(artza @ lundi 20 juin 2005 à 08:32 a écrit : Ais-je bien lu?
Il me semble que l'avenir de l'agriculture vue par Pouget n'est pas exactement celui des "écolos-alternativos-libertaires" d'aujourd'hui.
Eh non, cela a dégénéré sec.
a écrit :
CINQUIÈME VEILLÉE
- Ça n’ira pas tout seul, me disait, ce soir-là Pichevin, en hochant la tête. D’abord, y aura pas moyen de s’entendre.
- Tu crois ça, l’ami ? Eh bien si tu veux, ce soir nous causerons sur « l’entente ».
- Ça va, dit Pichevin.
- Eh bien, écoutez les gas : vous savez tous que quand on prend la route qui va de Terrefort à la Béziade après avoir descendu la côte de Capbartos, passé par la ferme de Mascouyounat, traversé les taillis de Pigasse, vous trouvez le hameau de Mougnane, un voisinage de sept ou huit cahutes.
« C’est là qu’est arrivé le petit bout d’histoire que je vas dégoiser ci-dessous :
« Les gas de Mougnane sont des types solides, durs à la besogne, pas manchots pour deux sous ; chaque famille y possède un coin de terre qui est bien loin de la nourrir, aussi ses membres turbinent souvent pour plus riche qu’eux, se louent pour la moisson et les semailles, vont en journées. Bref, nom de dieu, ils vivotent de broc et de broc. Avec ça, comme ils ont l’horizon grandement rétréci, leur jugeotte encore en herbe, l’appétit facile à satisfaire, l’ambition à naître, - ils ne renaudent pas trop et se contentent de leur pas enviable sort.
« Oui, foutre, ils ne refoulent pas au travail éreintant qui use son homme sans lui laisser un quignon de pain pour sa vieillesse ; ils ne bottent pas le cul au Mossieu plein de morgue et de truffes ; ils laissent partir leurs fistons à la caserne ou à Madagascar et portent sans rouspétance leur monouille si péniblement acquise au jean-foutre de percepteur.
« Est-ce à dire que les bougres se sentent bien à l’aise et n’aient rien à demander ? Faut pas le croire, crédieu ! Si routiniers et bêtes de somme qu’ils puissent être, si minimes que soient leurs besoins, ils pâtissent parfois des choses de première nécessité. ainsi l’eau, - le vulgaire sirop de grenouille, - leur faisait, il y a quelques temps encore, bougrement et salement défaut.
« Oh, pas absolument défaut ! Car au fin fond du pré du vieux Jaquille il y a, sous deux saules, une fontaine où l’eau est bien fraîche et bien abondante ; un tantinet plus loin, il y a des étangs rudement poissonneux où l’hiver, quand buffe la bise, les canards sauvages aiment à se baigner.
« Mais tout cela est éloigné en diable du petit patelin et les bonnes bougresses, la cruche sur la caboche suaient sang et eau avant de radiner à la piôle. En plus, avec les garces de chaleurs qui vous dessèchent la gueule comme un four-à-chaux, pas mèche de jamais boire frais.
« Y avait bien un remède à cette foutue abomination : fabriquer des puits ! Mais, comme l’eau est basse, ça revient chérot et la sacoche des gas est légère. Chacun pris à part, où trouver les trois ou quatre cents balles indispensables au creusement dudit puits ?
« Que foutre, alors ? Continuer à bramer la soif, kif-kif en plein Sahara ? Ou bien se mettre à la recherche d’un créancier pour quelques centaines de livres ? Alternative cruelle que d’être placé entre la soif et l’usure : deux choses pareillement dégoûtatives et emmerdatoires.
« Un biais fut trouvé. Pierrichot, qui n’est pas le plus couillon du pays, offrit son jardin pour creuser un puits commun à tous les gas du hameau, où tout un chacun aurait le droit de puiser, à condition de contribuer à sa construction. Illico, l’accord se fait sur ces bases.
« Sitôt pris, sitôt pendu ! On se mit dès le lendemain à la besogne : chacun à son tour piochant et tournant la manivelle pour grimper les bennes. D’autres approchèrent les matériaux pour construire, se mirent à extraire la pierre, - si bien qu’en deux temps et trois mouvements, il y eut une source abondante.
« Ce qui aurait fichu sur la paille un type seul, ne coûta que peu d’efforts à l’ensemble du voisinage.
« Maintenant, mille dieux, laissons à leur puits les mougnanais et, toujours sur le même chemin, filons jusqu’à la Béziade.
« Là, c’était pas un puits qui manquait aux bons bougres ; les ménagères pouvaient à volonté cuire la bonne soupe et laver la lessive, mais le pauvre champ de navets laissait rudement à désirer.
« Oui, vietdaze, ce champ où nous pioncerions le grand somme était dans un état tout à fait dégueulasse. Pas de haie à l’entour, pas de mur de clôture, pas la moindre barrière : poules, porcs et chiens se baladaient parmi les tombes sans que la putain de municipalité se décidât à clôturer d’une manière ou d’une autre.
« Et la municipalité d’avant, qui était conservatrice ne s’en était pas plus occupée que celle-ci qui est républicaine. Ces andouilles se chamaillent pour des affaires qui se règlent à Paris et se foutent comme d’une crotte de chien de celles de leur patelin.
« Tout autre est l’ami Antougnan, un gaillard qui ne veut être ni garde champêtre ni sénateur, mais qui lit le Père Peinard et s’en trouve bien.
« Il ne fit ni une ni deux, lorsqu’il fut convaincu que les conseillers cipaux ne voulaient rien foutre pour le cimetière il emmancha une réunion et, sans barguigner, proposa au populo de la Béziade de fabriquer à frais communs et à la bonne franquette le mur de clôture du champ-de-navets.
« Il y eut bien des ronchonneurs, comme il y en a toujours, mais les gas à la redresse comprirent vivement de quoi il retournait et, mille dieux, le plus gros de la bande fut séance tenante de son avis.
« Sans compter que quand les ronchonneurs virent les autres en train, ils prirent le bon parti de faire comme tout le monde. Les maçons s’offrirent gratuitement à donner quelques journées, les bouviers à porter la chaux, le sable, la pierre ; d’autres bons bougres servirent les maçons... Et ce qui semblait la mer à boire pour Mossieur le Mare, sa pochetée d’adjoints et la dizaines d’andouilles mal ficelées du conseil cipal était achevé dans la quinzaine.
« Ohé, mon vieux Pichevin, que penses-tu de mes deux histoires de Mougnane et de la Béziade ? »
- Eh bien, Barbassou, j’en pense pas grand chose : des trucs de même calibre, ça se voit tous les jours, - je t’aide... tu m’aides... et ainsi de suite, à charge de revanche !
- Fort bien, l’ami ! Sache donc que tout ça c’est du communisme, - tu en fais sans le savoir. Tu vois comment on se monte le bourrichon quand on s’offusque de mots : le communisme qui, à quantité de types, paraît un écheveau diablement embrouillé est simple comme bonjour : qu’on fasse pour la boustifaille, pour les frusques et pour les turnes ce que les mougnanais ont fait pour la lance, et la question est résolue.
« Ce ne sera plus le four banal ou le moulin banal du « bon vieux temps » où chaque type cuisait son pain et moulait son blé moyennant redevance au cochon de seigneur féodal !
« Non ! Y aura pas plus de seigneur féodal que de percepteur pour nous pomper la vie.
« Qu’il faille une route et on saura la faire, comme les bons fieux de la Béziade ont fait le mur de clôture de leur champ-de-navets, - bien mieux que les saligauds d’entrepreneurs qui s’emplissent la sacoche en fabriquant de mauvais chemin.
« Voudra-t-on un chemin de fer ? Immédiatement les diverses communes où doit passer la voie ferrée s’entendront, feront le tracé, les terrassements, les tranchées, le ballast, poseront les rails, bâtiront les gares, mettront les trains en marche... Mille fois mieux que les jean-fesses de l’État et des Compagnies !
« Culture, industrie, routes, tout se fera à la bonne franquette, sans faire de magnes. Comme on n’aura plus de morpions sur le poil, que la gouvernance et les richards auront une fois pour toutes foutu leur course, que l’éternel souci de la croustille journalière se sera envolé, qu’en fait de cassement de tête il n’y aura plus que celui de nager dans le bien-être, tous en chœur, on se la coulera douce ! »
On n’en finissait pas de jaspiner !
Voilà que la camoufle nous rappela à la réalité : la lampe, n’ayant plus d’huile, clignait son œil.
Nous nous séparâmes avec de grosses poignées de main.
Les soirs qui suivirent on continua nos veillades, - et foutre, on les continue encore. Les voisins se décrassent, que c’est un vrai beurre !
Mais, y a pas plan de coucher dans l’almanach du vieux gniaff tous nos caquetages.
Je n’ai usé que trop de papier.
Or donc, je pose ma chique !
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