athéisme aux USA

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athéisme aux USA

Message par com_71 » 14 Déc 2014, 11:54

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Légalement discriminés aux Etats-Unis, les athées se rebellent

Hélène Crié-Wiesner
Publié le 13/12/2014 à 12h29

S’ils vivaient aux Etats-Unis, les laïcs français qui s’insurgent contre les crèches dans les lieux publics vireraient à l’écarlate. Car ici, certains Etats interdisent aux athées d’être élus. Mais une coalition nationale de libres-penseurs vient de passer à l’attaque. Je les connais bien, ce sont de vrais guerriers.

Je n’ai pas de chance avec mes lieux de résidence. Après avoir vécu au Texas, où le gouverneur prie avec ses collaborateurs avant les réunions, j’ai atterri en Caroline du Nord, dont la Constitution oblige les gens à croire en Dieu s’ils veulent se présenter aux élections ou accéder à une haute charge administrative.

Cette obligation ne choque pas grand monde, pas même les associations militantes de gauche, dont les animateurs sont eux-mêmes souvent des pasteurs. J’avais pu m’en rendre compte lors des grandes manifestations qui avaient secoué ma ville l’an dernier.

Slogans religieux dans les manifs de gauche


J’avais rapporté ici la teneur des incantations religieuses hurlées dans les haut-parleurs, destinées à conspuer la droite extrême et le capitalisme sauvage. On retrouve le même genre d’exhortation dans les manifs antiracistes aujourd’hui :

« Enfants de Dieu, prions pour avoir la rage contre l’injustice, prions pour avoir le courage de nous dresser contre les ennemis du peuple. Prions pour que les élus retrouvent la raison. »

Aux Etats-Unis, le pire n’est pas d’être un fanatique religieux. Non, le pire est de n’avoir aucune religion, ou plutôt, de ne croire en aucun Dieu.

Depuis quelques années, les « humanistes-athées-agnostiques-nonthéistes-libres-penseurs » américains, comme ils se définissent entre eux, relèvent la tête et combattent la discrimination dont ils sont victimes au quotidien, dans leur famille, leur travail, et toute la société. Leur dernière initiative est ambitieuse, et vient de leur valoir un grand article dans le New York Times.

Croire en Dieu, au paradis et à l’enfer

Sept Etats ont conservé dans leur Constitution des articles déclarant que les non-croyants sont inéligibles à de nombreuses fonctions d’intérêt public (lesquelles seraient occupées, en France, par des fonctionnaires ou des professions libérales) : Arkansas, Mississippi, Tennessee, Texas, les Caroline du Nord et du Sud, et le Maryland. Ce dernier étend l’interdiction aux jurés et témoins des procès.

Un huitième Etat, la Pennsylvanie, formule la chose autrement :

« Nul ne peut être empêché d’accéder à un poste public à cause de sa religion – aussi longtemps qu’il croit en Dieu, au paradis et à l’enfer [“a future state of rewards and punishments” en anglais]. »

En 1961, la Cour suprême des Etats-Unis, saisie par un athée de Caroline du Nord que l’on empêchait de contresigner des actes notariés, avait jugé que les Etats ne pouvaient pas exiger des « tests de religiosité » pour les emplois publics.
Faire lever ces interdictions

Cinquante huit ans plus tard, les huit Etats récalcitrants sont-ils donc dans l’illégalité ? Non, tant qu’ils ne cherchent pas à appliquer ladite interdiction. De fait, les rares fois où ils ont cherché à le faire, ils ont dû laisser tomber. Soit par décision de justice, soit de guerre lasse. Le NYT écrit :

« Mais pour de nombreux laïcs, de plus en plus visibles et organisés dans la société, faire lever officiellement les interdictions est devenu non seulement une juste cause, mais aussi un test quant au poids politique de leur mouvement. »


Le journal publiait la photo d’un des initiateurs de la campagne, Todd Stiefel, le président de l’Openly Secular coalition (Coalition pour une laïcité revendiquée), qui s’insurgeait :

« S’il était écrit dans ces Constitutions que les juifs sont interdits d’exercice, ou que les Afro-Américains ou les femmes ne peuvent pas voter, ça ne ferait pas un pli. Vous trouveriez tous les hommes politiques que vous voulez pour tenter de changer ces textes.

Même si ces lois étaient inapplicables, on considérerait qu’elles sont offensantes et qu’elles devraient être abolies. Alors pourquoi nous, les athées, sommes-nous différents ? »

Un milliardaire mécène des non-croyants

Et, subitement, cette histoire est devenue très excitante pour moi. Je me suis dit que ce Todd, avec qui j’ai travaillé lors d’une enquête passée, avait décidément de la suite dans les idées.

Il y a deux ans, j’effectuais un reportage pour le magazine Long Cours sur la situation des non-croyants aux Etats-Unis. J’avais longuement rencontré ce millionnaire qui consacre sa fortune à combattre le poids de la religion et les discriminations à l’encontre des libres-penseurs.

Il venait, avec d’autres associations, de créer la Secular Coalition for America (Coalition laïque pour l’Amérique) à Washington, un très modeste lobby au cœur de la machine politique américaine. Modeste, mais accrédité, condition sine qua non pour avoir accès aux membres du Congrès et tenter d’infléchir leurs votes.

L’autre fondateur de la Secular Coalition est Herb Silverman, 72 ans, un mathématicien en retraite de l’université de Charleston, en Caroline du Sud, où je l’avais rencontré dans les mêmes circonstances que Todd Stiefel.

Herb Silverman teste la Constitution

Né dans le nord des Etats-Unis, « juif résolument laïque » selon ses propres termes, Herb est arrivé en 1976 dans cette superbe ville historique de la « Bible Belt », où un racisme féroce allait de pair avec une pratique collective religieuse non moins agressive :

« Ici aussi la Constitution empêche les athées de postuler à un office public. J’ai considéré de mon devoir de me battre contre cette atteinte aux droits civiques. En 1990, je me suis présenté à l’élection de gouverneur, pour forcer la Cour suprême de l’Etat à se pencher sur ce cas de figure. »

Il n’a pas été élu, la Cour suprême de son Etat n’a pas eu cette fois à statuer sur son cas. Mais, deux ans plus tard, en 1992, alors qu’il venait de se voir refuser l’accès à un autre poste, Herb a saisi la Cour, qui lui a donné raison contre la Constitution en 1997.

Ce même Herb Silverman a ensuite fondé à Charleston le groupe Secular Humanists (les Humanistes laïques), qui depuis a fait école sur tout le territoire des Etats-Unis. En 2002, sous son impulsion, onze des multiples associations athées-humanistes-agnostiques-nondéistes américaines se sont constituées en une fédération :

« On avait besoin d’unité et d’une représentation à Washington. Les chrétiens et les autres religions ont des centaines de lobbies qui réclament toujours plus de faveurs et de passe-droit, et qui diminuent la perception des athées dans l’opinion publique. Mais il nous a fallu du temps pour réunir assez d’argent. »

L’action sérieuse peut démarrer

En 2004 s’ouvrait enfin dans la capitale fédérale le bureau de la Secular Coalition for America. Entre-temps, Todd Stiefel était arrivé avec ses dollars, et l’action politique a vraiment décollé.

Au rang des priorités de la Secular Coalition for America figurait au départ la modification du texte, datant de l’administration Bush, qui favorise les congrégations religieuses pour l’attribution des subventions publiques en matière sociale. Il s’agit, ni plus ni moins, de déléguer l’action de l’Etat aux églises :

« Les structures dépendant des églises ne sont pas tenues au même respect des normes que les structures laïques. Le décalage est particulièrement criant avec les crèches : les religieuses peuvent embaucher le type de personnel qu’elles veulent et accueillir autant d’enfants qu’elles décident.

Ce n’est pas le cas des crèches laïques, qui doivent respecter des normes d’encadrement et de fonctionnement bien précises. Du coup, les structures laïques sont beaucoup plus chères. »

Une injustice considérée comme normale

Difficile à croire, mais les organisations confessionnelles ne sont pas obligées de rendre des comptes sur l’emploi qu’elles font de l’argent public, et les autorités ne peuvent pas non plus les inspecter. Les organisations laïques, au contraire, si elles sont habilitées à recevoir des donations privées déductibles d’impôt, sont rigoureusement contrôlées :

« C’est profondément injuste. Mais la majorité des Américains trouvent ça normal, estimant que l’Etat ne doit pas interférer dans les affaires religieuses. Pour eux, c’est une garantie de liberté. Pour nous, c’est le contraire. »

A côté de ce combat principal, la Secular Coalition se bat depuis sa création, il y a maintenant dix ans, contre les innombrables discriminations à l’embauche dont sont victimes les athées. Mais Todd Stiefel précisait alors :

« La plupart des lois discriminatoires à l’encontre des athées sont le fait des Etats, davantage que du niveau fédéral. C’est pourquoi nous commençons à ouvrir des bureaux dans quelques capitales-clés, pour tenter de peser sur les législatures locales. »

Depuis ma rencontre avec ces deux hommes et bien d’autres militants noncroyants – aux Etats-Unis, cette cause est un vrai combat politique –, le lobby législatif Secular Coalition for America a trouvé ses marques à Washington.
Les laïcs s’inspirent des organisations gays

Todd Stiefel a pu lancer – et financer – cette année son nouveau projet, associatif cette fois, l’Openly Secular Coalition, qui vient de déclarer la guerre aux Constitutions locales discriminatoires.

Le NYT décrit ainsi le groupe :

« Trente groupes différents forment Openly Secular, qui a pour objectif de faire mieux accepter les non-croyants par la société, en les encourageant à déclarer publiquement leurs convictions. S’inspirant d’une tactique employée par les groupes gays, la coalition poste des vidéos de gens qui témoignent du fait qu’ils sont des non-croyants heureux.

A présent, la coalition entreprend de convaincre les législateurs des huit Etats qu’ils doivent débarrasser leurs Constitutions des passages discriminatoires. Les modalités de révision sont différentes pour chaque Etat, mais l’obstacle principal va être de trouver des élus acceptant de porter les revendications des non-croyants. »


Pour l’instant, les élus américains assez kamikazes pour oser affronter des électeurs majoritairement croyants ne se bousculent pas au portillon.

Les élus ont tout à perdre politiquement

Stiefel, Silverman et leurs compagnons libres-penseurs ne se sont jamais fait d’illusion : il n’y a aucune volonté politique, ni à droite, ni même à gauche, pour entamer ce combat. Le débat tournera vinaigre très facilement, et portera atteinte à la réputation de l’élu qui aura osé ouvrir les hostilités.

Le NYT le dit comme cela :

« Il y aura de la résistance du côté des législateurs. Ils voient cette volonté d’effacer les passages litigieux comme un truc sensible, mais fort désagréable politiquement et symboliquement. »

Je détaillerais volontiers plus avant les arguments des juristes, des historiens et des sociologues évoqués par le NYT, intéressants pour comprendre l’Amérique contemporaine. Mais je préfère consacrer la fin de cet article à présenter Todd Stiefel. Je trouve que ce type est digne d’admiration. Voici donc (en partie) ce que j’avais écrit sur lui dans la revue Long Cours il y a deux ans.

« Je ne suis pas Paris Hilton »

Todd Stiefel, 37 ans, est l’héritier des laboratoires pharmaceutiques Stiefel, vendus à GlaxoSmithKline en 2009. Il a décidé de consacrer sa fortune « à réduire les fondamentalismes en Amérique ». La religion représente pour lui « la plus grave menace sur le monde avec l’arme nucléaire ». Ses objectifs :

« Revenir à la séparation originelle des églises et de l’Etat ; obtenir l’égalité de traitement entre les athées et les autres groupes de pensée. »

L’homme est un grand échalas au rire explosif, dont l’allure simple et un brin empruntée dénote une éducation stricte et chic. Diplômé en business de la très sélecte Duke University de Caroline du Nord, il occupait le poste de responsable de la stratégie internationale quand l’entreprise familiale a été vendue.

« J’espère être différent d’un héritier typique. Je ne suis pas Paris Hilton, j’ai travaillé 80 heures par semaine pendant des années. »

Il tend sa carte de visite aux armes de la Stiefel Freethought Foundation, un soleil qui se lève derrière des montagnes : « freethought activist », militant libre-penseur.
Bourse pour les militants non-croyants

Todd aurait aussi bien pu inscrire « bienfaiteur de la cause » sur son bristol. Que ce soit l’Alliance des étudiants laïques, l’Institut des études humanistes, l’Alliance internationale athée, l’Union éthique américaine, l’Association militaire des athées et libres-penseurs, le Conseil pour un humanisme laïque, la Société pour un judaïsme humaniste – la liste est loin d’être close –, ces groupes ont reçu, ou recevront, de l’argent par le biais de la Stiefel Foundation.

Ces entités existaient avant que Todd n’apparaisse dans le paysage, mais elles se sont considérablement développées grâce à son aide :

« La fondation est un outil financier, mais aussi stratégique. Je passe du temps à discuter avec les groupes. J’ai mes propres idées, eux les leurs qu’ils me soumettent, et si on s’entend, on travaille ensemble et je les finance. Mais ce sont leurs projets, pas les miens. »

En 2010, Todd personnellement ou sa fondation avaient déjà distribué plus de 3 millions de dollars pour aider des projets analogues. Pourquoi choisit-on de devenir le pourvoyeur de fonds d’une cause aussi peu populaire dans son pays ?

« Il y a quelques années, je me trouvais à Dallas à discuter avec un copain de la haute société un peu perdu de vue. Famille, enfants, à quelle église j’appartenais… Je réponds machinalement :
“Aucune.
– Bon, enfin, tu es chrétien, quoi ?
– Non, je suis athée.”

Il a eu une réaction que j’ai trouvé dingue à l’époque, mais que tous les parents athées américains ont entendu des tas de fois : “Mon Dieu, quel genre de valeurs morales peux-tu donc transmettre à tes enfants ?” Pour moi, ça a été le déclic. »

« Je ne veux pas détruire la religion »

Lorsque Todd a su qu’il allait bientôt devenir riche, il s’est demandé ce qu’il allait faire de sa vie :

« Chercher un autre travail ? Autant faire quelque chose qui m’intéressait vraiment. Or, ce qui m’importait plus que tout, c’était de changer le monde. Et pour ça, je ne vois rien de plus urgent que de réduire les fondamentalismes, d’éduquer les gens à respecter ceux qui ne croient pas dans leur religion. Je ne veux pas spécialement détruire la religion. Je veux simplement qu’on reconnaisse le droit à l’absence de religion. »

Mais pourquoi tant d’organisations différentes dans le paysage ? Sitôt posée, la question semble idiote : autant se demander pourquoi il existe tant d’obédiences au sein des grandes religions !

« Elles ont toutes des missions et des objectifs différents. Leur base commune, c’est d’obtenir la séparation des églises et de l’Etat, et l’égalité des droits avec les religieux.

Certains luttent sur le terrain du droit, initiant des actions en justice pour combattre les incursions de la religion dans les affaires de la cité, ou des situations où des citoyens sont contraints par les gouvernements de pratiquer une religion d’une façon ou d’une autre.

D’autres existent pour alerter l’opinion. Parce que quand on ne connaît rien d’une minorité, on a davantage tendance à la discriminer. C’est ce qui s’est passé progressivement avec les gays : quand les gens ont découvert qu’ils en connaissaient personnellement, ils sont devenus plus tolérants. »

Le besoin d’appartenir à une communauté

Ce n’est visiblement pas tout. Quand on voit Todd Stiefel avec ses copains de la Triangle Freethought Society (Société des libres-penseurs) de Raleigh, on comprend que la riche vie associative des « nonthéistes » tend vers un objectif plus immédiat : l’émergence d’une « communauté » alternative. D’une alternative à la religion. Parce qu’être athée aux Etats-Unis, c’est la plupart du temps autre chose qu’être juste non-croyant :

« Naturellement ! Nos groupes se rencontrent, font venir des orateurs pour s’enrichir intellectuellement, organisent des événements sociaux, mettent en place des services communautaires ou charitables, tels les Human Beans.

Certains peuvent nous voir comme des fanatiques d’un autre genre, mais on n’a pas vraiment le choix de notre attitude. On veut une communauté, mais on ne veut pas être obligés de joindre une église. »

Mais pourquoi ce besoin de communauté à tout prix ?

« Parce que nous voulons ex-is-ter. Nous ne sommes pas seulement une minorité réprimée, nous sommes une minorité niée. On vit dans la peur et la discrimination. »

En cas de divorce, l’athée perd la garde

Des dizaines d’exemples lui viennent à l’esprit, exemples ressassés à l’identique par les non-croyants rencontrés dans toutes les associations de non-croyants :

« Vos parents refusent de vous parler pour le restant de leur vie parce qu’ils ont découvert que vous êtes athée. Et quand votre conjoint demande le divorce à cause de ça, qu’il dit au juge : “Je veux la garde de l’enfant parce que mon ex est athée.” C’est un cas presque automatique de jugement en votre défaveur.

Sans parler du licenciement quasi automatique quand le patron d’une petite boîte découvre l’athéisme d’un employé, parce qu’il a peur de perdre des clients. »

Todd Stiefel soupire, visiblement malheureux :

« Si vous ne croyez pas en Dieu, vous ne pouvez décemment pas être une personne morale. Etre perçu par défaut comme quelqu’un de mauvais, et surtout de nocif pour ses enfants, c’est traumatisant. C’est pourquoi nous avons besoin de nous regrouper. Psychologiquement, c’est essentiel. »

Les églises US se videront-elles un jour ?

Voilà donc qui est Todd Stiefel, l’homme qui finance la campagne pour la modification des Constitutions américaines discriminant les non-croyants.

Les églises chrétiennes américaines se videront-elles un jour comme elles se sont vidées en Europe et au Québec dans la seconde partie du XXe siècle ? Pas sûr. L’Eglise y représentait une autorité et un pouvoir pesant.

Aux Etats-Unis, les églises sont nombreuses, indépendantes et diverses. Les individus choisissent celle qui leur convient, en changent au cours de leur vie, et tiennent la religion pour une de leur plus grande liberté. Le choix de l’athéisme, ou tout simplement de l’indifférence vis-à-vis du spirituel, prend dans ces conditions une dimension différente.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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