Récit d'un camarade en vacances à Barcelone.
Episode 1 - « On n’a pas à payer pour les autres » - Mercredi 25 octobre
Pas de tracts, à Barcelone. Si tu veux t’informer, il faut acheter les journaux. Ma première interlocutrice m’aide à en choisir un « indépendantiste », qui est « mas por alla ». Mais par « plus par-là », que veut-elle dire ? Plus « por alla »… vers la gauche ou la droite ? Elle m’éclaire : « Le problème, ici, c’est qu’il y a beaucoup de problèmes », puis s’en va.
Je vais à Sitges voir Soledad. J’entreprends une bourgeoise dans le bus. « La Catalogne est riche. Regarde : tu vois de telles tours, dans le reste de l’Espagne ? Nous avons travaillé, comme toujours en Catalogne. Tu crois que l’Espagne et ses corrompus vont pouvoir prendre tout ça ? Nous ne devons plus payer pour les autres. »
Soledad, elle, voit dans la situation un tracas. Au travail, 3 des 5 employés de la boutique sont pour l’indépendance. Alors, on évite d’en parler. Elle-même n’aime pas le catalan, même si elle le comprend. Mais elle répond toujours en espagnol. Son compagnon, plutôt de droite, et catalan, a manifesté dimanche dernier pour rester espagnol. Elle se sent mieux, depuis cette manifestation massive.
Peu de drapeaux catalans, dans cette ville de bord de mer. Mais plus, dit-elle, dans les villages alentour.
Le soir, 200 ou 300 enseignants sont devant la mairie de Barcelone pour défendre leur dignité professionnelle, offensée par les propos de Rajoy. Le système éducatif catalan est bien plus avancé que le reste de l’Espagne mais est menacé ; toutes les lois progressistes sont invalidées par le gouvernement corrompu de Madrid. Et puis, il faut bien défendre le catalan, sinon il va mourir. C’est un service à rendre aux immigrés, cette immersion en catalan. Si Pujol était corrompu ? Oui, mais de mèche avec le PP. Et Mas ? Oui mais non. Et Puidgemont ? Non. Et puis, les aides sociales vont bien plus à l’Andalousie qu’à la Catalogne. Pourquoi ?
Episode 2 - Autour des étudiants - jeudi 26 octobre
Le lendemain, c’est le jour des étudiants. Tous se rassemblent, drapés de la toile catalane qui leur va si bien dans le soleil. Pablo, un jeune communiste chilien, me vend un journal qui explique que l’indépendance est le premier pas vers la révolution sociale. Je regrette que le journal soit écrit en catalan, mais lui a réussi à l’apprendre très vite. Et la classe ouvrière ? Il est un peu ouvrier… que sont les étudiants, dans la société capitaliste ?
C’est la fête, cette manif. Ils ont compris, me disent-ils, ce que leurs parents comprennent moins : qu’il faut l’indépendance. Ils sont quoi… 2000 ? Mais les slogans, comme toujours, sont rigolos : « si tu as un fils anormal, ne le traite pas mal, engage-le à la police nationale » (différente de la bonne police catalane) ; « A los tiburones los borbones ! » (les Bourbons aux requins !).
Un jeune passionaria explique à la police pourquoi elle est révoltée. Une vieille dame, édentée, vient l’insulter. Je lui demande ce qu’elle reproche à cette jeune : « d’être conne… que se passera-t-il, si tout l’argent s’en va ? Encore une crise ? »
J’arrête une femme de mon âge qui, mallette à la main, passe sur sa pause du midi, pour lui demander si la police au coin de la rue est catalane ou nationale. « Nationale, et c’est une agression », me dit-elle, rageuse. Elle a voulu voter au référendum, le 1er octobre, et a vu faire cette police nationale. Elle voulait voter « non », et, si c’était à refaire, elle voterait blanc. Son fils voterait, maintenant, pour l’indépendance. Tout a commencé en 2010 : Rajoy a invalidé nombre de lois, celle empêchant les expulsions, celle permettant une nouvelle politique énergétique. C’est un corrompu qui veut mettre tout le monde à genou.
Je rejoins la manif. Un jeune porte l’étrange inscription graffitée sur son tee-shirt : « Les ouvriers n’ont pas de patrie ». Il est trotskyste, comme ses deux potes qui l’accompagnent, et s’excuse presque d’être là.
Un jeune ouvrier tatoué et blanc de peinture regarde passer les troupes. Je lui demande son avis : « ça m’est égal, ça ne changera rien ». Mais peut-être est-il immigré ? Non, il est catalan, mais il ne voit pas ce que ça changera.
Deux retraités suivent le cortège. Ils m’expliquent que le nationalisme peut être progressiste, comme l’a montré Andrès Nin, avec le Poum, en 1936. Je leur demande, pour la classe ouvrière : « non, en ce moment, la classe ouvrière est amorphe : elle a trop de problème, de licenciements, de niveau de vie. Il ne faut pas parler, aujourd’hui, de classe ouvrière, mais de peuple… ».