a écrit :Les esprits naïfs pensent que le titre de roi tient dans la personne même du roi, dans son manteau d'hermine et sa couronne, dans sa chair et son sang. En fait, le titre de roi naît des rapports entre les hommes. Le roi n'est roi que parce qu'au travers de sa personne se réfractent les intérêts et les préjugés de millions d'hommes. Quand ces rapports sont érodés par le torrent du développement, le roi n'est plus qu'un homme usé, à la lèvre inférieure pendante. Celui qui s'appelait jadis Alphonse XIII, pourrait nous fait part de ses impressions toutes fraîches sur ce sujet.
Le chef par la grâce du peuple se distingue du chef par la grâce de Dieu, en ce qu'il est obligé de se frayer lui-même un chemin ou, du moins, d'aider les circonstances à le lui ouvrir. Mais le chef est toujours un rapport entre les hommes, une offre individuelle en réponse à une demande collective. Les discussions sur la personnalité d'Hitler sont d'autant plus animées qu'elles cherchent avec plus de zèle le secret de sa réussite en lui-même. Il est pourtant difficile de trouver une autre figure politique qui soit, dans la même mesure, le point convergent de forces historiques impersonnelles. N'importe quel petit bourgeois enragé ne pouvait devenir Hitler, mais une partie d'Hitler est contenue dans chaque petit bourgeois.
Léon Trotsky
Qu'est-ce que le national-socialisme ?
10 juin 1933
a écrit :
Ce livre n'a pas le moins du monde pour objet de pratiquer de ces recherches psychologiques autonomes que l'on essaye fréquemment, aujourd'hui, de substituer à l'analyse sociale et historique. Notre champ d'observation porte avant tout sur les grandes forces motrices de l'histoire qui ont un caractère suprapersonnel. La monarchie est une de ces forces. Mais toutes ces forces agissent par des truchements individuels. La monarchie est liée à l'individualité en vertu même de son principe. Ainsi se justifie de soi l'intérêt porté à la personne d'un souverain que le développement de l'histoire a confronté avec la révolution. Nous espérons, en outre, montrer dans la suite, au moins partiellement, quelles sont les bornes de l'individuel dans l'individu — souvent plus étroites qu'il ne semble — et comment, en maintes occasions, un " signe particulier " n'est autre chose que la griffe individuelle d'une loi générale plus élevée.
(un air de famille avec Louis XVI a écrit :
Les personnalités qui fréquentaient le tsar ont relaté plus d'une fois, après la révolution, qu'aux plus tragiques moments de son règne — lors de la reddition de Port-Arthur et quand la flotte russe fut coulée à Tsou-Shima, puis, dix ans plus tard, quand les troupes russes battirent en retraite, abandonnant la Galicie, puis encore deux ans après, en des journées qui précédaient l'abdication, alors que tout l'entourage du tsar se sentait accablé, effaré, consterné — Nicolas II fut le seul à garder son calme. Il continuait à s'informer du nombre de verstes parcourues par lui dans ses voyages en Russie, évoquait des incidents de chasse du temps jadis, des anecdotes relatives à des réceptions officielles et, d'une façon générale, s'intéressait aux futilités de sa vie coutumière, tandis que le tonnerre grondait au-dessus de lui et que son ciel était strié d'éclairs. " Qu'est-ce que cela veut dire? se demandait un des généraux qui l'approchaient. Est-ce une formidable, presque invraisemblable maîtrise de soi-même due à l'éducation, de la foi en la Providence divine, ou bien une insuffisante conscience des faits? " La question comporte déjà à moitié sa réponse. Ce que l'on appelle " l'éducation " du tsar, sa faculté de se dominer dans les circonstances les plus extrêmes, ne peut du tout s'expliquer uniquement par un dressage de surface : son fond était une intime indifférence, une grande indigence de forces morales, la faiblesse des impulsions volitives. Le masque de l'indifférence, que, dans certains milieux, l'on dénomme " éducation ", se confondait naturellement avec le visage même de Nicolas. Le journal particulier du tsar a plus de valeur que n'importe quel témoignage : d'un jour à l'autre, d'une année à l'autre, s'allongent, dans ces pages, les accablantes notations de son vide moral. " Me suis promené longtemps et ai tué deux corbeaux. Il faisait encore clair quand j'ai pris le thé. " Promenade à pied, canotage. D'autres corbeaux tués et du thé par là-dessus. Tout sur la limite de la physiologie. Les cérémonies d'églises sont mentionnées sur le même ton que les beuveries.
(en période de crise @ après la fermeture de la Douma a écrit :
Voyons plus loin en ces mêmes fatales journées : " 14 juillet. Une fois habillé, me suis rendu à bicyclette à la maison de bain, me suis baigné en mer avec délices. " " 15 juillet. Me suis baigné deux fois. Il faisait très chaud. Dîné en tête à tête. L'orage est passé. " " 19 juillet. Me suis baigné ce matin. Réception à la ferme. L'oncle Vladimir et Tchaguine au déjeuner. " Les soulèvements, les explosions de dynamite sont tout juste indiqués par cette seule appréciation : " Quant aux événements, c'est du joli ! " On est frappé de cette basse insouciance qui n'atteint pas à un cynisme conscient.
(sur la tsarine a écrit :
Maurice Paléologue, ancien ambassadeur de France à Pétrograd pendant la guerre, psychologue raffiné pour académiciens et pour concierges, donne un portrait soigneusement léché de la dernière tsarine : anxiété morale, dit-il en substance, mélancolie chronique, angoisse sans bornes, alternatives de sursauts de forces et de crises d'asthénie, méditations douloureuses sur le monde de l'au-delà et l'invisible, superstitions — est-ce que tous ces traits, si fortement marqués dans la personne de l'impératrice, ne sont pas ceux qui caractérisent le peuple russe ? Si étrange que cela puisse paraître, il y a un grain de vérité dans cette fiction doucereuse. Ce n'est pas à tort que le satirique russe Saltykov disait des ministres et des gouverneurs issus des baronnies baltes qu'ils étaient " des Allemands à l'âme russe " : il est hors de doute que précisément des allogènes, n'ayant aucune attache avec le peuple, élaboraient la plus fine culture de l'administrateur " vraiment russe ".
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Lorsque Nicolas fut parti pour l'armée, en qualité de fictif généralissime, ce fut la tsarine qui s'occupa ouvertement des affaires de l'intérieur. Les ministres se présentaient à elle avec leurs rapports, comme à une régente. Elle complotait avec une petite camarilla contre la Douma, contre les ministres, contre les généraux du G. Q. G., contre tout le monde, partiellement même contre le tsar. Le 6 décembre 1916, elle écrivait à Nicolas : " Du moment que tu as dit que tu veux garder Protopopov, comment ose-t-il [le président du Conseil, Trépov] marcher contre ta volonté ? Donne un bon coup de poing sur la table, ne cède pas, sois le maître, écoute ta forte petite femme et notre Ami. Crois-nous. " Trois jours après : " Tu sais que tu as raison. Porte haut la tête, ordonne à Trépov de travailler avec lui... Donne un bon coup de poing sur la table... " Ces phrases semblent inventées. Mais elles sont extraites de lettres authentiques. Et puis ce sont de ces choses qu'on n'invente pas.
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Quoique plus douée de caractère que son mari, la tsarine ne lui est pas supérieure intellectuellement, elle lui est même plutôt inférieure ; plus encore que lui elle recherche la société des pauvres d'esprit. L'étroite amitié qui, durant de longues années, lia le tsar et la tsarine avec la demoiselle d'honneur Vyroubova marque le niveau spirituel du couple impérial. Vyroubova se disait elle-même bêtasse, et ce n'était point par modestie. Witte, à qui l'on ne peut refuser la sûreté du coup d'œil, la caractérise comme " la plus banale, la plus sotte demoiselle du genre pétersbourgeois, vilaine, pareille à une boursouflure sur de la pâte de brioche ". Dans la société de cette personne que courtisaient servilement des dignitaires chenus, des ambassadeurs, des financiers, et qui avait pourtant assez de jugeote pour ne pas négliger de remplir ses poches, le tsar et la tsarine passaient des heures et des heures, la consultaient sur les affaires, correspondaient avec elle et s'entretenaient d'elle par lettres. Vyroubova était plus influente que la Douma d'Empire et même que le ministère.
(sur Raspoutine a écrit :
Un jour, comme les mouchards avaient enregistré une fois de plus le nombre des bouteilles et des femmes, la tsarine disait son affliction dans une lettre au tsar : " On accusait Raspoutine d'avoir embrassé des femmes, etc. Lis les Apôtres, ils embrassaient tous et toutes, en manière de bienvenue. " Il est douteux que ce renvoi aux Apôtres eût été persuasif pour les mouchards. Dans une autre lettre, la tsarine va plus loin : " Pendant la lecture de l'Évangile du soir, écrit-elle, j'ai tellement pensé à notre Ami : je voyais comment les scribes et les pharisiens persécutent le Christ, feignant d'être des perfections... En vérité, nul n'est prophète en son pays. " Il était habituel, dans ce milieu, de comparer Raspoutine au Christ, et pas du tout par hasard. L'effroi devant les forces grondantes de l'histoire était trop pénétrant pour qu'il suffît au couple impérial d'un Dieu impersonnel et de l'ombre non charnelle d'un Christ d'Évangile. Il leur fallait un nouvel avènement du " Fils de l'Homme ". En Raspoutine la monarchie condamnée et agonisante trouva un Christ à son image et à sa ressemblance.
(pelon @ jeudi 9 septembre 2004 à 14:39 a écrit : Ce léger hors-sujet pour dire que l'on peut décrire la vie privée de personnages historiques pour étayer sa thèse.
(logan @ jeudi 9 septembre 2004 à 15:57 a écrit :(pelon @ jeudi 9 septembre 2004 à 14:39 a écrit : Ce léger hors-sujet pour dire que l'on peut décrire la vie privée de personnages historiques pour étayer sa thèse.
(logan @ jeudi 9 septembre 2004 à 15:57 a écrit : Pour autant cela ne justifie pas de faire leurs poubelles et de décrire Hitler de la même manière que Voici décrivant Lady Di.
Pourtant la coupe de cheveux d'Adolfi est top-ringarde... sans parler de ses fringues.
(François Delpla @ mardi 7 septembre 2004 à 20:24 a écrit : Hitler, qui renonce, dit-il, au mariage pour se vouer à l'Allemagne, mais qui, contrairement à ce qu'on dit parfois, aime les femmes
"aimer les femmes", ça veut dire être hétérosexuel ? :blink:
a écrit :"aimer les femmes", ça veut dire être hétérosexuel ?
(François Delpla @ jeudi 9 septembre 2004 à 16:50 a écrit : ; Eva, Magda Goebbels et ses cinq filles, deux secrétaires, une cuisinière... Rien que des gens proches, qui comptent, des femmes auxquelles il a confié pas mal de choses.
Etonnant, vous dis-je !
Je ne me prends pas pour Trotsky, mais j'essaye, ô combien, de relier cette dimension à tout le reste.
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