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Bagdad va être le haut lieu de la résistance
LE MONDE | 26.03.03 | 13h36
Même des opposants au raïs pourraient s'engager dans la résistance.
Bagdad de notre envoyé spécial
Bagdad est dans l'½il du cyclone. S'il en a les moyens politiques et militaires, la capitale sera pour Saddam Hussein le haut lieu de la résistance aux forces américano-britanniques. Pour les Etats-Unis, c'est la ville à conquérir afin de détruire le c½ur du pouvoir irakien.
Les combats dans le Sud du pays ne font qu'accélérer la nécessité pour l'armée de Washington d'anéantir au plus vite le commandement central de l'Irak. L'attente deviendra-t-elle un "siège de Bagdad"? L'assaut se transformera-t-il en "bataille de Bagdad"?
Depuis lundi 24 mars, cinquième jour de la guerre, les raids aériens se sont intensifiés sur les lignes de défense autour de la capitale. De leur côté, les forces de sécurité irakiennes ont enflammé les fosses et les douves de pétrole récemment creusées, créant ainsi un épais voile de fumée noire au-dessus de la ville, espérant aveugler les aviateurs et paralyser les systèmes de guidage des missiles de croisière. Bagdad a le sentiment que la bataille est imminente.
Saddam Hussein l'avait annoncé dès 2002 : "Nous les combattrons dans les rues, depuis les toits, maison par maison !" Le raïs irakien a ainsi tiré la leçon amère de la guerre du Golfe, lorsque son armée a été anéantie dans le désert, où la supériorité des Etats-Unis est criante. Il a cette fois ordonné la concentration de la Garde républicaine et des unités d'élite dans les villes, notamment à Bagdad, afin d'attirer Américains et Britanniques sur un terrain plus risqué : celui des combats de rue.
DÉTERMINATION
Les experts militaires comparent souvent la tactique que pourrait adopter les armées américaine et britannique dans les villes d'Irak avec celle d'Israël en Palestine. Mais Bagdad n'est ni le camp de réfugiés de Jénine ni la kasbah de Naplouse, où, malgré un environnement géographique favorable, les combattants palestiniens ont déjà le plus grand mal à affronter l'armée israélienne.
Pour défendre la ville, Saddam Hussein devra donc surtout compter sur la détermination des combattants. Comment réagiront des hommes attaqués par une force militaire supérieure s'ils ne sont plus en contact avec leur commandement ? Vont-ils spontanément, quartier par quartier, maison par maison, poursuivre la lutte armée ? Le raïs irakien est en droit de l'espérer.
La première raison est que le fait d'avoir réuni à Bagdad l'essentiel des unités d'élite constitue un socle militaire qui pourrait permettre d'encadrer les milices populaires du parti Baas et les volontaires qui s'engageront dans le combat. S'il paraît acquis que l'immense majorité des habitants attendra dans les foyers de connaître l'issue de la bataille, il suffit d'avoir des dizaines de milliers d'hommes déterminés, voire quelques milliers, pour résister un temps aux assaillants. La preuve en est faite dans certaines villes du Sud.
La seconde raison est qu'il ne faut pas sous-estimer un sursaut patriotique, déjà frémissant en moins d'une semaine de guerre. Même des Bagdadis n'appréciant pas Saddam Hussein, voire souhaitant la fin de son régime, pourraient s'engager dans la résistance aux Etats-Unis. Pour des raisons politiques, pour ne pas voir leur pays colonisé, autant que pour accompagner l'ami, le cousin ou le voisin.
Si le premier assaut échoue et si le mouvement de guérilla devient populaire, des Bagdadis, qui ne souhaitent a priori pas une longue bataille afin de préserver leur ville, pourraient alors rejoindre les unités d'élite.
Le pouvoir a tenté de préparer la population à l'éventualité d'une longue guerre urbaine. Des volontaires, vétérans des conflits précédents, des partisans du Baas, des étudiants, ont reçu ces dernières semaines une instruction militaire sommaire. Leur armement est classique de la guérilla : armes automatiques légères, mitrailleuses, lance-grenades et lance-roquettes, mortiers. Ils ne seront d'aucune utilité face à une offensive combinée de l'aviation, des hélicoptères, de l'artillerie et des tanks, mais pourraient devenir, aux côtés des combattants d'élite de Qoussaï, fils cadet de Saddam et commandant militaire de la place, le fer de lance d'une contre-attaque d'infanterie une fois les soldats américains et britanniques entrés dans la ville.
Toujours dans la même optique, le pouvoir irakien affirme avoir formé des unités de "martyrs", sur le mode palestinien. Les combattants-suicides, issus des écoles de police et des centres de formation paramilitaire du Baas, seraient appelés à faire don de leur vie. Ces kamikazes ont participé à tous les défilés militaires ces deux derniers mois, à Bagdad, à Tikrit, dans les différentes villes de province.
La stratégie du président irakien est limpide et elle est la seule à peu près viable. "Bagdad, ses dirigeants comme son peuple, est résolue à pousser les Mongols de l'ère moderne à se suicider sous ses murs", a déclaré Saddam Hussein lors de son "Discours de la Mère de toutes les batailles", le 17 janvier, pour le douzième anniversaire de la guerre du Golfe. Bagdad, Stalingrad du XXIe siècle...
ÉVENTUELS TROUBLES INTÉRIEURS
Si la première inconnue est la détermination populaire à participer à la lutte armée, l'autre question reste l'éventualité de troubles intérieurs. Que se passera-t-il à Saddam City, le faubourg chiite de 1,5 million d'habitants qui survivent dans la misère et ne portent guère le pouvoir dans leur c½ur ? Vont-ils se révolter ?
Jusqu'à présent, les forces de sécurité contrôlent la situation. La ville est déserte la nuit, pendant les raids aériens, et calme le jour. Soldats, policiers et miliciens quadrillent chaque quartier, chaque rue. Mais que se passera-t-il si la coalition met en déroute l'armée irakienne aux portes de Bagdad, si le pouvoir montre des signes d'essoufflement ? Le spectre de combats inter-irakiens pourrait planer sur la ville. La Cité de la Paix deviendrait la ville du chaos.
Bagdad, inquiète, retient son souffle. Dans le lointain, au-delà de l'horizon, derrière le rideau jaune dressé par de violents vents de sable, le pilonnage intensif des lignes de défense continue.
Rémy Ourdan