(Colette Bernard dans Lutte Ouvrière n°298 du 14 mai 1974 a écrit :
« Si j’avais su, j’aurais voté Arlette ! » Cette réflexion, beaucoup de camarades l’ont entendue lundi matin à l’atelier. « Si j’avais su », c’est-à-dire « si j’avais su que Mitterrand ne pouvait pas l’emporter au premier tour, alors, j’aurais voté selon mes convictions ». Et cette réflexion résume parfaitement à la fois l’impact et les limites de notre campagne.
L’impact a été réel ; 600 000 voix, cela compte et cela a été perçu ; mais les 2,33 % obtenus par notre camarade Arlette Laguiller sont sensiblement comparables aux résultats obtenus aux législatives de 1973, dans les circonscriptions où Lutte Ouvrière avait présenté des candidats.
En réalité, la majorité des travailleurs touchés par nos arguments, ébranlés par nos critiques et nos mises en garde, se reconnaissant dans nos propos et finalement d’accord sur le fond d’eux-mêmes avec ce que nous disions, n’ont pas osé affirmer cet accord, de peur de nuire si peu que ce soit au candidat commun de la gauche. Pendant trois semaines, le PCF a enfoncé ce clou ; pendant trois semaines, sa propagande orale, de bouche à oreille, portait sur ce seul « argument » : « Mitterrand n’a de chance qu’au premier tour, il ne doit pas lui manquer une seule voix. Au second tour, la droite se serrera les coudes et le réflexe anticommuniste jouera contre nous. Au premier tour, la droite est divisée, c’est notre grande chance. Il ne faut pas la gâcher. Mitterrand peut passer. Il faut tout faire pour qu’il passe. »
Et le PCF était secondé, dans cette tâche, par les derniers ralliés du Programme commun, à savoir le P.S.U. et la C.F.D.T., voire même par certains gauchistes qui, soudain touchés par la grâce électorale, proclament que Mitterrand c’était de la m… mais que l’on n’avait pas le choix !
En réalité, le ralliement à la candidature Mitterrand du P.S.U. et de la C.F.D.T. a été plus qu’un simple renoncement de la part de ces organisations à défendre leurs idées et leur programme, ç’a été une façon d’étouffer toute critique, de livrer les travailleurs pieds et poings liés au nouveau seigneur de la gauche. Critiquer Mitterrand, c’était le calomnier : se présenter, c’était faire acte de division ; exprimer des réserves, les réticences légitimes des travailleurs, c’était favoriser la droite. On a assisté, au cours de ces dernières semaines, à une vaste entreprise de mise en condition des travailleurs et d’étouffement de toute critique qui rend perplexe quant au climat démocratique qui suivrait un éventuel succès de la gauche unie. Il fallait déjà se taire avant que Mitterrand soit élu, qu’est-ce que cela pourrait donc être s’il devenait président de la République ?
Cette pression morale, qui visait à inculquer l’idée que Mitterrand pouvait passer au premier tout, ne reposait sur aucun argument rationnel – les résultats l’ont, depuis, démontré éloquemment -, mais elle allait dans le sens des espoirs de millions de travailleurs et de petites gens. Et la crainte sentimentale, presque superstitieuse, artificiellement provoquée par le P.C.F., le P.S.U. et la C.F.D.T., de nuire aux chances supposées de Mitterrand a retenu bien des travailleurs le 5 mai et les a empêchés de faire du premier tour le seul geste positif qu’ils pouvaient faire : donner un avertissement. Car voter révolutionnaire, voter Arlette Laguiller au premier tour, c’était la seule façon de faire du vote en faveur de Mitterrand au second tour un geste conscient, la seule façon de marquer sa volonté sans manifester de confiance aveugle, la seule façon de peser dans le sens des intérêts des travailleurs sur le vote Mitterrand du second tour. C’était aussi la façon la plus claire et la plus nette de montrer sa résolution et sa détermination à la droite et au patronat. Cela, beaucoup de travailleurs l’ont compris, mais la plupart d’entre eux n’ont pas osé faire le geste de voter le 5 mai pour Arlette Laguiller."
Etonnant ce score à plus de 40 % dès le premier tour de Mitterrand avec sans doute le report intégral des voix du PCF.
Déjà l'étouffement de toute critique et de tout positionnement indépendant, comme on l'a retrouvé après le 21 avril 2002 avec le tous-derrière-Chirac d'alors.
Il n'y a rien à changer aux dernières phrases de cette première partie d'un texte qui portait le titre suivant : LES 600 000 VOIX D’ARLETTE : LA CONFIRMATION D’UN COURANT REVOLUTIONNAIRE DANS LA CLASSE OUVRIERE
et dont voici la deuxième partie, qui visait à affirmer l'existence désormais démontrée d'un "courant révolutionnaire dans la classe ouvrière" et à dénoncer l'attitude "irresponsable" de la LCR qui... mais je vous laisse lire la suite :
a écrit : La grande presse, elle, a retenu ces 2,33 % des voix et parle de « percée », de « surprise », de « score », etc. Cet étonnement ne nous étonne guère. Nous savons d’expérience que la grande presse ne prend en considération et ne fait écho qu’aux nouvelles et aux événements qui rentrent dans le cadre de ses catégories, de ses habitudes et de son conformisme. Lutte Ouvrière, c’est-à-dire un courant politique représentant une fraction révolutionnaire du mouvement ouvrier, est tellement différent, par sa façon de s’exprimer, d’intervenir, d’apparaître, que depuis longtemps la presse a prix notre discrétion pour de l’inexistence et notre refus de toute publicité tapageuse pour de la faiblesse. Aujourd’hui, les 2,33 pour cent d’Arlette Laguiller – qui la placent largement en tête des candidats baptisés marginaux – et surtout la comparaison de ses résultats avec ceux de Krivine, surprennent les journalistes et les portent aux commentaires les plus fantaisistes. Mais, là encore, ils ne font preuve que de leur incompréhension.
Ces 2,33 % ne sont pas surprenants, c’est, nous l’avons dit, à peu de choses près le pourcentage que nous avons obtenu en moyenne dans les 171 circonscriptions où nous avions présenté des candidats Lutte Ouvrière aux législatives de l’année dernière. A l’époque, personne ne s’était aperçu de ce « score », de cette « percée », etc. Et pourtant, il faut bien le dire, le résultat d’aujourd’hui ne fait que confirmer en l’améliorant légèrement le résultat de 1973. Déjà, à cette époque, notre électorat était un électorat de gauche, un électorat populaire et l’étude des résultats par circonscription, voire par bureau de vote, avait établi que c’était dans l’électorat traditionnel du P.C.F. et, dans une moindre mesure, du P.S. que nous avions obtenu le maximum de suffrages. 200 000 voix (chiffre de 1973 sur 171 circonscriptions), cela représentait 10 % des voix obtenues par le P.C.F. dans ces mêmes circonscriptions, cela voulait dire que, pour dix électeurs du P.C.F., il y en avait un qui votait Lutte Ouvrière. Pour un courant ouvrier révolutionnaire, c’était une comparaison significative.
Comme étaient significatifs, sur un autre plan, les résultats obtenus par les candidats de Lutte Ouvrière et ceux de l’ex-Ligue Communiste. Comme était significatif le fait que nous ayons pu présenter 171 candidats – tous travailleurs -, alors que l’ex-Ligue n’en présentait que 90, et presque tous intellectuels. Déjà cela indiquait un rapport de force et d’influence militante et l’ex-Ligue Communiste et Lutte Ouvrière, largement en notre faveur. C’est ce qui nous a permis d’aborder ces élections présidentielles avec la conviction de représenter un courant révolutionnaire réel, connu et reconnu comme tel par une grande partie de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier. La candidature d’Arlette Laguiller, une travailleuse qui venait de jouer un rôle décisif dans la récente grève des employés de banques, une militante révolutionnaire trotskyste, membre de la direction nationale de L.O., nous paraissait devoir être la candidature la plus apte à représenter non seulement Lutte Ouvrière, mais le mouvement révolutionnaire tout entier, dans son implantation ouvrière. Les camarades du F.C.R., tout en affirmant vouloir une candidature ouvrière et représentative des luttes menées ces dernières années, ont refusé de soutenir la candidature d’Arlette Laguiller et ont paradoxalement présenté celle de Krivine. Nous avons dit, à l’époque, que nous jugions cette attitude irresponsable et que les résultats sauraient le dire mieux que nous. Aujourd’hui, c’est à chaque militant d’en tirer les conclusions (…).
(le texte est tiré du livre sur la campagne d'arlette de 1974 et non de Lutte ouvrière de l'époque : ce n'et pas moi qui mets les trois points de la fin)