrie est aujourd’hui l’objet d’une menace militaire considérable – bordée à l’est par l’Irak, au sud par la Jordanie et Israël, au nord par la Turquie – pour constater que le grand vainqueur de cet affrontement est l’impérialisme américain.
Politiquement, la fameuse « opposition du Bristol » repose d’ailleurs sur du carton-pâte : on y trouve, entre autres, des fascistes chrétiens, des « libéraux » pro-français, des transfuges du Parti Communiste Libanais, des partisans du défunt Hariri, sans oublier le très chrétien cardinal Sfeir, prélat de la communauté maronite. Ce bric-à-brac est actuellement chapeauté par Walid Joumblatt, dirigeant d’un « Parti Socialiste Progressiste » qui dissimule mal la domination séculaire et féodale de sa famille sur la communauté druze de la montagne libanaise. Une conclusion s’impose : l’ « opposition » est, en fait, un agglomérat de factions communautaires et affairistes qui se placent sous le haut patronage des impérialismes américain et français, lesquels marchent de front depuis l’adoption en commun de la résolution 1559.
Un tournant dans la politique de l’impérialisme français au Moyen-Orient
En 2003, Chirac avait opposé son droit de véto à la l’invasion de l’Irak par l’impérialisme américain et ses alliés. Il s’agissait pour lui de défendre les intérêts du capitalisme français dans ce pays – mais encore de tenter d’ériger une digue (à l’inititative de l’impérialisme allemand et s’appuyant sur la Russie) aux nouvelles ambitions américaines.
Les succès politiques et militaires américains au Proche et Moyen-Orient ont amené l’impérialisme français et Chirac a chercher de plus en plus à se faire une place au sein du dispositif américain que contre lui. C’est pourquoi il a soutenu la résolution 1546 de l’ONU qui entérine l’annexion de l’Irak (v. CPS n°17). Puis il a concédé la participation de l’OTAN à la formation de l’armée et de la police irakiennes – s’engageant pour sa part à encadrer des troupes hors d’Irak. Enfin, la conférence internationale de Charm-El-Cheikh qui a eu lieu fin novembre 2004 a consacré l’annulation d’une part importante de la dette irakienne par l’impérialisme français.
Dans cette situation, le Liban constitue pour la France une monnaie d’échange. C’est en effet la dernière position historique de l’impérialisme français au Proche-Orient : la France y a été la puissance « mandataire » pendant plus de 20 ans. C’est l’impérialisme français qui a dessiné les frontières du Liban, État artificiel, pour diviser la Syrie. Il y a conservé une place de premier plan : Paris est le premier investisseur du pays, son troisième partenaire commercial, et son premier bailleur de fonds. Il y dispose par ailleurs d’une petite force militaire : c’est un officier français qui dirige la FINUL, force de l’ONU basée au sud du Liban.
La conférence dite de « Paris II » avait en effet permis au gouvernement Hariri de collecter un prêt de 4 milliards d’euros, dont 500 millions provenaient de l’État français : en contrepartie, Hariri s’était engagé pour le Liban à effectuer une série de « réformes structurelles », notamment la privatisation des entreprises publiques. Ces « réformes » ont heurté les intérêts des castes pro-syriennes en place, qui les ont bloqué et ont fait obstacle à leur instrument, Hariri, le poussant à démissionner. Chirac de son côté a utilisé ces circonstances et n’a pas hésité à sacrifier ses relations avec la Syrie (elles aussi datant de la colonisation du Moyen-Orient) pour se faire une place dans le jeu américain. Libération du 22 mars 2005 en fait un récit non dénué d’intérêt, sous le surtitre « Séisme dans la politique arabe de la France. »:
« Lorsqu'on interroge des proches de l'Elysée sur les préoccupations du chef de l'Etat, hors politique intérieure, quatre chiffres reviennent inlassablement : la «1559». Ce numéro, attribué à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant le respect de «l'indépendance et de la souveraineté» du Liban et le départ «des forces étrangères qui y sont encore», occupe depuis des mois une grande part des pensées de Jacques Chirac.
Le texte, adopté aux forceps le 2 septembre dernier, porte la signature de la France et des Etats-Unis. Mais Jacques Chirac peut, à juste titre, le considérer comme son bébé tant il l'a porté à bout de bras. (…) Les services de l'Etat et leurs bataillons d'analystes n'ont pas été mis dans la confidence. Le Quai d'Orsay n'a appris l'existence du projet qu'à la veille de sa présentation à New York. Avec surprise, parfois réticence, tant il marque un tournant dans la politique française au Proche-Orient.
Son langage diplomatique peut faire illusion, ses quelques lignes prennent soin de ne nommer personne. Ce n'est pas la première fois que l'ONU appelle au respect de la souveraineté libanaise. La 1559 est d'ailleurs passée presque inaperçue lors de son vote. Elle s'apparente pourtant à une déclaration de guerre, à un tremblement de terre dont les secousses se font toujours sentir. D'alliée «critique» de Damas, la France apparaît comme une ennemie. (…) Cette résolution (…) constitue le seul moyen de reprendre pied au Proche-Orient.
(…) En juin 2004, il évoque la question avec George W. Bush, à l'Elysée, en marge des cérémonies du débarquement. Le terrain a été balisé par Maurice Gourdault-Montagne et Condoleezza Rice. Chacun a son propre agenda. Les Américains se préoccupent du soutien de la Syrie à des organisations terroristes, comme le Hezbollah, et de la porosité de sa frontière avec l'Irak. Les Français pensent d'abord au Liban.
Pourquoi ne pas relier les deux dossiers et opérer par la même occasion un début de réconciliation ? L'idée d'une initiative commune fait son chemin. (…)
Quand le parrain syrien décide d'amender la Constitution du Liban afin de prolonger le mandat de son président, Emile Lahoud, un fidèle allié, tous les clignotants virent au rouge. L'opposition hurle au putsch. Pour Hariri, ennemi juré du chef de l'Etat, la rupture est consommée. Fin août, Bachar le mande dans son palais. L'entretien ne dure que dix minutes. Hariri a rapporté les propos du dirigeant syrien à quatre témoins dont Walid Joumblatt, chef des Druzes : «Lahoud, c'est moi, lui aurait déclaré le dirigeant syrien. Si Chirac veut me sortir du Liban, je casserai le Liban.» (…)
A Paris, c'est le branle-bas de combat. Jacques Chirac se rue au secours de son ami. «Dans l'instant, on s'est parlé, avec les Américains. On leur a dit : vous voulez promouvoir la démocratie dans cette région ? Au Liban, elle est en train de disparaître. On ne peut pas laisser passer ça», raconte-t-on dans l'entourage élyséen.
(…)
Ce coup diplomatique permet à la France de renouer avec les Etats-Unis sans avoir à céder sur l'Irak. Ce rapprochement, même «s'il n'était pas la cause, mais la conséquence de la 1559», dixit un diplomate, arrive à point nommé.
Sous le choc, les Syriens ont trouvé un coupable. Ils accusent Rafic Hariri d'être le «serpent» qui a fomenté la résolution. Pour un ancien ministre des Affaires étrangères, son implication ne fait pas de doute. Vrai ou faux ? «C'est lui qui a poussé Chirac à s'engager contre les Syriens», assure ce dernier. Le 20 octobre, le Premier ministre libanais est poussé par les Syriens à la démission et rejoint l'opposition. Cinq mois plus tard, une énorme déflagration pulvérise sa voiture blindée et provoque des ravages sur plus d'une centaine de mètres. Pour Paris, «une telle opération ne peut pas être menée en dehors d'un grand service appuyé par un Etat».
Un autre symptôme du changement dans la politique française s’est manifesté récemment : l’impérialisme français affiche un ton nouveau envers l’Etat d’Israël (dixit Raffarin : « La France est à vos côtés », Le Parisien du 17/3/2005) et vient de conclure un nouvel accord de coopération économique avec lui.