L'URSS et sa fin vues de Russie

Dans le monde...

Message par Vania » 27 Août 2011, 19:46

1991 - 2001 : 20 ans depuis la disparition de l'URSS. La presse et la télévision russe en parlent beaucoup cette année. Voici quelques articles publiés en langue française sur le site de presse officiel de la Fédération de Russie. Leur tonalité correspond aussi à ce que peut n dire la télévision russe, donc à ce qu'entendent des millions de russes et de russophones, en Russie, bien sûr, mais aussi dans l'émigration, en France ou ailleurs.

La réforme agraire qui a conduit à la révolution russe

150 années se sont écoulées depuis l’abolition du servage en Russie. Un événement à la fois marquant et controversé: il n’a pas été vénéré en URSS, et on ne le remarquait pas jusqu’à tout récemment en Russie. Probablement parce que le Manifeste tant attendu n’a pas répondu aux attentes, n’a pas apporté la véritable liberté: de serfs les paysans se sont devenus des "sujets libres, mais tout aussi corvéables." Sans parler du fait que la réforme agraire n’a pas réglé la question très complexe des terres. Pendant cinquante ans la mèche s'est consumée pour finalement mettre le feu aux poudres des révolutions du début du XXe siècle, et le problème n’est toujours pas résolu.

Des chaînes de circonstances

Le manifeste de 1861 a connu une réaction très élogieuse en Russie et à l’étranger. Il a également provoqué la vague des révoltes et des soulèvements de paysans. Que fallait-il attendre d'hommes qui en devenant formellement libres étaient toujours astreints à la corvée ou devaient acquitter la redevance, et le seigneur pouvait toujours fouetter quiconque pour la moindre faute? Toutefois, les autorités étaient convaincues qu’à l’époque elles avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir.

C’est devenu une mauvaise tradition. Chaque fois que le gouvernement russe est confronté à un grave problème qu’il est impossible de mettre sous le boisseau, on emploie la formule suivante: "Tout va mal, mais on n’y peut rien." Puis on cite une multitude de raisons "valables" pour expliquer pourquoi. Et enfin le résumé: puisqu’il est impossible de faire quoi que ce soit, il faut subir et s’adapter.

Telle était à peu près l’attitude envers le droit de servage dans l’Empire russe. Les monarques progressistes semblaient comprendre tout le mal du servage, et plaidaient pour son abolition, mais les circonstances étaient plus fortes qu’eux. On attribut la célèbre phrase "les propriétaires me pendront avant que les paysans libres viennent à mon secours" à Catherine II de Russie. Son petit-fils, Alexandre I, élaborait son propre plan d’abolition du servage mais… comme on a coutume de dire aujourd’hui, la société n’y était pas prête.

Pour la réforme paysanne d’Alexandre II, la société n’était pas prête non plus. Les véritables partisans de l’abolition du servage se comptaient sur les doigts de la main: le monarque, son frère le grand-duc Konstantin et quelques personnage du gouvernement. On ne peut que s’étonner que le tsar et son petit parti aient décidé de faire ce que leurs prédécesseurs n’avaient pas osé faire durant de nombreuses années.

Le terrible secret de l’Empire

Alexandre II a dit à plusieurs reprises qu’il avait aboli le servage pour éviter que le peuple ne l’abolisse lui-même. Il a préféré la réforme à la révolution. Bien sûr, la menace d’une explosion sociale n’a pas joué le dernier rôle. Ni le premier. Il faut chercher le plus grand secret dans l’économie, et pas seulement nationale mais également mondiale.

A partir du XVIe siècle les échanges commerciaux entre la Russie et l'étranger, avant tout avec l’Angleterre, ont commencé à ressembler aux relations entre les colonies et une métropole. La Russie envoyait en Occident des matières premières stratégiques: du bois, du chanvre, des fourrures, de la cire ainsi que des céréales (également une sorte de matière première). En échange la Russie recevait des produits manufacturés, des armes, des produits de luxe, parfois des technologies. La seule différence entre les véritables colonies et la Russie consistait en l’indépendance absolue de la Russie sur le plan militaro-politique.

Les produits manufacturés ont une valeur ajoutée bien plus importante que les matières premières. Ainsi, pour un solde positif du commerce extérieur, la fourniture des matières premières en termes de volume doit être plusieurs dizaines de fois supérieure aux fournitures de produits manufacturés. Mais la production du coton, des céréales, de l’indigo et du bois est un processus laborieux. Avant que la révolution industrielle n’atteigne le secteur agraire, il n’y avait qu’un seul moyen d’augmenter les volumes de production et d'en réduire les coûts: utiliser le travail des hommes pas libres. Ce n’est pas par hasard que le point culminant de la révolution industrielle en Angleterre au XVIIIe-début XIXe a coïncidé avec l’expansion des plantations en Amérique du Nord où travaillaient des Noirs, avec l’essor de l’économie de servage en Russie et des plantations en Inde en Asie Sud-Est.

La révolution industrielle de l’Occident a donné naissance à l’économie de servage, et c’est également elle qui l’a tuée. Au XIXe siècle, les fruits des labeurs des esclaves américains, des serfs russes et des coolies chinois ne suffisaient plus à l’industrie anglaise. Et le début de l’industrialisation de l’agriculture au milieu du XIXe siècle a porté un coup fatal aux économies basées sur l’esclavage. Et l'on a assisté à la guerre civile aux Etats-Unis et à l’abolition du servage en Russie.

Consentir de petits sacrifices pour éviter de tout perdre

Bien sûr, au XIXe siècle personne n’avait entendu parler d’analyse du système mondial, ni du caractère périphérique de l’économie russe. Il existait plutôt une compréhension intuitive du vice du système existant, et des marqueurs indiquant les problèmes les plus graves. L’un de ces marqueurs pour la Russie a été la défaite dans la guerre de Crimée. Les autorités ont pris conscience et ont commencé à parler des réformes et de la modernisation.

Mais comme le montre l’expérience historique, la modernisation réussie ne nécessite pas seulement des réformes, il faut une véritable révolution, même initiée par le gouvernement. Comme la révolution de Meiji au Japon (1866-69), la guerre civile aux Etats-Unis, souvent appelée la Seconde révolution américaine. Les auteurs des deux révolutions étaient conscients d’une chose importante: il ne faut pas réparer mais briser le système obsolète, et il faut savoir sacrifier moins pour garder plus. Le parti des progressistes de l’équipe de l’empereur japonais a non seulement aboli l’ordre des samouraïs, mais a également réprimé impitoyablement la révolte des samouraïs rebelles en 1877. On comprend le sort tragique réservé en Amérique au Sud agricole par le Nord technocratique en lisant Autant en emporte le Vent.

Le tsar russe, quant à lui, était à la recherche d’un compromis et a finalement choisi les intérêts des propriétaires: un petit groupe social a gardé le contrôle de la majeure partie des terres. On a sacrifié beaucoup pour en faire profiter une minorité. Et les paysans, qui croyaient que la liberté sans terre n’existe pas, ont reçu de minuscules parcelles de terre et la possibilité illusoire d’acheter du terrain grâce aux prêts de l’Etat. La structure fiscale est restée inchangée: une communauté paysanne, considéré à tort par les slavophiles comme un élément d’auto-gouvernance populaire. En réalité, comme toute collectivité forcée la communauté n’était qu’une forme de responsabilité collective: tous payent pour la faute d’un seul.

Les autorités étaient parfaitement conscientes des vices de la réforme, on le remarque même dans la correspondance d’Alexandre II avec ses partisans. Mais le si populaire actuellement "on n’y peut rien" prédominait.

La redistribution

Et l’histoire nous enseigne également que toute demi-mesure ressemble aux médicaments qui font disparaître les symptômes mais qui ne guérissent pas les maladies. Le processus d’aggravation se poursuit, bien que l’individu ne le ressente pas jusqu’à un certain moment. Et lorsqu’il le ressent, il peut être trop tard: les organes vitaux sont déjà touchés. Ce fut le cas de la Russie: certains historiens qualifient la réforme de 1861 de point de départ du processus révolutionnaire en Russie. Il ne faut pas aller bien loin pour trouver des preuves: l’idée de la redistribution (transmission des terres des seigneurs aux paysans) a été l’un des principaux slogans de la révolution de 1917.

Le paradoxe historique est que ni la révolution de 1917, ni l’effondrement de l’URSS en 1991 n’ont résolu le problème de la propriété des terres. Ainsi, la mèche allumée 150 ans auparavant continue de se consumer. Au jour d’aujourd’hui, seulement un quart des paysans ont réussi à bénéficier des parcelles de terrain. L’industrie des céréales de la Russie contemporaine tend vers la création de domaines gigantesques, on les appelle également les holdings agricoles. La superficie moyenne d’un holding agricole russe s’élève à 200-300.000 hectares, et il existe également des domaines d'une superficie de 685.000 hectares. Les propriétaires de terrain au niveau régional se contentent de 50-100.000 hectares. Et les organisations des petits agriculteurs constatent une tendance alarmante à la perte par les paysans de leurs terres.

Les experts agricoles haussent les épaules: la logique du marché, on n’y peut rien. Mais aux Etats-Unis, le premier exportateur de céréales, la logique du marché dicte tout autre chose. La production de céréales y est contrôlée par des centaines de milliers de petits fermiers avec des parcelles moyennes de 1.200 hectares.


Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti


Le lien : http://fr.rian.ru/discussion/20110303/188765869.html

La dernière volonté du peuple soviétique

Il y a 20 ans, le 17 mars 1991, la population soviétique a voté à une majorité écrasante (76,4%) pour la préservation de l’Union des républiques soviétiques souveraines (dans les pays baltes, en Géorgie, en Arménie et en Moldavie le référendum n’avait pas été organisé). Le seul référendum de l’histoire soviétique était une tentative désespérée du gouvernement central pour stopper l’effondrement du pays, en faisant appel directement à la volonté du peuple.

Ironie du sort, quelques mois plus tard, l’URSS a été enterrée précisément par l’expression de la volonté populaire. Le 1er décembre, plus de 90% de la population ukrainienne ont soutenu l’idée de l’indépendance, bien qu’en mars plus de 70% se soient prononcés en faveur d’un Etat uni. Après la séparation de la deuxième république la plus importante, tout était terminé. Une semaine plus tard le monde apprenait la signature de l’Acte fondateur de la CEI et la dissolution formelle de l’Union soviétique.

Le plébiscite est considéré comme la forme suprême de la démocratie directe. C’est probablement le cas en Suisse, pays petit et bien organisé, où toute question politique ou administrative est soumise à référendum. Cependant, dans toute société politiquement instable et démocratiquement immature, le référendum n’est pas un indicateur de la volonté populaire, mais un moyen de manipulation politique bien plus explicite que lors des élections.

Le vote pour la préservation de l’URSS s’inscrivait dans une lutte acharnée menée par le gouvernement soviétique contre les élites locales, avant tout en Fédération de Russie. Mais Boris Eltsine a réalisé un coup de maître pour niveler la réussite du Kremlin. Dans la même journée, il a été proposé à la population de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) de voter pour l’instauration d’un poste présidentiel (71% ont voté pour). Ainsi a été créé un centre alternatif du pouvoir, qui a non seulement battu l’adversaire, mais l’a finalement éliminé. En d’autres termes, la population russe s’est prononcée en faveur de deux scénarios contradictoires à la fois, sachant que les deux votes étaient libres et légitimes.

Par la suite, les référendums dans l’espace postsoviétique ont été organisés à plusieurs reprises. Mais soit ils ont servi à renforcer et à prolonger le pouvoir des dirigeants autoritaires (en Biélorussie, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Tadjikistan, en Azerbaïdjan), soit ils ont aggravé la crise politique, comme en Russie en 1993. Ainsi, les événements sanglants de Moscou en octobre 1993 résultaient en partie de la "volonté du peuple", exprimée au printemps, qui a exacerbé le conflit de la légitimité et le problème de la dualité du pouvoir.

En mars 1991, il n’était plus possible de préserver l’URSS. Et, bien sûr, ce ne sont pas les référendums qui ont détruit le pays. Mais leur expérience amène une sorte de conclusion. Ils deviennent soit des attributs des régimes clairement non démocratiques, soit des traits distinctifs des élites faibles, incapables ou refusant d'assumer la responsabilité des décisions qu'elles ont prises.

Il est impossible de faire marche arrière, mais il est toujours intéressant de se demander s’il y avait une chance de créer une nouvelle Union des républiques souveraines, comme le stipulaient les résultats du référendum. Une telle option restait probablement possible jusqu’au putsch en août 1991. Cependant, il est peu probable que cette union aurait stoppé le processus centrifuge, qui avait à l’époque pris trop d’ampleur. L’Union des républiques souveraines serait probablement devenue une étape intermédiaire de la redistribution du pouvoir en faveur des républiques, mais la question de leur indépendance totale aurait tout de même été à l’ordre du jour par la suite. Et le résultat final aurait été le même. L’Union était condamnée, car il était devenu impossible de juguler l’aspiration au pouvoir des leaders locaux par des demi-mesures.

Toutefois, si le traité de l'Union, qu’il était prévu de signer en août 1991, avait tout de même été signé, les conséquences économiques de l’effondrement de l’Union soviétique auraient été amorties. Les élites locales auraient bénéficié du même mécanisme de "divorce civilisé" progressif qu'il a fallu créer de toute urgence sous le nom de Communauté des Etats Indépendants. Par conséquent, la qualité de ce mécanisme aurait été supérieure, et les peuples n’auraient probablement pas payé autant pour l’effondrement du pays. Mais les gens payaient, et les politiciens fixaient les prix. Et chacun d’eux était prêt à ne pas lésiner sur les moyens pour obtenir le leadership dans sa république.

Après le 17 mars, le peuple soviétique avait cessé d'exister. Et sa dernière volonté exprimée lors du référendum, à savoir préserver l’URSS, n’a jamais été respectée.

Ce texte n’engage pas la responsabilité de RIA Novosti


Le lien : http://fr.rian.ru/discussion/20110321/188931732.html

La grande transhumance

L’article a été préparé par la rédaction du journal Les Nouvelles de Moscou dans le cadre du projet Vingt ans sans l’URSS, projet conjoint des Nouvelles de Moscou, de l’agence RIA Novosti et du magazine Russia in Global Affairs

A l’époque soviétique l’émigration était pratiquement inexistante et les flux migratoires à l’intérieur de l’URSS étaient principalement organisés et planifiés par les organismes d’Etat. La population se rendait là, où se trouvaient de grands chantiers et où l'on avait besoin de main d'œuvre.

Le Comité central du PCUS et le Conseil des ministres de l’URSS publiaient, par exemple, le décret conjoint sur le développement des "terres non noires" de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (régions centrales de la Fédération de Russie aux sols relativement pauvres, ndlr), et un nombre bien défini de citoyens soviétiques partait, conformément à ce décret, mettre en valeur les terres de la zone des "terres non noires." Les gens migraient d’ailleurs de leur plein gré, mus par des motivations économiques. Cependant, ces flux s’inscrivaient dans un plan strict. Il existait notamment tout un système de privilèges destiné à attirer les gens dans le Grand Nord. Cette approche était appelée "la redistribution de la main d'œuvre en conformité avec le plan de répartition et de développement des forces productrices." Par ailleurs, les déportations de population étaient également cataloguées comme migrations. Après l'effondrement de l'Union soviétique, les causes et les formes des migrations ont fondamentalement changé.

A l’époque soviétique

Certes, un jeune pouvait partir faire des études dans une autre ville même en l’absence de décret du Comité central du PCUS. Toutefois, à l’issue des études universitaires, le diplômé ne pouvait pas échapper à ce qu’on appelait le système des affectations: il pouvait choisir mais seulement dans la liste des emplois dressée par son établissement d'enseignement supérieur en concertation avec le ministère concerné.

Les flux migratoires entre les républiques de l’URSS obéissaient au même principe que les migrations à l’intérieur de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR): lors de la mise en valeur des terres vierges du Kazakhstan, les jeunes nés en RSFSR s’y rendaient, répondant ainsi à l’appel des Jeunesses communistes. La construction de la Magistrale Baïkal-Amour (BAM: ligne ferroviaire en Russie, traversant la Sibérie et l'Extrême-Orient russe, reliant le lac Baïkal au fleuve Amour, ndlr) ou de la gigantesque Usine d'automobiles de la Volga (VAZ) attiraient la main d'œuvre en provenance de tous les coins de l’URSS.

Les flux migratoires étaient directement subordonnés à la localisation des chantiers dans telle ou telle république de l’Union soviétique. La RSFSR a ainsi connu des périodes lors desquelles son solde migratoire était négatif. Entre 1951 et 1975, la Russie perdait en moyenne 126.000 habitants par an, or entre 1976 et 1990 elle acquérait, au contraire, 169.000 habitants par an.

Il est à noter que dès cette époque les entreprises soviétiques employaient des travailleurs immigrés temporaires en provenance de l’étranger: les Coréens du Nord et les Bulgares stockaient le bois, les femmes vietnamiennes étaient employées par des entreprises de l’industrie légère. Et inversement, les Soviétiques participaient à la construction d'usines en Algérie, en Inde, en Mongolie et dans d’autres pays. Toutefois, ces activités s’effectuaient dans le cadre des accords intergouvernementaux. L’URSS n’était pas présente sur le marché international de l’emploi et n’admettait pas la libre circulation de la main-d'oeuvre.

Après l’effondrement de l’empire

Dès avant l’effondrement de l’URSS, des masses humaines se sont mises en mouvement, cette fois-ci sans le moindre plan. Tout a débuté par des conflits interethniques. La Russie a été submergée par des flots de réfugiés. Telle fut le premier grand changement. Le deuxième a consisté en la fin de l’économie planifiée, ce qui a conduit à l'arrêt de la "politique de redistribution de la main d'œuvre en conformité avec le plan de répartition des forces productrices." Troisièmement, l’économie elle-même traversait une période difficile, et la récession catastrophique dans les régions périphériques a forcé les personnes les plus entreprenantes à se réfugier dans les plus grandes villes à la recherche d’une existance plus décente.

Selon le recensement de 1989, la Russie comptait 10,5 millions de résidents permanents nés dans les autres républiques soviétiques et 994.000 résidents nés à l’étranger ou n’ayant pas indiqué leur lieu de naissance. Le recensement de 2002 a relevé en Russie 11,5 millions de résidents nés dans les anciennes républiques soviétiques, 466.000 personnes nées à l’étranger et 1,6 millions d'individus qui n’avaient pas indiqué leur lieu de naissance. Autrement dit, le pourcentage des immigrés dans la totalité de la population russe s’élevait à 7,1% à la veille de l’effondrement de l’URSS et à 8,3% en 2002.

Au cours de la période qui sépare ces deux recensements, la Russie a vu diminuer le nombre des ressortissants de Biélorussie (de 34%), de Lituanie (de 26%) et d’Ukraine (de 23%). Parallèlement, le nombre de ressortissants de certaines autres républiques a augmenté, surtout celui des Arméniens (de 3,2 fois), des Tadjiks (de 2,5 fois), des Azerbaïdjanais (de 1,8 fois), des Ouzbeks (de 1,7 fois), des Géorgiens et des Kazakhs (de près de 1,5 fois). Tout comme en 1989, les immigrés les plus nombreux étaient originaires d’Ukraine (3,6 millions de personnes) et du Kazakhstan (2,6 millions).

En un mot, le système compliqué, bureaucratisé et entièrement conditionné à l’économie planifiée s’était effondré du jour au lendemain, et il fallait en édifier un autre à sa place de toute urgence. Il était nécessaire de réguler les flux migratoires à l’intérieur du pays et de créer ex-nihilo des organismes destinés à réglementer l’immigration. La tâche était, certes, titanesque, et elle n’a pas vraiement été accomplie à ce jour, car de nouveaux défis viennent se substituer aux anciens.

La question russe

Entre 1989 et 1995 la Russie a connu l’augmentation du solde migratoire positif de trois fois due à la fois à un afflux accéléré de la population et à une diminution brusque de son reflux. Les Russes en provenance des autres anciennes républiques soviétiques se réfigiaient en Russie, fuyant les conflits interethniques et la nouvelle politique des autorités des anciennes républiques soviétiques visant à imposer la langue locale dans tous les domaines, à savoir dans l’administration, l’enseignement et cætera. Ils fuyaient également la récession économique. Selon les statistiques du ministère russe de l’Intérieur, au début de l’année 1992, on recensait en Russie 300.000 personnes ayant quitté les anciennes républiques soviétiques. Or, d’ici 1995, le nombre des réfugiés et des personnes déplacées, principalement en provenance de l’Azerbaïdjan, de l’Ouzbékistan, du Kirghizstan, de la Géorgie et du Kazakhstan, était passé à 600.000.

La Russie était le pays d’accueil le plus important de la CEI (Communauté des Etats Indépendants). Selon certaines estimations, entre 1991 et 1994, la Russie a accueilli 3,6 millions de personnes cependant que 1,7 million l’ont quittée. La Russie accueillait les trois quarts de tous les immigrés franchissant les frontières de la CEI.

En 1989, en Russie, sur 100 émigrés on recensait 124 immigrés. Le rapport était de 100 à 250 en 1993 et de 100 à 367 en 1995. A l’époque, 50% des immigrés arrivaient des pays de l’Asie centrale, 20% de l’Ukraine et 17% des Etats transcaucasiens. Le pourcentage des personnes appartenant à l’ethnie russe était passé dans ces groupes de 38% en 1989 à 80% en 1993.

C’est à la même époque qu’a débuté l’émigration généralisée des Russes et des ressortissants des pays de la CEI vers l’Occident. Les statistiques concernant l’émigration sont tout aussi sujettes à caution que celles de l’immigration (cela est dû aux particularités du système d’enregistrement). Toutefois, selon certaines estimations, entre 1991 et 1994, près de 1,4 million de personnes ont quitté la CEI, dont 371.000 sont parties de Russie.

Dans le même temps, les flux migratoires à l’intérieur de la Russie ont considérablement diminué par rapport à l’époque soviétique: en 1993, la somme des arrivées et des départs ne constituait que 60% de celle de 1989. Ce n’est bénéfique ni pour l’économie, ni pour les résidents du pays eux-mêmes: les entreprises sont dans l’impossibilité d’attirer une main d’œuvre supplémentaire et cette dernière ne trouve pas d’emplois.

C’est à cette époque que remonte également la tendance qui veut que la population quitte les régions défavorisées sur le plan du climat, c'est-à-dire les plus froides, car les salaires n’étaient plus majorés en fonction du facteur climatique, et qu’elle afflue dans le District fédéral central de Russie ainsi que dans les deux plus grandes villes du pays (Moscou et Saint-Pétersbourg). Ainsi, l’Extrême-Orient russe, colonisé de manière régulière à l’époque soviétique, s’est mis à se dépeupler. De la même manière, les habitants ont commencé à rapidement "déserter" le Grand Nord. Entre 1992 et 1995, le district autonome de Tchoukotka a perdu 39% des habitants, et la région de Magadan en a perdu 29%. La population apte au travail a opté pour les régions centrales de la Russie. Entre 1989 et 1995, le District fédéral central a accueilli 299.000 personnes. Ce chiffre est de 180.000 pour le District fédéral de la Volga, de 408.000 pour le Nord-Caucase et de 110.000 pour la Région centrale des terres noires (Tsentralno-tchernozemnaïa oblast). Les Territoires de Krasnodar et de Stavropol, les régions de Volgograd et de Rostov, ainsi que les villes de Moscou et de Saint-Pétersbourg ont été les plus grands bénéficiaires.

A la recherche d’une politique migratoire

Face aux processus susmentionnés, Moscou cherchait à définir sa politique migratoire. Au début, les réglementations étaient adoptées au cas par cas. Ainsi, un décret a été entériné après les pogromes de Ferghana dont les Meskhètes avaient été victimes en juin 1989, un autre a été adopté pour accueillir des réfugiés en provenance du Kazakhstan, etc. Fin 1991, par son arrêté présidentiel, Boris Eltsine a ordonné au gouvernement de prendre des mesures plus généralisées, à savoir créer le comité chargé des migrations auprès du ministère russe du Travail, élaborer un programme national à long terme appelé Migration et formuler les mesures de protection des intérêts des citoyens russes résidant dans les anciennes républiques soviétiques. En juin 1992, le service fédéral russe des Migrations a été créé et a été chargé d’élaborer une législation migratoire et de procéder à sa mise en pratique. Les pays de la CEI ont suivi le même chemin: ils ont procédé à la création des organismes ad hoc et à la rédaction des programmes. En septembre 1993, certains pays de la CEI ont signé un accord d’aide aux réfugiés et aux personnes déplacées, ainsi que d’autres accords multilatéraux. Le processus était ardu: chaque pays cherchait à défendre ses propres intérêts. Au final, c’étaient les citoyens qui pâtissaient du manque de coordination des efforts des anciennes républiques soviétiques et du financement inadéquat des programmes par la Russie.

Le marché commun

Début 1995 le flux des réfugiés et des personnes déplacées s'est tari et a été remplacé par un flot de travailleurs immigrés. Selon les experts, le rapport entre les immigrés officiels et clandestins était de 1 à 10 à l’époque (ce rapport est actuellement de 1 à 3-5).

"La circulation de la main d’œuvre est un puissant levier qui permet de renforcer les liens de partenariat entre les pays, déclare Janna Zaïontchkovskaïa, directrice du Centre d’études migratoires. Nous répétons tous souvent que nous avons créé un marché commun de l’emploi, mais peu nombreux sont ceux qui comprennent le sens de ce terme. Or, le marché commun de l’emploi prévoit l’unification des normes de la législation du travail. Les Codes du travail sont très volumineux, et toutes leurs normes doivent être concertées ou cours des négociations entre les pays lors desquelles aussi bien la Russie que ses partenaires devront faire des concessions. Et les concertations ad-hoc s’étaleront sur plusieurs années. Or, à ce jour, c’est l’accord de 1994 sur la coopération dans le domaine des migrations de la main d’œuvre et sur la protection des droits des immigrés qui reste le document de base. Il stipule notamment la reconnaissance du droit des retraités de toucher leurs retraites en cas de déménagement d’un pays signataire dans un autre, mais aucune pratique judiciaire et aucun système d’accords concrets ne sont venus à l’appui de cet accord qui, de ce fait, demeure une simple déclaration [de bonnes intentions], ce qui est insuffisant."

Les immigrés, sont-ils une panacée pour la Russie?

Depuis un certain temps, d’aucuns affirment que les immigrés sont un remède pour la Russie étant donné la dépopulation du pays, l’abandon des terres et l’augmentation du rapport entre les retraités et les personnes aptes au travail, ces dernières devenant de moins en moins nombreuses.

Selon le pronostic moyennement optimiste publié par l’agence russe des statistiques Rosstat, la diminution de la population apte au travail, qui a débuté en 2007, se chiffrera à près de 8 millions de personnes en 2015 et 14 millions à l’horizon 2025. La Russie connaîtra la décroissance la plus importante de la population apte au travail entre 2011 et 2017, avec une baisse de plus d’un million de personnes par an dans cette tranche d’âge.

Autrement dit, il est question d’accueillir des ressortissants des pays de la CEI en Russie non seulement pour des travaux temporaires, mais définitivement, en les laissant s’installer avec leurs familles afin de "se reproduire et de devenir nombreux et de remplir la Terre."

Or, il serait opportun dans ce contexte de procéder à l’élaboration d’une stratégie migratoire a long terme et non pas destinée à régler des problèmes éphémères (et qui consiste, par exemple, à inviter des Ukrainiens lorsque la Russie a besoin de chauffeurs, ou à faire venir des Tadjiks et des Moldaves lorsque des employés du secteur du bâtiment sont requis). Cette stratégie a long terme permettrait de répondre à la question de savoir qui, en quelle quantité et à quelles conditions vient travailler en Russie. Et ce que la Russie devrait faire afin d’accueillir et d’absorber ces masses humaines en leur assurant une vie décente. Et, certes, quelle est la politique à adopter face à la population russe qui se montre de plus en plus hostile envers les immigrés.[/QUOTE]

Ce dernier article brasse bien des préjugés xénophobes, courants en Russie, assénés depuis les sommets du pouvoir. Mais en même temps, il donne des chiffres sur des réalités de l'ex-URSS : le dépeuplement de certaines républiques, dont l'économie survit bien mal au démantèlement de l'URSS et de son espace économique, et dont les classes populaires sont contraintes à émigrer pour trouver du travail, en Russie, ou ailleurs. Ces mêmes déséquilibres existent aussi en Russie, où le grand nord ou l'extrême orient se dépeuplent en faveur de la Russie d'Europe, surtout Moscou et Pétersbourg. Et les transferts de population d'une république à une autre (russes se réfugiant en Russie, par exemple) ont bien souvent été traumatiques pour ceux qui l'ont vécu. Dans les mentalités actuelles, ils ont encore leur importance, comme des souvenirs d'une époque dure, où il a fallu tenter de refaire sa vie parfois à des milliers de kilomètres plus loin. Ils ont encore leurs séquelles aujourd'hui : habitants du Kazakhstan encore en possession d'un passeport soviétique, et qui ne sont ni kazakhs ni russes, du coup... (on me l'a raconté) ou russes de Lettonie privés aujourd'hui de nationalité. Cela, je l'ai vu, sur le passeport (émis pourtant par les autorités lettones) il est écrit "sans nationalité". Tant que Schengen existe, ces gens peuvent voyager vers l'ouest, les pays de la CEI leurs sont en revanche fermés.
Vania
 
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