a écrit :HAITI-CRISE
L'opposition refuse tout compromis!
ANALYSE
PORT-AU-PRINCE, 22 Décembre - Le Président Jean-Bertrand Aristide propose à l'opposition un compromis sur la base d'une formule de sortie de crise amorcée récemment par la Conférence des évêques catholiques haïtiens. Ladite formule recommande des changements à la tête de la police nationale et de l'appareil de sécurité et un certain partage au niveau de l'Exécutif, attendu que celui-ci disposera "légalement" d'un pouvoir absolu une fois que le parlement en exercice sera caduc en janvier prochain, en attendant que soient organisées de nouvelles législatives par un conseil électoral tout à fait indépendant.
Jusqu'ici toutes les voix de l'opposition qui se sont prononcées sont négatives.
La grande majorité répond que M. Aristide ne respecte jamais ses engagements.
Ceux-là qui parlent ainsi sont des anciens alliés du leader Lavalas. Evans Paul et Victor Benoît (ex-FNCD). Une fois élu en 1990 sous le label de ce parti, et avant même de prêter le serment constitutionnel, Jean-Bertrand Aristide rejetait le FNCD sous le prétexte qu'il n'a été pour lui qu'un "chapeau légal."
Même réaction de la part d'autres partis membres de la Convergence Démocratique, principalement l'OPL (Organisation du Peuple en Lutte, ci-devant Organisation Politique Lavalas) ...
Ces derniers ont mené une lutte acharnée pour le retour d'exil du Président Aristide après le coup d'état militaire de 1991.
Aux législatives de 1995, l'OPL remporte la majorité des sièges. Peu après, c'est le divorce avec le Président Aristide qui formait bientôt son propre parti, Fanmi Lavalas.
Il y a aussi l'accord qui a ouvert la voie aux législatives de mai 2000, que l'Espace de concertation, un regroupement où se retrouvaient des anciens cadres du FNCD de 1990, accepta de signer avec le Président René Préval (successeur et protégé d'Aristide) et que ces deux derniers sont accusés d'avoir également torpillé.
Voilà les charges produites par l'opposition pour justifier son refus de considérer l'offre de compromis de M. Aristide ...
D'après elle, tant de manoeuvres et volte face de la part de ce dernier ont un commun dénominateur: la constitution d'un pouvoir personnel. En un mot, la dictature.
D'où aussi une opposition qui a été qualifiée par un de ses propres membres comme reposant sur un seul facteur: la haine d'Aristide.
"Sansib pa jwe" ...
Cependant comme toujours en politique, les choses ne sont jamais aussi simples. Ainsi en 1990, qu'aurait valu le FNCD face à la violence macoute déchaînée d'un Docteur Roger Lafontant rentré au pays par surprise, n'était la candidature d'un petit prêtre "charismatique" nommé Jean-Bertrand Aristide?
Quant à l'OPL, on ne peut savoir qui a frappé le premier étant donné que une fois leur victoire assurée, ses parlementaires se retournaient contre le Président Aristide, après avoir fait campagne sur le nom de ce dernier ...
Toute propagande mise à part, les charges pourraient donc difficilement pencher toutes d'un seul côté de la balance.
Car il ne s'agit pas de sentimentalité mais de politique. Comme dit notre créole: "sansib pa jwe."
Dès lors l'on ne saurait laisser tout l'avenir d'un pays reposer sur la "haine" entre les acteurs politiques, sur des blessures personnelles.
Sinon pourquoi les médiateurs?
Et ici il ne s'agit ni plus ni moins que des plus puissants médiateurs possibles et imaginables. Nous parlons en premier lieu de l'administration américaine ...
Selon des radios locales généralement bien informées des affaires de l'Ambassade américaine, c'est au lendemain d'une visite au Palais National de l'Ambassadeur James B. Foley que le Président Aristide a lancé son appel au compromis "à l'opposition, au Groupe des 184 et aux milieux d'affaires" du pays.
L'opposition haïtienne, que l'on sache, est bien en cour dans les cercles Républicains de Washington, ces derniers détenant à la fois la Maison Blanche et la majorité au Congrès. L'occasion ne saurait donc être plus belle pour forcer le réfractaire président haïtien à consentir les meilleures garanties, toutes les concessions possibles et imaginables ...
Appelons un chat un chat ...
L'autre argument pour rejeter la proposition de M. Aristide est que le pouvoir de ce dernier ne tient même plus à un fil à cause des manifestations quotidiennes appelant à sa démission, et que son offre de compromis n'est que l'expression du désespoir ...
Ce n'est pas évident ...
Pour la bonne raison que le renversement ou non du régime actuel ne tient pas seulement de la volonté de l'opposition, ni des étudiants qui sont le fer de lance de l'escalade anti-gouvernementale actuelle ...
Pour appeler un chat un chat, la Maison Blanche ne peut se permettre à quelques semaines de l'ouverture de la campagne à la réélection du Président George W. Bush de laisser Haïti tomber dans le chaos, ni Haïti ni aucun autre pays de la région.
Or que nous propose le mouvement pour renverser M. Aristide? Rien que des belles phrases ...
Celui-ci dit qu'il peut "réconcilier la nation en 48 heures", donc se voyant déjà en nouveau général-président ...
Celui-là invite plus vaguement encore à confier le pouvoir à "un membre de la Cour de cassation"; nul doute que chacun doit déjà avoir son membre de la Cour de cassation au fond de sa poche ...
M. André Apaid Jr. ne parle plus de son "nouveau contrat social", ne nous offrant plus que le spectacle de son indignation ...
Qui pis est, chaque déclaration de l'opposition ne fait que refléter davantage son absence de cohésion ...
"Qui a perdu Haïti?" ...
A la question: André Apaid est-il le leader de la nouvelle plate-forme de l'opposition, Micha Gaillard répond que c'est un "collectif", il n'y a pas de leader ...
M. Apaid serait bien bête d'accepter un tel marché de dupes, étant le seul depuis toutes ces années à avoir pu soulever autant de gens et de secteurs contre le régime Lavalas. La Convergence Démocratique espère-t-elle coiffer les "184" par le haut, récupérer l'actuel mouvement "en parachute"? ...
Ou encore lorsque M. Gaillard dit: "nous sommes en train de négocier un compromis entre l'opposition et le Groupe des 184 et différents autres groupes tels les féministes, etc."
Or quid du Lavalas qui jusqu'à preuve du contraire constitue la plus grande masse de manoeuvre électorale du pays ...
Pense-t-on vraiment qu'un renversement d'Aristide signifierait la fin du mouvement Lavalas?
A moins de supprimer automatiquement le droit de vote de ces derniers et je ne vois que deux façons. Soit une nouvelle constitution éliminant le suffrage universel ...
Soit le massacre de tous les partisans Lavalas, à l'image du coup d'Etat de septembre 1991!!!
Et sur la même lancée, des milliers de réfugiés haïtiens débarquant le même jour sous les fenêtres des villas de Miami Beach.
Je vois difficilement les Etats-Unis accepter une telle éventualité, d'autant plus quand M. Bush essaie de mettre toutes les cordes à son arc pour la réélection: la capture de Saddam Hussein qui a fait monter sa cote en 48 heures de 6 points dans les sondages; la relance même encore toute timide de l'économie américaine ...
D'autre part, les Démocrates gardent aussi solidement leurs antennes en Haïti. On entend d'ici la fameuse accusation: "Qui a perdu Haïti?"
Lavalas peut faire implosion!...
Mais cela ne signifie pas que le régime Aristide soit pour autant à l'abri. Une hausse brutale des violations des droits humains, ou encore de la misère déjà atroce qui sévit dans la majorité de la population qui gémit en silence, peut alors rendre indispensable, qu'on le veuille ou non, ce qu'on appelle une "opération chirurgicale".
Ou tout simplement le pouvoir Lavalas peut faire implosion, éclater sous le poids de ses propres contradictions internes, comme par exemple les ministres actuellement en train de fiche le camp ...
Voilà donc tout ce qu'on peut lire entre les lignes de ce nouveau développement de l'actualité politique avec la proposition de compromis faite par M. Aristide (reprenant les termes d'une formule de sortie de crise récemment esquissée par l'assemblée des évêques catholiques haïtiens) et le refus catégorique que lui opposent la plupart des leaders de l'opposition. Même si c'est peut-être dans un premier temps ...
En effet il y a un autre aspect, c'est la peur que ces messieurs dames s'inspirent les uns les autres de paraître respectivement moins radical ou trop "chicken".
On se souvient qu'après une rencontre entre le Président Aristide et deux leaders de la Convergence, Evans Paul (K Plim) et Serge Gilles, ces deux derniers furent pris à partie par leurs collègues. Depuis lors, K Plim se fait un point d'honneur de paraître le plus "faucon" d'entre tous ...
La peur entre eux, et leur peur à tous d'Aristide ...
L'opposition dans une situation des plus confortables ...
En effet, quand malgré les meilleures garanties possibles et imaginables, y compris celles de Washington soi-même, les leaders de l'opposition se refusent à toute négociation, ce n'est pas seulement de haine qu'il s'agit mais aussi de peur ...
A moins que, oui, à bien y réfléchir, quel intérêt a l'opposition à rechercher un compromis avec M. Aristide ... Au contraire elle se trouve dans une situation des plus confortables, "win-win", gagnante des deux côtés.
D'abord, l'opposition aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était. De nos jours, le système des organisations non gouvernementales (ONG) lui permet de ne plus être réduite à bouffer la vache enragée, comme autrefois. On peut même y devenir millionnaire.
L'opposition haïtienne voudrait bien aller aux élections, mais avec une première assurance absolue: que Lavalas ne se retrouvera pas sur son chemin. Et pour commencer, la mise à l'écart définitive de Jean-Bertrand Aristide ...
Mais mieux encore, pourquoi s'embarrasser de la tâche quasiment impossible de gouverner Haïti aujourd'hui avec les problèmes absolument insurmontables que traverse le pays?
Par contre, en refusant toute négociation avec Aristide, on laisse celui-ci mijoter dans son jus, n'est-ce pas ce qu'il voulait: détenir tout le pouvoir, alors bon appétit!
D'un autre côté, on pousse l'international à s'impliquer chaque jour un peu plus dans les affaires haïtiennes, jusqu'à ce que de guerre lasse elle finisse par opérer une nouvelle intervention militaire ...
Dès lors, l'opposition n'a plus qu'à ramasser les morceaux, en espérant une remise en ordre au niveau de la sécurité, la disparition de toute résistance Lavalas, et quelques retombées économiques.
Haïti en Marche, 22 Décembre 2003