Bon, une dernière intervention.
Voici, issu du même site "Courrier de Biélorussie", une interview de Syarheï Kaliakine, secrétaire générale du morceau de PC se situant dans l'opposition. On découvrira au passage que l'alpha et l'omega de sa politique, hormis la fin de Loukachenko, c'est la privatisation des secteurs d'économie étatisé, et qu'au de cette opposition, il a fait alliance avec d'autres formations, libérales elles aussi, mais ne se cachant derrière l'étiquette "communiste" :
Courrier de la Biélorussie
Syarheï Kaliakine, secrétaire général du PC : « Il faut détruire ce système »
Propos recueillis par Alexandre Billette
Membre de la grande coalition réunie autour d’Alyaksandr Milinkievitch, le Parti des Communistes du Bélarus doit lutter contre les pressions exercées par les autorités sur ses militants, et contre une fraction fantoche créée par le pouvoir. Rencontre avec Syarheï Kaliakine, secrétaire général du PC et porte-parole de Milinkevitch.
Mise en ligne : mercredi 15 mars 2006
Ancien cadre du Parti communiste d’URSS ayant occupé des fonctions administratives au sein de la municipalité de Minsk à l’époque soviétique, Syarheï Kaliakine, 54 ans, est aujourd’hui porte-parole du candidat de l’opposition unie. Membre de la présidence du parlement sous la 13e législature, au lendemain de l’indépendance de la Biélorussie, il dirige le PC biélorusse depuis 1994.
Courrier de la Biélorussie (CdBY) : Comment et pourquoi le Parti des communistes du Bélarus (PCB) fait-il partie de la grande coalition d’opposition ?
Syarheï Kaliakine (SK) : Nous sommes, avec d’autres formations, les initiateurs de cette coalition. Aujourd’hui, les querelles politiciennes sur telle ou telle plate-forme électorale n’ont aucun sens. Ce genre de désaccords ne mènent à rien, puisqu’il n’y a maintenant qu’une seule idéologie, le Loukachisme, qu’il faut vaincre. Toutes les institutions de la société civile ont été liquidées, il ne reste plus, en 2006, qu’une façade pseudo-démocratique qui sert de cache-sexe à la dictature d’un seul homme. Il faut détruire ce système, qui est incapable de régler les problèmes de la société et qui freine le développement économique et politique du pays.
CdBY : Que pensez-vous de ceux qui, notamment à l’Ouest, disent que le régime de Loukachenko est un régime « social », que les gens vivent bien sous sa direction en Biélorussie ?
SK : On dit que les gens mangent à leur faim, que personne ne vit dans la rue. C’est très bien, mais en prison aussi, personne ne souffre de famine ! Nous sommes dans une prison sociale, il n’y a aucun développement, il n’y a aucune forme de concurrence entre les forces sociales, entre les acteurs de la société... Avant, la Biélorussie était devant tous ses voisins au niveau économique, devant la Pologne, les Pays baltes, même la Russie. Aujourd’hui, le pays ne dépend que du gaz russe. Sans aucun doute, ce régime va s’effondrer, et le Bélarus aura perdu plusieurs années de développement.
CdBY : Justement, comment voyez-vous la Biélorussie de l’après-Loukachenko ?
SK : Il faudra mettre en place un régime parlementaire et démocratique, et définir une stricte division des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire... Le PCB est pour un gouvernement fort, doté d’une économie mixte où l’État a sa place mais avec la présence d’un secteur privé efficace et une économie de marché réelle. Nous voulons abolir les monopoles et mettre en place tous les éléments pour la naissance d’une société libre et ouverte, avec des médias indépendants du pouvoir, etc. Au niveau international, nous souhaitons que la Biélorussie se pose comme un État neutre, ouvert à l’étranger. Regardez notre position géographique : le Bélarus pourrait parfaitement se définir comme État-tampon entre les pays membres de l’OTAN et les anciennes républiques soviétiques, et pourrait développer des relations d’amitiés avec les deux blocs sans en faire partie.
CdBY : Et que pensez-vous de l’intégration européenne de la Biélorussie ?
SK : A l’heure actuelle, c’est absolument irréel et impossible. La Biélorussie n’est pas prête, et de toute façon l’UE n’est pas prête non plus pour un nouvel élargissement. Il y a des problèmes plus urgents à régler. Par rapport à Bruxelles, il faudra simplement établir des relations normales avec tous les États-membres et avec l’UE, pour enfin détruire ce mur dressé entre l’Europe et la Biélorussie de Loukachenko.
CdBY : Quelle est l’histoire du PCB d’après l’indépendance, quelle est la situation du parti aujourd’hui ?
SK : Le PCB est né en 1991, lors de l’indépendance. Il ne s’agit donc pas d’une branche locale du PC soviétique de l’époque. Jusqu’en 1996, le PCB était le parti qui avait le plus d’influence dans le pays, nous avons déjà eu jusqu’au quart des sièges de l’assemblée. Aujourd’hui, nous avons des représentants dans plus de 80% des villes et régions du pays, alors qu’il y a deux ans à peine, nous couvrions tout le territoire. Il faut savoir qu’en 1996, Loukachenko a organisé la création d’un second parti communiste, pour contrecarrer notre influence. Mais ce faux parti ne fait rien, rien d’autre que de lutter contre nos actions et d’applaudir le Président.
CdBY : Et quel est le profil des membres de votre parti ?
SK : Au début des années 90, nos membres étaient plus âgés, et faisaient majoritairement partie de la génération de la guerre [1939-1945], alors qu’aujourd’hui notre membership est beaucoup plus diversifié, plus jeune aussi. Mais nous avons cinq fois moins de membres qu’auparavant, depuis que le parti n’est plus reconnu par les autorités, et que le pouvoir exerce des pressions sur nos militants, notamment sur les lieux de travail, ce qui a causé le départ de certains militants... Géographiquement, le parti est mieux représenté à l’est, dans la région de Gomel par exemple.
CdBY : Comment voyez-vous la Biélorussie dans cinq ans ?
SK : Je la vois libérée de Loukachenko, je vois une Biélorussie libre et démocratique. Je suis persuadé que dans cinq ans, le pays aura déjà un gouvernement démocratiquement élu sera en place pour remettre le Bélarus dans la voie de la prospérité.
http://belarus.courriers.info/article0053.htmlCet autre article, aussi, tout aussi révélateur des forces politiques et sociales qui se cachent derrière l'"opposition" biélorusse :
Le Courrier de la Biélorussie
« Le pouvoir a fait de tous les entrepreneurs des opposants »
Par Jean-Arnault Dérens
En Biélorussie, les entrepreneurs privés sont soumis à un harcèlement permanent du régime de Loukachenko. Pourtant, dans la région frontalière de Hrodna, la population a appris à vivre sans compter sur l’État. Les trafics sont légion avec la Pologne voisine : les denrées de base coûtent moins cher dans l’Union européenne qu’en Biélorussie.
Mise en ligne : mardi 14 mars 2006
La carte de visite d’Aleksandr Vasiliev porte fièrement sa qualité : « ancien prisonnier politique, détenu du 7 septembre 2004 au 7 juillet 2005 ». Russe d’origine, ancien officier de l’Armée rouge basé en Allemagne, Aleksandr Vasiliev s’est installé un peu par hasard en 1990 à Hrodna, dans l’ouest de la Biélorussie.
Dès 1991, il se lance dans l’aventure des affaires et du commerce privé. « J’ai fait de l’import-export, racheté des titres d’entreprises, ensuite je me suis surtout occupé de vendre des meubles en direction de la Russie. Ensuite, j’ai vendu des produits thaïlandais en Pologne. D’abord, j’avais une entreprise, puis le simple statut d’entrepreneur libre, avec une licence. Cependant, depuis 1996, les tracasseries du pouvoir n’ont pas cessé de rendre les affaires plus difficiles », explique-t-il.
« Tous les entrepreneurs privés, les commerçants du marché, les chauffeurs de taxi, sont considérés comme des ennemis par le pouvoir. Loukachenko a réussi à faire des opposants de tous les entrepreneurs. Le régime essaie d’établir un nouveau communisme modernisé, sans parti, sans programme et sans idéologie. Toute initiative privée lui est insupportable. »
Le 1er mai 2004, l’Association des entrepreneurs privés organise une manifestation à Hrodna, parallèlement aux célébrations officielles de la Fête du Travail. 5000 à 6000 entrepreneurs de l’ouest du pays se rassemblent en exigeant la démission de Loukachenko. « La police était venue arrêter notre dirigeant Valeri Levonievski à son domicile dès 9 heures du matin, alors que le rassemblement était convoqué pour 10H30 ». Levonievski et Vasiliev ont été accusés de chercher à « déstabiliser la situation politique à Hrodna ».
Les deux hommes ont été entendus dès le 7 mai, assignés à résidence et obligés de se présenter chaque jour aux bureaux du KGB. Le 7 septembre, ils ont été condamnés à deux années de prison en colonie pénitentiaire. Vasiliev a bénéficié d’une mesure d’amnistie, mais Levonievski est toujours en prison.
« J’ai passé deux mois à la prison de Hrodna. Nous étions près de 40 détenus dans une cellule de 35 mètres carrés. Ensuite, j’ai été envoyé dans la colonie pénitentiaire d’Orsha, près de la frontière russe. On m’obligeait à travailler aux besognes les plus dures, sous la menace du cachot, alors que beaucoup de détenus ne travaillent pas. Le régime des politiques est le plus sévère. Il y a près de 35O0 détenus à Orsha, beaucoup souffrent de la tuberculose. J’ai rencontré un Français d’origine arabe, qui avait aussi essayé de faire des affaires en Biélorussie, et un professeur du Nicaragua installé dans notre pays et qui avait eu la mauvaise idée de parler publiquement de sa vision économique de la Biélorussie »...
Au total, la Biélorussie compte près de 45000 détenus, un des plus fort taux d’incarcération en Europe. Les entrepreneurs privés sont souvent arrêtés pour des « délits économiques », qui se limitent souvent à des détournements de quelques dizaines d’euros... Économiquement, le régime ne compte que sur la poignée de grandes entreprises qui assurent les rentrées de devises nécessaires au pays, et les entrepreneurs, tous soupçonnés de sympathie pour l’opposition, sont massivement criminalisés.
Pourtant, explique une journaliste de Hrodna, la population a appris à vivre hors de la sphère étatique et sans compter sur l’État, particulièrement dans cette région frontalière avec la Pologne et la Lituanie.
« Tous les jours, explique-t-elle, les trains qui partent vers Bialystok, en Pologne, sont remplis de petits contrebandiers. En 40 minutes, on est en Pologne. Les douaniers sont payés par les chefs du trafic et ferment les yeux. Les Biélorusses vendent essentiellement de l’alcool et des cigarettes, avec des gains possibles de l’ordre de 3 dollars pour une cartouche ou une bouteille de vodka. Dans l’autre sens, ils achètent toute sorte de produits, notamment alimentaires, car tout est moins cher en Pologne que chez nous ».
Paradoxe du « modèle social » biélorusse vanté par le régime, les prix de la nourriture et des produits de base deviennent inaccessibles pour la population. Le taux artificiellement maintenu du rouble biélorusse favorise également une inflation qui dévalorise les salaires. En conséquences, la destination la plus prisée des habitants de Hrodna n’est autre que l’hypermarché Auchamp de Bialystok !
Le régime n’a pas d’autre choix que de tolérer ces petits trafics qui assurent la survie de milliers de personnes, mais il continue de voir de dangereux opposants dans les entrepreneurs qui veulent prendre une licence et mener des affaires normales. Surtout s’il leur prend l’idée de s’organiser en association...
http://belarus.courriers.info/article0052.html