MAROC - Les enfants d’Abdelkrim

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MAROC - Les enfants d’Abdelkrim

Message par Gayraud de Mazars » 21 Juil 2017, 15:25

Salut camarades,

Au nord du Maroc, le Rif est soulevé, retour sur cette lutte !

MAROC. Les enfants d’Abdelkrim

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La mémoire du héros de la guerre du Rif imprègne le mouvement populaire qui secoue le nord du Maroc. Les activistes s’y réclament de son éphémère République.

Au sommet de la colline, au milieu des oliviers, une ruine n’en finit plus de semer ses petites briques rouges dans les broussailles qui la dévorent. Ces quelques murs rongés par le temps et la brise marine, c’est tout ce qui reste de l’« oficina » d’Abdelkrim El Khattabi, le héros de la guerre livrée par les insurgés du Rif aux colonisateurs espagnols et français entre 1920 et 1926 (voir notre édition du 22 juin). C’est là, dans une bâtisse prise à l’administration coloniale, que le chef militaire établit, à l’orée de son village natal d’Ajdir, son quartier général et, à partir de 1922, le siège de son éphémère République, premier embryon d’État né d’une lutte anticoloniale. Ces vestiges ont bien failli disparaître, en 2015, lorsque, sous prétexte d’étendre le réseau d’adduction d’eau, les autorités ont fait entreprendre des travaux de creusage qui ont encore fragilisé ce qui reste de l’« oficina ». « Sabotage ! » avait alors dénoncé l’association Mémoire du Rif, qui soupçonne les autorités de vouloir « encercler le lieu en prévision de sa destruction totale ». Jamais inscrit au programme des monuments à rénover, l’édifice est sciemment livré à l’abandon.

« Nous sommes toujours dans les mains des banques françaises »

Rien, pas une plaque, pas un panneau n’évoque l’histoire du lieu. Maladroitement peint à la main, sur un mur, seul un étendard rouge, frappé d’un losange blanc, d’une lune et d’une étoile vertes, témoigne d’une mémoire toujours vive. C’est le drapeau de la République du Rif, celui qui flotte au-dessus des manifestations à Al Hoceïma, à Imzouren, à Nador, comme un défi au pouvoir monarchique. Sa fabrication, sa vente sont interdites au Maroc et la bannière ne circule que sous le manteau. D’après le média électronique marocain Le Desk, « l’unique drapeau datant de l’épopée rifaine contre la colonisation espagnole est conservé au musée de l’Armée ibérique à Tolède ». Pas au Maroc, où la République du Rif et son fondateur ont sombré dans les limbes d’une histoire officielle réécrite par le Palais pour asseoir la légitimité politique d’une lignée monarchique aux relations équivoques avec les colonisateurs. Sourd aux appels d’Abdelkrim El Khattabi, perçu comme une menace contre son pouvoir, le sultan Moulay Youssef a préféré, à l’époque, condamner la révolte rifaine et apporter son soutien aux troupes françaises… « Un siècle plus tard, nous sommes toujours dans les mains des banques et des entreprises françaises. C’est une indépendance de façade », grince Rafiq Hamdouni, un militant de la Voie démocratique à Al Hoceïma.

Dans le Hirak, le mouvement populaire qui soulève le Rif depuis neuf mois, la figure d’Abdelkrim El Khattabi est sans cesse convoquée, revendiquée tout à la fois comme un repère et comme le signe d’une autre possibilité politique. « Cette histoire est une lueur qui éclaire notre présent et motive notre combat. Effacée des manuels scolaires, l’épopée d’Abdelkrim El Khattabi s’est transmise au sein des familles. Dans le Rif, ce récit est central dans l’éducation et la ­socialisation des enfants », confie Ahmed Younes, directeur du journal Numidia. Entre le Rif rebelle et le pouvoir central monarchique, la défiance reste brûlante, les contentieux mémoriels, lourds. La mémoire du soulèvement anticolonial des années 1920 cimente le Hirak, comme le souvenir des révoltes de 1958 et 1984, écrasées dans le sang par Hassan II. « Le Rif a reçu trop de coups du système politique qui domine encore aujourd’hui. La reconnaissance de notre histoire et de nos luttes, comme celle de la langue et de la culture amazighes sont au cœur des revendications. Mais si les manifestants se réclament de la République du Rif, en réaction à la marginalisation politique, ils ne sont pas pour autant séparatistes. Nous nous sentons Marocains, nous sommes attachés à ce pays, nous nous battons pour le changer », insiste Saïd ­Kaddouri, du comité d’organisation du Hirak à Nador.

« Nous voulons penser librement et vivre dignement »

Charismatique, érudit, fin stratège, ­Abdelkrim El Khattabi était dépeint par le parti colonialiste comme un fanatique musulman à la solde du mouvement communiste international. Il a incarné pour toute une génération de révolutionnaires, bien au-delà de la rive sud de la Méditerranée, le combat pour la liberté, la justice, l’émancipation des peuples. Autant de valeurs dont se ­réclament aujourd’hui ses héritiers du Hirak. « Avec ce mouvement, une conscience se propage. Elle est nourrie de cette histoire, résume Ahmed Younes. Nous voulons penser librement et vivre dignement, dissiper ce climat de peur entretenu par Rabat. »

Alors que dans les geôles du Palais, les prisonniers politiques rifains ont entamé une grève de la faim, le pouvoir a décrété l’interdiction de la grande marche prévue aujourd’hui à Al Hoceïma pour exiger leur libération. La date n’a pas été choisie au hasard par les protestataires. Le 20 juillet 1921, les insurgés d’Abdelkrim El Khattabi, au nombre de 3 000, infligeaient une cinglante défaite aux troupes espagnoles du général Manuel Fernández Silvestre (100 000 hommes), qui finit par se suicider. Ce succès militaire fonde le mythe. Défait cinq ans plus tard par les troupes de Pétain et Franco au prix d’une guerre totale et de terribles massacres de civils, le chef rifain aura ces mots : « Je suis venu trop tôt. » Les siens restent aujourd’hui fidèles à son ­combat contre les dominations coloniale et féodale.

Rosa Moussaoui
Journaliste à la rubrique Monde
"L'HUMANITÉ" (20.7.2017)
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Gayraud de Mazars
 
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