L'un des articles que Libé consacre à ce sujet (les autres articles valent également la peine d'être lus) :
a écrit :L’armée des bonzes rouges se lève contre la dictature birmane
Les moines manifestent depuis une semaine et boycottent les offrandes aux militaires.
Par Max Constant
QUOTIDIEN : lundi 24 septembre 2007
Rangoun (Birmanie) de notre envoyé spécial
Les pluies de la mousson humide, qui s’abattent sans discontinuer depuis plusieurs jours sur Rangoun, ne les effraient pas. Marchant dans les rues inondées, le regard déterminé, certains brandissant des drapeaux, les bonzes de Birmanie, qui manifestent quotidiennement contre le régime militaire depuis mardi, donnent l’impression d’être parfaitement organisés. Parfois, en tête de cortège, un des moines bouddhistes porte un bol à aumônes renversé. C’est le symbole du boycott. Les bonzes refusent les offrandes des militaires et de leurs familles, tant que les hauts dirigeants du régime ne se seront pas excusés pour les violences commises contre certains des leurs début septembre.
Surprise.. La première manifestation, le 18 septembre, avait rassemblé 400 de ces religieux revêtus de leur robe rouge. Hier, ils étaient 10 000 à traverser Rangoun, accompagnés d’un nombre égal de laïcs venus les encourager. Du jamais vu depuis les grandes manifestations antimilitaires de 1988, lesquelles avaient renversé le régime du dictateur Ne Win. Un coup d’Etat le 18 septembre de cette année-là, accompagné d’une féroce répression (3 000 morts), avait réinstallé une junte à la tête du pays.
Les manifestations contre le régime avaient été lancées à la mi-août par un groupe d’anciens étudiants qui avaient été impliqués dans la révolte de 1988 : ils dénonçaient la hausse brutale du prix du carburant, qui a rendu les transports collectifs inaccessibles pour une grande majorité de Birmans. L’arrestation de 150 de ces leaders avait stoppé net le mouvement après quelques jours. C’est alors que la vague rouge s’est levée : l’armée des bonzes - 500 000 dans le pays - s’est mise en marche, à la surprise de la junte au pouvoir. «Les généraux n’avaient pas prévu l’implication des bonzes. Avec le mécontentement qui s’étend dans la sangha [la communauté monastique, ndlr], cela devient très risqué pour le régime. Les militaires savent bien que les gens écoutent les moines», explique le directeur d’une ONG à Rangoun.
Comme dans tous les pays du bouddhisme du petit véhicule, les bonzes sont au cœur de la vie sociale. Pour les Birmans, ils ne sont pas seulement des religieux, mais aussi des guides spirituels, des conseillers avisés qui les aident dans leurs tracas quotidiens. Faisant tous les matins leur tournée pour recueillir les offrandes des fidèles, les moines sont conscients des difficultés économiques des Birmans. «Les bonzes dépendent des offrandes de la population. Si elle est affectée, ils en subissent le contrecoup. C’est pour cela que les jeunes bonzes sont très impatients et en colère», explique un journaliste économique birman.
Rôle pivot. L’activisme politique de la communauté monastique n’est pas nouveau. Les bonzes avaient joué un rôle pivot contre l’occupant colonial britannique avant l’indépendance en 1948. En 1988, ils avaient gonflé de leur nombre les cortèges qui avaient pris possession des rues de Rangoun jusqu’au coup d’Etat du 18 septembre. Deux ans après, ils avaient lancé une campagne de boycott des offrandes des militaires, parce que ceux-ci avaient ignoré la victoire massive de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi aux élections de mai 1990. Conscients du pouvoir immense des religieux sur le peuple, les généraux avaient réagi en imposant un contrôle étroit de la sangha par les organes administratifs locaux. Le régime avait également abreuvé de cadeaux et d’argent les abbés des pagodes les plus influentes. Ce n’est pas donc l’ensemble de la communauté monastique qui est descendue dans la rue, mais les jeunes bonzes en formation qui résident dans les «monastères d’enseignements».
Brève rencontre. A l’évidence, la revendication de départ - réclamer des excuses des hauts dirigeants pour les violences commises début septembre - est maintenant dépassée. Les moines appellent désormais les laïcs à se joindre aux défilés, donnant l’impression qu’ils veulent forcer la main de la junte pour un changement de nature du régime politique. Samedi, la dirigeante de l’opposition assignée à résidence, Aung San Suu Kyi, a pu sortir de son domicile pour la première fois depuis quatre ans pour saluer respectueusement, les larmes aux yeux, les bonzes qui défilaient devant chez elle. Cette brève rencontre chargée d’émotion symbolise la jonction entre deux forces puissantes qui irriguent la société birmane : la communauté monastique et le mouvement prodémocratique.
Répression. Sur quoi peut déboucher cette révolte des bonzes ? Certains brandissent le spectre du massacre de 1988, quand l’armée avait tiré dans la foule, y compris sur les moines, après avoir laissé les manifestations se développer pendant plusieurs semaines. «Tôt ou tard, il y a aura une répression. Les généraux ne feront jamais de compromis et n’ouvriront jamais de dialogue», affirme Aung Zaw, rédacteur en chef d’ Irrawaddy, un magazine birman basé en Thaïlande. Le contexte international est toutefois différent. Même la Chine, alliée fidèle de la Birmanie, a fait connaître publiquement son impatience devant l’attitude bornée des généraux. Utiliser des méthodes violentes contre des religieux risquerait d’éroder les quelques soutiens dont la Birmanie dispose encore dans la communauté internationale.