par tk2003 » 07 Oct 2003, 18:48
en attendant, voici un article de DR dans le dernier débat militant sur le Brésil. Ils ne s'exitent pas trop sur la politique de la section brésilienne de la 4. Peut être qu'eux aussi sont d'accord pour ne pas trop insister la dessus en ces temps d'accord électoral... Mais bon, c'est juste le sentiment d'un pti con qui respecte même pas les sages décisions du BP sur le vote chirac, à ne pas prendre au sérieux donc...
CITATION Lula et le Parti des travailleurs assurent la croissance des profits et de la misère au Brésil
Lula ne perd pas le nord. Dix mois après le remplacement de Fernando Henrique Cardoso par Luiz Inacio « Lula » da Silva à la tête du Brésil, l évidence s impose : les spéculateurs n ont pas perdu au change. Lula et le Parti des travailleurs non seulement poursuivent la politique des gouvernements néolibéraux qui les ont précédés au pouvoir ; mais ils ont réussi à imposer l austérité budgétaire et les réformes anti-ouvrières sur lesquelles Cardoso butait — celle des retraites et celle de la fiscalité.
D aucuns s étonnent, évoquent un revirement du PT. Le triomphe de Lula ne symbolisait-il pas la revanche de Porto Alegre sur Davos ? On oublie parfois un peu vite que l ancien métallo s est engagé par écrit, comme les trois autres principaux candidats en course à l élection présidentielle, à satisfaire les exigences des institutions financières internationales. Plutôt que de dénoncer la dette de 255 milliards de dollars qui saigne le pays, une dette contractée par la bourgeoisie et qui lui assure de juteux profits, Lula acceptait, par avance, d en faire supporter les conséquences au prolétariat des villes et des campagnes. Tout un programme ! À lui seul, le service de la dette publique accapare plus de 32,7 milliards d euros par an, soit 55,1 % des recettes courantes de l État.
Le nouveau président a d ailleurs fixé explicitement le cap dès son premier discours à la nation, en janvier dernier : « Notre gouvernement va honorer les contrats établis par le gouvernement sortant, ne va pas relâcher son attention sur le contrôle de l inflation, et maintiendra — comme c est la règle dans les administrations du PT — une politique de responsabilité fiscale. C est pour cela que je dis avec clarté à tous les Brésiliens : la dure traversée que le pays affronte exigera l austérité dans l usage des fonds publics et un combat implacable contre la corruption. »
L austérité était planifiée, la contre-réforme libérale programmée. Lula n a pas manqué à sa parole.
La dette des marchés envers Lula
Depuis l entrée en fonction du leader du PT, le 1er janvier 2003, les représentants des institutions internationales ne tarissent pas d éloges sur ce « socialiste mûr » qui s acquitte de tous les engagements du pays, à commencer par le remboursement de l ardoise laissée par Cardoso. La nomination à la tête de la Banque centrale de Henrique de Campos Meirelles, l ancien directeur de la Bank of Boston, fraîchement élu député sous les couleurs du parti du président sortant, ne pouvait que rassurer les investisseurs sur les intentions de Lula et de son équipe : la Bank of Boston est le deuxième créancier du Brésil après Citigroup…
La directrice-adjointe du Fonds monétaire international, Anne Krueger traduisait bien, début septembre, l admiration qui gagne les marchés financiers internationaux devant le travail accompli en si peu de temps par Lula et son équipe. Elle s est notamment réjouie que « les grandes lignes des projets de réformes fiscales et des retraites aient été déposées bien avant les délais prévus » dans le calendrier du FMI arrêté en accord avec le gouvernement « pétiste ». « Cette excellente performance politique a conduit à des améliorations sur le marché financier et a jeté les bases pour un retour à une croissance soutenue et dynamique », s enflammait la numéro deux du Fonds.
La « croissance soutenue et dynamique » des profits certainement… Selon un rapport de la Banque centrale brésilienne, les banques du pays auraient engrangé 2,1 milliards d euros de résultat, lors des cinq premiers mois de l année. Selon le Financial Times, les banques brésiliennes auraient investi 67 % de leurs actifs dans des opérations spéculant sur la dette du pays : emprunter à l étranger pour acheter des titres de la dette nationale s avère très rentable, et d autant plus que Lula et le PT garantissent que l État signera les traites à échéance !
L ancien métallo affirmait qu il tiendrait ses promesses, coûte que coûte. Dans le but de drainer les investissements étrangers directs et les capitaux à court terme, il a serré la vis au-delà même des contraintes que lui imposaient la Banque mondiale et le FMI. Le gouvernement « pétiste » devait dégager un excédent budgétaire permettant de régler les intérêts de la dette publique s il voulait toucher les 80 % restant du prêt de 30,4 milliards de dollars accordé au pays en août 2002 par le Fonds. Pour cela, il fallait que le Brésil comptabilise un solde primaire de 3,75 % du PIB en 2003. Antonio Palocci, le ministre de l Économie et des Finances de Lula, claironnait que l « excédent » s élèverait à 4,25 % du PIB ; au premier semestre, Palocci peut s enorgueillir d un taux de 5,4 % — 1,8 milliard de dollars économisé.
Les financiers sablent le champagne. La classe ouvrière brésilienne trinque.
Une politique sociale démonétisée
Lula a fait son parti de couper dans les budgets sociaux. Même l opération « Faim zéro » qui devait illustrer le « cours nouveau » n échappe pas à la règle. Son budget a été ramené de 575 millions à 134 millions d euros. Et, comme le financement des différents programmes d aide familiale mis en place par les précédents gouvernements a été suspendu, on assiste à une paupérisation de populations vivant déjà dans un dénuement extrême. Ce sont plusieurs milliers d enfants qui auraient ainsi été contraints d abandonner leurs études pour subvenir aux besoins familiaux depuis l arrivée du PT aux affaires. La réforme agraire, qui était présentée avec l opération « Faim zéro » comme la vitrine de la politique « pétiste », connaît la même évolution, faute de crédit pour acquérir et redistribuer des terres. Au premier semestre, seulement 2 534 familles ont été installées. Au mieux, 7 000 familles sur les 60 000 initialement annoncées se verront attribuées des terres en 2003.
Si les profits financiers connaissent une « croissance soutenue et dynamique », les prévisions de la croissance économique sont, elles, en revanche, revues à la baisse, mois après mois. Les économistes officiels escomptent au mieux 0,98 %, de nombreux autres tablent déjà sur une croissance négative. La récession s annonce au Brésil comme en France. Et le ralentissement de l activité est d ores et déjà palpable pour des centaines de milliers de travailleurs dont les emplois sont menacés. Le chômage, que le candidat du PT promettait d enrayer il y a douze mois, explose. Lula visait la création de dix millions d emplois en quatre ans. Or le chiffre des demandeurs d emplois supplémentaires approchera vraisemblablement le million d ici la fin de l année. Dans la région de Sao Paulo — la « capitale économique » du pays — près de deux millions de personnes étaient sans travail en août, soit 20 % de la population active. La barre des 13 % de chômeurs sera bientôt pulvérisée au Brésil.
Mais l aggravation de la misère n empêche pas la Banque centrale d estimer que le pays continuera à « respecter l objectif d excédent budgétaire équivalent à 4,25 % du PIB en 2003 et au cours des deux prochaines années ». « Cet objectif est valable pour nos quatre années de mandat, et je dirais que le Brésil en aura besoin pendant dix ans », surenchérissait le docteur Palocci dans Le Nouvel Observateur du 24 juillet. Cristovam Buarque, le ministre de l Éducation du gouvernement Lula, de passage à Paris cet été, montrait le même attachement au cours… de la Bourse. « La stabilité monétaire, le contrôle de l inflation passent avant l éducation », enseignait-il.
Lula mise sur l agrobusiness pour se refaire
La décision était attendue. Le gouvernement « pétiste » devait impérativement arrêter son choix avant le 1er octobre date à partir de laquelle débute l ensemencement du soja dans le sud du pays. Le décret est tombé le 25 septembre alors que Lula était en voyage officiel à Cuba : le Brésil autorise la culture de soja transgénique pour cette année et sa vente jusqu à la fin de l année 2004. Déjà l ancien métallo avait accepté au mois de mars la commercialisation de soja transgénique plantée illégalement dans l État du Rio Grande do Sul avec des semences importées de l Argentine voisine. 90 % des 3,6 millions d hectares de soja plantés dans cet État serait transgénique, soit une production de 8 millions de tonnes sinon plus.
« Il ne s agit pas d être pour ou contre, mais de faire face », a défendu Lula. « Nous avons gagné les élections et, en février, nous avons découvert une situation que nous ignorions jusque là, a-t-il fait valoir : le fait que le soja transgénique était planté non seulement dans le Rio Grande do Sul mais dans d autres parties du pays. Nous avions neuf millions de sacs de soja stockés […] Ordonner à la police de brûler le soja aurait donné une photo horrible dans un pays où le peuple a faim ; dans un pays qui a besoin d exporter et de produire ».
Le ministre de l Agriculture, Roberto Rodrigues n a eu aucun mal à persuader Lula d étendre la mesure. Le calcul a été rapide. Le Brésil est le deuxième exportateur de soja après les États-Unis. En 2002, cette légumineuse a rapporté quelque 6 milliards d euros au pays. Le solde de la balance commerciale agricole devrait avoisiner les 24 milliards de dollars en 2003 : Lula ne peut se passer de cette manne s il veut honorer le service de la dette…
Le ralliement du PT aux revendications du lobby de l agrobusiness ne peut déconcerter que ceux qui tenaient pour sans conséquence le choix de Roberto Rodrigues au ministère de l Agriculture. Rodrigues est un grand propriétaire foncier qui tire ses revenus des exportations… Et c est ce même Rodrigues qui a fait adopter par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso une loi visant à interdire toute réforme agraire dès lors que les terres étaient occupées par des sans-terres. Il représente les intérêts des grands propriétaires fonciers qui n hésitent pas à défendre l arme à la main leurs biens. Ce sont leurs miliciens, les « pistoleiros », sinon directement les forces armées des vingt-sept États brésiliens qu ils contrôlent, qui ont assassiné plus d une cinquantaine de militants sans-terre en 2003.
L influence considérable des tenants de l agrobusiness au sein du gouvernement Lula n est plus à démontrer. Et s il souscrivent à la réforme agraire amorcée par le PT, c est simplement parce que le projet « pétiste » s inscrit dans la droite ligne des précédents, et ne vise nullement à donner satisfaction aux quatre millions de paysans sans-terre. Pire, au rythme où vont les choses, l équipe entourant Lula pourrait faire moins bien que celles de Cardoso qui selon les estimations auraient installé entre 300 000 et 500 000 familles de 1995 à 2002.
Leçons d ici pour là-bas ; leçons de là-bas pour ici
Face à l austérité généralisée et aux réformes anti-ouvrières en cours au Brésil, le prolétariat des villes et des campagnes n est pas resté sans réaction. Ils étaient près de 30 000 fonctionnaires mobilisés dans les rues de Brasilia, le 11 juin, pour empêcher la baisse de leurs retraites. 60 000 manifestants défilaient à nouveau, le 8 juillet, dans les rues de la capitale. Et ce sont plusieurs dizaines de milliers de travailleurs de la fonction publique, en grève depuis près d un mois, qui se sont déplacés de tout le pays pour participer, le 6 août, à la grande manifestation de Brasilia contre le projet gouvernemental.
Le même jour, la Chambre des députés adoptait en première lecture le projet « pétiste » sur les retraites, les voix du PT se mêlant à celles de différents partis de droite — uniquement trois élus du PT ont voté contre et seulement huit se sont abstenus.
Malgré leur détermination, les travailleurs du Brésil ont subi le même sort que leurs homologues de France au même moment. Le VIIIe congrès de la Centrale Unique des Travailleurs s est porté à la tête de la contestation pour mieux négocier un ralliement du mouvement à Lula sans dommage pour ses projets réactionnaires. Ce n est pas sans rappeler non plus les manœuvres bureaucratiques des appareils syndicaux en France le printemps dernier. Cela vérifie une idée simple : l indépendance de classe est une exigence primordiale. La lutte pour affranchir la classe ouvrière de la bourgeoisie est un combat constant au sein même du mouvement ouvrier, et qui ne connaît pas de frontière.
Le rapprochement est saisissant. Le Brésil n est pas la France ; Lula n est pas Raffarin. Mais justement… Le fait demeure : la réforme de l un, comme celle de l autre, relève de cette logique financière qui transforme en marchandise tout ce qui peut être source de profit. La mondialisation sape les bases matérielles du réformisme, en France comme au Brésil. Rejeter la contre-réforme libérale impose par conséquent de rompre avec le capitalisme. S y refuser ouvre immanquablement la voie à l acceptation passive du social-libéralisme. Le Lula qui, en 1980, dirigea une grève dure pendant quarante et un jours écopant de trente et un jours de prison n a rien de semblable avec le « Lula light » des années 2000. Il en va de même du PT né de la clandestinité et de celui qui gère aujourd hui la dixième puissance économique du monde.
L ouverture rapide du dossier des retraites des fonctionnaires traduit bien l enjeu pour le pouvoir au Brésil : en s attaquant aux fonctionnaires, le gouvernement cible la masse de ceux qui ont voté pour le PT ; une victoire contre une base « pétiste » désorientée serait un atout pour la poursuite de la contre-réforme libérale à laquelle souscrivent Lula et l essentiel de l appareil du parti et des formations qui lui sont fidèles.
Pour un parti des travailleurs
« Dehors Lula ! Tu nous as trahis ! » Le slogan repris en juin par les grévistes témoigne des illusions qui ont présidé à la victoire de l ancien métallo à la présidentielle ; il souligne que l on ne peut être solidaire du gouvernement Lula — encore moins y participer — et lutter aux côtés de ceux qui en combattent la politique, sinon à adopter l optique de la CUT prenant en main l affrontement afin de mieux le désamorcer.
Au printemps et pendant l été, des parlementaires et des intellectuels du PT ont publiquement pris leur distance avec la politique de Lula, mais sans rompre le plus souvent avec lui. La solidarité a joué au contraire à plein quand il s est agi de voter les contre-réformes libérales. La démarche des trente députés « radicaux » qui avaient signé un texte critiquant la politique de la Banque centrale fin mai est significative : répétons-le, seuls trois élus du PT sur les quatre-vingt onze que compte le groupe parlementaire ont voté contre la réforme des retraites et huit se sont abstenus. Au nom de « l unité du PT » les récalcitrants ont entériné des mesures allant à l encontre des intérêts ouvriers, et les membres de Démocratie socialiste, courant lié à la Quatrième Internationale et à la LCR, comme les autres. Cette position n est pas tenable, encore moins celle de Miguel Rosseto qui en participant, au gouvernement, même de manière critique, cautionne la politique de Lula.
Chercher à convaincre Lula et le PT de changer leur politique revient à nier ce qui l a motivée, à s illusionner sur la possibilité d une autre voie que celle de la rupture avec la bourgeoisie. Il n y a pas d entre-deux. On peut évidemment disserter à l infini sur « les deux âmes du gouvernement Lula ». Il est plus utile de discuter de son orientation.
Cela pose immédiatement la question d une rupture politique avec elle et ses promoteurs au pouvoir comme avec ses relais dans le mouvement ouvrier, la direction du PT et de la CUT en premier lieu. Cela interroge inévitablement sur le piège que représentent des regroupements qui ignorent le clivage réforme-révolution et où s efface immanquablement l indépendance de classe.
Cela oblige à remettre en cause les cadres existants, et envisager que la nécessaire rupture politique s accompagne d une rupture organisationnelle. Craindre cette conséquence ou simplement en reculer l échéance est un encouragement à la contre-réforme libérale menée par Lula, une politique qui s appuie précisément sur la difficulté à faire émerger au sein de la classe ouvrière une orientation indépendante, alternative à celle que défend le PT et les organisations proches de lui.
La bataille sur les retraites au Brésil cet été le souligne suffisamment.
Serge Godard
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