a écrit :
Justement le texte de trotsky auquel je pense parle du rôle de Lénine en 1917.
Voilà ce qu'écris LT dans son Staline (il y a le même genre de développement dans son lénine)...
(Trotsky @ Staline a écrit : Par quel miracle, pourtant, Lénine réussit-il en quelques semaines à mettre le parti dans une nouvelle voie ? Il faut chercher le mot de l'énigme dans deux directions en même temps : dans les qualités personnelles de Lénine et dans la situation objective. Lénine était fort, non seulement parce qu'il comprenait les lois de la lutte des classes, mais aussi parce qu'il savait prêter l'oreille aux masses vivantes. Il ne représentait pas l'appareil, mais l'avant-garde du prolétariat. Il était convaincu d'avance que dans la couche de la classe ouvrière qui avait prêté son appui au parti illégal, il se trouverait des milliers d'ouvriers qui le soutiendraient, lui, Lénine. Les masses étaient maintenant plus révolutionnaires que le parti; le parti, plus révolutionnaire que l'appareil. Déjà, en mars, les véritables sentiments et points de vue des ouvriers et des soldats avaient réussi en de nombreuses occasions à percer impétueusement et à apparaître au grand jour, en désaccord criant avec les instructions des partis, y compris le parti bolchéviste. L'autorité de Lénine n'était pas absolue, mais elle était grande, car elle s'appuyait sur toute l'expérience du passé. D'autre part, l'autorité de l'appareil, comme aussi son conservatisme, ne venait que de se former. La violente attaque de Lénine n'était pas un acte individuel de son tempérament; il exprimait la pression de la classe sur le parti, du parti sur l'appareil. Celui qui dans ces conditions tentait de s'opposer sentait rapidement le sol se dérober sous ses pieds. Les hésitants s'alignaient sur les plus avancés, les plus prudents sur la majorité. Ainsi, Lénine réussit, au prix de pertes relativement faibles, à changer à temps l'orientation du parti et à le préparer pour une nouvelle révolution.
Mais ici surgit une autre difficulté. Laissée à elle-même, sans Lénine, la direction bolchéviste fait chaque fois des erreurs, la plupart du temps à droite. Lénine apparaît, comme un deus ex machina, pour montrer la voie juste. Est-ce à dire que dans le parti bolchéviste, Lénine est tout, les autres rien ? Ce point de vue, assez largement répandu dans les milieux démocratiques, est extrêmement unilatéral, donc faux. On pourrait en dire autant de la science : la mécanique sans Newton, la biologie sans Darwin n'étaient rien pendant de nombreuses années. C'est vrai et c'est faux. Il fallut le travail de milliers de savants du rang pour rassembler les faits, les grouper, poser les problèmes et préparer le terrain à la réponse synthétique de Newton ou de Darwin. Cette réponse à son tour, imprima sa marque indélébile sur de nouveaux milliers d'investigateurs du rang. Les génies ne créent pas la science d'eux-mêmes; ils ne font qu'accélérer le mouvement de la pensée collective. Le parti bolchéviste avait un chef génial. Ce n'était pas par hasard. Un révolutionnaire de la trempe et de l'envergure de Lénine ne pouvait être le chef que du parti le plus intrépide, d'un parti qui poussât ses pensées et ses actions jusqu'au bout. Cependant, le génie lui-même est une exception des plus rares. Le chef génial s'oriente plus rapidement, pénètre la situation plus profondément, voit plus loin. Entre le chef génial et ses proches collaborateurs existait inévitablement une grande brèche. On peut même admettre que par la puissance de sa pensée Lénine freinait jusqu'à un certain point le développement indépendant de ses collaborateurs. Cela ne signifie pourtant pas que Lénine fût « tout » et que sans Lénine le parti ne fût rien. Sans le parti, Lénine aurait été impuissant, tout comme Newton et Darwin sans activité scientifique collective. Par conséquent, il ne s'agit pas de vices propres au bolchévisme, produits prétend-on, par la centralisation, la discipline, etc., mais du problème du génie dans le procès historique. Les écrivains qui essaient de dénigrer le bolchévisme parce que le parti bolchéviste eut la chance d'avoir un chef génial ne font que révéler leur vulgarité intellectuelle.
Sans Lénine la direction bolchéviste n'aurait trouvé la voie juste que peu à peu, au prix de dissensions et de luttes internes. Les conflits entre les classes auraient poursuivi leur œuvre, discréditant et écartant les mots d'ordre inconsistants des « vieux bolchéviks ». Staline, Kaménev et autres figures de second ordre auraient dû soit donner une expression articulée aux tendances de l'avant-garde prolétarienne, soit tout simplement passer de l'autre côté de la barricade... N'oublions pas que Chliapnikov, Zaloutsky, Molotov avaient tenté au début même de prendre une orientation plus à gauche.
Cela ne signifie pourtant pas que la voie juste eût été trouvée de toute façon. Le facteur temps joue en politique, surtout pendant une révolution, un rôle décisif. Le déroulement de la lutte des classes n'offre nullement à une direction politique un délai illimité pour trouver l'orientation juste. L'importance d'un chef génial est précisément qu'en abrégeant les leçons données par l'expérience elle-même il offre au parti la possibilité d'intervenir dans les événements au moment voulu. Si Lénine n'avait pu arriver au début d'avril, le parti aurait certainement trouvé en tâtonnant la voie que Lénine indiqua dans ses « thèses ». D'autres chefs auraient-ils su, pourtant, remplacer Lénine au point de pouvoir préparer à temps le parti au dénouement d'Octobre ? A cette question il est impossible de donner une réponse catégorique. Il est une chose qu'on peut dire avec certitude : dans ce travail, qui réclamait la hardiesse d'opposer les idées et les masses vivantes à l'appareil ossifié, Staline n'aurait pu manifester d'initiative créatrice et aurait été plutôt un frein qu'un moteur. Sa force commence au moment où l'on peut maîtriser les masses à l'aide de l'appareil.