(Combat Ouvrier en 2006 a écrit :Aimé Césaire et la Lettre à Maurice Thorez
Il y a cinquante ans, Aimé Césaire rompait avec le parti communiste français et donc aussi avec sa fédération martiniquaise. Il devait ensuite fonder le PPM (Parti progressiste martiniquais). Dans la «lettre à Maurice Thorez», secrétaire général du Parti Communiste français, datée du 24 octobre 1956, il explique les raisons de sa rupture. Il y dénonce la politique «stalinienne». C’était aussi dans l’air du temps depuis le rapport de Kroutchev au 20ème congrès du Parti communiste de l’URSS, devenu célèbre depuis, qui critiquait une partie des méthodes staliniennes. Ce rapport ne remit cependant en question ni les pratiques ni la politique de la bureaucratie stalinienne.
Césaire dénonçait aussi dans sa «Lettre» les gouvernements, tant soviétique que ceux des pays de l’est inféodés alors à Moscou, ces «bureaucraties coupées du peuple, les bureaucraties usurpatrices et dont il est maintenant prouvé il n’y a rien à en attendre et qui ont réussi la piteuse merveille de transformer en cauchemar ce que l’humanité à longtemps considéré comme un rêve : le socialisme». Il critiquait aussi vertement le parti communiste français et «sa mauvaise volonté à condamner Staline et les méthodes qui l’ont conduit au crime». Et, au congrès du Havre, dit Césaire «nous n’avons vu qu’entêtement dans l’erreur, persévérance dans le mensonge».
Les critiques d’Aimé Césaire portaient aussi sur le peu d’intérêt et d’attention des partis inféodés au stalinisme envers les peuples de couleur, les peuples colonisés et singulièrement envers les peuples noirs.
Ces critiques de Césaire semblaient sonner juste si on s’en tenait aux dénonciations de la politique stalinienne, vue de Moscou ou de Paris, au sein du PCF, mais justement Césaire ne s’en est pas tenu là et finalement dans sa lettre il a rejeté aussi le communisme après avoir dénoncé le stalinisme, ou tout au moins la forme édulcorée et viciée du communisme que représentait le PCF stalinien. Mais en tant qu’intellectuel, il eut la possibilité de retrouver la voie du véritable communisme, qui lui était absolument accessible, mais il a alors choisi de ne pas le faire. Ce qui le maintint dans une sorte de position nationaliste «progressiste» située entre le nationalisme en cours dans les pays ex-coloniaux et le réformisme des sociaux–démocrates et des partis staliniens. La dégénérescence de l’Etat ouvrier issu de la révolution d’octobre et personnalisée par Staline a induit en URSS et dans le monde entier une politique qui n’avait plus rien à voir avec la politique des révolutionnaires communistes telle que l’avaient enseignée Marx ou Lénine et telle que l’avaient entamée les révolutionnaires de la révolution d’octobre.
La bureaucratie soviétique a usurpé le pouvoir au cours d’une évolution commencée à partir des années 1923-24, en liquidant toute une génération de révolutionnaires. Elle dirigea une politique entièrement tournée vers la satisfaction de ses privilèges et boycotta les possibilités révolutionnaires de par le monde, les noyant parfois dans le sang comme en Hongrie. En même temps, elle enchaîna les partis communistes du monde entier à une politique de subordination totale à Moscou. Tout en jouant du prestige et de l’exemple de la révolution d’octobre, de l’influence qu’elle a eue sur les travailleurs du monde, la bureaucratie soviétique soumit ces partis à une politique qui aboutit à dévoyer l’énergie des travailleurs vers des voies de garage dans bien des pays.
L’une des nombreuses conséquences néfastes de cette politique fut l’abandon d’une véritable politique communiste révolutionnaire dans le mouvement stalinien international, l’absence de perspectives réelles, offertes aux peuples colonisés et singulièrement aux peuples noirs.
Mais les carences, les tromperies, les déviances monstrueuses du mouvement stalinien donneront très souvent des prétextes à de nombreux intellectuels pour rejeter le communisme, après qu’eux-mêmes eurent accepté toutes les trahisons, méandres et turpitudes du parti stalinien auquel ils avaient appartenu ! Ce fut le cas d’Aimé Césaire. C’est en s’appuyant sur ce qu’il appelle la «singularité de notre situation dans le monde» (celle des hommes de couleur), que le chantre de la négritude en arrive en fait, à rompre avec les idées communistes elles-mêmes, quoiqu’il en dise.
Il écrivait : «Je me suis souvent posé la question de savoir si dans des sociétés comme les nôtres, rurales, comme elles sont, des sociétés de paysannerie, où la classe ouvrière est infime et où par contre, les classes moyennes ont une importance politique sans rapport avec leur importance numérique réelle, les conditions politiques et sociales permettaient dans le contexte actuel, une action efficace d’organisations communistes agissant isolément ( à plus forte raison d’organisations communistes fédérées ou inféodées au parti communiste de la métropole… L’impasse où nous sommes aujourd’hui aux Antilles, malgré nos succès électoraux me paraît trancher la question».
Césaire exprimait là une idée très souvent reprise par les intellectuels tiers-mondistes, à savoir que dans les pays sous développés, la faiblesse numérique de la classe ouvrière ne lui permet pas de jouer un rôle politique révolutionnaire. Ils concluaient qu’une révolution socialiste y était impossible et qu’il fallait d’abord une révolution rassemblant toutes les classes contre l’impérialisme et le colonialisme et que ce n’est que lors d’une deuxième étape que la classe ouvrière pourrait diriger une révolution socialiste.
Cette prétendue théorie avait été déjà et depuis longtemps popularisée dans le mouvement stalinien par ses «théoriciens», par Staline lui-même, pour étouffer dans l’œuf par exemple la révolution ouvrière chinoise en 1927 et les révolutions ouvrières dans les pays sous développés. Pourtant l’exemple de la révolution ouvrière d’octobre 1917 avait bien prouvé qu’une classe ouvrière extrêmement minoritaire par rapport à la paysannerie pouvait prendre la tête de la révolution démocratique et établir son pouvoir avec l’alliance des paysans pauvres.
Césaire déclarait encore dans sa «lettre»:
«En tout cas, il est constant que notre lutte, la lutte des peuples coloniaux contre le colonialisme, la lutte des peuples de couleur contre le racisme est beaucoup plus complexe- que dis-je – d’une toute autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte».
Pour les communistes révolutionnaires, dans les peuples de couleur comme dans les peuples des nations dominantes on retrouve les mêmes classes sociales : la bourgeoise - qu’elle soit «nationale» ou «inféodée à l’impérialisme»- la petite bourgeoise et le prolétariat, même «infime». Et, soit dit en passant, la classe ouvrière des pays du Tiers-monde, depuis 50 ans est de moins en moins «infime». On assiste au contraire à une prolétarisation croissante dans les pays du Tiers-monde depuis la lettre à Thorez, il y a cinquante ans.
Et que dire par exemple de la classe ouvrière noire des USA ? Minorité opprimée s’il en est. Ce prolétariat noir est placé au cœur du plus grand pays capitaliste du monde et donc à même de jouer dans l’avenir un rôle révolutionnaire majeur. Que dire de la classe ouvrière d’Afrique du sud, le pays le plus industrialisé d’Afrique noire ?
La classe ouvrière des pays sous développés, et la classe ouvrière noire constituent bien une fraction du prolétariat mondial, même dans les pays faiblement industrialisés. En quoi la lutte des travailleurs noirs serait-elle d’une «toute autre nature que celle de l’ouvrier français contre le capitalisme»? Elle peut être plus ou moins spécifique selon les cas mais absolument de «même nature» c'est-à-dire s’opposant aux capitalistes et à leur société. Et cela même si cette lutte s’oppose aussi à l’oppression impérialiste, au colonialisme et au racisme. Ces derniers traits, conséquence de l’oppression capitaliste mondiale peuvent être un puissant levain pour l’action révolutionnaire. Aux communistes ensuite de diriger les explosions sociales qu’ils engendrent périodiquement vers une lutte de classe et de les lier aux luttes de la classe ouvrière internationale. L’évolution du capitalisme lui même en facilite l’action par l’immigration généralisée dans les pays industrialisés et la mixité raciale de plus en plus importante qu’elle favorise.