autour de "Que faire?"

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par piter » 01 Mars 2007, 15:35

désolé le texte est un peu long (quasi une petite brochure) mais il y pas mal de références intéressantes de différentes périodes de la pensée de Lénine (entre 1893 et 1906) en rapport (directe ou indirect) avec "Que faire?" et en particulier la question du développement de la conscience socialiste. j'y ai aussi ajouté mes commentaires.


Autour de « Que faire ? »
Sur la question de l’organisation et du développement de la conscience socialiste. Sélection de textes, références et commentaires.

Dans son premier texte politique, Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates, Lénine affirme que le rôle des socialistes est de développer la conscience politique du prolétariat, et, loin de prôner substitution de la direction du mouvement par les ouvriers eux-mêmes par les intellectuels socialistes, il affirme qu’il faille tendre à supprimer la nécessité même de dirigeant intellectuels spécialisés : « « Il ne saurait y avoir de dogmatisme là où le critère suprême et unique de la doctrine est dans sa correspondance avec le processus réel du développement économique et social ; il ne saurait y avoir de sectarisme quand il s’agit de contribuer à l’organisation du prolétariat, et que, par suite, le rôle des « intellectuels » consiste à rendre inutile l’existence de dirigeants spécialisés, intellectuels. » (Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates, OC, Tome I, p 323).
Il s’agit donc ici plutôt de substituer les ouvriers politisés aux intellectuels plutôt que l’inverse…

Dans Les tâches des Social-démocrates russes, un texte de 1897, Lénine affirme la tendance spontané de la classe ouvrière vers le socialisme, il affirme aussi l’idée que la direction politique du parti révolutionnaire ne doit pas entraver la spontanéité de la lutte, ne doit pas prétendre lui dicter la forme que doit prendre la lutte et qui s’élabore au cours du mouvement avec le développement de l’expérience et de la conscience qui lui est inhérent.
Le mouvement se donne lui-même sa forme et ses moyens, le parti apporte la direction, le but (si le parti est aussi produit du développement de la lutte, il est la cristallisation et la continuité du développement au-delà des différents moments de la lutte, il est en quelque sorte, au sein de chaque lutte, la mémoire et la cristallisation de l’expérience de chacune des luttes qui forme le mouvement dans son ensemble. C’est le mouvement lui même qui s’élabore, le parti est l’élaboration par le mouvement de la généralisation et de la continuité de son expérience. Cf le Manifeste du parti communiste). :
« L’éveil de la classe ouvrière russe, son aspiration spontanée vers le savoir, vers l’union, vers le socialisme, vers la lutte contre ses exploiteurs et ses oppresseurs, se manifestent chaque jour avec plus d’éclat et d’ampleur » (Les tâches des Social-démocrates russes , p 353, OC Tome 2).
Et :
« en dirigeant la lutte de classe du prolétariat, en développant l’esprit d’organisation et de discipline parmi les ouvriers, en les aidant à lutter pour leurs besoins économiques immédiats et à conquérir sur le capital une position après l’autre, en faisant l’éducation politique des ouvriers et en harcelant de façon méthodique et constante l’absolutisme, en dénonçant tous les argousins tsaristes qui font peser sur le prolétariat la lourde poigne du gouvernement policier, une telle organisation serait, tout à la fois, une organisation du parti ouvrier adaptée à nos conditions et un puissant parti révolutionnaire combattant l’absolutisme. Quant à disserter par avance sur le moyen qu’emploiera cette organisation pour porter un coup décisif à l’absolutisme : préférera elle, par exemple l’insurrection ou la grève politique de masse, ou encore un autre procédé d’attaque, -disserter par avance sur ce point et vouloir résoudre cette question tout de suite ne serait que vain doctrinarisme. Ce serait comme si des généraux organisaient un conseil de guerre avant de rassembler des troupes, de les mobiliser et de les faire marcher contre l’ennemi. Lorsque l’armée du prolétariat combattra avec fermeté, sous la direction d’une forte organisation sociale-démocrate, pour son émancipation économique et politique, elle indiquera elle-même aux généraux les procédés et les moyens d’action à employer. Alors, mais alors seulement, il pourra être question de porter le coup décisif à l’absolutisme ; car cela dépend précisément de l’état du mouvement ouvrier, de son ampleur, des modalités de lutte élaborées par le mouvement, des particularités de l’organisation révolutionnaire qui dirige le mouvement,… » (Les tâches des Social-démocrates russes, p 349, OC Tome 2).

Dans le même texte (et donc pour Lénine ces différents éléments ne sont pas contradictoire et sont susceptible d’aller ensemble) Lénine affirme déjà l’idée de la nécessité de la centralisation pour la lutte révolutionnaire dans les conditions de la clandestinité, mais que ceux qu’il appellera plus tard les « révolutionnaires professionnels » ne sont pas toute l’organisation mais seulement le « noyau » qui en coordonne l’activité et permet son fonctionnement clandestin : « La lutte contre le gouvernement est impossible sans un renforcement et un développement de la discipline, de l’organisation et de l’action clandestine révolutionnaires. Or, l’action clandestine exige avant tout que les cercles et les individus se spécialisent dans tel ou tel travail et que la coordination soit assurée par le noyau central de l’union de lutte », lequel doit comprendre un nombre infime de membres » (Les tâches des Social-démocrates russes, p 356, OC Tome 2).



Pour la période juste antérieure à Que faire ?, on a dans Notre tâche immédiate dans le tome 4 des Œuvres complètes de Lénine (quatrième édition française) p 221-222 : « Lorsque les ouvriers d’une fabrique, ou d’une profession, affrontent leur ou leurs patrons, est-ce là la lutte de classe ? Non, ce n’en est encore qu’un faible embryon. La lutte des ouvriers ne devient lutte de classe que lorsque tous les représentants d’avant-garde de l’ensemble de la classe ouvrière de tous le pays ont conscience de former une seule classe ouvrière et commencent à agir non pas contre tel ou tel patron, mais contre la classe des capitalistes tout entière et contre le gouvernement qui la soutient. C’est seulement lorsque chaque ouvrier a conscience d’être membre de la classe ouvrière dans son ensemble, lorsqu’il considère qu’en luttant quotidiennement, pour des revendications partielles, contre tels patrons et tels fonctionnaires, il se bat contre toute la bourgeoisie et tout le gouvernement, c’est alors seulement que son action devient une lutte de classe. « Toute lutte de classe est une lutte politique ». On aurait tort de comprendre ces paroles célèbres de Marx en ce sens que toute action des ouvriers contre les patrons est toujours une lutte politique. Il faut les comprendre ainsi : la lutte des ouvriers contre les capitalistes devient nécessairement une action politique dans la mesure où elle devient une lutte de classe. La social-démocratie se propose précisément, en organisant les ouvriers, de transformer par la propagande et l’agitation, leur lutte spontanée contre les oppresseurs en une lutte de toute la classe, en la lutte d’un parti politique déterminé pour des idéals politiques et socialistes déterminés. Pareille tâche ne saurait être réalisée par le travail local à lui seul. […] ce qu’il nous faut, à l’heure actuelle, c’est de concentrer toutes ces activités locales dans l’action d’un seul parti. Notre principal défaut, dont l’élimination requiert tous nos efforts, c’est le caractère étroit, « artisanal », de l’activité locale. Du fait de ce caractère artisanal, une foule de manifestations du mouvement ouvrier en Russie restent des événements purement locaux et perdent beaucoup de leur valeur d’exemple pour l’ensemble de la social-démocratie russe, de leur importance en tant qu’étape de tout le mouvement ouvrier russe. Du fait de ce caractère artisanal, les ouvriers ne prennent pas suffisamment conscience de la communauté de leurs intérêts dans toute la Russie et ne rattachent pas assez leur lutte à l’idée du socialisme russe et de la démocratie russe. » ( OC Tome 4, p 221-222).
Selon la conception de Lénine le développement de la lutte de classe s’inscrit donc dans un processus par lequel avec le dépassement de luttes économiques locales en lutte d’ensemble devenant lutte politique, dans un premier temps une avant-garde ouvrière accéderait à la conscience et à l’action de classe, suivie de l’ensemble de la classe. Un tel processus est aussi passage du mouvement ouvrier spontané à la formation d’un parti ouvrier et socialiste dirigeant la lutte de la classe en tant que telle, un tel parti apparaissant à la fois comme expression et comme acteur du développement de la conscience et des luttes (économiques et politiques) de la classe révolutionnaire.

Dans le même texte : « « La social-démocratie russe a beaucoup fait pour la critique des vieilles théories révolutionnaires et socialistes ; elle ne s’en est pas tenue à la seule critique et à la théorie pure ; elle a démontré que son programme n’était pas suspendu dans le vide, mais qu’il allait au-devant du vaste mouvement spontané des milieux populaires, et notamment du prolétariat industriel. Il lui reste maintenant à accomplir le pas suivant, particulièrement difficile, mais en revanche particulièrement important : mettre sur pied une organisation de ce mouvement qui soit adaptée à nos conditions. La social démocratie n’est pas simplement au service du mouvement ouvrier : elle est « la fusion du socialisme et du mouvement ouvrier » (pour employer la définition de K.Kautsky qui reprend les idées fondamentales du Manifeste communiste) ; sa tâche est d’introduire dans le mouvement ouvrier spontané des idéals socialistes bien définis, de le lier aux convictions socialistes qui doivent être au niveau de la science moderne, de le lier à une lutte politique systématique pour la démocratie en tant que moyen de réaliser le socialisme ; en un mot de faire fusionner en un tout indissoluble ce mouvement spontané avec l’activité du parti révolutionnaire. L’histoire du socialisme et de la démocratie en Europe occidentale, l’histoire du mouvement révolutionnaire russe, l’expérience de notre mouvement ouvrier, telle est la matière que nous devons nous assimiler afin d’élaborer l’organisation et la tactique rationnelle de notre Parti. Toutefois, cette matière doit être « élaborée » par nos propres moyens, car nous ne disposons pas de modèles tout faits : d’une part, le mouvement ouvrier russe est placé dans des conditions tout autres que le mouvement d’Europe occidentale. Il serait très dangereux de se faire une illusion quelconque à ce sujet. D’autre part la social-démocratie russe se distingue foncièrement des anciens partis révolutionnaires de Russie, si bien que la nécessité de s’instruire auprès des vieux coryphée russes en matière d’activité révolutionnaire et clandestine (nous reconnaissons sans aucune hésitation cette nécessité) ne nous dispense nullement de l’obligation de les considérer avec un esprit critique et de créer par nous-mêmes notre organisation. » (In Notre tâche immédiate, p 223-224).
La social-démocratie doit donc selon une telle conception combiner le mouvement ouvrier spontané et les « idéaux » socialistes s’appuyant sur la science moderne, son programme s’établit donc à partir d’une double source : d’une part par la critique théorique des théories révolutionnaires, et d’autre part par l’assimilation de l’expérience des luttes du mouvement ouvrier.
Le programme, selon Lénine, d’une part exprime un mouvement spontané, et d’autre part doit être scientifique, exprime les luttes présentes et anticipe la voie future, il « va au devant du vaste mouvement spontané des milieux populaires… ».

Et aussi, toujours dans Notre tâche immédiate : « « Deux questions essentielles se posent à ce propos avec une force particulière : 1) comment concilier la nécessité d’une entière liberté de l’action social-démocrate locale avec celle de former un parti unifié et, par conséquent, centralisé ? La social-démocratie puise toute sa force dans le mouvement ouvrier spontané, qui ne se manifeste ni de la même manière, ni simultanément dans les différents centres industriels ; l’activité des organisations social-démocrates locales est le fondement de toute l’activité du parti. Mais s’il s’agit de l’action d’ « artisans » isolés, on ne pourra même pas, strictement parlant, l’appeler social-démocrate, car elle n’organisera ni ne dirigera la lutte de classe du prolétariat. 2) comment concilier l’aspiration de la social-démocratie à devenir un parti révolutionnaire s’assignant comme objectif majeur la lutte pour la liberté politique avec le fait qu’elle se refuse catégoriquement à organiser des complots politiques, à « appeler les ouvriers sur les barricades » (d’après la juste expression de P.Axelrod), ou plus généralement à imposer aux ouvriers tel ou tel « plan » d’attaque contre le gouvernement, imaginé par quelque groupe de révolutionnaires ?
La social-démocratie russe est pleinement en droit d’affirmer qu’elle a donné une solution théorique à ces questions ; s’arrêter là-dessus serait répéter ce qui a déjà été dit dans l’article intitulé « Notre programme » [aussi dans le tome 4 des OC de Lénine]. Il s’agit maintenant de leur solution pratique. » (p 224).

Concernant la lutte contre l’ « économisme » qui sera aussi le thème principal de Que faire ? Lénine écrit dans Les objectifs immédiats de notre mouvement (OC tome 4): « La social-démocratie est la fusion du mouvement ouvrier et du socialisme ; son rôle n’est pas de servir passivement le mouvement ouvrier à chacun de ses stades, mais de représenter les intérêts de l’ensemble du mouvement, de lui indiquer son but final et ses objectifs politiques, de sauvegarder son indépendance politique et idéologique. Coupé de la social-démocratie, le mouvement ouvrier dégénère et s’embourgeoise inévitablement : en se cantonnant dans la lutte économique, la classe ouvrière perd son indépendance politique, se traîne à la remorque d’autres partis, trahit la grande devise : L’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Tous les pays ont connu une période ou le mouvement ouvrier et le socialisme vivaient séparés l’un de l’autre et suivaient chacun son chemin, et dans tous les pays cette séparation a causé la faiblesse du socialisme et du mouvement ouvrier ; dans tous les pays seule la fusion du socialisme et du mouvement ouvrier a assigné une base solide à l’un et à l’autre. Mais dans chaque pays cette fusion a été un produit de l’histoire, s’est opérée par des voies originales, selon les circonstances de temps et de lieu. En Russie, sa nécessité a été proclamée en théorie, il y a déjà bien longtemps, mais pratiquement elle ne s’élabore qu’actuellement. C’est un processus très difficile, et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il s’accompagne de toutes sortes d’hésitations et de doutes. » (p 383).
Lénine ajoute plus loin : « Sans cette organisation, le prolétariat est incapable de s’élever à une lutte de classe consciente ; sans cette organisation, le mouvement ouvrier est condamné à l’impuissance, et, avec simplement des caisses, des cercles et des sociétés de secours mutuel, la classe ouvrière ne remplira jamais la grande mission historique qui lui incombe et qui est de s’affranchir elle-même et d’affranchir tout le peuple russe de son esclavage politique et économique. Aucune classe dans l’histoire n’est parvenue à la domination sans avoir trouvé dans son sein des chefs politiques, des représentants d’avant-garde capables d’organiser le mouvement et de le diriger. Et la classe ouvrière russe s’est déjà montrée capable de promouvoir de tels hommes : l’ampleur que sa lutte a prise durant ces cinq ou six dernière années a montré combien elle recèle de forces révolutionnaires, combien la répression gouvernementale la plus acharnée, loin de le diminuer, augmente le nombre des ouvriers qui aspirent au socialisme, à la conscience politique et à la lutte politique. » (idem, p384-385).

Si, pour Lénine, la classe ouvrière russe a exprimé une aspiration au socialisme et une maturité politique suffisante pour l’organisation d’un parti social-démocrate qui mènerait la lutte politique, ce n’est pas parce que l’ouvrier russe « moyen » a ce niveau de maturité mais plutôt de par la capacité du prolétariat russe à former et mettre en avant une avant-garde politiquement consciente et combative, capacité qui s’exprime en particulier dans la formation du parti social-démocrate.
Les révolutionnaires russes doivent selon Lénine, non pas représenter les aspirations du représentant « moyen » du prolétariat russe, mais plutôt s’efforcer, par l’organisation et la propagande, de contribuer à ce que ses éléments d’avant-garde soient en mesure d’entraîner derrière eux l’ensemble de leur classe dans une lutte politique pour la démocratie et l’émancipation prolétarienne et socialiste, dans une lutte de classe pour la réalisation des objectifs historiques du prolétariat. Un tel rapport entre l’avant-garde et l’ensemble de la classe résultant, d’une part de l’hétérogénéité du développement de la conscience politique, et, d’autre part de la communauté de situation et d’intérêts sociaux entre tous les membres de la classe.

Lénine présente ainsi ce que l’on peut peut-être appeler la « structure politique » du prolétariat : « L’histoire du mouvement ouvrier de tous les pays montre que les couches ouvrières les plus cultivées s’assimilent le plus rapidement et le plus facilement les idées du socialisme. C’est là surtout que se recrutent les ouvriers d’avant-garde portés au premier plan par tout mouvement ouvrier ; ils savent gagner l’entière confiance des masses ouvrières, se consacrent sans réserve à l’éducation et à l’organisation du prolétariat, adhèrent au socialisme à bon escient ; ils en ont été jusqu’à élaborer eux-mêmes des théories socialistes. Tout mouvement ouvrier viable a formé de tels chefs ouvriers, a eu ses Proudhon et ses Waillant, ses Weitling et ses Bebel. Et notre mouvement ouvrier russe promet de ne pas se laisser distancer, à cet égard, par le mouvement ouvrier européen. Tandis que la société cultivée perd tout intérêt pour la littérature honnête illégale, on voit croître parmi les ouvriers une soif ardente de connaître, un élan vers le socialisme ; il apparaît dans leurs rangs de véritables héros qui, malgré d’affreuses conditions d’existence et un travail de forçat abrutissant à la fabrique, trouvent en eux-mêmes assez de caractère et de force de volonté pour apprendre, apprendre et apprendre encore, et faire leur éducation de social-démocrate conscient, d’ « intellectuels ouvriers ». Ces « intellectuels ouvriers » existent déjà en Russie, et nous devons tout faire pour élargir sans cesse leurs rangs, pour que leurs besoins intellectuels élevés soient entièrement satisfaits, pour que de leur milieu sortent des dirigeants du Parti ouvrier social-démocrate russe. […] Après la couche peu nombreuse des ouvriers avancés vient une large couche d’ouvriers moyens. Ces ouvriers aussi aspirent ardemment au socialisme, prennent part aux cercles ouvriers, lisent les journaux et les livres socialistes, participent au travail d’agitation ; le seul trait qui les distinguent de la couche précédente est qu’ils ne peuvent pas devenir de leur propre chef des dirigeant pleinement qualifiés du mouvement ouvrier social-démocrate. Dans un journal qui serait l’organe du parti, il y aura des articles que l’ouvrier moyen ne comprendra pas, ou des questions théoriques et pratiques complexes qu’il ne saisira pas complètement. Il ne s’ensuit nullement que le journal doive s’abaisser jusqu’au niveau de la masse de ses lecteurs. Au contraire, il se doit précisément d’élever leur niveau et de contribuer à former dans la couche des ouvriers moyens, des ouvriers d’avant-garde. Absorbés par l’activité pratique locale, s’intéressant par-dessus tout à la chronique du mouvement ouvrier et aux questions immédiates relevant de l’agitation, ces ouvriers doivent rattacher à chacun de leurs actes l’idée de l’ensemble du mouvement ouvrier russe, de sa mission historique, du but final du socialisme, et c’est pourquoi le journal dont les ouvriers moyens forment le gros des lecteurs doit absolument rattacher à chaque question locale et étroite le socialisme et la lutte politique.
Enfin, après la couche moyenne, vient la masse des couches inférieures du prolétariat… » (In Un mouvement rétrograde dans la SD russe, p 288-289, OC Tome 4).

Lénine répond ainsi aux objections concernant l’immaturité politique d’une partie de la classe ouvrière et le caractère minoritaire de son avant-garde : « On nous rétorquera peut être aussi que les masses ouvrières ne sont pas encore aptes à comprendre l’idée de la lutte politique, qui ne serai accessible qu’à certains ouvriers plus évolués. A cette objection, que nous entendons si fréquemment énoncer par des « jeunes » [les membres du courant « économistes » était aussi appelés ainsi] social-démocrates russes, nous répondrons que d’abord la social-démocratie a toujours et partout représenté et ne peut représenter que les ouvriers conscients, et non ceux dont la conscience n’est pas éveillée, qu’il ne peut rien y avoir de plus dangereux et de plus criminel que de spéculer démagogiquement sur le manque de maturité des ouvriers. Si nous prenons comme critère de l’activité à exercer ce qui est, dès à présent, le plus directement accessible à la grande masse, il nous faudra prêcher l’antisémitisme (…) La tâche de la social-démocratie est de développer la conscience politique des masses, et non de se traîner à la remorque d’une masse politiquement asservie ; en second lieu, et c’est là l’essentiel, il est faux de dire que les masses ne comprendront pas l’idée de la lutte politique. L’ouvrier le plus fruste le comprendra, à condition, bien entendu, que l’agitateur ou le propagandiste sache l’aborder de façon à lui communiquer cette idée, à la lui présenter dans un langage intelligible et en s’appuyant sur des faits de la vie quotidienne familiers à son interlocuteur. Mais il faut bien se dire que cette condition est indispensable également pour rendre intelligible la lutte économique : dans ce domaine aussi l’ouvrier non averti, appartenant aux couches inférieures et moyennes de la masse, n’est pas en mesure de s’assimiler l’idée générale de la lutte économique ; cette idée est assimilée par un petit nombre d’ouvriers cultivés à qui la masse emboîte le pas, en se laissant guider par son instinct et son intérêt le plus proche, le plus immédiat. » (In A propos d’une profession de foi, p 299-300, OC tome 4).
L’activité politique mais aussi économique de la SD se baserait ainsi, non pas sur la maturité politique générale de tous les ouvriers, mais sur la possibilité, en s’appuyant sur les ouvriers les plus conscients d’élever par l’agitation, la propagande, et par leur exemple les ouvriers moins averti dans la lutte. Ce qui permet cette influence des ouvriers avancés c’est la situation commune en tant que membre d’une même classe, de l’ensemble des ouvriers, qui leur permet de contribuer au développement de la conscience de leur classe en s’appuyant sur l’expérience de la vie quotidienne de l’ensemble des ouvriers et sur un certaine conscience, un certain « instinct » (en quelque sorte le degré le plus diffus de la conscience de classe né d’une expérience quotidienne faiblement généralisée) et sens de l’intérêt de classe commun à l’ensemble de la classe.

Lénine explique que c’est seulement par l’activité politique que les ouvriers peuvent s’éduquer politiquement : « En effet, comment peut on parler de l’ « éducation politique » des ouvriers si l’on écarte la possibilité de mener l’agitation politique et la lutte politique ? Est il encore besoin de démontrer à des social-démocrates qu’il ne peut y avoir aucune éducation politique en marge de la lutte politique et de l’action politique ? Peut on vraiment s’imaginer que des études quelconques ou des livres, etc., puissent éduquer politiquement les masses ouvrières en dehors de l’activité politique et de la lutte politique ? Se peut il vraiment que la social-démocratie russe doive en revenir au point de vue des partisans du servage, selon qui il fallait d’abord éduquer les paysans et ne les affranchir qu’ensuite, ou au point de vue de nos écrivassiers, adulateurs du gouvernement, selon qui il faut d’abord éduquer le peuple et ne lui accorder qu’ensuite des droits politiques ? » (A propos d’une profession de foi, p 296, OC Tome 4).

Dans Entretien avec les défenseurs de l’économisme, texte qu’il présentera comme traçant le canevas de Que faire ?, Lénine explicite la manière dont s’inscrit pour lui les tâches d’organisations de la SD dans le mouvement spontané des masses, il précise sa conception de la relation entre l’élément spontané et l’élément conscient et organisé du mouvement ouvrier.
Il écrit ainsi : « Ils ne comprennent pas qu’un « idéologue » n’est digne de ce nom que s’il marche en avant du mouvement spontané, auquel il indique le chemin, s’il sait avant les autres résoudre toutes les questions de théorie, de politique, de tactique et d’organisation auxquelles se heurtent fatalement les « éléments matériels » du mouvement. Pour réellement « tenir compte des éléments matériels du mouvement », il faut les aborder dans un sens critique, il faut savoir signaler les dangers et les défauts du mouvement spontané, il faut savoir élever la spontanéité à la conscience. Mais affirmer que les idéologues (c'est-à-dire les dirigeants conscients) ne peuvent détourner le mouvement de la voie déterminée par l’interaction du milieu et des éléments, c’est oublier cette vérité première que la conscience participe à cette interaction et à cette détermination. Les syndicats ouvriers catholiques et monarchistes d’Europe sont aussi le résultat inévitable de l’interaction du milieu et des éléments, mais c’est la conscience des popes et des Zoubatov qui y participe, et non pas celle des socialistes. Les vues théoriques des auteurs de la lettre (comme celles du Rabotchéié Dielo) ne sont pas du marxisme, c’est la parodie de marxisme qu’affichent tellement nos « critiques » et nos bernsteiniens, incapables de trouver le joint entre l’évolution spontanée et l’activité révolutionnaire consciente. » (Entretien avec les défenseurs de l’économisme, OC Tome 5, p 321).

Lénine répond ici à des critiques l’accusant de considérer l’organisation de façon artificielle, de ne pas tenir compte du mouvement spontané, des « racines profondes du mouvement ».
Lénine répond que ce qui est artificiel c’est d’opposer le conscient au spontané, qu’il n’y a développement de la lutte de classe que parce que le spontané s’élève au conscient (le mouvement spontané est inévitablement amené à se confronter à des problèmes théoriques), que le spontané et le conscient ne peuvent être compris qu’inscrit dans le processus du mouvement des masses tendant « spontanément » à s’élever à la conscience, cette tendance s’exprimant en particulier par la formation d’une avant-garde.
S’il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans classe révolutionnaire, la classe ne devient réellement révolutionnaire par sa pratique que dans la mesure ou elle s’élève à la conscience révolutionnaire. Si l’élément conscient doit être saisi comme inscrit dans l’interaction, du milieu, des conditions matérielles qui sont les « racines profondes » du mouvement, le mouvement révolutionnaire ne peut exister que parce que l’action consciente est l’un de ces « éléments » de ce milieu dont il est le produit.
Ainsi selon Lénine le révolutionnaire doit tenir compte de ce fait que la conscience participe à l’interaction et à la détermination dont le mouvement révolutionnaire est le produit et que c’est à partir de cela que le révolutionnaire peut s’inscrire dans le mouvement spontané et l’élever à la conscience, non pas de l’extérieur du mouvement, mais au contraire parce qu’il en est l’un des éléments déterminant.
Cette idée est au cœur de sa compréhension de la nature du mouvement ouvrier et de son développement en mouvement révolutionnaire.
Ne pas tenir compte de cela est pour Lénine une caricature de marxisme, un matérialisme « économiste » qui n’est matérialiste, non pas en cela qu’il part de la lutte des classes et de son développement, mais en ce qu’il réduit l’évolution sociale au seuls « éléments matériels ».
Pour Lénine un tel matérialisme, d’une part n’est pas marxiste, mais qui plus est n’est pas capable de comprendre le « joint entre l’évolution spontanée et l’activité révolutionnaire consciente » et ne peut donc comprendre ce par quoi le mouvement ouvrier devient mouvement révolutionnaire et réduit donc celui-ci à la seule lutte économique, au mouvement « trade-unioniste ».

Lénine justifie l’importance de l’action politique consciente, non pas parce que la spontanéité du mouvement serait secondaire, mais au contraire parce que la spontanéité tendant à « gagner de vitesse » l’élément conscient et organisé, il faudrait d’autant plus pour les révolutionnaires s’efforcer de développer l’action politique consciente et organisée.
Il apparaît donc que c’est l’importance du mouvement spontané qui justifie pour Lénine la nécessité de renforcer l’organisation et la conscience du mouvement : « …la poussée spontanée des masses ouvrières et aussi (grâce à leur influence) des autres couches sociales s’effectue ces dernières années avec une étonnante rapidité. Les « éléments matériels » du mouvement » ont grandi démesurément, même en comparaison de 1898, mais les guides éclairés (les social-démocrates) se laissent gagner de vitesse. C’est la cause essentielle de la crise que traverse la social-démocratie russe. Le mouvement (spontané) des masses manque d’ « idéologues » assez bien préparés théoriquement pour être à l’abri de tout flottement, il manque de guides possédant un horizon politique assez large, assez d’énergie révolutionnaire et de talent d’organisation, pour fonder à partir du mouvement nouveau un parti politique de combat » (Entretien avec les défenseurs de l’économisme, OC Tome 5, p 321-322).


Passons maintenant à Que faire ? (OC Tome 5, mais je donne ici les références par rapport à l’édition en brochure séparée des Editions sociales de 1979).
On a avec Que faire ? un texte devenu controversé peut être plus nous semble-il a cause de ce que beaucoup ont voulu y trouver, que de par ce qui s’y trouve, ce qui est peut être paradoxal avec Que faire ? c’est que ce texte polémique soit devenus en quelque sorte le champs de bataille privilégié de commentateurs y voyant le texte classique de l’opposition entre une conception du mouvement ouvrier centré autour d’une spontanéité créatrice et révolutionnaire des luttes du prolétariat et une conception du mouvement ouvrier y opposant l’œuvre d’une avant-garde éclairée apportant de par sa connaissance d’un socialisme scientifique une conscience sans laquelle le mouvement ouvrier ne serait pas révolutionnaire.
On présente souvent Que faire ? comme le texte classique de la lutte contre la spontanéité, de la théorie de la substitution de la spontanéité par l’action d’une « avant-garde » organisée en parti.
Cela alors que le propos de Lénine dans ce texte est justement de réfuter comme artificielle et « non marxiste » toute opposition entre spontanéité et conscience politique du prolétariat, à partir d’une conception du développement de la lutte de classe prolétarienne s’élevant « spontanément » et consciemment à la lutte politique et révolutionnaire, aussi bien par l’expérience pratique du quotidien de la lutte économique amenant à la lutte politique, que par l’élaboration de la théorie révolutionnaire d’émancipation qui est aussi bien un facteur qu’un produit d’un tel mouvement. Selon Lénine c’est justement, non pas par l’opposition, mais par la liaison de la poussée spontané du prolétariat et de son organisation politique, par la liaison entre l’expérience concrète des luttes et leur généralisation théorique que le mouvement ouvrier devient mouvement révolutionnaire.
Présenter Que faire ? comme le fondement d’une théorie de la substitution de la lutte spontané par l’action discipliné orchestrée par une avant-garde centralisée (comme le fondement des conceptions organisationnelles du « marxisme-léninisme ») nous semble donc incorrect, Lénine y défendant plutôt la nécessité, non pas d’opposer le parti à la spontanéité, le politique à l’économique, mais de contribuer au développement de la conscience, de la lutte et de l’organisation de la classe, en élevant son activité spontané à la conscience et à l’organisation, en élevant la lutte économique à la lutte politique, à la lutte de classe révolutionnaire. Le développement de l’organisation permettant, non pas de remplacer, mais de déployer, de multiplier et d’approfondir le mouvement spontané, d’accéder à une spontanéité plus forte et plus consciente. La SD devant non pas substituer son action à celle du mouvement spontané mais inscrire son action dans le développement du mouvement spontané pour contribuer à l’élever à la lutte de classe révolutionnaire.
Lénine cherche à opposer au « culte du spontané » une conception du développement de l’activité de la classe selon laquelle conscience et spontanéité ne s’opposent pas mais au contraire sont dialectiquement liées, le développement de l’un répondant au développement de l’autre. La SD devant s’inscrire dans le mouvement ouvrier comme son avant-garde représentant l’ensemble du mouvement.

Lénine ne nie pas la spontanéité du mouvement ouvrier, c’est précisément du constat du retard de la conscience et de l’organisation sur le développement spontané du mouvement qu’il tire la conclusion de la nécessité d’une organisation SD d’avant-garde, non pas pour remplacer le mouvement spontané mais pour favoriser son développement, contribuer à son orientation socialiste.
Mais il y a spontanéité et spontanéité, il y a différents moments du développement du mouvement, le caractère de la spontanéité évoluant au cours du développement du mouvement ouvrier.
Pour Lénine la question de la spontanéité, n’est pas en soi problématique, de fait il y a spontanéité, le problème est d’élever à la conscience la spontanéité. Lénine lutte non pas contre la spontanéité en général à laquelle il opposerait la centralisation, mais lutte contre la spontanéité bourgeoise à laquelle il oppose la spontanéité socialiste et consciente au sein du mouvement ouvrier. De fait il y a spontanéité et idéologie, mais l’une et l’autre peuvent être soit bourgeoise soit socialiste, la SD devant s’assigner pour tâche de contribuer au développement de la tendance socialiste contre la tendance bourgeoise.
Il faut opposer non pas spontanéité et conscience mais plutôt rabaissement ou élévation de la spontanéité ouvrière. Lénine reproche bel et bien à ses adversaires de sous estimer la spontanéité du mouvement prolétarien, de sous estimer sa capacité à devenir un mouvement politique conscient et révolutionnaire.

Pour ce qui est de la conscience socialiste « apportée de l’extérieur » Lénine défend la nécessité pour la SD de contribuer au développement d’intellectuels et de dirigeants ouvriers, la nécessité pour la SD de s’en donner les moyens avec cette organisation de révolutionnaire qui n’est donc pas la dictature des intellectuels sur les ouvriers, mais ce qui doit contribuer à ce que ceux-ci deviennent des dirigeants intellectuel du mouvement révolutionnaire. Selon Lénine l’ouvrier n’accède à la conscience trade-unioniste plutôt qu’à la conscience socialiste que si la SD limite les ouvriers à la lutte économique. Le développement de la conscience et de la théorie prolétarienne n’étant pas automatique, c’est une lutte qu’il faut mener, la SD devant inscrire son action dans le développement du mouvement spontané du prolétariat se formant en classe agissant en tant que telle, contre la tendance de la société bourgeoise à asservir le prolétariat à sa domination politique, à le limiter aux réformes économiques ne sortant pas du cadre bourgeois.

On peut peut-être par exemple reprocher à Lénine sa reprise des arguments de Kautsky présentant de façon par trop unilatérale le développement de la théorie révolutionnaire, comme produit d’une dialectique de l’esprit, comme produit de l’activité scientifique d’intellectuels bourgeois. Développement qu’il faudrait pourtant inscrire dans la dialectique de la lutte de classe du prolétariat, de son élaboration par la lutte de sa théorie d’émancipation. (À ce qu’il nous semble c’est peut être principalement en cela que réside le caractère scientifique de la « théorie » marxiste, ce serait en cela que l’utopie est dépassée plutôt que par les « données de la science moderne », ce serait une théorie prolétarienne de l’émancipation révolutionnaire plutôt qu’une doctrine économique, un socialisme comme mouvement d’émancipation du prolétariat plutôt que comme « système économique »). Sur ces questions Lénine suit Kautsky, trop loin nous semble-t- il, mais en le complétant cependant, en atténuant cet aspect par une conception de la lutte de classe comme lutte politique mise au premier plan comme élément déterminant de l’évolution sociale, développement théorique y compris.

Nous allons maintenant étayer ces remarques à partir d’extraits de Que faire ?.

Le chapitre « la spontanéité des masses et l’apport conscient de la SD » commence par ce constat : « …jusqu’à présent, personne encore, semble-il, n’avait douté que la force du mouvement contemporain ne fut dans l’éveil des masses (et principalement du prolétariat industriel) et sa faiblesse dans l’insuffisance de la prise de conscience et le manque d’esprit d’initiative des dirigeants révolutionnaires » .
C’est bien le développement du mouvement spontané des masses et non pas son manque d’initiative qui amène Lénine à souligner l’importance qu’il y aurait à former des dirigeants révolutionnaires pour diriger la lutte de classe.
Lénine précise alors ce qu’il entend par « spontané » : « …il y a spontané et spontané. Il y avait déjà eu en Russie des grèves et dans les années 70 et dans les années 60 (…), grèves accompagnées de destruction « spontanée » de machines, etc. comparées à ces « émeutes », les grèves d’après 1890 pourraient même être qualifiées de « conscientes », tant le mouvement ouvrier avait progressé dans l’intervalle. Ceci nous montre que l’ « élément spontané » n’est au fond que la forme embryonnaire du conscient. » (p 60).
Ainsi, selon Lénine, le caractère spontané du mouvement ouvrier n’est pas seulement un fait, un élément structurel et invariable du mouvement ouvrier, mais doit être considéré comme un processus, la spontanéité changeant de caractère au cours du développement du mouvement ouvrier, c’est à partir d’une telle conception que Lénine n’oppose pas la conscience à la spontanéité, mais plutôt différents moments du développement du mouvement ouvrier, le rôle de la SD étant de s’inscrire dans le développement en élevant son niveau de conscience.
Lénine poursuit ainsi son tableau du développement du mouvement ouvrier russe : « si les émeutes étaient simplement une révolte d’opprimés, les grèves systématiques contenaient déjà un germe de lutte de classe, mais un germe seulement. Prises en elles-mêmes, ces grèves étaient une lutte trade-unioniste, mais non encore social-démocrates; elles marquaient l'éveil de l'antagonisme entre ouvriers et patrons; mais les ouvriers n'avaient pas et ne pouvaient avoir conscience de l'opposition irréductible de leurs intérêts avec tout l'ordre politique et social existant, c'est à dire la conscience social-démocrate. Dans ce sens les grèves d'après 1890, malgré l'immense progrès qu'elles représentaient par rapport aux "émeutes", demeuraient un mouvement purement spontané.
Les ouvriers, avons-nous dit, ne pouvaient pas avoir encore la conscience social-démocrate. Celle-ci ne pouvait leur venir que du dehors. L'histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience trade-unioniste, c'est-à-dire à la conviction qu'il faut s'unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. La doctrine socialiste, elle, est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient eux-mêmes, par leur situation sociale, des intellectuels bourgeois. De même en Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d'une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes. A l'époque dont nous parlons, c'est-à-dire vers 1895, cette doctrine était non seulement le programme parfaitement établi du groupe "Libération du Travail", mais elle avait gagné à soi la majorité de la jeunesse révolutionnaire de Russie.
Ainsi donc, il y avait à la fois éveil spontané des masses ouvrières, éveil à la vie consciente et à la lutte consciente, et une jeunesse révolutionnaire qui, armée de la théorie social-démocrate brûlait de se rapprocher des ouvriers. » .

C’est ces formules sur l’origine de la conscience socialiste dans le mouvement ouvrier, plus précisément sur son introduction du dehors, qui présentent le plus de problèmes et qui seront le plus attaqués, a juste titre nous semble-il dans la mesure ou la présentation que fait Lénine du développement du mouvement révolutionnaire sépare le développement de la lutte de classe et le développement de la théorie révolutionnaire, l’exagération polémique pouvant ici déboucher sur une compréhension incomplète et donc fausse du mouvement ouvrier .
Lénine reprend ici des arguments de Kautsky (qui lui aussi dans d’autres textes donne une présentation plus nuancée de l’origine de la pensée socialiste que dans le texte que cite Lénine, par exemple dans Les trois sources de la pensée de Marx au chapitre « L’union du mouvement ouvrier et du socialisme ») sur l’origine et le développement de la pensée socialiste, qu’il cite d’ailleurs plus loin : « Pour compléter ce que nous avons dit plus haut, rapportons encore les paroles profondément justes et significatives de Kautsky à propos du projet du nouveau programme du parti social-démocrate autrichien :
"Nombre de nos critiques révisionnistes imputent à Marx cette affirmation que le développement économique et la lutte de classe, ne se bornent pas à créer les conditions de la production socialiste, mais qu’ils engendrent directement la conscience (souligné par K.K.) de sa nécessité. Puis ces critiques objectent que l'Angleterre, pays au développement capitaliste le plus avancé, est la plus étrangère à cette conscience. Le projet de programme autrichien donne à croire que la commission qui en est l’auteur partage aussi ce point de vue prétendument marxiste orthodoxe, réfuté de la façon qui vient d’être indiqué. Le projet porte: « Plus le prolétariat augmente du fait du développement capitaliste, plus il est contraint et plus il a la possibilité de lutter contre le capitalisme. Le prolétariat vient à la conscience [de la possibilité et de la nécessité du socialisme]». Par suite, la conscience socialiste serait le résultat nécessaire, immédiat, de la lutte de classe prolétarienne. Ce qui est absolument faux. Comme doctrine, le socialisme a évidemment ses racines dans les rapports économiques actuels au même degré que la lutte de classe du prolétariat ; autant que cette dernière, il procède de la lutte contre la pauvreté et la misère des masses, engendrées par le capitalisme. Mais le socialisme et la lutte de classe prennent naissance chacun de son côté, et non l’un de l’autre, ils prennent naissance à partir de conditions préalables différentes. La conscience socialiste d'aujourd'hui ne peut surgir que sur la base d'une profonde connaissance scientifique. En effet, la science économique contemporaine est autant une condition de la production socialiste que, par exemple, la technique moderne, et malgré tout son désir, le prolétariat ne peut créer ni l'une ni l'autre; toutes deux surgissent du développement social contemporain. Or la science a pour véhicule non le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois (souligné par K. K.) : c'est en effet dans le cerveau de représentants de cette catégorie qu'est né le socialisme contemporain, et c'est par eux qu'il a été communiqué aux prolétaires intellectuellement les plus développés, qui l'introduisent ensuite dans la lutte de classes du prolétariat là où les conditions le permettent. Ainsi, la conscience socialiste est un élément introduit du dehors (Von Aussen Hineingetragenes) dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose qui en surgit spontanément (urwüchsig). Aussi le vieux programme de Hainfeld disait-il très justement que la tâche de la social-démocratie est d'introduire dans le prolétariat (littéralement: de remplir le prolétariat) la conscience de sa situation et la conscience de sa mission. Point ne serait besoin de le faire si cette conscience émanait naturellement de la lutte de classe. Or le nouveau projet a emprunté cette thèse à l'ancien programme et l'a accolée à la thèse citée plus haut. Ce qui a complètement interrompu le cours de la pensée..."(p 77-79).
Une telle présentation à cela d’unilatérale quelle ne met l’accent que sur les origines intellectuelles du socialisme, le présentant comme le produit d’une dialectique de l’esprit sans intégrer celle-ci au développement de la lutte de classe, la liaison des ouvriers conscients avec le socialisme nécessitant pour se réaliser l’action « du dehors » des intellectuels socialistes.
Que l’adhésion de ces intellectuels au socialisme « scientifique » soit dans une certaine mesure un résultat des luttes du prolétariat, que leurs élaborations théoriques soient nécessairement dans une large mesure la généralisation et la formulation théorique de l’expérience des luttes d’une classe révolutionnaire élaborant au cours de ses luttes les formes de son propre mouvement d’émancipation n’est pas ici mentionnée. Il semble que pour Kautsky que reprend ici Lénine le caractère « scientifique » du socialisme, son dépassement de l’utopisme proviendrait de ce que les intellectuels intègrent à la doctrine socialiste les dernières données des différentes disciplines scientifiques, sciences naturelles, sociologie, économie politique (économie politique dont Marx fait justement la critique, dévoilant son caractère d’idéologie de la bourgeoisie)…plutôt que de par la capacité de la classe révolutionnaire à s’émanciper par sa propre action, par un « mouvement réel » d’émancipation et non pas par l’application de tel ou tel plan de société par une bourgeoisie cultivée et philanthropique. Peut-être peut on voir dans ce « scientisme » ou « positivisme » courant chez les théoriciens (aussi bien « orthodoxe » que « révisionniste ») de la seconde Internationale une conséquence théorique de la prépondérance de fait des intellectuels (publicistes, parlementaires…) dans la direction du mouvement socialiste (une telle conception se perpétuera, bien que contestée, au sein de la troisième Internationale et triomphera de nouveaux avec le stalinisme).
Cependant dans Que faire ? Lénine défend l’importance de la conscience politique, non pas pour défendre la prépondérance des intellectuels dans le mouvement révolutionnaire mais justement pour défendre le caractère de classe du mouvement ouvrier, la lutte théorique étant nécessaire pour combattre l’influence de l’idéologie bourgeoise, idéologie dominante tendant à s’imposer « spontanément » à l’ensemble de la société.
Ainsi Lénine souligne l’importance de la lutte théorique, pour combattre en particulier l’« économisme », ce dernier s’appuyant sur l’exigence de la prise en compte de la « spontanéité » du mouvement ouvrier pour prôner la limitation des objectifs et de l’agitation de la social-démocratie à la seule lutte économique, à un réformisme ne sortant pas du cadre des rapports bourgeois.
C’est pour mettre en évidence les limites d’un tel objectif qu’il mobilise cette idée d’une conscience devant être amenée au mouvement ouvrier, « du dehors », amenée par la social-démocratie et élaborée principalement par des intellectuels ; pour montrer que restreindre la lutte à l’économique ne permet pas d’amener à la conscience socialiste. Lénine écrit à ce sujet : «…le trade-unionisme n’est que l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie. C’est pourquoi notre objectif, l’objectif de la social-démocratie, est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu’à le trade-unionisme à se réfugier sous l’aile de la bourgeoisie, pour l’attirer sous l’aile de la social-démocratie révolutionnaire » (p 80).
Ce n’est pas en fait contre la spontanéité en général qu’il lutte mais contre une conception « économiste » de la spontanéité. Il écrit ainsi : « On dit souvent : la classe ouvrière est portée spontanément au socialisme. Cela est parfaitement juste en ce sens que c’est la théorie socialiste qui détermine le plus profondément et le plus exactement les causes des maux que subit la classe ouvrière ; c’est pourquoi les ouvriers se l’assimilent si aisément, pourvu seulement que cette théorie ne capitule pas elle-même devant la spontanéité, pourvu seulement qu’elle se soumette cette spontanéité. Cela est généralement entendu comme allant de soi, mais le Rabotchéié Diélo [organe « économiste »], justement, oublie ou altère ce sous-entendu. La classe ouvrière est portée spontanément au socialisme, mais c’est pourtant au premier chef l’idéologie bourgeoise, la plus répandue (et constamment ressuscitée sous les formes les plus variées), qui s’impose spontanément à l’ouvrier. » (note p 83). (La spontanéité n’y est pour rien, il s’agit plutôt de la domination, politique, idéologique, etc., de la bourgeoisie et de l’asservissement du prolétariat)
L’union du mouvement ouvrier et du socialisme est pour Lénine le fruit d’une lutte contre l’idéologie bourgeoise, idéologie dominante qui tend à s’imposer à la classe ouvrière. Ne pas lutter énergiquement contre l’idéologie bourgeoise sous prétexte de ne pas heurter le mouvement spontané c’est laisser celle-ci s’imposer « spontanément » au mouvement ouvrier et le limiter à la conscience « trade-unioniste », à la seule lutte en vue de satisfaire les revendications immédiates, économiques des ouvriers. La conscience socialiste ne peut gagner « spontanément » le mouvement ouvrier que si l’on écarte fermement l’idéologie bourgeoise, que par la lutte théorique contre cette dernière que doit mener la social-démocratie.
C’est le sens de l’insistance de Lénine sur la nécessité de mener la lutte sur le plan théorique, qu’il considère comme étant l’un des aspects de la lutte des classes, en ce sens, plutôt qu’il n’écarte le rôle joué par le développement de la lutte des classes dans le développement de l’union du mouvement ouvrier et du socialisme, il insiste particulièrement, en partie pour des raisons polémiques, sur l’aspect théorique de cette lutte, sur la nécessité de mener la lutte de classe sur le plan non seulement économique et politique, mais aussi théorique .
Lénine combat une spontanéité dans laquelle ne s’inscriraient pas consciemment les révolutionnaires socialistes, devant laquelle les socialistes abdiquent leur rôle qui consiste à élever la conscience des prolétaires que l’évolution de la lutte de classes amène aux idées socialistes. Il combat les socialistes, qui, prétextant le respect de la « spontanéité », ne font que se traîner à la remorque du mouvement, que le contenir dans l’étroitesse de la lutte strictement économique. Pour Lénine si le mouvement ouvrier est amené au socialisme, c’est parce que la lutte des classes pousse ses éléments les plus avancés vers les idées socialistes, vers les intellectuels qui les élaborent et les véhiculent, qu’ils soient d’origine bourgeoise ou plus rarement, prolétarienne, si ces socialistes ne font pas leur « devoir » et encouragent les ouvriers à se contenter d’améliorer leur situation présente par des luttes purement économiques, le mouvement ouvrier ne pourra s’élever au-delà de la conscience trade-unioniste. L’évolution du prolétariat, quelle que soit sa spontanéité, n’est pas uniforme, son avant-garde évoluant spontanément vers la révolution socialiste, ses éléments moins conscients et combatifs vers le trade-unionisme, la question pour les révolutionnaires socialistes, pour le prolétariat militant, ne serait pas en dernier lieu de rejeter ou non le spontané, mais plutôt en élevant la conscience de la classe ouvrière de l’orienter vers la révolution socialiste plutôt que vers un économisme étroit, trade-unioniste. C’est là le fond de la critique que Lénine dans Que faire ? mène contre le « culte du spontané ».
Ses idées sur l’union du mouvement ouvrier et du socialisme, malgré un tableau peut être quelque peu unilatéral du développement de la théorie révolutionnaire, l’amènent, plutôt qu’à subordonner le prolétariat militant à la science « socialiste » des intellectuels bourgeois, à la nécessité et à la possibilité de former des intellectuels ouvriers, à insister sur la capacité et le besoin qu’éprouve le prolétariat militant de s’élever à la conscience socialiste. Il écrit ainsi : « Certes, il ne s’ensuit pas que les ouvriers ne participent pas à cette élaboration. Mais ils n’y participent pas en qualité d’ouvriers, ils y participent comme théoriciens du socialisme, comme des Proudhon et des Weitling ; en d’autres termes, ils n’y participent qu’à partir du moment et que dans la mesure plus ou moins parfaite où ils parviennent à acquérir les connaissances de leur époque et à les faire progresser. Et pour que les ouvriers y parviennent le plus souvent, il faut s’efforcer le plus possible d’élever le niveau de la conscience des ouvriers en général ; il ne faut pas qu’ils se confinent dans le cadre artificiellement restreint de la « littérature pour ouvriers » mais qu’ils sachent s’assimiler de mieux en mieux la littérature pour tous. Il serait même plus juste de dire, au lieu de « se confinent », soient confinés, parce que les ouvriers eux-mêmes lisent et veulent lire tout ce qu’on écrit aussi pour les intellectuels ; seuls quelques (mauvais) intellectuels pensent qu’il suffit de parler « aux ouvriers » de la vie en usine et de leur rabâcher ce qu’ils savent depuis longtemps. » (Que faire ?, note p 79).

Lénine précise aussi quelle doit être la nature de la connaissance théorique nécessaire au caractère socialiste du mouvement ouvrier, précisant que celle-ci provient de l’extérieur, non du mouvement ouvrier, mais de l’extérieur de sa seule lutte économique, non pas extérieur à la lutte de classe, mais nécessite au contraire un plein développement de celle-ci, qui ne soit pas limité à la seule lute économique au sein de laquelle la lutte de classe n’existe qu’en germe dans l’opposition entre des ouvriers et des patrons ce qui n’est pas encore la lutte d’une classe contre une autre pour la domination politique et sociale de l’ensemble de la société : « …car la connaissance de la classe ouvrière par elle-même est inséparable de sa vision parfaitement claire des rapports entre toutes les classes de la société contemporaine , vision non seulement…ou plutôt non point tant théorique que fondé sur l’expérience de la vie politique » (p 131).
Et : « la conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c'est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. Le seul domaine où l’on puisse puiser cette connaissance est celui de toutes les classes et catégories de la population avec l’Etat et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles. » (p 146).
La connaissance théorique nécessaire au prolétariat pour mener la lutte de classe en tant que telle n’est donc pas seulement la connaissance théorique apporté par les intellectuels, mais aussi la connaissance issue de l’expérience pratique des luttes, mais non point seulement des luttes économiques, mais aussi nécessairement de la lutte politique tenant compte de l’ensemble des rapports sociaux qui doit vers laquelle doit tendre le prolétariat pour être révolutionnaire.
Lénine ne veut donc pas réduire le mouvement ouvrier à sa direction politique consciente, mais plutôt élever celui-ci à la saisie consciente de l’ensemble des rapports sociaux et à la lutte pour leur réappropriation révolutionnaire.

Sera critiqué aussi par certains adversaires de Lénine, l’idée de la nécessité d’une organisation composée de révolutionnaires professionnels, « organisations militaire d’agents » révolutionnaires (ce sera d’ailleurs l’un des aspects de Que faire ? que Lénine présentera par la suite comme une exagération).
Trotsky présentera cela comme l’embryon d’une dictature, non pas du prolétariat, mais d’une dictature d’un parti jacobin sur le prolétariat , cependant dans Que faire ? une telle idée d’organisation de révolutionnaires professionnels est, non pas opposée mais inscrite dans le processus du développement spontané du mouvement ouvrier, Lénine écrivant : « …la masse en train de s’éveiller spontanément fera surgir également de son sein un nombre de plus en plus grand de « révolutionnaires de profession » (s’il ne nous vient pas toutefois la fantaisie de convier sur tous les tons les ouvriers à piétiner sur place » (p 199).
Lénine justifie une telle organisation par la nécessité du caractère clandestin du mouvement en Russie tsariste, par la nécessité de révolutionnaires formés à la lutte contre la police politique pour maintenir la continuité du mouvement et son développement (les groupes SD ayant jusqu’alors une durée d’activité estimée par Lénine de quatre à six mois avant d’être « interrompus » par la prison ou la déportation). Ce n’est donc pas ce qu’il préconise en général mais pour la Russie, sa référence par ailleurs en matière d’organisation est la social-démocratie allemande (dont l’évolution ultérieur remet d’ailleurs peut-être en cause certains exemples de Que faire ? par lesquels Lénine s’appuie sur ce modèle de la SD allemande, cf par exemple p 216-217 sur les « chefs » de la SD allemande ou p 251 sur la nécessité « de journalistes, parlementaires et autres professionnels pour la direction social-démocrate de la lutte de classe du prolétariat »).

Dans Que faire ? Lénine pose aussi le problème de la centralisation et d’une sélection rigoureuse des membres de l’organisation des révolutionnaires, cette organisations n’est pas pour Lénine le parti ouvrier social-démocrate mais un élément nécessaire à son fonctionnement, permettant au parti de déployer son activité malgré la clandestinité (il y a souvent confusion à ce sujet, ce que Lénine préconise pour l’organisation des révolutionnaires professionnels a souvent été présenté comme les principes « léninistes » de l’organisation du parti, ce qui est inexact.
Il écrit ainsi : « L’organisation des ouvriers doit être, en premier lieu, professionnelle, en second lieu, la plus large possible, en troisième lieu, la moins clandestine possible (ici et plus loin je ne parle bien entendu que de la Russie autocratique). Au contraire, l’organisation des révolutionnaires doit englober avant tout et principalement des hommes qui ont pour métier l’action révolutionnaire (c’est pourquoi, d’ailleurs, je parle d’une organisation de révolutionnaires, entendant par là les révolutionnaires social-démocrates). Ce caractère commun des membres d’une telle organisation doit totalement abolir toute distinction entre ouvriers et intellectuels et, à plus forte raison entre les diverses professions des uns et des autres. Nécessairement cette organisation ne doit pas être très étendue et il faut qu’elle soit la plus clandestine possible » (p 201).

Il précise plus loin : « J’affirme donc : 1° qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants durable et suivie ; 2° que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte, formant la base du mouvement et y participant, et plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, et plus cette organisation doit être solide (sinon il sera plus facile aux divers démagogues d’entraîner les couches incultes de la masse) ; 3° qu’une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire ; 4° que, dans un pays autocratique,d’autant plus nous restreindrons le recrutement de cette organisation au point de n’y accepter que des militants ayant fait de l’activité révolutionnaire leur métier et formés professionnellement à l’art d’affronte la police politique, d’autant il sera difficile de « capturer » une telle organisation et 5° d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer d’une façon active. » (p 223).

Lénine explique ensuite qu’une telle organisation, contrairement à ce qui lui est souvent reproché , n’a pas pour fonction de se substituer au parti ou au mouvement de masse mais a, au contraire, fonction de permettre à ces derniers de se déployer plus largement et plus efficacement.
Il écrit à ce sujet : « La concentration de toutes les fonctions clandestines entre les mains du plus petit nombre possible de révolutionnaires professionnels ne signifie nullement que ces derniers « penseront pour les autres », que la foule ne prendra pas une part active au mouvement. » (p 222).
Et : « La centralisation des fonctions clandestines de l’organisation ne signifie nullement la centralisation de toutes les fonctions du mouvement, loin de diminuer la collaboration active de la masse la plus large à la littérature illégale décuplera lorsqu’une « dizaine » de révolutionnaires professionnels centraliseront entre leurs mains les tâches clandestines correspondantes. (…) Et cela est vrai non seulement pour la presse mais aussi pour toutes les fonctions du mouvement (…) (on objectera, je sais, que mes vues « n’ont rien de démocratique », mais je réfuterai plus loin en détail cette objection qui n’est rien moins qu’intelligente.) La centralisation des fonctions les plus clandestines par l’organisation des révolutionnaires, loin d’affaiblir, enrichira et étendra l’action d’une foule d’autres organisations qui s’adressent au grand public et qui, pour cette raison, sont aussi peu réglementées et aussi peu clandestines que possible : associations professionnelles des ouvriers, cercles ouvriers d’instruction et de lectures des publications illégales, cercles socialistes, et aussi cercles démocratiques pour toutes les autres couches de la population, etc.,etc. ces cercles, associations et organisations sont nécessaires partout, en nombre aussi grand que possible et avec les fonctions les plus variées possible ; mais il est absurde et nuisible de les confondre avec l’organisation des révolutionnaires… » (p 223-224).
Et aussi : « Nadiéjdine fait fausse route, parce qu’il se figure que les occupations de cette troupe organisée systématiquement la coupent de la foule, alors qu’en réalité sa seule raison d’être est l’agitation politique la plus vaste et la plus complète, c'est-à-dire un travail qui justement tend à rapprocher et à fusionner en un tout la force destructive spontanée de la foule et la force destructive consciente de l’organisation des révolutionnaires » (p305).
Par la suite Lénine présentera de nouveau le développement de la conscience socialiste comme se développant spontanément au sein du mouvement ouvrier.
Ainsi, dans Nouveaux événements et vieilles questions (dans le tome 6 des Œuvres complètes), à propos d’un mouvement de grève, local, mais massif (20000/30000 ouvriers selon les informations de Lénine) avec meetings politiques géants et heurt avec la troupe, Lénine présente la manière dont l’activité révolutionnaire SD s’inscrit dans le développement spontané du mouvement ouvrier : « Avec des événements de ce genre, on observe effectivement de la façon la plus évidente que l’insurrection armée de tout le peuple contre le gouvernement autocratique mûrit non seulement comme idée dans l’esprit et les programmes des révolutionnaires, mais aussi en tant qu’étape suivante, conséquence pratique inévitable et naturelle du mouvement lui-même, en tant que résultat du mécontentement croissant, de l’expérience croissante, de l’audace croissante des
piter
 
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Message par piter » 01 Mars 2007, 15:46

la suite (tenait pas en un post...) : Ainsi, dans Nouveaux événements et vieilles questions (dans le tome 6 des Œuvres complètes), à propos d’un mouvement de grève, local, mais massif (20000/30000 ouvriers selon les informations de Lénine) avec meetings politiques géants et heurt avec la troupe, Lénine présente la manière dont l’activité révolutionnaire SD s’inscrit dans le développement spontané du mouvement ouvrier : « Avec des événements de ce genre, on observe effectivement de la façon la plus évidente que l’insurrection armée de tout le peuple contre le gouvernement autocratique mûrit non seulement comme idée dans l’esprit et les programmes des révolutionnaires, mais aussi en tant qu’étape suivante, conséquence pratique inévitable et naturelle du mouvement lui-même, en tant que résultat du mécontentement croissant, de l’expérience croissante, de l’audace croissante des masses, auxquelles la réalité russe a donné de si précieuse leçons et une aussi excellente éducation.
Etape inévitable et naturelle, ai-je dit, et je m’empresse de faire cette réserve : si toutefois nous ne nous permettons pas de nous écarter même d’un pas de la tâche, qui nous presse et qui s’impose à nous d’aider ces masses qui se dressent déjà à agir avec plus d’audace et d’union, de leur donner non pas deux, mais des dizaines d’orateurs et de dirigeants pour les manifestations de rue, de créer une véritable organisation de combat capable de diriger les masses… » (p 285).
Texte ou, comme on le voit, il reprend la critique de l’économisme de la même façon que dans Que faire ?.

Passons maintenant aux textes de la période de Un pas en avant, deux pas en arrières.
Lénine présente ainsi sa conception selon laquelle n’appartient pas seulement au parti l’organisation des révolutionnaires comme le dit Rosa Luxembourg dans Questions d’organisations de la social-démocratie russe (publié par les éditions Sparctacus comme Marxisme contre dictature): « D’après le degré d’organisation en général, et de clandestinité en particulier, on peut distinguer à peu près les catégories suivantes : 1° organisations de révolutionnaires ; 2° organisations d’ouvriers, aussi larges et aussi variées que possible (je me borne à la seule classe ouvrière, mais je suppose comme allant de soi que certains éléments des autres classes en feront également partie, dans certaines conditions),-ces deux catégories forment le parti (…). Au contraire, du point de vue de Martov, les limites du parti restent absolument indéterminées, car « chaque gréviste » peut « se déclarer membre du parti ». Quelle est l’utilité de cette imprécision ? La large diffusion d’une « appellation ». Elle a ceci de nuisible qu’elle comporte une idée désorganisatrice, la confusion de la classe avec le parti. » (Un pas en avant, deux pas en arrières, p 278, Editions Sociales, brochure séparée, se trouve dans le tome 7 des œuvres complètes).

Lénine répondant à Rosa Luxembourg dans un article (non publié par la Neue Zeit, Kautsky qui la dirigeait penchant plutôt pour les menchéviks, l’article ne sera publié pour la première fois qu’en 1930 dans les Œuvres Complètes), loin de défendre les principes d’organisation que lui attribuent Rosa Luxembourg et les menchéviks écrit : « …je dois dire que l’article de Rosa Luxembourg dans la Neue Zeit familiarise les lecteurs non avec mon livre mais avec quelque chose d’autre. Cela ressort des exemples suivants. La camarade Luxembourg dit, par exemple, que dans mon livre s’est dessinée nettement et fortement la tendance vers un « centralisme ne tenant compte de rien ». La camarade Luxembourg présume, de cette façon, que je défends un certain système d’organisation contre un certain autre. Mais la réalité est différente. Tout au long du livre, de la première à la dernière page, je défends les principes élémentaires de tout système d’organisation du parti quel qu’il soit. Mon livre analyse non la différence entre tel ou tel système d’organisation, mais la façon dont il faut soutenir, critiquer et corriger tout système, sans contrevenir aux principes du parti. » (Un pas en avant, deux pas en arrières, réponse de Lénine à Rosa Luxembourg, In OC tome 7, 1966, p 494).
Lénine poursuit ainsi sa réponse : « Rosa Luxembourg dit plus loin que « conformément à sa conception (de Lénine), les pleins pouvoirs sont donnés au comité central d’organiser tous les comités locaux du parti ». En réalité ce n’est pas exact. (…) elle a confondu la défense d’une revendication déterminée touchant un paragraphe déterminé des statuts (…) avec la défense de la thèse (authentiquement « ultra centraliste », n’est-ce pas ?) suivant laquelle les statuts adoptés par le congrès du Parti doivent être appliqués jusqu’à ce que le prochain congrès les modifie. Cette thèse (« purement blanquiste », comme le lecteur peut facilement le remarquer), je l’ai réellement soutenue dans mon livre « sans tenir compte de rien ». La camarade Luxembourg dit que selon moi « le comité central est le seul centre actif du parti ». En réalité, ce n’est pas exact. Je n’ai jamais soutenu cette opinion. (…) la camarade Rosa Luxembourg dit que dans la social-démocratie de Russie il n’existe aucun doute quant à la nécessité d’un parti unique et que toute la discussion se concentre sur la question d’une plus ou moins grande centralisation. En réalité ce n’est pas exact. Si la camarade Luxembourg voulait bien prendre connaissance des résolutions des nombreux comités locaux du parti qui forment la majorité, elle comprendrait facilement (cela ressort particulièrement de mon livre) que la discussion a surtout porté chez nous sur le fait de savoir si le comité central et l’organe central devaient représenter l’orientation de la majorité du congrès ou non. L’estimée camarade ne dit mot de cette exigence « purement blanquiste » et « ultra centraliste », elle préfère déclamer contre la subordination mécanique de la partie au tout, contre la soumission servile, contre l’obéissance aveugle et d’autres horreurs de ce genre. Je suis très reconnaissant à la camarade Luxembourg d’expliquer cette profonde idée que la soumission servile est fatale pour le parti, mais je voudrais savoir si la camarade trouve normal, si elle peut admettre, si elle a vu dans un parti quelconque que dans les organismes centraux, qui s’intitulent organismes du parti, la minorité du congrès du parti prédominât ? (p 495-496).

On lit plus loin : « La camarade Luxembourg soutient que j’exalte la valeur éducative de la fabrique. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas moi mais mon adversaire qui affirmait que je me représente le Parti comme une fabrique ; je me suis bien moqué de lui, en démontrant par ses propres expressions qu’il confond deux aspects différents de la discipline à la fabrique… » (p 497).

Aussi : « « la camarade Luxembourg dit que par ma définition du social-démocrate révolutionnaire comme jacobin lié à une organisation d’ouvriers socialement conscients, j’ai peut être caractérisé mon point de vue avec plus d’esprit que n’aurai pu le faire aucun de mes adversaires. Encore une fois, il y a erreur de fait. Ce n’est pas moi, mais P. Axelrod [rédacteur de l’ancienne Iskra, puis de l’Iskra menchévique] qui a parlé le premier de jacobinisme. Le premier, Axelrod a comparé les groupements de notre parti à ceux du temps de la Révolution française. J’ai seulement fait remarquer que cette comparaison n’est admissible que pour autant que la division de la social-démocratie contemporaine en révolutionnaire et opportuniste correspond, dans une certaine mesure, à la division en montagnards et girondins. L’ancienne Iskra, reconnue par le congrès du parti, faisait souvent cette comparaison. En admettant justement une telle division, l’ancienne Iskra combattait l’aile opportuniste de notre parti, l’orientation du Rabotchéié Diélo [organe « économiste »]. Rosa Luxembourg confond ici la corrélation entre les deux courants révolutionnaires du XVIII et du XX siècle avec l’identification de ces courants eux-mêmes. » (Un pas en avant…réponse de Lénine à Rosa Luxembourg, p 497).

Pendant la période autour de la révolution de 1905, Lénine mettra en avant l’idée que le cours de la lutte de classe est le principal élément moteur du développement de la conscience socialiste.
Par exemple dans Nouveaux objectifs, forces nouvelles, tome VIII des œuvres complètes : « Parlons sans métaphores : les effectifs de toutes les organisations du parti et sympathisant avec le parti doivent être fortement accrus, afin que nous puisions suivre autant que possible le torrent centuplé de l’énergie révolutionnaire du peuple. Cela ne veut pas dire bien entendu, qu’il faille négliger la formation méthodique des effectifs et l’enseignement systématique des vérités du marxisme. Non, mais il faut se rappeler que les hostilités elles-mêmes ont maintenant beaucoup d’importance pour la formation et l’enseignement ; elles éduquent précisément dans notre sens et entièrement dans notre sens ceux qui ne sont pas formés. Il convient de rappeler que notre fidélité « doctrinaire » au marxisme s’est maintenant accrue du fait que le cours de la révolution donne partout des leçons de choses à la masse et que toutes ces leçons confirment justement notre doctrine. (…) nous parlons de nouvelles méthodes d’enseigner la doctrine que le social-démocrate serait inexcusable d’oublier. Nous parlons de l’importance de mettre à profit les leçons pratiques des grands événements révolutionnaires afin d’enseigner, non plus à des petits cercles, mais à la masse, nos vieilles leçons « dogmatiques » sur la nécessité, par exemple, de fusionner en fait le terrorisme et l’insurrection de masse, de savoir discerner derrière le libéralisme de la société cultivée russe les intérêts de classe de notre bourgeoisie » (Nouveaux objectifs, forces nouvelles, p 215-216, OC Tome 8).

De façon plus nette encore dans Deux tactiques de la SD dans la révolution démocratique.
(OC Tome 9) : « « La révolution instruit sans nul doute avec une promptitude et une profondeur qui paraissent invraisemblables aux époques d’évolution politique paisible. Et ce qui importe surtout, c’est qu’elle instruit non seulement les dirigeants, mais aussi les masses.
Il est hors de doute que la révolution enseignera aux masses ouvrières de Russie le social-démocratisme »( Deux tactiques dans la révolution démocratique, In OC Tome IX, Editions Sociales, Paris, 1966, p 11).

Le mouvement de 1905, ses différentes formes d’activité populaire (mouvement insurrectionnels, mutineries, grèves, en particuliers grèves politiques de masse, soviets) apparaît pour Lénine comme du type même de ce qui relève d’une spontanéité élevant à la conscience socialiste, spontanéité dans laquelle le mouvement SD doit s’inscrire et qu’il doit développer et tendre à diriger.
C’est par ce type d’expérience que selon Lénine, les masses parviennent à la maturité politique et à la conscience socialiste pour ce qui est du prolétariat, tout d’abord de façon directe par la participation des masses à l’activité révolutionnaire, mais aussi pour ses éléments avancés par la généralisations théoriques élaborée à partir de ce type d’expérience. Lénine écrit ainsi dans La révolution instruit : « Certes, il y a encore l’expérience collective beaucoup plus vaste, de l’humanité inscrite dans l’histoire de la démocratie internationale et de la SD internationale et fixée par les représentants avancés de la pensée révolutionnaire. C’est dans cette expérience que notre parti puise les éléments de sa propagande et de son agitation quotidienne. Mais rares sont ceux qui peuvent profiter directement des leçons de cette expérience tant que la société est bâtie sur l’oppression et l’exploitation de millions de travailleurs. Les masses apprennent surtout par leur propre expérience et payent chaque leçon de sacrifices terribles » ( La révolution instruit, OC Tome IX, p 147).

Toujours dans le même sens, Lénine écrit un peu plus tard dans Nos tâches et le soviet des députés ouvriers (lettre à la rédaction de la Novaia Jizn, publiée pour la première ois en 1940), In OC.Tome X, Paris, Editions Sociales, 1967, p 11.) :
« … l’histoire elle-même milite en faveur de nos conceptions, de même que la réalité le fait à chaque pas. S’ils n’ont pas appris le social-démocratisme dans nos écrits, c’est notre révolution qui le leur apprendra. » (OC Tome 10, p 14-15).

Pour Lénine la radicalisation, le développement massif de l’activité et de la conscience des masses ouvrières doit se traduire dans le parti par un élargissement considérable des cadres de celui-ci. Le cours des événements révolutionnaires amenant les ouvriers à la conscience socialiste, leur activité spontanée tendant de par le développement du mouvement révolutionnaire à l’activité SD le parti ne doit pas selon Lénine craindre un affaiblissement de la fermeté de ses principes et de la maturité politique de ses membres d’une intégration de milliers d’ouvriers combatifs qui est nécessaire au développement du lien du parti avec des masses tendant à la lutte.
Lénine écrit ainsi : « La SD s’est crée un nom, elle s’est crée une orientation, elle s’est crée des cadres ouvriers SD. Et maintenant que l’héroïque prolétariat a montré dans les actes sa volonté de lutte et son aptitude à se battre avec solidarité et fermeté, en pleine connaissance des fins poursuivies, à se battre dans un esprit purement SD, il serait tout bonnement ridicule de douter que les ouvriers qui viennent actuellement à notre Parti et qui y viendront demain sur l’invitation du Comité Centra ne soient pas, dans 99 cas sur 100 des SD. La classe ouvrière est SD d’instinct, spontanément, et une activité SD qui date déjà de plus de dix ans n’a pas peu contribué à transformer cette spontanéité en conscience. (…) la révolution a confirmé sans cesse jusqu’à présent toutes les thèses fondamentales de la théorie marxiste, tous les mots d’ordre essentiels de la SD. La révolution a également donné raison à notre travail SD, à notre espoir et à notre foi en l’esprit révolutionnaire authentique du prolétariat. » ( De la réorganisation du Parti, p 24, OC Tome 10).

Le nouveau contexte d’éveil des masses à l’activité politique et de semi-légalité doit impliquer pour Lénine une transformation profonde du régime du POSDR, de nouveau unifié. Il met en avant en particulier la nécessité de l’adoption et de la mise en pratique de ce qu’il appelle le centralisme démocratique, régime devant permettre la mise en pratique systématique du principe électif, la libre discussion et le droit des minorités, associé à la pratique de l’unité dans l’action : « Nous nous sommes tous mis d’accord sur le principe du centralisme démocratique, sur la garantie des droits de toute minorité et de toute opposition loyale, sur l’autonomie de chaque organisation du parti, et pour reconnaître que tous les cadres du parti devaient être élus, révocables et tenus de rendre compte de leur travail. C’est dans l’observation réelle de ces principes d’organisation, dans leur application sincère et conséquente que nous voyons la garantie contre les scissions, la garantie que la lutte idéologique dans le Parti peut et doit être pleinement compatible avec une unité d’organisation stricte, avec le respect de toutes les décisions du congrès » ( Adresse au parti des délégués du congrès d’unification, membres de l’ancienne fraction « bolchevique, OC Tome 10, p 327).
Mais Lénine est conscient que la mise en principe de ces principes présente des difficultés et que leurs application harmonieuse doit être considéré comme une lutte à mener : « Il reste à accomplir une tâche importante, sérieuse et extrêmement lourde de responsabilités : faire entrer effectivement dans la pratique les principes du centralisme démocratique dans l’organisation du parti, obtenir, par un travail acharné, que les organisations de base deviennent réellement, et non en parole, les cellules fondamentales de l’organisation du Parti, et que toutes les instances supérieures soient effectivement électives, révocables et tenues de rendre compte de leur activité. Nous devons, par un travail acharné, constituer une organisation qui engloberait tous les ouvrier SD conscients et qui jouira d’une vie politique indépendante. L’autonomie de n’importe quelle organisation du parti, reconnue jusqu’à présent plutôt sur le papier, doit être applicable et effectivement appliquée dans la vie. Il faut mettre fin une fois pour toutes à la lutte pour les places, à la peur de l’autre « fraction ». Il faut que nous ayons réellement des organisations du parti unies, avec une lutte purement idéologique des différents courants de pensées social-démocrates à l’intérieur de ces organisations. Ce n’est pas encore facile à réaliser et nous n’y arriverons pas du premier coup. Mais la voie est tracée, les principes sont proclamés, et nous devons parvenir à réaliser complètement et de façon conséquente cet idéal sur le plan de l’organisation. » (Rapport sur le congrès d’unification, OC Tome 10, p 395).

A noter aussi sur cette question, ce passage dans lequel Lénine revient sur la question de la démocratie interne au Parti, rejetant l’idée que les bolchéviks soit moins attachés que les menchéviks à la démocratie en matière d’organisation, réfutant l’existence d’un « léninisme » préconisant un régime dictatorial et « monolithique » au sein du parti : « Car, dès le début (voir Un pas en avant, deux pas en arrière) nous avons déclaré que nous ne créons pas le moins du monde une tendance spéciale dite « bolchévique » ; nous défendons seulement partout et toujours le point de vue de la social-démocratie révolutionnaire. Or, il est inévitable que subsistent dans la social-démocratie, jusqu’au jour de la révolution sociale, une aile opportuniste et une aile révolutionnaire. Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur l’histoire du « bolchévisme » pour s’en convaincre. En 1903-1904, les menchéviques prêchent le démocratisme dans l’organisation. Les bolcheviks considèrent que c’est une phrase d’intellectuels jusqu’au moment où le parti agira ouvertement. Un menchévik, qui signe Un ouvrier, avoue dans une brochure parue à Genève en 1905[cf OC.Tome 8, p 49-55] qu’en réalité, il n’y a jamais eu chez les menchéviks aucun démocratisme. Le menchévik Larine avoue que tous leurs « racontars sur le principe électif » étaient de « pures inventions », qu’on essayait ainsi de « tromper l’histoire » et qu’en fait dans le groupe menchévique de Saint-Pétersbourg « le principe électif n’était pas encore admis à l’automne de 1905 ». Mais après la Révolution d’Octobre [Octobre 1905 quand par une grève politique massive, le tsar est contraint d’octroyer une constitution], les bolcheviques furent les premiers à déclarer dans la Novaïa Jizn que le démocratisme allait être effectivement implanté dans le parti[cf OC.Tome 10, p12-21] ». La crise du menchevisme, p 376-377, OC Tome 11).

Enfin, dans La guerre de partisans (OC Tome 11) Lénine synthétise ainsi ce qui distingue selon lui l’attitude marxiste par rapport à l’appréciation des formes de luttes : « Quelles exigences essentielles doit présenter un marxiste dans l’examen de la question des formes de lutte ? En premier lieu, le marxisme diffère de toutes les formes primitives du socialisme en ce qu’il ne rattache pas le mouvement à quelque forme de combat unique et déterminée. Il admet les méthodes de lutte les plus variées, et il ne les « invente » pas, il se borne à généraliser, organiser, rendre conscientes les formes de lutte des classes révolutionnaires, qui surgissent spontanément dans le cours même du mouvement. Absolument hostile à toutes les formules abstraites, à toutes les recettes de doctrinaires, le marxisme veut que l’on considère attentivement la lutte de masse qui se déroule et qui, au fur et à mesure du développement du mouvement, des progrès de la conscience des masses, de l’aggravation des crises économiques et politiques, fait naître sans cesse de nouveaux procédés, de plus en plus variés, de défense et d’attaque. C’est pourquoi le marxisme ne répudie d’une façon absolue aucune forme de lutte. En aucun cas, il n’entend se limiter aux formes de lutte possibles et existantes dans un moment donné ; il reconnaît qu’un changement de la conjoncture sociale entraînera inévitablement l’apparition de nouvelles formes de lutte, encore inconnues aux militants de la période donnée. Le marxisme, sous ce rapport, s’instruit, si l’on peut dire, à l’école pratique des masses ; il est loin de prétendre faire la leçon aux masses en leur proposant des formes de lutte imaginées par des « fabricants de systèmes » dans leur cabinet de travail. » (La guerre de partisans, p 215-216).

Voilà, nous nous contenterons de ces textes allant de la période entre les premiers écrits de Lénine et ceux de la période de la révolution de 1905. Nous pourrions en produire d’autres pour les périodes qui suivront, mais ceux-ci nous semblent largement suffisant pour infirmer totalement la thèse selon laquelle, avec Que faire ?, Lénine aurait posé les bases de la conception « marxiste-léniniste » du parti et aurait défendue de façon générale et toujours, l’idée selon laquelle la conscience socialiste est apportée au mouvement ouvrier « de l’extérieur ».
piter
 
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Message par Ottokar » 02 Mars 2007, 09:07

(El convidado de piedra @ jeudi 1 mars 2007 à 20:37 a écrit : Dis, Piter, arrete d'envoyer des pavés illisibles par internet; pas moyen de les lire correctement sans perdre le fil.Et la patience...

oui, illisible par moi en tout cas.

Je veux bien lire des textes longs et difficiles (et même Matérialisme et Empiriocritcisme, qui est plus excitant et passionant que le KamaSoutra aux yeux de notre ami Convidado !) si je suis convaincu que cela en vaut la peine. Convains-moi d'abord qu'une de tes idées est intéressante et originale, on verra ensuite si cela me donne envie de lire le reste de ta thèse et des tes Oeuvres complètes en 25 volumes.

Essaie de découper en petits bouts ?
Ottokar
 
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Message par pelon » 02 Mars 2007, 09:22

Oui, pour être lu il faut que les textes ne soient pas trop longs. que les textes soient aérés, qu'il y ait des titres si c'est possible. Les citations qui viennent en appui d'une discussion peuvent aussi être mis en gras dans les parties les plus signficatives. Il faut aussi bien relire ce que l'on met et supprimer ce qui est hors-sujet.
Dans tes posts, piter, il aurait déjà fallu que les caractères de tes commentaires se distinguent des citations.
pelon
 
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Message par piter » 02 Mars 2007, 13:00

c'est vrai que ma mise en forme est vraiment pas terrible (inexistante), c'est pas pour vous emmerder mais parce que j'ai du mal à comprendre comment mettre en forme mes posts, par exemple mettre en gras des titres, j'ai pas réussi...

pour la longueur c'est vrai que c'est trop long, mais découpé en morceau c'est n'a plus forcement vraiment de sens...peut etre j'essaierai quand meme. cela dit je n'oblige personne à lire en une seule fois.
bon j'essaie de voir ce que je peut faire...

si j'arrive pas à y retoucher c'est parce qu'on peut faire edit que sur son dernier post c'est ça? sinon comment faut faire?
piter
 
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