a écrit :Quelque chose me pose problème, c'est que l'on n'est plus du tout dans le sujet là. Il s'agit de savoir si le parti va surgir spontanément lors de luttes d'envergure, ou s'il va être le fruit d'un long travail de construction. Je propose que les modos crééent un sondage là-dessus avec 2 voir 3 ou 4 autres propositions, c'est vrai quoi, on en a fait pour les élections, on pourrait bien en faire pour ce genre de question cruciale.
Bon je vais essayer, du coup, de dire ce que je pense de cette question telle qu'elle est formulée, en rapport avec la question de la transition et de l'argent que j'avais posé plus haut, mais aussi avec ce qu'est à mon avis une compréhension matérialiste de la question du parti.
Le matérialisme montre que la main, le pouce préhenseur, se sont développés avant le cerveau. Le développement de ce dernier a en retour permis de passer des outils primitifs à des outils plus évolués. Le cerveau est productif et les idées - donc le parti - sont un facteur matériel, mais ils se développent sur un terreau déjà favorable.
Pris au plan historique, on peut faire un parallèle avec la révolution bourgeoise : la bourgeoisie conquiert d'abord sa puissance par une pratique sociale qui ne laisse préfigurer que très implicitement, de manière voilée, les idéaux révolutionnaires bourgeois : sa main-mise sur le capital commercial. C'est pour protéger ce capital de la rapine féodale que les bourgeois créent les villes franches, les Communes. Et ce n'est que très longtemps après que se développe le contenu scientifique et philosophique de la révolution bourgeoise, sous les auspices d'une monarchie absolue minée de l'intérieur.
Si on regarde maintenant le mouvement du prolétariat, il doit donc se développer sur la base de rapports qui préfigurent, même si c'est de manière également voilée et implicite, le communisme. Ces rapports ne sont pas que des rapports de lutte ouverte - grèves, insurrections - mais aussi des rapports de travail, des rapports personnels quotidiens, qui contiennent un nouveau principe d'organisation sociale : on ne règle pas, on ne planifie pas son activité en fonction de l'argent et de son accumulation. Ici s'exprime la contradiction interne qui mine le capitalisme : le développement du travail social (les forces productives) nécessite ces rapports non-mercentiles qui existent déjà dans l'usine, au bureau, dans l'association, le syndicat, pris comme unités de production distinctes; mais toutes ces unités sont prises dans l'anarchie du marché. Le parti communiste réel (c'est à dire les gens qui agissent, même sans en avoir conscience, effectivement pour le communisme) se développe donc dans ces contradictions ; tandis que l'organisation formelle, qui est nécessaire, se développe sur la base de la connaissance théorique de ces contradictions et de leur devenir. La seconde vient "après", au même titre que la conscience vient après l'objet de conscience, l'instinct puis le pressentiment : le militant révolutionnaire peut donc être " conscient " ou " inconscient ". En d'autres termes, le parti a plus de membres que de cartes, mais aussi le fait d'avoir une carte n'est pas la garantie d'en faire vraiment parti. Mais la rencontre des deux, c'est le passage de l'insconcience à la conscience, donc un saut en avant.
Si on regarde ça un peu mécaniquement, on pourrait dire, du coup : le parti viendra dans la lutte. Mais c'est une fausse réponse car si nous pouvons nous poser la question, c'est que nous devons y répondre avec le maximum de contenu possible. D'une part, on a déjà l'expérience de révolutions prolétariennes dans le passé. Les contradictions sociales ont déjà produit une idée et une connaissance : le communisme. La lutte théorique de défense de cette connaissance fait donc partie de la "lutte" (qui n'est pas juste grèves, insurrections, défense des conditions de vie immédiates) de laquelle surgira le parti. Mais elle doit se mener autour des éléments de préfiguration réelle de ce qu'est le communisme, qu'il faut donc chercher à reconnaître dans la réalité qui nous entoure, sinon on retombe dans un syndicalisme (l'idée qu'on a vu plus haut d'un "socialisme" qui garantie le salaire et son augmentation, la régulation de l'investissement par la banque, etc.). En fait, c'est une fausse alternative : luttes ou " longue préparation organisationnelle ", car cette longue préparation organisationnelle est une partie de la lutte, pour autant qu'elle ne se fait pas en dehors des poussées matérielles "spontanées" de la société, sur le plan simplement " idéologique ", mais cherche à aller à leur rencontre.