Bosnie : le wahhabisme, une menace bien réelle

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Message par Indesit » 12 Avr 2007, 18:40

Bosnie : le wahhabisme, une menace bien réelle

Traduit par Jacqueline Dérens
Publié dans la presse : 21 mars 2007
Mise en ligne : lundi 9 avril 2007
Sur la Toile

Ils sont venus durant la guerre, et ils ont fait souche. Les wahhabites sont désormais solidement implantés en Bosnie-Herzégovine. Leur but ? Faire du pays un État islamique, fondé sur la charia. Des bagarres éclatent de plus en plus fréquemment entre les fidèles « ordinaires » et ces partisans de l’islam radical. Pourtant, le reisu-l-ulema et les autorités officielles de l’islam demeurent étrangement silencieuses face à ce phénomène.

Par Nidzara Ahmetasevic

Au printemps dernier, on a signalé des wahhabites qui ont agressé des jeunes couples dont ils estimaient que le comportement offensait leur moralité. La police admet que ce type d’incidents est fréquent à Sarajevo.

En décembre 2006, des wahhabites qui ont mis en place une école illégale dans le village de Gornja Maoca près de Tuzla ont provoqué la colère des habitants. Les dirigeants du mouvement avaient organisé des cours en langue arabe, séparé les filles et les garçons, après avoir supprimé les cours de musique et de dessin parce que ce seraient des matières contraires à l’islam.

La charia et la culture bédouine

Le nombre croissant d’incidents provoqués par les wahhabites a suscité beaucoup de critiques virulentes et de questions sur les buts du mouvement. On craint réellement qu’ils ne cherchent à abolir l’État laïc et séculier et à introduire la loi islamique, la charia, dans la vie politique et la vie quotidienne.

Sevima Sali Terzic, experte en droit et militante des droits de la personne, est persuadée qu’en fait le mouvement « ne vise pas seulement la promotion de l’islam », mais que son but « est de prendre le pouvoir politique ». Elle ajoute que les protestations dirigées seulement contre les pratiques strictes des wahhabites manquent leur but et détournent l’attention de la menace réelle représentée par le mouvement. « Maintenant, malheureusement, le débat tourne plus sur l’apparence que sur l’idéologie, et sur leurs tentatives d’imposer leur croyance comme seule véritable religion ».

Le Professeur Resid Hafizovic affirme que les objectifs des wahhabites en Bosnie ne sont pas différents de ceux qui sont poursuivis en Afghanistan ou en Tchétchénie, et qui sont d’anéantir les formes traditionnelles de l’islam. Pour la Bosnie, cela voudrait dire anéantir toute trace de l’ancienne culture ottomane qui est présente dans les mosquées et les autres monuments architecturaux. Ce professeur de théologie est convaincu que les wahhabites veulent détruire tout ce qui ne cadre pas avec « leur culture de Bédouins, étroite, monotone et intégriste ».

Le reisu-l-ulema Ceric n’est pas d’accord. Il pense que le point de vue du Professeur Hafizovic est trop radical, et il a réfuté quelques-unes de ses affirmations dans des déclarations publiques.

Mais le Professeur Esad Drakovic, un expert en études orientales de l’Université de Sarajevo, soutient la position du Professeur Hafizovic. Lui aussi est persuadé que les wahhabites sont des militants déterminés à poursuivre leurs objectifs politiques et idéologiques si on leur en laisse la moindre chance. « Beaucoup de Bosniaques qui les suivent ne sont pas conscients des objectifs du mouvement. Il sera trop tard pour eux quand ils s’apercevront qu’ils ont semé la tempête ».

Pour le mufti Smajic de Sarajevo, la transformation de la Bosnie en État régi par la charia est le but des wahhabites. Cet objectif n’est pas partagé par la Communauté islamique de Bosnie car, explique-t-il, « dans un État citoyen, dans une société multiculturelle, nous devons agir comme les autres plutôt que de vouloir imposer des lois qui obligent les femmes musulmanes à cacher le moindre centimètre de leur peau. Ici, ce n’est pas un État islamique. Les lois islamiques ne peuvent pas exister dans des pays où les musulmans ne représentent que les deux tiers de la population. Nous avons ici de la place pour pratiquer nos traditions islamiques d’une manière acceptable ».

Emir, l’un des anciens disciples du mouvement, confie que « les activités des wahhabites reposent sur une complète hypocrisie et visent à tuer toutes les idées politiques. Au bout du compte, j’ai découvert que tout cela était complètement schizophrène ».

Pendant des années, Emir a refusé tout contact avec des femmes autres que celles de sa famille proche, ainsi que d’entrer dans des lieux où l’on servait de l’alcool. Il s’est laissé pousser la barbe, et a cessé de voir ses amis qui avaient des croyances différentes. Il a essayé de convaincre ses parents de rejoindre le wahhabisme et leur répétait qu’ils vivaient dans le péché. « Ils nous disaient que serrer la main d’une femme était pire que de se percer la main avec un pieu. Je trouvais que c’était un peu exagéré, mais je m’exécutais. C’est avec les wahhabites que j’ai eu un contact avec cette interprétation de l’islam parce que mes parents étaient athées. Après la guerre, j’étais complètement perdu et je me posais des milliers de questions. Tout ce que je voulais, c’étaient des réponses, au moins pour une partie d’entre elles. Les wahhabites étaient là pour commencer à répondre ».

Emir a encore de l’admiration pour les principes des wahhabites, mais il lui semble maintenant qu’ils sont impraticables en Bosnie. « Leurs règles de conduite sont basées sur l’existence d’un État religieux qui applique la charia, et ne peuvent pas fonctionner dans un État laïc comme la Bosnie-Herzégovine ».

Beaucoup de ceux qui ont rejoint les wahhabites, comme Emir et Nermina, viennent de familles athées. Leurs parents ont été éduqués pendant la période communiste, quand on enseignait dans les écoles que la religion était une illusion, « l’opium du peuple ». Ils ont trouvé des réponses à quelques-unes de leurs questions dans le wahhabisme, mais ils ne sont pas sûrs de discerner vraiment le but réel du mouvement en Bosnie.

Trop tard pour agir ?

Tous ceux que nous avons interrogés admettent que le wahhabisme aurait pu être freiné si la Communauté islamique avait pris des mesures alors qu’il était temps. Maintenant, tout ce qu’elle peut faire est d’en appeler aux autorités pour empêcher les affrontements physiques entre les musulmans traditionnels et les wahhabites.

Pour le Professeur Hafizovic, les wahhabites jouissent en fait de nombreux soutiens au sein même de la Communauté islamique. Celle-ci soutient qu’elle a fait ce qu’elle pouvait. En 1994, elle a promulgué un édit ordonnant aux dirigeants religieux d’obéir aux traditions islamiques existantes.

Un comité, dirigé par le mufti de Sarajevo, a été mis en place l’an dernier pour recueillir des informations sur les communautés wahhabites existant en Bosnie. À ce jour, elle a identifié cinq de ces communautés : une dans le village de Maoce près de Travnik, deux dans des villages près de Zenica, une près de Kakanj et une autre dans le village de Bocinja, connue pour avoir provoqué de nombreux incidents. Les wahhabites de ce village ont refusé d’obéir aux lois bosniaques et ont déclaré que la loi chariatique était seule en vigueur.

La Communauté islamique n’a pas réagi aux récentes menaces de Jusuf Baricic en le condamnant publiquement, ni en exprimant clairement son soutien à la décision prise le 22 février dernier par l’imam de la mosquée Gazi Husref-beg de fermer celle-ci aux heures de la prière.

Le mufti Smijic dit qu’il n’est pas personnellement hostile à la pratique de l’islam selon le modèle des wahhabites, mais qu’il ne peut pas tolérer leur comportement agressif. « Il y a des règles de conduite dans chaque mosquée et ils s’obstinent à perturber les activités quotidiennes. Nous leur avons dit qu’ils ne seraient pas autorisés à le faire, mais ils n’ont aucun respect. Ils nous ont répondu que les mosquées étaient les maisons d’Allah. C’est vrai, mais il faut de l’ordre, même dans la maison d’Allah ». Pour lui, la Communauté islamique n’a pas envie de s’occuper « de ces individus à problèmes », comme Jusuf Baricic. En plus d’avoir été condamné à cinq ans de prison pour violence domestique par un tribunal de Zenica, Jusuf Baricic, a selon la police, une longue liste de délits à son actif.

La plupart des musulmans bosniaques maintiennent que la Communauté islamique n’est pas assez active. « Elle est trop éloignée de la jeunesse », affirme Adrian Hasanbegovic, un ancien disciple des wahhabites qui dirige le Centre pour l’action non-violente de Sarajevo, une organisation locale de citoyens.

Son organisation veut ouvrir le dialogue entre les wahhabites et les jeunes qui ne sont pas attirés par ce mouvement. C’est pour lui la meilleure façon de désamorcer un conflit qui couve. La Communauté islamique aurait dû, selon lui, prendre des mesures depuis bien longtemps.

Jasmin Merdan est un autre ancien disciple. Il dirige maintenant l’organisation ZAPRET, qui s’oppose aux activités des wahhabites. Il aussi est convaincu qu’une action aurait dû être menée depuis longtemps. « Le problème a été ignoré depuis plus de dix ans, et nous sommes aujourd’hui dans une situation peu enviable. Les institutions et les politiciens de Bosnie-Herzégovine n’ont pas agi de manière efficace au bon moment ».

Un sondage mené par Prism Research, une agence privée, montre que 69% des musulmans de Bosnie sont opposés aux wahhabites, à leur interprétation et à leur pratique de l’Islam, contre 12,9% qui les soutiennent d’une manière ou d’une autre. Le sondage montre aussi que ceux qui soutiennent les wahhabites ont majoritairement une éducation limitée. « Beaucoup de leurs supporters viennent du monde rural et sont tout au bas de l’échelle sociale. Ces gens sont désespérés », reconnaît Emir.

Nermina explique que les wahhabites tentent de s’infiltrer dans les écoles, dans les Universités, dans les médias. Ils savent que la population ne les aime pas et ils ont donc adapté leur aspect extérieur pour s’infiltrer dans les institutions. Elle nous a raconté sa histoire. Elle est restée enfermée à la maison pendant trois ans sur les cinq années où elle portait le hijab. Les hommes et les femmes de la maison étaient séparés et tous les visiteurs devaient se plier à ces lois. « J’ai cru que les hommes étaient prédestinés à diriger la vie publique et que notre devoir de femme était de rester à la maison. Des rassemblements très rares étaient notre seul contact avec le monde extérieur. Pendant l’été, nous faisions des excursions dans des camps près du lac de Jablanica, où les femmes étaient aussi séparées des hommes. Nous avions notre monde parallèle que les autres n’ont peut-être pas remarqué. Nous avions nos propres transports publics et nos magasins. Nous nous enfoncions dans une sphère complètement fermée ». La polygamie, interdite en Bosnie, était encouragée. « J’ai connu des femmes dont les maris avaient plusieurs épouses. Ils nous disaient que nous serions récompensées dans l’autre monde si nous supportions les difficultés ici-bas et si nous n’étions pas jalouses. Ils nous parlaient toujours de l’autre monde pour nous faire peur et ils nous promettaient le paradis si nous obéissions ».

Peu à peu, Nermina a découvert qu’elle détestait le wahhabisme. Elle a commencé à sortir de la maison et chercher à communiquer avec les autres. Mais quand on porte le hijab, cela n’est pas facile. « Les gens de Sarajevo sont hostiles au wahhabisme et aux femmes voilées. C’est impossible d’obtenir un emploi ou même de parler aux autres ».

Finalement, elle a été amenée à reconsidérer son sort, ses croyances et sa façon de vivre. « J’ai rencontré une femme musulmane qui étudiait les sciences islamiques. Au début, je la considérais comme une infidèle car elle portait un simple voile qui laissait voir son cou et ses oreilles, ce qui est un péché mortel dans le wahhabisme. En la regardant et en apprenant combien l’islam était une belle religion, je me suis aperçue que tout ce que j’avais appris avec les wahhabites était faux. Mes conversations avec cette femme m’ont amenée à me poser beaucoup de questions, l’une d’elles concernait la polygamie à laquelle je croyais vraiment. Elle m’a demandé pourquoi les hommes ne supportaient pas d’être trompés avec la promesse d’une récompense dans l’autre monde, si on demandait aux femmes d’accepter cela. C’était une question logique que je n’avais jamais entendue auparavant ».

Le Professeur Hafozovic pense que les autorités devraient agir immédiatement “ Je n’arrête pas de recevoir des appels à l’aide de parents dont les enfants ont été entraînés par les Wahhabites. Ils disent à ces jeunes de rompre avec leurs familles et ils introduisent leur propagande avec toute une littérature et dans des camps. Je ne peux rien faire pour arrêter cela mais j’appelle les autorités de ce pays à s’exprimer ouvertement ”.

Jasmin Merdan dit aussi que des mesures immédiates doivent être prises. « Il faut que des décisions soient prises, d’abord par la Communauté islamique puis par les autorités politiques, en coopération avec les institutions internationales. Mais c’est d’abord et avant tout à la Communauté islamique d’agir parce que la destruction de l’islam traditionnel bosniaque est l’objectif premier des Wahhabites, comme dans les autres pays ».

Il n’y a pas encore beaucoup de signe d’action. Pour le mufti de Sarajevo, il y a un réel danger de voir les wahhabites conquérir la Bosnie et il est dangereux de nier que leur influence s’étend. « Nous traitons tous nos croyants avec égalité et ne faisons pas de discrimination contre les wahhabites, à condition qu’ils respectent les règles de conduite dans les mosquées et les règles établies par la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine. S’ils ne les respectent pas, nous demandons aux autorités d’agir ».
Indesit
 
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