En effet, merci Sinoué !
Le "tableau d'ensemble" de cette vidéo me semble bien refléter les doutes que l'on peut avoir sur la méthode de Raoult. Mais malgré ma grande sympathie pour Thomas C. Durand alias Acermendax (celui qui parle) dont j'ai déjà dû poster une ou deux vidéos sur le forum, j'ai quelques doutes aussi sur sa vidéo et quelques remarques.
- Il précise bien au début que ses paroles ne seront pas les siennes, mais celles d'un
doctorant en médecine spécialiste de la question, donc un chercheur
débutant qui n'a pas encore obtenu le titre de docteur en médecine... Cela n'empêche pas que ça puisse être pertinent ou intéressant mais cela aura moins de poids que les paroles de quelqu'un qui a réussi son doctorat... (C'est encore plus vrai pour moi qui ne suis même pas doctorant, par exemple).
- C'est intéressant à
1:47 de faire référence aux propriétés immunomodulatrices de l'hydroxychloroquine, celles qui font que le médicament est efficace contre des maladies auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde. On peut effectivement se demander si, au-delà de l'activité antivirale, il n'y aurait pas une activité anti-inflammatoire utile dans la phase terminale, celle de la "tempête de cytokines" que j'avais déjà évoquée et qui peut survenir même quand le virus a disparu. Auquel cas même une administration tardive du médicament pourrait être une bonne chose. D'ailleurs, parmi les médicaments étudiés dans cette phase il y a précisément des traitements (chers et injectables) de la polyarthrite rhumatoïde. Toutefois,
un élément important ne milite pas en ce sens pour l'hydroxychloroquine et c'est pourquoi j'avais déjà écarté de la réflexion la "piste anti-inflammatoire" : dans les maladies auto-immunes,
l'hydroxychloroquine n'est efficace qu'au bout de plusieurs semaines voire mois de traitement. Un effet anti-inflammatoire bien trop tardif, je pense, pour pouvoir s'exercer dans les délais courts du traitement de la Covid19. De plus, on ne connaît pas la nature de ce mécanisme immunomodulateur et rien ne dit qu'il agisse par exemple sur l'interleukine 6, qui est la cytokine la plus incriminée dans la réaction inflammatoire terminale (mais qui n'est pas le seul "mécanisme" en cause dans la polyarthrite). Alors que les deux médicaments injectables étudiés sont des inhibiteurs directs de l'interleukine 6, étayant donc l'hypothèse d'une éventuelle efficacité.
- A
3:10, "
les effets immunitaires de l'hydroxychloroquine sont imprévisibles et on ne peut exclure qu'ils pourraient aggraver la maladie comme cela avait été le cas lorsqu'on avait essayé de s'en servir contre le chikungunya" : pour les mêmes raisons que précédemment, du coup, ce risque ne me semble pas vraisemblable. En effet, le chikungunya quand il ne guérit pas en 10 jours prend une
forme chronique qui peut s'étaler sur des mois, et c'est dans cette configuration chronique que l'hydroxychloroquine a été étudiée. Si les effets immunitaires de l'hydroxychloroquine se sont avérés délétères, c'est après un traitement prolongé qui n'existe pas dans le scénario Covid19.
- A
8:25 : "
sans randomisation, on ne peut donc exclure que d'autres facteurs que le traitement aient mené à une différence entre les deux groupes". (La randomisation, c'est une répartition aléatoire entre les deux groupes, suivie d'une vérification que les caractéristiques d'âge, de sexe etc. sont relativement homogènes entre les groupes). Auparavant, la vidéo donne l'exemple théorique d'un groupe qui serait plus jeune que l'autre alors que l'âge joue un rôle dans la maladie, ce qui fausserait les résultats.
D'abord, pour qu'il puisse y avoir randomisation il faut qu'il y ait deux groupes. Dans le premier essai de Raoult, il y en avait deux mais l'effectif était tellement petit qu'avec une répartition aléatoire on aurait eu de bonnes chances d'avoir deux groupes très hétérogènes... qu'il aurait fallu tenter de faire converger ensuite avec plus ou moins de facilité en changeant les patients de groupe. Le problème provient moins de l'absence de randomisation que du trop faible effectif de l'essai qui fait que ça en devient quasiment secondaire de savoir si c'est randomisé ou pas... Et c'est quand même une forme de hasard qui a permis de constituer les deux groupes : le groupe traité c'était les patients de l'Institut marseillais de Raoult, le groupe non traité c'était les patients d'autres endroits et ceux non éligibles à un traitement pour d'autres raisons... Avec des différences entre les groupes mais pas tant que ça ; une randomisation n'aurait pas forcément fait beaucoup mieux. En l'occurrence, il y avait bien une différence de profil entre les deux groupes, susceptible de biaiser les résultats, mais les patients
non traités étaient plutôt plus jeunes et plutôt moins gravement atteints et donc le risque était de fausser les résultats
en défaveur de l'hydroxychloroquine et non en sa faveur...
Dans le deuxième essai, il n'y avait plus qu'un groupe, donc rien à randomiser. Davantage de patients, mais tous traités par la double combinaison hydroxychloroquine + l'antibiotique azithromycine. Avoir un groupe témoin (
non traité) aurait été mieux, là c'est comme si Raoult considérait que, avec les nombreuses victimes du virus on savait de toute façon comment se serait comporté un groupe témoin. Cela ressemble effectivement plus à de la "médecine de terrain" qu'à de la "recherche".
8:37 : "
Choisir comme outcome principal (= critère ou événement principal retenu pour le résultat)
le fait que la PCR soit négative à un moment donné n'a pas d'intérêt". (La PCR c'est le test basé sur l'amplification de l'ARN viral qui permet de mesurer l'importance de la charge virale). C'est vrai qu'il aurait été utile de prendre comme critère, comme la vidéo le propose, une PCR négative plusieurs jours de suite plutôt que le jour J alors qu'il peut arriver qu'elle redevienne positive d'un jour à l'autre. L'essai aurait été plus robuste et ça n'aurait posé aucune difficulté en pratique.
9:37 : "...
les participants n'avaient pas la même charge virale de base en début d'étude". C'est effectivement un problème, qui m'avait totalement échappé
Et comme on ne connaît pas la charge virale de départ, on ne sait pas dans quel sens cela influence les résultats.
La critique sur le "seuil" de PCR (en-deça d'un certain seuil, l'étude considère que la contagiosité est moindre) plutôt qu'une valeur absolue ne me semble pas très fondée car quand la charge virale tombe à zéro c'est que la valeur absolue est zéro... Et pour les deux patients qui ont encore une charge virale inférieure à ct34 à la fin de l'essai, la valeur absolue est bien donnée.
10:26 : "
les auteurs de l'étude avaient initialement prévu que l'outcome primaire soit le pourcentage de PCR négatives à J1, J4, J7 et J14 et ils ont changé d'avis en cours d'étude sans aucune explication. Les résultats étaient-ils moins bons à J7 qu'à J6 ? On ne saura jamais. Cette pratique (...) est un énorme problème d'éthique de la recherche et de fiabilité des données".
Si c'est vrai, c'est effectivement un sacré problème dans l'étude... Mais j'ai beau relire les deux études, je ne vois ça nulle part, d'où ça sort ? Même chose plus loin sur le fait que 5 patients du groupe contrôle de la première étude n'auraient pas été testés... Quelles sont les sources du doctorant ???
12:34 : Le même commentaire est appliqué à l'exclusion du patient décédé dans le groupe traité. Et à tous les patients exclus des essais. Mais le critère principal étant la charge virale à J6, elle est impossible à calculer chez des gens qui sont décédés avant le 6ème jour ou ont choisi eux-mêmes de quitter l'essai clinique... Par contre, c'est vrai que pour les critères secondaires comme la mortalité ou l'état des patients, cela aurait dû être pris en compte quand même. En particulier, l'un des patients qui a abandonné l'a fait à cause des vomissements, or c'est un effet secondaire assez fréquent de l'hydroxychloroquine. Il aurait été utile de le maintenir inclus lorsqu'il s'agissait d'évaluer non pas la charge virale mais l'état général des patients en fin d'essai. Acermendax aurait préféré une "analyse en intention de traiter" incluant tous les patients, et je pense qu'il a raison.
pouchtaxi a écrit : Par ailleurs, je ne sais si D. Raoult a tort ou raison sur le plan thérapeutique mais il est un peu cuistre, non ?
Cela ne fait aucun doute et voici une autre vidéo de La Tronche en Biais pas tendre du tout qui sans le nommer décrit "l'ogre-mandarin" publiant plus d'articles scientifiques qu'un être humain ne saurait en produire.
https://www.youtube.com/watch?v=Y2vCkOskS7oBon, les données de la 3ème étude viennent de sortir... J'ai bien peur que l'on y retrouve les mêmes défauts.
C'est pas toujours marrant d'entendre les pro-Raoult et d'avoir envie de leur dire, stop, là, tout ce que vous faites n'est pas juste, puis d'entendre les anti-Raoult et d'avoir envie de leur dire la même chose...