La circonscription dont Ali Wazir est élu député est celle du
Sud Waziristan, qui fait partie des
Régions Tribales du Pakistan à la frontière de l'Afghanistan.
Ici le Sud Waziristan en rouge sur Google Maps :
https://www.google.com/maps/place/Wazir ... 69.8597406C'est une région peuplée de 679.000 habitants en 2017, dont 153.000 dans le district de la principale ville, Wana (ou Wanna). A Wana, hormis l'aéroport, la base militaire et quelques services administratifs, les principales activités économiques relèvent de l'artisanat, de l'agriculture et du commerce, avec une classe ouvrière très peu nombreuse et atomisée. Ali Wazir est issu d'une famille de notables locaux pachtounes propriétaires de différentes entreprises, et qui ont été dépossédés, violentés ou massacrés tantôt par les talibans, tantôt par les tenants du gouvernement.
Sur le
Mouvement de Protection Pachtoune (dont fait partie Ali Wazir mais duquel il a été suspendu de ses fonctions dirigeantes sans être exclu du parti pour autant, car il s'est présenté aux élections alors que le Mouvement se revendique "apolitique"), un article d'avril 2018 dans La Croix présente son fondateur, Manzoor Pashteen :
https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Or ... 200934350#Pakistan : le réveil du peuple pachtoune
Olivier Tallès , le 25/04/2018 à 6h33
Le mouvement de protection pachtoune créé par le jeune Manzoor Pashteen dénonce les exactions de l’armée pakistanaise et les liens avec les talibans.
Loin des caméras, l’armée pakistanaise mène depuis une décennie des opérations contre les groupes djihadistes dans les zones tribales, poussant sur les routes de l’exode des centaines de milliers de Pachtounes qui représentent environ 15 % de la population pakistanaise. Au nom de la lutte contre le terrorisme, le reste du pays préfère rester sourd et aveugle aux destructions et aux exactions que rapportent, parfois, les habitants de ces territoires excentrés aux portes de l’Afghanistan.
À la tête du Mouvement de protection pachtoune, Manzoor Pashteen a brisé, en trois mois de manifestations pacifiques, les non-dits sur une guerre à bas bruit. Lancée fin janvier après un énième meurtre d’un membre de sa communauté par la police, un mannequin accusé à tort de terrorisme, sa croisade contre les discriminations a gagné en audience au fil de ses étapes, de Peshawar à Lahore en passant par Quetta et Islamabad. Des dizaines de milliers de sympathisants se pressent désormais aux rassemblements de son organisation.
Manzoor Pashteen qui vient de terminer ses études de vétérinaire, est l’étendard de cette jeunesse pachtoune bousculée par la guerre. Né il y a 27 ans au Sud Waziristan, l’un des fiefs des talibans dans la seconde moitié des années 2000, il a été contraint avec sa famille de fuir son village en 2009 pour s’installer à Dera Ismaïl Khan. « Comme pour beaucoup de jeunes déplacés pachtounes, cet exil a été pour lui une source de souffrances sociales mais aussi d’ouverture au monde », note Laurent Gayer, chercheur au Ceri-Sciences Po.
Donner la parole aux mères et sœurs de disparus
Son mouvement porte aussi la marque de cette ouverture sociale et culturelle forgée dans l’exil. À contre-courant des stéréotypes sur le conservatisme des Pachtounes, de nombreuses mères ou sœurs de disparus assistent aux meetings et prennent la parole à la tribune, réclamant la fin des « disparitions forcées », des exécutions extrajudiciaires ou encore des lois d’exception dans les zones tribales. « On peut voir là un signe de l’ancrage du mouvement dans une tradition progressiste qui n’a jamais disparu chez les Pachtounes du Pakistan », poursuit Laurent Gayer.
Manzoor Pashteen dit tout haut ce que des spécialistes pakistanais pensent tout bas : l’armée fournit des bases à des groupes extrémistes talibans qui sont utilisés pour attaquer l’Afghanistan, tout en combattant « les mauvais talibans ». « Si Malala a accédé à la notoriété par son combat pour l’alphabétisation des jeunes filles, elle n’a jamais critiqué l’armée, rappelle le chercheur. Manzoor Pashteen a un discours beaucoup plus agressif. »
Le combat du jeune vétérinaire dérange les autorités comme les insurgés. Il le sait : sa marche contre les discriminations peut s’arrêter brutalement d’un jour à l’autre. Les talibans ont menacé ses proches. Son téléphone reçoit des messages anonymes l’avertissant que des membres de sa famille pourraient être arrêtés. Lui rétorque qu’il n’a rien à perdre, que sa maison a été détruite et qu’il a perdu déjà 40 de ses proches.
Olivier Tallès
Comment une organisation trotskyste pourrait-elle militer dans ce type de région et de contexte, difficile à dire. Défendre une politique communiste révolutionnaire ne semble pouvoir se faire pour l'instant que dans une clandestinité totale. Avoir une apparition publique oblige à présenter un profil différent. La phrase "
Nous espérons sincèrement que les éléments les plus sains des échelons supérieurs du pouvoir profiteront de cette occasion pour exorciser notre pays des démons et des menaces contre lesquels ils ont juré de lutter" est, espérons-le, une concession verbale destinée à donner le change mais à laquelle Ali Wazir ne croit pas un seul instant ; la question étant de savoir si ce genre de discours n'est pas plus nuisible qu'utile.
En l'occurrence, j'imagine qu'une organisation de type LO-UCI qui démarrerait une activité chercherait en priorité à s'implanter dans les grosses concentrations ouvrières du Sud du pays que sont Karachi et Hyderabad, puis dans les grandes villes du Nord, et à organiser des réactions de la classe ouvrière. La classe ouvrière pakistanaise n'est pas immobile...
Ici, il y a quelques années, des travailleurs de l'usine pharmaceutique Novartis à Jamshoro (près d'Hyderabad), lock-outés par la direction qui s'opposait à la création d'un syndicat, et réprimés par la police :
https://www.youtube.com/watch?v=NzRvwFP50bE Quant à la politique qu'il faudrait mener dans une région comme le Sud Waziristan, difficile à dire. S'il y a effectivement un mouvement de protestation avec des marches regroupant des milliers de personnes contre les exactions dont sont victimes les populations pachtounes, il est logique d'y participer d'une manière ou d'une autre, en tentant de faire en sorte que la population s'organise elle-même sans se mettre à la remorque de la bourgeoisie locale, et en fournissant une explication politique à la raison pour laquelle les talibans prospèrent d'un côté et l'Etat se comporte de cette façon de l'autre, tantôt en guerre contre les talibans, tantôt complice avec certains d'entre eux tout en écrasant et méprisant la population locale. Tout en cherchant à se distinguer de tout ce qui pourrait ressembler à un nationalisme pachtoune... ou pakistanais. Il faudrait être dans le pays pour pouvoir en dire beaucoup plus, et par exemple trancher entre le fait de se présenter à des élections sur la base d'un discours forcément très édulcoré (au point que l'on ne parle même pas des travailleurs) et truffé de concessions, ou de ne pas le faire... Peut-être serait-il possible d'expliquer que parmi les pachtounes victimes de la guerre, tous ne sont pas égaux, que les milieux pachtounes les plus aisés ont davantage de possibilités pour refaire leur vie ailleurs que ceux des milieux les plus exploités, bref aller à l'encontre de tout sentiment nationaliste pachtoune et mettre en avant ce qui est de fait une opposition de classe à l'intérieur du "camp" pachtoune.