Essayons d'y retrouver nos petits, ce qui n'est pas facile, car plus on avance, plus on perd de vue la question de départ. Désolé, ça va être un peu long, mais là, pas le choix.
Celle-ci était : "les profits financiers sont-ils fictifs" ? Répondant par l'affirmative, Wolf argumente en disant que le capital à l'origine de ces profits étant défini par Marx comme du capital "fictif", les profits qu'il engendre le sont tout autant. Et il nous donne en exemple les actions, avec les revenus qu'elles rapportent, à savoir les dividendes.
Commençons par la fin, en raisonnant par l'absurde : si les actions sont du capital fictif, et que les dividendes qu'elles rapportent sont des profits "fictifs", j'imagine que les intérêts reçus sur des prêts (des obligations), d'Etat ou non, le sont tout autant. Y a pas de raison. Conclusion logique : les seuls formes de profits "réels", non fictifs, sont les profits réinvestis dans l'entreprise et non distribués aux propriétaires et aux prêteurs de capital. Suite de la conclusion logique : l'ensemble des revenus de la bourgeoisie, constitués pour l'essentiel des dividendes et des intérêts, sont des revenus fictifs. Fin de la conclusion logique (pourquoi s'arrêter en si bon chemin) : tout ce que la bourgeoisie consomme avec ces revenus, ses yachts, ses châteaux, ses bijoux et ses chevaux de course, sont des biens fictifs. Arrêtez-moi avant que je conclue que la bourgeoisie est elle-même une fiction.
Alors, où est le problème ? Fondamentalement, il y en a deux.
Le premier problème est que Wolf ne comprend pas ce que Marx entend par "capital fictif", et qu'il étend abusivement cette catégorie à des situations où elle n'a aucun sens. Le deuxième problème est qu'il invente une notion de "profit fictif" qui n'existe pas chez Marx et qui n'a pas non plus de sens. Et le tout le conduit à une vision absurde de l'économie capitaliste.
Qu'est-ce que du capital fictif ? Marx utilise ce terme dans trois cas :
- les emprunts d'Etat
- les actions dont la valeur nominale diffère de la valeur du capital qu'elles représentent (dans ce cas, ce qui est fictif, c'est uniquement l'écart entre les deux).
- le gonflement des crédits qui n'ont comme contrepartie que d'autres crédits.
En gros, du capital "fictif", c'est une somme d'argent qui présente les dehors (la forme) d'un capital, et qui rapporte un revenu bien réel, sonnant et trébuchant, mais en qui en réalité ne rapporte pas ce revenu en ayant fonctionné comme du capital.
A propos des actions, dans le passage cité par Wolf, Marx signale deux problèmes :
1. la valeur des actions, censée représenter un capital réel (des bâtiments, des machines, de l'argent...) peut s'éloigner de la valeur de ce capital réel (d'où la possibilité que le capital qu'elles sont censées valoir soit en partie fictif).
2. si l'on veut estimer la valeur d'un capital, on ne doit pas le compter deux fois , une fois en tant que machines, bâtiments, etc., et une autre fois en tant qu'actions, puisque c'est du même capital qu'il s'agit. Marx aurait pu ajouter : d'ailleurs, dans la comptabilité des entreprises, les machines, les bâtiments sont portés d'un côté du bilan (à l'actif), et l'apport des actionnaires est porté de l'autre côté (au passif).
Conclusion à propos des actions :
- leur valeur (de marché) comporte un élement fictif (plus ou moins important selon les périodes et selon les entreprises)
- les dividendes qu'elles rapportent sont la forme sous laquelle le profit (réel !!!) est distribué aux propriétaires du capital
- lorsqu'on veut calculer le stock de capital, mieux vaut estimer les bâtiments, les machines, etc. que de se fier à la valeur des actions. C'est d'ailleurs ce que font D&L (et pas qu'eux, évidemment).
Pour rajouter deux mots sur les prêts, les choses sont ici du même ordre. Une partie des prêts (notamment les prêts d'Etat) sont du capital fictif, au sens qu'il s'agit de capital qui en réalité ne fonctionne pas comme tel.
Mais tout le capital de prêt n'est pas fictif ! Marx explique au contraire longuement pourquoi le capitalisme est obligé de consacré une partie des ressources de la société aux opérations de maniement et de circulation d'argent, et pourquoi une fraction du capital social se spécialise dans cette tâche (le capital bancaire et commercial). Ce capital ne produit certes pas de plus-value, mais c'est néanmoins un capital tout ce qu'il y a de plus réel. Il rapporte le taux moyen de profit, bien réel également.
Pour terminer, plaçons-nous du point de vue global de la société. Chaque année, une richesse (une valeur nouvelle) est créée. Une partie de cette richesse va à ce qu'on appelait autrefois "le travail" : disons, pour faire simple, les salariés. Tout le reste... eh bien tout le reste, ce sont les revenus de la bourgeoisie. Quelles formes prennent ces revenus ? Pour l'essentiel, ce sont des dividendes, des intérêts et des loyers. Quelle que soit l'origine de ces revenus, ces revenus sont bien réels et ils permettent aux bourgeois de consommer ou d'épargner. Ils n'ont donc rien de fictif.
Si l'on veut mesurer la part des profits dans la production nationale (le graphique posté par Wolf), on divisera l'ensemble de ces revenus de la bourgeoisie par la valeur de la production : "sur 100 euros de valeur créée, 40 vont aux capitalistes..."
Si l'on veut mesurer le taux de profit, on divisera l'ensemble de ces revenus de la bourgeoisie par la valeur du stock de capital immobilisé : "100 euros investis rapportent cette année 25 euros..."
Bon, là, j'ai ma dose et j'imagine que ceux qui m'ont lu jusque là aussi. :whistling_notes: