Soudan : manifestations

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Soudan : manifestations

Message par Plestin » 17 Jan 2019, 19:09

Le Pouvoir aux Travailleurs de janvier 2019 décrit les manifestations qui ont eu lieu au Soudan en décembre 2018

SOUDAN

LES CLASSES PAUVRES MANIFESTENT CONTRE LA VIE CHÈRE

Amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, le Soudan connaît une crise sans précédent. Le pays est en plein marasme économique : manque de pain dans les boulangeries, moyens de transport presque inexistants, manque d’essence dans les stations-service, d’argent dans les banques. Les prix des médicaments sont hors de portée de la bourse des petites gens (ils ont augmenté de 50% ces derniers mois), l’inflation est galopante (plus de 200%), etc.

Aussi le mécontentement des classes pauvres gronde, éclate parfois, et prend souvent une tournure politique. Ainsi depuis plus deux semaines les manifestations se poursuivent au Soudan contre la décision antisociale du gouvernement d’Oumar El Béchir d’augmenter ce matin du 18 décembre le prix du pain -un aliment de base ???-de 1 à 3 livres soudanaises (2 à 6 centimes d’euros). Le soir même de cette annonce, des centaines de personnes (des jeunes pour la plupart) qui sortaient d’un match de football à Omduman, ville jumelle de Khartoum, ont manifesté dans la rue au cri de « Liberté, paix, justice ». Comme une traînée de poudre, les manifestations ont embrasé presque toutes les grandes villes du pays.

Le 20 décembre à Atabara, ville située à l’est du pays où le siège du parti au pouvoir, le Congrès national, a été incendié, les forces antiémeutes sont intervenues brutalement sur des manifestants ; elles les ont aspergés de gaz lacrymogène, elles ont tué deux personnes. Le lendemain à Khartoum la capitale, des manifestants ont scandé dans les rues des mots d’ordre appelant à la chute du régime. Le 23 décembre, ils ont enflammé des pneus dans des rues d’Oum Rawaba (État du Kordofan au Nord). Le 24 décembre, un groupement de médecins soudanais a appelé à la grève, assurant qu’ils n’interviendraient qu’en cas d’urgence ; le 31 décembre, l’Association des professionnels soudanais (APS) a appelé également la population à manifester en masse dans les rues (...).

Dans tout le pays, la répression a fait 22 morts et 1.100 arrestations selon l’opposition soudanaise incarnée par l’Association de professionnels (APS). Pour les autorités, il y a eu 8 morts et 816 arrestations. Le dictateur Oumar El Bechir arrivé au pouvoir par un coup d’État il y a 30 ans (en1989) cherche à couper la tête du mouvement. Mais cela n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Les manifestations et les grèves continuent.

Si pour le moment ces manifestations qui embrasent le pays n’ont pas encore suffi à « chasser » le dictateur Oumar El Béchir, il vit néanmoins avec la peur au ventre de tout perdre : son pouvoir et les prérogatives inhérentes à sa fonction.

Des travailleurs se sont mis en grève. Eux aussi en ont ras-le-bol de cette vie de plus en chère. Mais ce mouvement populaire est bien loin de leurs aspirations à un mieux-être.
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Message par Plestin » 18 Jan 2019, 11:25

Une vidéo du "Monde" sur la révolte au Soudan :

https://www.lemonde.fr/afrique/video/20 ... _3212.html
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Message par artza » 19 Jan 2019, 08:00

Amputé des trois-quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du sud en 2011
.

Depuis disons un siècle environ l'odeur du pétrole flotte sur bien des conflits locaux, tribaux, dynastiques, religieux, avec intervention indirecte ou non des impérialismes principaux. Ceci explique-t-il cela?
Ici il s'agissait du nord islamisé contre le sud convertit au christianisme. Un conflit atroce subit par les populations du sud.

Bien sur on peut toujours dire le droit des peuples etc... il a souvent bon dos le droit des peuples!
artza
 
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Re: Soudan : manifestations

Message par Plestin » 19 Jan 2019, 08:15

Je n'avais pas vu ce passage intéressant dans Wikipédia sur le dictateur Omar el Béchir :

Il applique en 2018 le plan d'austérité du Fonds monétaire international, transférant certains secteurs des importations au secteur privé. En conséquence, le prix du pain est doublé; celui de l’essence augmente de 30 %. L’inflation atteint les 40 %. Des mouvements étudiants et le Parti communiste soudanais organisent des manifestations pour contester la politique d'Omar el-Béchir. Celui-ci réagit en faisant arrêter le secrétaire général du Parti communiste et deux autres dirigeants du parti, et par la fermeture de six journaux9.

Le 10 août 2018, son parti annonce sa candidature à un troisième mandat, et annonce des démarches prochaines en vue d'une telle candidature, la constitution limitant le nombre de mandats à deux10.

Son régime est confronté depuis décembre 2018 au plus important mouvement de protestation de l'histoire récente du pays. Le soulèvement s’est formé dans les villes de l’extrême nord du pays, en particulier autour d'Atbara, agglomération ouvrière et berceau du syndicalisme soudanais. Les revendications, portant initialement sur les questions économiques (plus de 20 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté), évoluent devant la répression vers une lutte pour la démission d'Omar el-Béchir. Après trois semaines de manifestations, une quarantaine de personnes ont été tuées selon des sources médicales11 et 800 arrêtées selon les déclarations du ministre de l'Intérieur12.
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Message par Plestin » 20 Jan 2019, 09:52

Wikipédia a écrit :

"Atbara, agglomération ouvrière et berceau du syndicalisme soudanais..."


Cette ville est un important carrefour ferroviaire et les installations du chemin de fer y sont très développées, y compris la réparation et même la fabrication des trains. Elle a été surnommée "Railway City", la ville du chemin de fer, selon la version anglaise de Wikipédia. Il y a aussi d'autres industries, dont une cimenterie.

Ici, les infrastructures ferroviaires d'Atbara :

https://www.google.com/maps/place/Atbar ... 34.0084395

Ici, la cimenterie Berber Cement Factory à l'extérieur de la ville, au Nord d'Atbara :

https://www.google.com/maps/place/Atbar ... 34.0084395


A Grenoble, il y a eu hier une manifestation contre le régime à laquelle une centaine de Soudanais a participé :

https://www.lutte-ouvriere.org/en-regio ... 16445.html
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Re: Soudan : manifestations

Message par Plestin » 24 Jan 2019, 13:14

Un article de RFI Afrique fait le "portrait" du général Omar El-Bechir.

http://www.rfi.fr/afrique/20190122-port ... terrorisme

Il y a de tout dans cet article, mais on y voit que derrière les critiques des Etats-Unis sur le régime, il y a une toute autre réalité (Khartoum abrite une importante base de la CIA chargée d'infiltrer les "rebelles" de Somalie et de Libye, et les Etats-Unis ne veulent pas d'une déstabilisation dans l'arrière-cour de l'Egypte).

El-Bechir fait l'objet d'un mandat d'arrêt international depuis 2009 pour son rôle dans les massacres au Darfour, et ne peut pas voyager dans de nombreux pays par crainte d'être arrêté. Mais il est quand même allé en Chine, en Russie, en Egypte, en Afrique du Sud, au Qatar et... au Tchad, chose qui semble impossible sans l'aval de l'impérialisme français, ce qu'aucun grand média français ne prend la peine de relever...
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Message par Plestin » 21 Fév 2019, 05:52

Dans Le Monde Afrique du 19 février 2019 :


Au Soudan, grève dans le principal port du pays sur fond de crise économique et politique

La protestation fait suite à la concession supposée à une entreprise philippine du terminal à conteneurs de Port-Soudan.

Environ 1 400 travailleurs ont fait grève lundi 18 février dans le principal port du Soudan pour protester contre la concession supposée à une entreprise philippine du terminal à conteneurs, faisant craindre des suppressions d’emplois dans un pays déjà en crise économique, selon un syndicat. Ce mouvement de grève intervient alors que le pays est secoué depuis deux mois par des manifestations quasi quotidiennes contre la cherté de la vie, les pénuries et la politique du gouvernement.

Selon un délégué syndical, Osman Tahir, la grève vise à protester « contre la signature d’un accord entre le gouvernement et une compagnie philippine » pour l’exploitation du terminal à conteneurs de Port-Soudan, un des poumons de l’économie du pays. Un tel accord permettrait à l’Etat soudanais d’obtenir des liquidités dont il a cruellement besoin.

Les autorités soudanaises n’ont pas fait d’annonce officielle à ce sujet, mais la société philippine International Container Terminal Services avait, pour sa part, informé dès juillet 2018 le régulateur boursier philippin qu’un accord avait été trouvé. Le premier ministre soudanais, Motaz Moussa Abdallah, a visité lundi le terminal à conteneurs pour discuter de cette question avec les travailleurs. « Les salariés sont en colère. La grève a paralysé le terminal et plusieurs navires attendent d’être déchargés », a indiqué à l’AFP le responsable syndical.

Le Soudan est en proie à un vaste mouvement de contestation depuis le 19 décembre 2018, en raison de la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Les manifestants qui sont descendus dans les rues de plusieurs villes du pays, dont Port-Soudan, appellent dorénavant au départ du président Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis un coup d’Etat en 1989. Selon un bilan officiel, 31 personnes sont mortes depuis le début du mouvement. L’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) fait état de plus de 50 morts.



Et sur RFI du 20 février 2019 (en général les articles de presse se contentent de parler des "grandes puissances" et c'est rare qu'ils mentionnent la France dans la liste) :

Soudan: la contestation continue dans l'indifférence internationale

De nouvelles manifestations ont eu lieu ce 19 février contre le régime de Khartoum au Soudan. Cela fait maintenant plus de deux mois que les Soudanais descendent quasi quotidiennement dans la rue pour demander la démission du président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 30 ans. Plusieurs centaines de manifestants ont été interpellés depuis le début du mouvement.

Les organisations de défense des droits de l’homme condamnent le silence de la communauté internationale vis-à-vis des violations des droits de l'homme au Soudan. Pour Roland Marchal, chercheur au CNRS, il existe une certaine complaisance de la part des Etats-Unis et de l’Europe vis-à-vis du régime soudanais.

« Du point de vue de l’Europe, on a l’impression que le débat sur les contrôles des flux migratoires est l’essentiel et qu'Omar el-Béchir fait bien son travail de ce point de vue, estime-t-il. De la même façon, on est un peu étonnés de voir que dans un moment quand même très délicat, on sacrifie un peu la population une fois de plus. Tout cela parce qu’il y a aussi une alliance autour de la mer Rouge avec nos amis saoudiens et émiratis, l’Egypte, qui est un grand ami de la France en ce moment, et que finalement Béchir va bien dans cet univers-là ».

« Il faut espérer que les choses évoluent et surtout qu’on trouve une sortie par le haut à la crise politique aujourd’hui, mais d’abord économique aussi, poursuit Roland Marchal. Il ne faut pas oublier cette dimension-là qui frappe aujourd’hui le Soudan »
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Re: Soudan : manifestations

Message par Plestin » 21 Fév 2019, 06:15

Et aussi, il y a cet article très détaillé de Libération qui date du 4 février 2019 et s'appuie sur l'interview d'un chercheur de l'Université Paris VIII :

Interview

Au Soudan, «ce ne sont pas les plus pauvres qui sont dans la rue»

Par Célian Macé — 4 février 2019 à 19:16

Au pouvoir depuis 1989, Omar el-Béchir est confronté à des manifestations inédites. Depuis plus de deux mois, les classes moyennes et salariées bravent les tirs de la police pour protester contre un régime qui les oppresse et saigne l’économie.

Ils n’ont connu que lui. Deux tiers des Soudanais sont nés dans un pays ayant Omar el-Béchir pour Président. Seul chef d’Etat en exercice recherché par la Cour pénale internationale (CPI), qui a émis deux mandats d’arrêt internationaux et le poursuit pour «crimes contre l’humanité», «crimes de guerre» et «génocide» au Darfour, le maréchal fait face à un mouvement de contestation populaire sans précédent depuis son accession à la tête du pays, en 1989. Cela fait maintenant quarante-neuf jours que, partout à travers le territoire, des milliers de personnes bravent quasi quotidiennement ses forces de sécurité en descendant dans la rue.

Si l’étincelle a été économique, le feu est désormais politique. «Ta chute, c’est tout», chantent les manifestants. «Un changement de président ne peut se faire par WhatsApp ou Facebook», leur a répondu El-Béchir jeudi. Avant d’ajouter : «Nous allons concentrer nos efforts pour satisfaire le peuple, particulièrement les jeunes.» Dans un geste d’apaisement, la semaine dernière, le régime a promis la libération de toutes les personnes arrêtées depuis le début des protestations - au nombre de 1 000, selon les ONG. Le Président, en tournée dans les villages, a inauguré une nouvelle autoroute de 340 kilomètres dimanche et a fait miroiter la construction d’un hôpital, un réseau d’eau potable… Mais les marches continuent. «Le mouvement est inédit par son ampleur et sa géographie», pointe Clément Deshayes, chercheur à l’université Paris-VIII et membre du think tank Noria Research. Il revient sur les contours de cette révolte qui a déjà fait 30 morts, selon un bilan officiel, 51 selon Human Rights Watch (HRW).

Quel a été le déclencheur de la révolte ?

C’est un engrenage qui a débuté par le triplement du prix du pain. A cause des problèmes monétaires du Soudan, l’importation de blé est devenue très coûteuse. Le taux officiel de l’inflation est de 70 % mais, selon les économistes, il serait en réalité plus proche de 120 %. Le pays est aussi confronté à une sévère pénurie d’essence. Mais le problème le plus grave, au quotidien, est la crise de liquidités. Ce manque de cash met les familles en difficulté, surtout celles qui dépendent d’un salaire, car elles ne peuvent plus le retirer ou pas entièrement. Les magasins se vident, l’économie est à l’arrêt.

Qui sont les Soudanais qui manifestent ?

A la différence de 2013 [la répression de la révolte avait fait au moins 170 morts, ndlr], ce ne sont pas les plus pauvres, le lumpen, qui sont aujourd’hui dans la rue, mais les classes moyennes, les classes populaires salariées. Le mouvement est inédit par son ampleur et sa géographie. La date que les Soudanais identifient comme le début de la révolte, le 19 décembre, est le moment où la province se soulève : ce jour-là, des bureaux du NISS [les redoutés services de renseignement soudanais] ont été brûlés. La révolte a commencé de façon éruptive, populaire, non coordonnée. Aujourd’hui, les villes de province mènent des marches «tournantes». L’Association des professionnels soudanais (APS) a commencé à structurer le mouvement par ses appels. Le pic des manifestations a eu lieu dans le nord du pays, qui est normalement le pré carré du régime. Des villes comme Port-Soudan ou Atbara, bastions du Parti communiste soudanais et de la classe ouvrière, sont traditionnellement une caisse de résonance des mouvements sociaux. Mais des régions rurales et agricoles comme la Jezira, au sud de Khartoum, ou des petites villes du Kordofan du Nord se mobilisent aussi de manière inédite. Seules les régions en guerre (le Darfour, le Kordofan, le Nil Bleu) se sont montrées plus timides. Vu le niveau de répression auquel elles sont habituées, c’est compréhensible : une manifestation au Darfour, ça ne se conclut pas par un ou deux morts, mais par un village entier rasé…

Quelle forme prend la protestation ?

Le gros de la mobilisation a lieu quartier par quartier. A Khartoum, c’est dans les quartiers que les rassemblements ont commencé. Les jeunes bloquent les accès et manifestent à l’intérieur. Désormais, l’APS appelle à des mobilisations «centrales». Les protestataires partent des quartiers pour converger vers le centre-ville. La semaine dernière, l’APS avait prévu 17 points de ralliement simultanés à Khartoum. Mais les manifestants n’ont pas la possibilité d’occuper une place centrale, comme Tahrir au Caire. La police tire à balles réelles et les marches sont systématiquement dispersées.

Qu’est-ce que cette Association des professionnels soudanais ?

Elle n’existe que depuis quelques semaines. On ne lui connaît pas de leaders… hormis ceux désormais en prison. Ce sont visiblement des individus qui ont une certaine expérience de la contestation, de la clandestinité aussi. L’APS a créé une application pour communiquer les mots d’ordre, les parcours des manifs, etc. Elle n’est pas forcément en lien avec les comités de quartier sur le terrain, mais elle permet d’unifier le mouvement. Il est très difficile de mobiliser au Soudan. Les opposants risquent d’être arrêtés, torturés… L’APS n’a pas beaucoup de membres en tant que tels : le comité le plus important est sans doute celui des médecins. En général, ce sont des gens diplômés, des ingénieurs, des professeurs, etc. C’est assez différent des puissants syndicats du rail, des cimentiers, des ouvriers des années 60, qui avaient été les déclencheurs des révolutions de 1964 et de 1985. Les organisations de travailleurs ont été détruites ou phagocytées par les islamistes. Ces dernières années, pour contourner les interdictions, les activistes ont monté des associations, comme l’APS, ou des comités.

Quelles sont les revendications du mouvement ?

Il n’est pas limité à la sphère économique. Dès le 19 décembre, les slogans ont été ceux des printemps arabes : «Le peuple veut la chute du régime», «A bas le gouvernement des voleurs», «Révolution, dignité, pacifisme»… C’est bien le système (nizam) lui-même qui est visé, et non simplement le gouvernement. Il y a cette idée largement partagée dans la population que le Soudan était un pays riche, à la pointe de l’industrie pour le continent, qui a été appauvri par la mauvaise gouvernance. Dans les années 70 et 80, l’Etat était pourvoyeur de santé, d’éducation, d’infrastructures. Mais la libéralisation des années 90 et l’isolement croissant du régime ont cassé cette forme d’Etat-providence.

Comment a été menée la répression ?

Des gens intelligents sont aux manettes de l’appareil sécuritaire. D’après les exemples des pays arabes voisins, ils sont très conscients qu’un mouvement d’agitation généralisée dans une période de faiblesse du régime peut être dangereux. Ils ont commencé par couper les réseaux sociaux. Il y a eu vingt morts le premier jour, puis trois ou quatre à chaque nouvelle journée de manifestation. Le régime a pris peur quand il a vu, par endroits, l’armée pactiser avec la foule : les militaires ont depuis été retirés des points sensibles. A la radio de l’armée, des haut gradés ont affirmé qu’ils restaient loyaux au régime mais qu’ils ne tireraient pas sur la foule. Des officiers de police ont aussi rappelé que leur rôle était de protéger «tous les citoyens». C’est une nouveauté. Pour mater les manifestants, le pouvoir fait appel aux forces habituelles de maintien de l’ordre, aux agents du NISS et aux miliciens du parti. Ces derniers sont les plus dangereux, ils sont responsables de la plupart des morts. Les menaces ont été explicites : il y a «des brigades de l’ombre qui vous attendent», a prévenu le régime.

Omar el-Béchir est-il menacé ?

Le système peut perdurer sans lui. Le régime soudanais n’est pas construit autour de sa seule personne. El-Béchir est un point d’équilibre entre plusieurs tendances : l’armée, les islamistes, les renseignements… Certains cadres veulent s’en débarrasser car il est devenu un point de focalisation pour la communauté internationale, ce qui est mauvais pour la continuation du régime. Mais lui ne montre aucun signe de nervosité. Il se permet même de quitter ostensiblement le pays [il a récemment voyagé en Egypte et au Qatar] alors qu’en 1985, le coup d’Etat s’est produit au moment où le président était à l’extérieur.

Est-ce un coup dur pour les islamistes ?

Le Soudan est la seule expérience durable des Frères musulmans dans le monde arabe et c’est un échec complet. Aujourd’hui, une partie du régime estime que certaines pratiques vexatoires auxquelles tiennent les islamistes mettent en danger le régime pour rien. Par exemple, ils rasent la tête des gens dans la rue, ils font fermer les petits cafés de Khartoum… Ils ont érigé une partie de la jeunesse en ennemie. Dans un enregistrement qui circule sur les réseaux sociaux, Salah Gosh, l’ancien chef des services de renseignement, parle de laisser davantage de liberté aux jeunes. Certains envisagent carrément le retour des mariages de masse car ils pensent que la révolte est provoquée par la frustration sexuelle de la jeune génération. Mais la révolte n’est pas tournée contre les islamistes. Dans la rue, il y a aussi des conservateurs. Or le régime a besoin du soutien de cette base conservatrice, qui craint plus que tout l’Etat séculier.

Le gouvernement a-t-il amorcé une réponse politique ?

Sur le prix du pain, les autorités ont les mains liées. Elles n’ont pas les moyens de faire baisser le coût. Le gouvernement a promis de régler les problèmes de liquidités sous deux mois et a proposé une augmentation des salaires des fonctionnaires. Mais la hausse est ridicule par rapport à l’inflation. Au Soudan, la guerre mange toutes les finances publiques. Les dépenses de défense et de sécurité représentent 80 % du budget de l’Etat.

La levée des sanctions américaines, en octobre 2017, n’a pas aidé l’économie soudanaise ?

Au contraire. Le pays n’était pas prêt, l’inflation a doublé à partir de ce moment-là. Les gens ont immédiatement fait sortir leur argent du pays, et la fuite des capitaux a nourri cette inflation. Le Soudan n’est certes plus sous embargo mais il est toujours sur la liste des Etats terroristes : cet entre-deux est terrible. L’argent du Golfe permet de maintenir le pays sous perfusion, mais l’économie soudanaise est dans un état de mort clinique. Khartoum peut tenir avec l’aide extérieure, mais son problème de fond ne peut pas être réglé rapidement.

Quels sont les alliés du régime sur la scène internationale ?

Etrangement, beaucoup de monde le soutient. D’abord les pays du Golfe : le Qatar est un vieil ami de Khartoum, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis sont des parrains plus récents. Les Chinois, à qui les Soudanais doivent des milliards de dollars de pétrole, veillent à obtenir leur dû. Le voisin égyptien, Al-Sissi, engagé dans une restauration autoritaire, ne veut surtout pas d’un réveil du printemps. Les Russes protègent leurs mines et se sont récemment rapprochés de Khartoum - le NISS a été fondé sur le modèle du KGB, cela crée des liens. Même les Américains se sont accommodés du régime. Depuis le 11 septembre 2001, la CIA a noué un précieux partenariat antiterroriste avec les services soudanais alors que Khartoum a longtemps été le rendez-vous des jihadistes du monde entier. Les Européens eux-mêmes, obsédés par les migrants, ont signé un pacte scandaleux avec l’Etat soudanais (le «processus de Khartoum») pour restreindre l’émigration illégale. Ce régime honni est en réalité bien protégé.
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Re: Soudan : manifestations

Message par Plestin » 10 Mars 2019, 10:22

Dans RFI Afrique du 9 mars 2019 :

http://www.rfi.fr/afrique/20190309-soud ... nti-bechir

Soudan: les femmes en première ligne des manifestations anti-Béchir

Par RFI Publié le 09-03-2019 Modifié le 09-03-2019 à 13:21

Le président soudanais Omar el-Béchir a ordonné vendredi 8 mars la libération de toutes les femmes détenues pour avoir participé aux manifestations contre son régime. Une annonce faite lors de la journée internationale des droits des femmes. Cela fait maintenant près de trois mois que les Soudanais manifestent contre le gouvernement, des centaines de personnes ont été arrêtés.

Alors que les manifestations contre le pouvoir en place ne faiblissent pas au Soudan, le président Omar el-Béchir a décidé de faire un geste de bonne volonté lors de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars, en annonçant la libération de toutes celles arrêtées après avoir manifesté contre le régime.

Mais, pour Eiman, une jeune manifestante, cette annonce n’est que la poudre aux yeux. Selon elle, les femmes représentent désormais la moitié des Soudanais qui descendent dans la rue. « Ce gouvernement opprime les femmes et essaye de restreindre leurs droits, affirme-t-elle. Les femmes sont constamment harcelées, soit à cause des vêtements qu’elles portent, ou parce qu’elles sont dans la rue tard le soir, ou dans un café, ou dans un lieu public. Elles sont victimes de discrimination au travail. D’ailleurs le gouvernement cherche à les empêcher de travailler, pour qu’elles restent à la maison et soient des femmes aux foyers. Donc chacune d’entre nous a une raison différente pour vouloir aller manifester contre ce régime ».

« Mais aujourd’hui, nous sommes dans la rue pour revendiquer nos droits, poursuit la jeune femme. C’est une opportunité pour nous les femmes de nous faire entendre, de faire passer un message aux hommes, aux médias, et à la communauté internationale ».

Une volonté d’humilier les femmes

Eiman dénonce aussi l’hypocrisie de l’annonce du président soudanais alors que près de cinquante étudiantes ont été arrêtées jeudi 7 mars. Elle estime d’ailleurs que les forces de sécurité visent tout particulièrement les femmes.

« Les forces de sécurité ont commencé à arrêter des femmes dans la rue avant même que la manifestation ne commence. Certaines femmes d’ailleurs étaient juste des passantes, elles n’allaient pas manifester. Certaines ont même été arrêtées devant chez elles », témoigne-t-elle.

« Je pense qu’il y a une volonté d’humilier les femmes. Certaines étudiantes ont eu leur foulard qu’elles portent sur la tête arraché par les forces de l’ordre ; on a également coupé les cheveux de certaines qui étaient en détention. Tout ça c’est une façon d’humilier les femmes de ce pays, de leur faire peur et de dire aux hommes, on a violenté vos femmes».



Et dans "20 minutes" avec AFP, du 10 mars 2019 :

https://www.20minutes.fr/monde/2469043- ... agellation

Soudan: Neuf manifestantes condamnées à la flagellation

SOUDAN La contestation, déclenchée par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, est durement réprimée dans le pays

20 Minutes avec AFP

Publié le 10/03/19 à 03h32 — Mis à jour le 10/03/19 à 03h32

Neuf Soudanaises ont été condamnées samedi à un mois de prison et 20 coups de fouet pour avoir participé à une manifestation antigouvernementale non autorisée à Khartoum, a indiqué à l'AFP l'avocate de la défense.

Ces condamnations ont été prononcées par un tribunal d'exception de Khartoum au lendemain de l'ordre, donné aux services de renseignement par le président Omar el-Béchir, de libérer toutes les femmes détenues pour avoir participé depuis décembre aux protestations contre son régime.

Les autorités soudanaises ont créé ces tribunaux d'exception pour juger toute personne ayant violé l'état d'urgence après son instauration par le président, dans tout le pays et pour une durée d'un an, le 22 février. Ces mesures visent à mettre un terme à la contestation, déclenchée par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain et durement réprimée.


Plus de 15.000 femmes ont été condamnées à la flagellation en 2016

Les neuf femmes ont été conduites devant le tribunal d'exception de la capitale, après avoir été arrêtées jeudi pour avoir participé plus tôt dans la journée à une «manifestation interdite» dans le quartier de Burri, lieu de rassemblements réguliers depuis décembre.

Les neuf femmes condamnées «ont été emmenées à la prison pour femmes d'Omdourman», ville voisine de Khartoum, a affirmé à l'AFP l'avocate Enaam Atieg, ajoutant qu'elle fera appel du verdict dimanche. «Leurs avocats ayant fait pression sur le tribunal, celui-ci n'a pas encore fait appliquer les peines de flagellation», a indiqué l'Alliance démocratique des avocats dans un communiqué.

Des militants et ONG de défense des droits humains soutiennent que l'application de la charia (loi islamique) stigmatise les femmes au Soudan et affirment que plus de 15.000 femmes ont été condamnées à la flagellation en 2016, en application de lois controversées sur l'ordre public.
Plestin
 
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Re: Soudan : manifestations

Message par Plestin » 14 Mars 2019, 20:56

Dans Africanews du 14 mars 2019 :

Le Soudan doté d'un nouveau gouvernement

Le président soudanais Omar el-Béchir a dévoilé mercredi sa nouvelle équipe gouvernementale, annoncent des médias locaux.

L’annonce a été faite par le Premier ministre nouvellement nommé Mohamed Taher Eila, lors d’une conférence de presse mercredi à Khartoum.

D’après Mohamed Taher Eila, la nouvelle équipe comprend 21 ministres fédéraux et 18 ministres d‘État. Un gouvernement « de technocrates » destiné à « faire face à la crise économique » qui frappe le pays ces derniers temps.

Une crise aggravée par des manifestations en cours exigeant le départ du président el-Béchir au pouvoir depuis 1989. Lesquelles manifestations sont nées de l’augmentation du prix du pain par Khartoum.

Selon des ONG, des dizaines de Soudanais ont déjà trouvé la mort ou été arrêtés lors de leur répression par les forces de l’ordre soudanaises. Avec à la clé un état d’urgence dont la durée a été réduite de douze à six mois par le Parlement.



Et sur TV5Monde Info :

Soudan: nouvelle manifestation le jour de la prestation de serment du gouvernement

Une foule de manifestants s'est rassemblée jeudi dans la capitale soudanaise Khartoum, où le nouveau gouvernement a prêté serment avec pour tâche de s'atteler aux graves problèmes économiques du pays, à l'origine du mouvement de contestation.

Le Soudan est le théâtre depuis le 19 décembre de manifestations déclenchées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Celles-ci se sont rapidement transformées en mouvement réclamant la démission du président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 1989.

Après plusieurs semaines de répression, le président a décrété l'état d'urgence le 22 février pour tenter de mettre fin aux protestations qui représentent son plus grand défi en trois décennies de règne, selon des analystes.

Depuis l'entrée en vigueur de cette mesure, l'ampleur des manifestants s'est réduite.

Scandant leur cri de ralliement "Liberté, paix et justice", de nombreux manifestants sont sortis jeudi dans les rues de plusieurs quartiers de Khartoum et de la ville voisine d'Omdourman, selon des témoins.

Les forces de sécurité sont vite intervenues pour les disperser à l'aide de gaz lacrymogène.

"Combien de temps encore resterez-vous silencieux?", ont déclaré des manifestants à l'adresse d'habitants, selon des témoins.

Outre l'état d'urgence, qui renforce notamment les pouvoirs des forces de sécurité, le président a limogé le gouvernement aux niveaux fédéral et provincial, et a nommé un nouveau Premier ministre, Mohamed Taher Ela, qui a dévoilé mercredi la composition de son gouvernement.

Jeudi, M. Béchir a fait prêter serment aux membres de ce cabinet.

Il s'agit du troisième gouvernement à être formé en moins de deux ans, les deux derniers ayant été limogés pour avoir failli à résorber la grave crise économique.

M. Ela a indiqué mercredi que son gouvernement s'était donné pour objectif de s'attaquer à cette crise.

"Les problèmes économiques doivent être réglés immédiatement car ils ont un impact sur l'inflation et sur le cours des devises", a-t-il dit notamment.

Le pays est confronté à une inflation de près de 70% par an et à un grave déficit en devises étrangères, ainsi qu'à des hausses de prix et des pénuries d'aliments et de carburants.
Plestin
 
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