L'Humanité de mai-juin 1945
à propos des massacres dans le Constantinois
(L’Humanité – 12 mai 1945 – pages 1 & 2 a écrit :
Après les incidents de Sétif
Où veut-on mener l’Algérie ?Depuis dix mois, le journal communiste français “Liberté” d’Alger dénonce les méthodes employées en Algérie pour affamer les populations musulmanes. Il a fourni, en particulier, de terribles précisions sur la manière dont on maintient stocké le peu de vivres qui existe, en particulier les dattes et les figues, alors que la population est affamée.
Le journal “Liberté” dénonce dans cette attitude abominable la main des traîtres à la France, toujours installés au gouvernement général, entre autres celle de M. Berque, directeur des Affaires indigènes, et celle de M. Balensi, directeur des Affaires économiques, ainsi que la poignée de vichystes enrichis dans l’armement et l’approvisionnement des armées Rommel, les Borgeaud, les Abbo (celui qui a dit : “Alger n’est pas Paris”), les Froger, etc... Ouvertement, ils mettent tout en œuvre pour accentuer la famine en Afrique du Nord. En même temps, ils constituent ouvertement des groupes fortement organisés et possèdent d’énormes stocks d’armes et de munitions.
Au mois de mars dernier, Etienne Fajon, député de la Seine, revenant d’Algérie, a dénoncé à l’Assemblée consultative les préparatifs de la cinquième colonne en Algérie, faciles à discerner : susciter des révoltes de la faim des populations musulmanes ; en profiter pour écraser les éléments démocratiques de la population et, en conséquence, instaurer en Afrique du Nord une dictature militaire fasciste, versaillaise, qu’on pourrait diriger, le cas échéant, contre le peuple de France.
Depuis que sont connus en Algérie les résultats du premier tour des élections municipales, nous voyons se réaliser point par point la provocation préparée au Gouvernement général avec l’aide de quelques policiers de bas-étage et, naturellement, de quelques éléments provocateurs au sein des populations algériennes.
En effet, une dépêche de l’A.F.P. annonce que des événements graves se déroulent à Sétif, département de Constantine. La population musulmane, complètement affamée, a été facilement poussée par quelques provocateurs bien connus de l’administration à des violences : on compte des morts.(10 lignes censurées)Après les incidents sanglants du 1er mai à Alger et à Oran, voulus et préparés par des fonctionnaires français vichystes, les mêmes criminels qui ont trahi la France mettent en œuvre les mêmes méthodes que la Gestapo pour empêcher l’union entre les populations musulmanes et le peuple français et trouver prétexte à l’instauration d’une dictature séparatiste.
Le ministre de l’Intérieur, dont dépend l’Algérie, va-t-il continuer une telle politique anti-musulmane et anti-française ?
Voudra-t-on entendre la voix des communistes algériens, celle de la raison : dans l’intérêt de l’Algérie et dans l’intérêt de la France, châtier les traîtres et les provocateurs et pratiquer à l’égard des populations musulmanes une politique d’humanité et de démocratie dans notre intérêt commun ?
(L’Humanité – 13%14 mai 1945 – deuxième édition – pages 1 & 2 a écrit :
Les événements d’Algérie
Il est juste temps de réparer des erreurs criminellesUn communiqué du gouverneur général de l’Algérie, en date d’hier, sur les troubles de Sétif, Canrobert, Bougie, Philippeville, Blida, déclare entre autres :
“Des éléments d’inspirations et de méthodes hitlériennes se sont livrés à des agressions à main armée sur les populations qui fêtaient la victoire dans la ville de Sétif et dans les environs. La police maintient l’ordre et arrête les responsables. L’armée lui apporte son concours. Les autorités sont bien décidées à prendre toutes dispositions utiles pour réprimer toutes tentatives de désordre.” De quelles “dispositions utiles” s’agit-il ? Arrête-t-on les vrais coupables ?
“Alger Républicain” publiait le 27 février dernier, une importante résolution de la Conférence des représentants des Partis communistes algérien, tunisien et marocain, tenue le 27 février sous la présidence d’Etienne Fajon, membre du Bureau Politique du Parti Communiste Français.
Celle-ci déclarait :
“Cette conférence constate que les efforts des organisations ouvrières et démocratiques en vue de développer cette participation de l’Afrique du Nord au combat pour le triomphe de la démocratie, se heurtent au sabotage, aux menées provocatrices et aux manœuvres de division exercées par les complices de l’hitlérisme en Afrique du Nord : les Seigneurs de la terre, des mines, de la banque, les féodaux nord-africains et les hommes de Vichy placés trop souvent encore à certains postes de commande de la haute administration.
La conférence dénonce à ce sujet l’état de famine organisée dans la campagne nord-africaine, comme une tentative délibérée des éléments fascistes en vue de susciter des émeutes de la faim et des troubles qui pourraient dans leur esprit favoriser l’Allemagne hitlérienne, nuire à l’union des populations de l’Afrique du Nord avec le peuple de France, et justifier une répression sauvage et la suppression des premiers et récents progrès accomplis dans la voie de la démocratie.
Dans ces conditions, la conférence considère que la solution rapide du problème du ravitaillement et la satisfaction des légitimes revendications des populations nord-africaines sont indispensables pour assurer l’union de ces populations avec le peuple français et leur participation efficace à l’effort de guerre...”
Voici donc plus de trois mois que les dirigeants des Partis communistes nord-africains, — c’est-à-dire des seules organisations qui ont mené la lutte contre l’occupant hitlérien et les vichystes, — dénonçaient nettement la provocation qui se préparait. Tout s’est passé exactement comme l’avaient prévu les communistes nord-africains. Et voilà qu’aujourd’hui le gouvernement général rejette l’entière responsabilité des troubles, uniquement, sur des éléments musulmans. Qu’il y ait parmi eux quelques hitlériens, c’est d’autant plus évident que le chef pseudo-nationaliste tunisien Bourguiba était en Allemagne au moment de la capitulation hitlérienne et vient d’arriver dans un pays d’Afrique du Nord. Mais le nœud de la provocation vient du gouvernement général d’Algérie et des résidences du Maroc et de Tunisie. C’est là que se trouvent les affameurs des populations musulmanes. C’est de là que l’on oriente les provocateurs, des deux côtés, pour faire verser le sang. Le but recherché a été avoué, voici plus d’un an, par un dénommé Cerda, collaborateur notoire. Ne déclarait-il pas : “Alger n’est pas Paris”, ce qu’il commentait ainsi : “La libération de la France par l’effort de son peuple et son orientation démocratique nous amèneront à nous séparer d’elle.” Et pour commencer, ces messieurs voudraient créer en Afrique du Nord un refuge et une base pour les fascistes traîtres à la France.
Les mesures à prendre doivent être immédiates et rapides. Il en est trois urgentes :
1° Il faut immédiatement donner à manger aux affamés. Puisque le gouvernement provisoire a jugé utile de reprendre des relations “amicales” avec l’Argentine pro-fasciste, la première mesure est d’amener des bateaux de blé d’Argentine en Afrique du Nord ;
2° Il faut destituer immédiatement les hauts fonctionnaires du gouvernement général de l’Algérie qui, volontairement, ou par leur incapacité, ont été à la source des incidents du 1er mai à Alger et à Oran et des troubles de Sétif et autres lieux. Le premier à destituer est M. Bergue, directeur des affaires musulmanes, et le deuxième est M. Balensi, directeur des affaires économiques, tous deux vichystes notoires ;
3° Il faut mettre hors d’état de nuire les traîtres, ceux qui ont ravitaillé les armées de Rommel, ceux qui ont accumulé en Algérie les mêmes crimes que leurs pareils en France et qui s’appellent : les Cent Seigneurs de la Terre, des Mines, de la Banque, et autres collaborateurs comme les Borjeau, les Cerda, les Abbo, tous inspirateurs de bandes fascistes armées.
Ainsi, seulement sera véritablement “rétabli l’ordre en Afrique du Nord”, surtout si, conformément aux promesses faites, les libertés démocratiques élémentaires sont enfin établies en Algérie et si les élections municipales et cantonales permettent aux Français et aux Musulmans de débarquer traîtres et vichystes.
(L’Humanité – 15 mai 1945 – pages 1 & 2 a écrit :
Pour mettre fin aux troubles d’Algérie
Donner du pain et non des bombes !
Arrêter les Vichystes !Donner à manger aux affamés, arrêter immédiatement la poignée de grands propriétaires affameurs qui sont à la source des troubles, relever de leurs fonctions quelques hauts fonctionnaires vichystes, annoncer sans nouveaux délais la date des élections municipales et cantonales. Voilà les premières mesures à prendre d’extrême urgence, les seules qui puissent “rétablir l’ordre en Algérie”, et voilà ce que déclarèrent vendredi les communistes algériens au gouverneur général.
Il y a trois semaines en effet, le dénommé ABBO, grand propriétaire foncier, fasciste et collaborateur notoire, a déclaré publiquement : “Il y aura de tels troubles en Afrique du Nord que l’ordonnance du 7 mars ne pourra pas être appliquée.” Il s’agit de l’ordonnance qui accorde à une partie de la population musulmane le droit de vote aux élections municipales.
Ces propos sont parfaitement connus au gouvernement général : en particulier, de M. BERQUE, directeur des affaires musulmanes, et de quelques anciens vichystes qui occupent des postes auprès du gouverneur. M. ABBO aurait dû, pour le moins, être mis en résidence surveillée, voici longtemps. Mais ce sont des musulmans que l’on arrête.
A Constantine, en ce moment, les vichystes organisent, avec l’assentiment du préfet, ce qu’ils appellent des “Milices d’Ordre”. Ces messieurs disposent d’armes, y compris des mitrailleuses qu’on n’a pas données à l’armée française. Ainsi se réalise point par point ce que les communistes d’Afrique du Nord avaient prévu dès le 27 février dernier, à savoir :
On affame les masses musulmanes, on les prive de tout tissu, au point que les femmes de l’intérieur ne peuvent sortir, car elles sont pratiquement nues, et, sur une masse affamée qui constate la non-réalisation des promesses faites du point de vue démocratique, agissent quelques agents provocateurs.
Ces agents provocateurs sont parfaitement connus de l’administration algérienne, dit le communiqué d’une délégation communiste reçue au gouvernement général le 11 mai. Or on ne les a pas arrêtés ! Il est clair que dans ces conditions, les troubles ne pouvaient qu’éclater.
Or, comme par hasard, ces troubles se sont produits au lendemain du premier tour des élections municipales en France, qui ont créé en Afrique du Nord un immense espoir de libertés démocratiques et antifascistes.
C’est dans ces conditions qu’une délégation du Parti Communiste algérien, avec des représentants en Afrique du Nord du Parti Communiste français, a demandé au gouvernement général l’arrestation des provocateurs d’Algérie qui sont parmi les cent seigneurs fascistes d’Algérie, comme les dénommés Abbo, Borgeaud et Serda entre cinquante autres, parmi lesquels de hauts fonctionnaires de Vichy maintenus dans l’administration, l’armée et la police.
La délégation communiste a insisté auprès du chef du cabinet politique du gouverneur général pour que sans nouveaux délais soient immédiatement distribués les 7 kilogrammes 500 de céréales promis aux populations, et les produits contingentés de mai. Elle a exigé que soient débloqués les légumes secs et autres denrées qu’on laisse pourrir comme les dattes et les figues, sous prétexte de les conserver pour la métropole. Elle a demandé que l’allocation militaire soit payée régulièrement aux femmes musulmanes, et surtout que les traîtres vichyssois soient immédiatement épurés et arrêtés. Et que le dénommé Berque, responsable au premier chef des incidents, soit immédiatement suspendu de toute fonction. De même, elle a demandé que les officiers vichystes et leurs protecteurs soient immédiatement destitués.
Les renseignements qui nous parviennent de tous côtés sur la situation en Afrique du Nord indiquent que la seule politique possible, à l’heure actuelle, est d’appliquer immédiatement les mesures proposées par les communistes algériens et particulièrement l’ordonnance du 7 mars, accordant quelques libertés démocratiques essentielles. Toutes autres mesures, et en particulier, les violences systématiquement préconisées encore à l’heure actuelle, auront des effets exactement contraires.
D’ailleurs, une campagne de calomnies infâmes est menée contre la direction du Parti Communiste Algérien, et en particulier contre notre camarade Amar Ouzegane.3 lignes censuréesCar des communistes algériens ont été blessés ou gravement mutilés en essayant de montrer à la foule surexcitée que ses vrais ennemis n’étaient pas les Français en général, mais les vichystes et quelques caïds voleurs, protégés par la haute administration.
Au lendemain du deuxième tour des élections municipales en France, qui confirme l’orientation nettement démocratique et antifasciste que le peuple réclame du gouvernement, il est possible de rétablir en Afrique du Nord le calme, par des mesures de sagesse et non par des mesures de force, qui discréditeraient la France non seulement en Afrique du Nord, mais aux yeux du monde entier.
(L’Humanité – 16 mai 1945 – pages 1 & 2 a écrit :
Après les graves événements d’Algérie
Un communiqué officiel qui n’apporte rienUne note d’hier du ministère de l’Intérieur rejette la responsabilité des troubles de Sétif et de Guelma “sur des éléments du Parti Populaire Algérien et sur certains éléments du mouvement Les Amis du Manifeste”.
On persiste donc à rejeter sur des musulmans la responsabilité des troubles qui se sont produits.
En revanche — fait très grave — l’Intérieur “oublie” les vrais coupables, les vichystes et les fascistes français.
Le communiqué officiel attribue à la sécheresse les difficultés du ravitaillement en blé.
Or, toute l’Algérie sait que, dès 1943, les vichystes que sont les cent seigneurs d’Algérie ont systématiquement réduit chaque année leurs ensemencements ; ils ont fait plus : le fils d’un gros propriétaire, interné administrativement pour trahison, a, voici un an, fait jeter dans la Tafna 300 quintaux de blé. L’affaire a été dénoncée publiquement dans la presse, entre dix autres.
Aucune sanction n’est intervenue à l’égard de ce misérable et son père a été libéré, parce que partisan actif de “l’ordre nouveau”. Tout collaborateur déclaré est en effet protégé par de très hauts fonctionnaires vichystes.
Voilà donc les premiers responsables de la famine : ils ne sont pas frappés.
Le communiqué officiel reste muet sur les mesures nécessaires à l’égard de ces affameurs : la confiscation pure et simple pour crime de trahison de leurs terres et leur distribution aux fellahs affamés.
Une seconde mesure s’impose : le désarmement immédiat des organisations fascistes et vichystes d’Algérie, formées par les mêmes individus, anciens bailleurs de fonds du P.P.F., doriotiste, responsables essentiels des troubles. Laisser les armes entre les mains des “milices d’ordre” constituées à Constantine, c’est aller à des incidents encore plus graves : c’est armer ouvertement la cinquième colonne.
Le communiqué officiel accuse des éléments du mouvement “Les Amis du manifeste” d’avoir poussé à la révolte. En supposant qu’il y ait du vrai dans cette affirmation, pourquoi donc le Gouvernement général a-t-il autorisé la parution du journal de cette organisation ( “Egalité” ) dont nous possédons le numéro du 4 mai ?
Le directeur des Affaires indigènes, M. Berque, tient donc à ce qu’on fasse appel à la révolte ; sans doute pour avoir l’occasion de la réprimer et d’instaurer un régime de dictature militaire, que désirent les vichystes — séparatistes comme les Serda. La provocation apparaît donc organisée d’en haut des deux côtés.
Et d’autant plus que la même direction des Affaires indigènes interdit au Parti communiste algérien de faire paraître son journal en langue arabe : “L’Algérie Nouvelle”. Parce que le Parti communiste algérien mène la lutte en plein contre les vichystes traîtres à la France et oppresseurs de l’Algérie et pour l’union des populations musulmanes avec le peuple de France contre leurs ennemis communs les 100 seigneurs de la terre, fascistes en grande majorité, comme certains de leurs protecteurs et serviteurs du Gouvernement général, fascistes actifs.
En d’autres termes, le communiqué de l’Intérieur ne dit pas un mot sur les mesures essentielles qui peuvent arrêter les troubles : le châtiment des traîtres vichystes et fascistes (anciens P.P.F. entre autres) en Afrique du Nord, et surtout la confiscation de leurs terres non ensemencées pour les mettre au service des affamés, enfin la réalisation effective des promesses faites par l’ordonnance du 7 mars 1944, c’est-à-dire la fixation immédiate des élections municipales et cantonales.
Le communiqué déclare : “L’ordre a été rapidement rétabli par les forces de police assistées de détachements de l’armée et de l’aviation, le nombre des victimes dépasse la centaine.”
Cela suffit à indiquer la gravité des événements. Nous voulons espérer que, dans ce domaine comme dans celui de la politique intérieure française, le Gouvernement provisoire pratiquera enfin une politique correspondant à la volonté démocratique et antifasciste nettement exprimée par la nation française et qui est la seule à l’heure actuelle qui puisse sauver la situation.A la commission des Affaires musulmanesLa commission permanente de coordination des Affaires musulmanes de l’Assemblée consultative, réunie sous la présidence de Pierre Bloch, a examiné la situation en Afrique du Nord.
Elle a regretté que les délégués de l’Assemblée consultative, de retour d’Afrique du Nord, n’aient pu rendre compte de leur mission aux pouvoirs publics.
Elle a décidé de demander au président du Gouvernement provisoire de la République et au ministre de l’Intérieur de recevoir son bureau et les délégués de retour de l’Afrique du Nord.
(L’Humanité – 18 mai 1945 – page 1 a écrit :Les événements d’Algérie(165 lignes et titre différés par la censure)
(L’Humanité – 19 mai 1945 – pages 1 & 2 a écrit :
En Algérie, état de siège et cours martiales
Le fascisme organise ouvertement la guerre civile
Sanctions immédiates contre les hauts fonctionnaires responsables des massacres !Le communiqué du 15 mai du ministère de l’Intérieur relatait une centaine de morts au cours des tragiques événements qui ensanglantent les régions de Sétif et Guelma. Malheureusement, ce chiffre est très loin de correspondre à la réalité.(4 lignes censurées)Sur une distance de 150 kilomètres, de Sétif à la mer, la loi martiale est proclamée.(2 lignes censurées)Les musulmans des campagnes, qui n’ont pas pris la moindre part aux agissements d’une poignée de tueurs à gages dont les chefs sont connus comme mouchards au service de Berque, directeur des Affaires musulmanes, sont pourchassés(3 lignes censurées)La légion étrangère, les tirailleurs sénégalais et marocains, l’artillerie, la marine, l’aviation mènent une vaste opération de représailles.(7 lignes censurées)Ainsi se réalise le plan des fascistes français et algériens, bénéficiant de criminelles protections dans la haute administration : créer en Algérie les conditions d’une dictature fasciste, en creusant toujours davantage le fossé établi entre Européens et Musulmans.
Mais(1 ligne censurée)cela ne suffit plus aux seigneurs de la colonisation : ils veulent ouvertement, organiser la guerre civile.
Dans leur séance du 16 mai, les Délégations financières, émanation directe des gros “colons” — des cent seigneurs d’Algérie — ont l’insolence de demander officiellement l’interdiction de la presse démocratique, le maintien de l’état de siège, la création de nouvelles cours martiales, l’armement “immédiat et sérieux” des Européens, la “création immédiate de Gardes civiques engageant la responsabilité des maires et administrateurs”, le renforcement de l’autorité des hauts fonctionnaires “chargés d’assurer l’ordre et la paix française”.
En d’autres termes, ce que veulent les instigateurs des tragiques événements du Constantinois, c’est provoquer des soulèvements et instaurer une véritable dictature, ce qui leur permettrait d’accentuer encore la répression et de faire de l’Algérie un terrain propice à l’“ordre” fasciste.
Ils se savent soutenus par des vichystes aussi marqués que les hauts fonctionnaires du Gouvernement général Berque et Balensi non encore relevés de leurs fonctions, malgré leur responsabilité évidente, par le gouverneur général Chataigneau.
Ils le sont également par Lestrade-Carbonel, préfet de Constantine, qui déclarait il y a un an : “Je mâterai les communistes”, au moment où ceux-ci tombaient en France sous les coups des S.S. C’est lui qui, le 13 avril 1945, à Biskra, annonçait qu’il saurait user des “moyens radicaux et cela sans faiblesse” contre les organisations syndicales agricoles. Ce sont de tels hitlériens qui sont les grands responsables des troubles d’Algérie.
Pour que “l’ordre” existe vraiment en Algérie, il faut immédiatement :
1) Ravitailler les populations musulmanes, en particulier celles des “régions sinistrées” que les pouvoirs publics privent de toute nourriture depuis le 8 mai.
Or, c’est le directeur des Affaires économiques, M. Balensi, qui ose déclarer : “Ce n’est pas maintenant que je vais leur donner à manger !”
2) Punir comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 mai et les chefs pseudo-nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des cent seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes et le peuple de France.
3) Arrêter sans plus attendre les traîtres qui, hier, ravitaillaient Rommel et aujourd’hui organisent le complot contre la France.
4) Relever de leurs postes les hauts fonctionnaires qui participent à ce complot, en premier lieu : Berque, Balensi et Lestrade-Carbonnel, préfet de Constantine ; cela sans préjudice de sanctions beaucoup plus sévères largement méritées.
5) Ouvrir une enquête sérieuse sur les instigateurs et ordonnateurs des massacres qui se poursuivent depuis plus d’une semaine sur des populations innocentes et sans défense.
6) En finir immédiatement avec l’utilisation d’engins blindés, de l’artillerie, de la marine et de l’aviation dans des “expéditions punitives”, quels que soient les prétextes donnés pour les justifier.
Le Gouvernement provisoire se doit de faire appliquer tout de suite ces premières mesures de salut public et de prendre les sanctions qui s’imposent. Toute autre politique ne pourrait avoir comme résultat que de dresser les populations d’Afrique du Nord contre le peuple français et de faciliter les menées séparatistes des hitlériens à la Abbo, Serda, Borjeaud et autres fascistes algériens.
(L’Humanité – 20%21 mai 1945 – page 1 a écrit :
Pour resserrer l’alliance des populations d’Afrique du Nord et du peuple français
Contre le fascisme
Au Comité Central du Parti Communiste AlgérienLe Comité Central du Parti Communiste Français, réuni en session extraordinaire, adresse son salut fraternel au Parti Communiste Algérien : les tragiques événements qui se déroulent en Algérie depuis le 8 mai dernier ont permis de vérifier à la fois la justesse de sa ligne politique et sa capacité de réalisation pratique.
Ces événements ont, en effet, montré que les provocations des cent seigneurs de la terre, des mines et de la banque — instruments des trusts en Algérie — soutenus par une poignée de hauts fonctionnaires indignes, et disposant d’agents directs ou inconscients dans certains milieux musulmans qui se prétendent nationalistes, ONT PU ETRE DEJOUEES PARTOUT OU LE PARTI COMMUNISTE ALGERIEN POSSEDE DES ORGANISATIONS PUISSANTES ET INFLUENTES PARMI LES MASSES.
Le Parti Communiste Algérien remplit ainsi sa grande tâche de rassembler les populations algériennes, sans distinction de race ni de religion, dans la lutte contre les traîtres et les diviseurs et dans une alliance étroite avec le peuple de France contre l’ennemi commun, le fascisme.
Le Parti Communiste Français incline ses drapeaux de combat devant les communistes algériens — musulmans et français — tombés ou gravement blessés durant ces derniers 15 jours, pour notre cause commune. Le Comité Central assure le Parti Communiste Algérien qu’il mettra tout en œuvre pour l’aider dans cette grande lutte qui permettra aux populations algériennes comme au peuple de France d’avancer dans la voie de la démocratie et du progrès.
Paris, le 18 mai 1945.
LE COMITE CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS.
(L’Humanité – 25 mai 1945 – page 1 a écrit :Un militant communiste assassiné à Alger(Article différé par la censure)
(L’Humanité – 26 mai 1945 – page 1 a écrit :Où veut-on mener l’Algérie ?Article de 180 lignes différé par la Censure.
(L’Humanité – 29 mai 1945 – page 2 a écrit :Où veut-on mener l’Algérie ?La censure est supprimée, mais c’est en Angleterre.
En France, comme d’habitude, quand un ministre est mis en cause, il empêche la parution de l’article qui ne lui plaît pas : il en est ainsi du ministre de l’Intérieur en ce qui concerne les sanglants événements d’Algérie.
C’est un moyen commode, certes, mais qui ne résout rien et qui, en tout cas, n’empêchera pas la manifestation de la vérité. Seulement, un temps précieux aura été ainsi perdu pour les Français et les amis de la France, temps gagné par les hitlériens et fascistes de tout acabit.
Nos lecteurs nous excuseront donc de ne pas leur apporter les éléments qu’ils sont en droit d’attendre de leur journal : il nous faudra attendre la prochaine session de l’Assemblée Consultative pour faire connaître la politique pour le moins “étrange” pratiquée par le ministre de l’Intérieur en Algérie.
Nous avons déjà dénoncé l’ampleur du complot organisé en Algérie contre le peuple de France par une poignée de traîtres, les Cent Seigneurs de la terre, des mines et de la banque, soutenus par les hauts fonctionnaires vichystes restés en place au gouvernement général.
Nous avons montré que les sanglants événements de Sétif et de Guelma représentaient une monstrueuse provocation, longuement préméditée, devant servir de prétexte à la plus bestiale répression que l’Algérie ait connue depuis 1871.
Or, les renseignements qui nous parviennent ne font que confirmer l’urgence qu’il y a, dans l’intérêt de l’Algérie et de la France, à prendre enfin les mesures qui s’imposent pour instaurer véritablement en Afrique du Nord “l’ordre français”.
Malgré les déclarations du ministre de l’Intérieur et du gouverneur général, des opérations de représailles, parfaitement injustifiées, se poursuivent en divers points d’Algérie. Des régions entières sont toujours privées de ravitaillement, ce qui ne peut que contribuer à pousser à bout les malheureuses populations musulmanes, déjà sous-alimentées et dénuées de tout vêtement. Les provocations se multiplient de la part de certains fonctionnaires d’autorité, ayant à leur tête le fasciste LESTRADE - CARBONEL, préfet de Constantine. Le plan des Cent Seigneurs et de leurs agents du gouvernement général ayant été dénoncé, tous les moyens sont maintenant utilisés pour accréditer la thèse officielle de “l’insurrection arabe”, justifiant de nouvelles tueries, plus terribles encore que celles de Sétif et de Guelma.
En attendant, sous l’impulsion des Grands Seigneurs de la terre, qui ont monté la provocation en refusant de livrer leur blé aux services du Ravitaillement, les “Gardes Civiles” s’organisent. A Boufarik, ces féodaux tiennent des réunions en invitant les petits colons à “prendre des dispositions en cas d’événements”. Tous les fascistes sont armés. Les S.O.L. et les P.P.F. relèvent la tête. Dans la région de Sétif, certains d’entre eux, qui se trouvaient en résidence surveillée, ont été libérés et, naturellement, participent au “maintien de l’ordre”.
La terreur règne en Algérie. Evidemment, on essaie d’atteindre, et de discréditer, les organisations démocratiques, en premier lieu le Parti Communiste Algérien, dont la clairvoyance et l’action bien avant le début des récents événements contrecarrent le déroulement du complot fasciste. Les déplacements des militants communistes et les réunions publiques ont été interdits dans le département de Constantine. De basses calomnies sont lancées par l’administration contre nos dirigeants.
Comme cela ne suffit pas encore, on a recours, contre notre Parti, à la provocation classique. Dans la nuit du 17 au 18 mai, notre camarade LADJALI MOHAMED SAID, secrétaire de la section communiste de la Casbah d’Alger, a été abattu par la police : le fait est reconnu et mentionné dans la presse d’Alger. Et, comme par hasard, trois jours plus tard il est trouvé porteur de “documents très importants” des Amis du Manifeste, organisation pseudo - nationaliste dont les tueurs ont participé aux événements de Sétif et d’ailleurs...
La population d’Alger a déjà répondu comme il convient à cette nouvelle provocation de la haute administration en faisant à notre camarade de grandioses obsèques.
Il faut que le ministre de l’Intérieur et le gouvernement provisoire indiquent clairement où ils entendent mener l’Algérie. Car il n’y a qu’un moyen de ramener le calme dans les territoires d’outre-mer : rompre définitivement avec une politique qui fait le jeu des fascistes contre la France. Il n’y a qu’un moyen : donner à manger aux populations affamées ; arrêter les traîtres et saisir leurs biens ; relever de leurs postes les hauts fonctionnaires dont la responsabilité dans les récents événements ne fait plus de doute pour personne, les BERQUE, les BALENSI, les LESTRADE-CARBONEL ; faire cesser immédiatement toute répression à l’égard d’innocents ; enfin, appliquer non seulement en paroles mais dans les actes l’ordonnance du 7 mars 1944.
Ainsi seulement pourra se forger cette union des populations algériennes, sans distinction de race, et du peuple de France, seule base possible d’un ordre véritable en Algérie.
(L’Humanité – 31 mai 1945 – page 2 a écrit :Arrestations en Afrique du NordOn apprend l’arrestation, après les événements du département de Constantine, de Ferrat Abbas, Conseiller général, président du comité des “Amis du Manifeste”. Une mesure identique a été prise à l’égard du Dr Saadane, membre du comité directeur de la même organisation.
Il est bien que des mesures soient prises contre des dirigeants de cette association pseudo-nationale dont les membres ont participé aux tragiques incidents de Sétif. Mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut épurer énergiquement les hautes administrations où subsistent trop d’éléments vichyssois. Il faut surtout agir contre les “cent seigneurs” de la terre, des mines et de la banque, qui organisent l’agitation fasciste. Et l’Algérie retrouvera le calme et la prospérité.
(L’Humanité – 8 juin 1945 – page 1 a écrit :
Pour l’union au service de la démocratie et du progrès
Procès-verbal du bureau politique du Parti Communiste Français
(Séance du 7 juin 1945)
Le Bureau politique du Parti communiste français s’est réuni sous la présidence de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti.
Les événements d’AlgérieLe Bureau politique a entendu un rapport d’Etienne Fajon sur l’entrevue qui s’est déroulée le 6 juin entre la délégation communiste, composée d’André Marty, Etienne Fajon, Joanny Berlioz, André Mercier, et le ministre de l’Intérieur à propos des récents événements d’Algérie.
Le Bureau politique a insisté à nouveau sur la nécessité de prendre des mesures propres à développer l’union des populations algériennes sans distinction de race ou de religion et l’amitié de ces populations avec le peuple français.
Il a estimé que les plus urgentes de ces mesures sont : l’amélioration sans délai du ravitaillement en Algérie, la levée des mesures d’état de siège et la reprise des pouvoirs par l’autorité civile ; la démobilisation immédiate des militaires algériens, officiers ou sous-officiers de réserve et soldats appartenant aux classes non touchées par la mobilisation sur le territoire de la métropole ; le châtiment des traîtres qui, après avoir approvisionné l’ennemi pendant deux ans, s’emploient aujourd’hui à provoquer des émeutes de la faim ; la destitution des hauts fonctionnaires vichystes du gouvernement général de l’Algérie ; la dissolution des Délégations financières, dont l’activité, notamment au cours des récents événements, s’est avérée comme un élément actif de troubles en Algérie ; enfin la mise en pratique des dispositions de l’ordonnance du 7 mars 1944 relatives à l’élargissement des libertés démocratiques en Algérie.
(L’Humanité – 17%18 juin 1945 – page 2 a écrit :
Tandis que les provocateurs vichystes sont toujours en place
Treize condamnations à mort dans le procès des émeutiers de SétifDix-sept émeutiers de Kerrata ont comparu hier devant le tribunal militaire de Constantine siégeant à Sétif.
Treize condamnations à mort et trois peines de travaux forcés ont été prononcées. Un complément d’information a été ordonné pour le dernier inculpé.
La justice est prompte à l’égard de ces comparses, simples instruments plus ou moins conscients ; mais elle laisse impunis les provocateurs, les chefs du complot. Les grands responsables sont les fonctionnaires vichyssois, toujours en place, couvrant les agissements de la cinquième colonne, dirigée par les “cent seigneurs” d’Algérie.
Demandant une épuration sans faiblesse, André Marty jetait un cri d’alarme en septembre dernier et déclarait : “Il faut écraser immédiatement la cinquième colonne en Afrique du Nord. Il y va du salut de la France.”
* Coquilles manifestes et erreurs sur les noms connus corrigées