Le rôle des "grands hommes" dans l'histoire

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Barnabé » 28 Fév 2004, 08:23

a écrit :
Justement le texte de trotsky auquel je pense parle du rôle de Lénine en 1917.


Voilà ce qu'écris LT dans son Staline (il y a le même genre de développement dans son lénine)...

(Trotsky @ Staline a écrit : Par quel miracle, pourtant, Lénine réussit-il en quelques semaines à mettre le parti dans une nouvelle voie ? Il faut chercher le mot de l'énigme dans deux directions en même temps : dans les qualités personnelles de Lénine et dans la situation objective. Lénine était fort, non seulement parce qu'il comprenait les lois de la lutte des classes, mais aussi parce qu'il savait prêter l'oreille aux masses vivantes. Il ne représentait pas l'appareil, mais l'avant-garde du prolétariat. Il était convaincu d'avance que dans la couche de la classe ouvrière qui avait prêté son appui au parti illégal, il se trouverait des milliers d'ouvriers qui le soutiendraient, lui, Lénine. Les masses étaient maintenant plus révolutionnaires que le parti; le parti, plus révolutionnaire que l'appareil. Déjà, en mars, les véritables sentiments et points de vue des ouvriers et des soldats avaient réussi en de nombreuses occasions à percer impétueusement et à apparaître au grand jour, en désaccord criant avec les instructions des partis, y compris le parti bolchéviste. L'autorité de Lénine n'était pas absolue, mais elle était grande, car elle s'appuyait sur toute l'expérience du passé. D'autre part, l'autorité de l'appareil, comme aussi son conservatisme, ne venait que de se former. La violente attaque de Lénine n'était pas un acte individuel de son tempérament; il exprimait la pression de la classe sur le parti, du parti sur l'appareil. Celui qui dans ces conditions tentait de s'opposer sentait rapidement le sol se dérober sous ses pieds. Les hésitants s'alignaient sur les plus avancés, les plus prudents sur la majorité. Ainsi, Lénine réussit, au prix de pertes relativement faibles, à changer à temps l'orientation du parti et à le préparer pour une nouvelle révolution.

Mais ici surgit une autre difficulté. Laissée à elle-même, sans Lénine, la direction bolchéviste fait chaque fois des erreurs, la plupart du temps à droite. Lénine apparaît, comme un deus ex machina, pour montrer la voie juste. Est-ce à dire que dans le parti bolchéviste, Lénine est tout, les autres rien ? Ce point de vue, assez largement répandu dans les milieux démocratiques, est extrêmement unilatéral, donc faux. On pourrait en dire autant de la science : la mécanique sans Newton, la biologie sans Darwin n'étaient rien pendant de nombreuses années. C'est vrai et c'est faux. Il fallut le travail de milliers de savants du rang pour rassembler les faits, les grouper, poser les problèmes et préparer le terrain à la réponse synthétique de Newton ou de Darwin. Cette réponse à son tour, imprima sa marque indélébile sur de nouveaux milliers d'investigateurs du rang. Les génies ne créent pas la science d'eux-mêmes; ils ne font qu'accélérer le mouvement de la pensée collective. Le parti bolchéviste avait un chef génial. Ce n'était pas par hasard. Un révolutionnaire de la trempe et de l'envergure de Lénine ne pouvait être le chef que du parti le plus intrépide, d'un parti qui poussât ses pensées et ses actions jusqu'au bout. Cependant, le génie lui-même est une exception des plus rares. Le chef génial s'oriente plus rapidement, pénètre la situation plus profondément, voit plus loin. Entre le chef génial et ses proches collaborateurs existait inévitablement une grande brèche. On peut même admettre que par la puissance de sa pensée Lénine freinait jusqu'à un certain point le développement indépendant de ses collaborateurs. Cela ne signifie pourtant pas que Lénine fût « tout » et que sans Lénine le parti ne fût rien. Sans le parti, Lénine aurait été impuissant, tout comme Newton et Darwin sans activité scientifique collective. Par conséquent, il ne s'agit pas de vices propres au bolchévisme, produits prétend-on, par la centralisation, la discipline, etc., mais du problème du génie dans le procès historique. Les écrivains qui essaient de dénigrer le bolchévisme parce que le parti bolchéviste eut la chance d'avoir un chef génial ne font que révéler leur vulgarité intellectuelle.

Sans Lénine la direction bolchéviste n'aurait trouvé la voie juste que peu à peu, au prix de dissensions et de luttes internes. Les conflits entre les classes auraient poursuivi leur œuvre, discréditant et écartant les mots d'ordre inconsistants des « vieux bolchéviks ». Staline, Kaménev et autres figures de second ordre auraient dû soit donner une expression articulée aux tendances de l'avant-garde prolétarienne, soit tout simplement passer de l'autre côté de la barricade... N'oublions pas que Chliapnikov, Zaloutsky, Molotov avaient tenté au début même de prendre une orientation plus à gauche.

Cela ne signifie pourtant pas que la voie juste eût été trouvée de toute façon. Le facteur temps joue en politique, surtout pendant une révolution, un rôle décisif. Le déroulement de la lutte des classes n'offre nullement à une direction politique un délai illimité pour trouver l'orientation juste. L'importance d'un chef génial est précisément qu'en abrégeant les leçons données par l'expérience elle-même il offre au parti la possibilité d'intervenir dans les événements au moment voulu. Si Lénine n'avait pu arriver au début d'avril, le parti aurait certainement trouvé en tâtonnant la voie que Lénine indiqua dans ses « thèses ». D'autres chefs auraient-ils su, pourtant, remplacer Lénine au point de pouvoir préparer à temps le parti au dénouement d'Octobre ? A cette question il est impossible de donner une réponse catégorique. Il est une chose qu'on peut dire avec certitude : dans ce travail, qui réclamait la hardiesse d'opposer les idées et les masses vivantes à l'appareil ossifié, Staline n'aurait pu manifester d'initiative créatrice et aurait été plutôt un frein qu'un moteur. Sa force commence au moment où l'on peut maîtriser les masses à l'aide de l'appareil.

Barnabé
 
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Message par Koceila » 28 Fév 2004, 16:05

Je voudrai parler, pour illustrer ce qui se dit dans ce fil, d'un autre grand personnage de l'histoire, assez méconnu : Ibn Khaldoun qui était le premier à analyser la société et l'histoire par la méthode du matérialisme dialectique et celà 6 siècle avant K Marx! A tel point qu'il apparaît comme une singularité historique. Il était tellement conscient du rôle des classes sociales dans le devenir des sociétés qu'il en voulait mortellement à la bourgoisie nord - africaine pour sa passivité dans la lutte qu'il menait contre les éléments réactionnaires. Ibn Khadoun a été vaincu car il n'était appuyé par aucune classe sociale!

Il était né plusieurs siècles trops tôt; mais il a laissé une oeuvre remarquable: Al mukkatiba.
Koceila
 
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Message par Dolmancé » 28 Fév 2004, 18:45

a écrit :mais pour plekhanov qui applique une sorte de "prédestination" de toute maniere le choix qui sera fait découlera d'un mécanisme nécessaire qui s'imposera à nous et dont nous pouvons au mieux etre conscient.


Personnellement je suis assez d'accord là dessus.

Ca ressemble pas mal à la conception déterministe de l'univers.

Par contre je ne vois pas trop ce qui permet en partant de ce postulat d'arriver à une conclusion comme celle là :

a écrit : je pense que cette vision que donne plekhanov de l'automaticité du processus de prise de conscience explique en partie ses choix politiques.

confronté à une révolution dans un pays arrieré comme la russie, il ne pouvait pas considerer avec cette vision qu'une prise de pouvoir par le prolétariat était possible puisque, vu sous un angle économique et social, les conditions objectives économiques, sociales et politiques n'étaient pas réunies pour la prise de pouvoir d'un prolétariat qui devait etre obligatoirement nombreux eduqué et conscient.


Etre dans un système déterministe n'implique pas que l'on soit dans un système prévisible.
Dolmancé
 
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Message par Dolmancé » 28 Fév 2004, 22:35

a écrit :si tu es d'accord avec l'idée de predestination, Dolmancé, ne fait pas de politique, va planter des choux, le résultat sera le meme


Faut pas confondre fatalisme et déterminisme.

Le fatalisme c'est : quoi que je fasse le résultat va être le même

Le déterminisme c'est : les mêmes causes provoquent les mêmes conséquences

Je ne vois pas ce qu'il y aurait d'incohérent à imaginer que si on remettait toutes les particules de l'univers au même endroit et à la même vitesse qu'il y a 10 minutes j'aurais exactement le même comportement...

C'est comme ça que je comprends ce truc :

a écrit :Qu'est-ce qu'une action nécessaire ? C'est une action qu'il est impossible à un individu donné de ne pas faire dans des circonstances données. Et d'où vient l'impossibilité de ne pas faire cette action ? Elle vient de la nature de cet homme, façonnée par son hérédité et par son évolution antérieure. La na­ture de cet homme est telle qu'il ne peut pas ne pas agir d'une façon donnée dans des circonstances données.
]


Mais comme il est impossible de connaitre les circonstances donnée (merci la mécanique quantique), ça nous avance strictement à rien si on veut arriver à un résultat bien précis qui nous intéresse.



Pour résumer, il est possible de prédire des comportements mais pas des évolutions.


a écrit :ce que je voulais dire de plekhanov c'est qu'il n'était pas préparé à affronter une situation révolutionnaire ou les choix à faire sont multiples et ne découlent pas uniquement de façon automatique de l'expérience passée mais doivent etre pris dans l'urgence devant une situation complexe et évolutive.


L'hypothèse d'un univers déterministe implique qu'on ne peut faire deux fois la même expérience.


(Sinon il me semble que les choux c'est plutot vers avril/mai qu'il faut les planter)
Dolmancé
 
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Message par Harpo » 29 Fév 2004, 20:21

D'après toi Dolmancé :
"Je ne vois pas ce qu'il y aurait d'incohérent à imaginer que si on remettait toutes les particules de l'univers au même endroit et à la même vitesse qu'il y a 10 minutes j'aurais exactement le même comportement..."

Ce n'est pas incohérent mais contraire aux lois de la physique quantique :
On ne peut à la fois connaître précisément la position et la vitesse d'une particule (inégalités d'Heisenberg). Et quand bien même on pourrait replacer toutes les particules dans le même état quantique qu'il y a dix minutes, ça ne suffirait pas à assurer la même évolution de l'univers.

Un exemple concret : tel noyau d'atome radiactif va émettre une particule capable de provoquer l'ionisation de je ne sais quelle molécule de mon organisme à une date totalement imprévisible, autrement qu'en termes de probabilités, et peut-être provoquer finalement la formation de cellules cancéreuses. Heureusement je n'étais pas sur le trajet de cette particule dans les dix minutes passées. Mais si l'on pouvait répèter l'expérience, je serais peut-être atteint...

Contrairement à ce que pensaient Einstein ("dieu ne joue pas aux dés") et de Broglie, on a pu démontrer qu'il n'y a pas de "variables cachées" et que par conséquent cette nature probabiliste de la matière est fondamentale et non pas due à notre manque de connaissance des lois de la physique.

Alors, non, tout n'est pas prévisible, même en théorie. Bien sûr, Engels ou Plekhanov n'en savaient rien à leur époque. Mais je crois que s'ils les avaient connues cela n'aurait pas changé grand chose à leur raisonnement.
Le problème du rôle de l'individu dans l'histoire, c'est plutôt de savoir si globalement, avec quelques mois ou quelques années de décalage l'histoire de l'humanité aurait ou non été à peu près la même si par exemple telle particule alpha ou gamma de grande énergie avait frappé :staline: là où il fallait; ou si une autre crapule aurait accompli les mêmes saloperies à sa place et avec la même ampleur.
Harpo
 
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Message par Dolmancé » 29 Fév 2004, 23:04

a écrit : Ce n'est pas incohérent mais contraire aux lois de la physique quantique :
On ne peut à la fois connaître précisément la position et la vitesse d'une particule (inégalités d'Heisenberg).


C'est pour ça qu'à la suite j'ai écrit ça :

Mais comme il est impossible de connaitre les circonstances donnée (merci la mécanique quantique), ça nous avance strictement à rien si on veut arriver à un résultat bien précis qui nous intéresse.

Maintenant je parlais de les remettre dans le même état, pas de connaitre leur position (ce qui est effectivement impossible du fait que la prise de mesure induit une perturbation).


a écrit :Et quand bien même on pourrait replacer toutes les particules dans le même état quantique qu'il y a dix minutes, ça ne suffirait pas à assurer la même évolution de l'univers.


Qu'est ce que t'en sais ? T'as essayé ? :hinhin:


a écrit :Un exemple concret : tel noyau d'atome radiactif va émettre une particule capable de provoquer l'ionisation de je ne sais quelle molécule de mon organisme à une date totalement imprévisible, autrement qu'en termes de probabilités, et peut-être provoquer finalement la formation de cellules cancéreuses. Heureusement je n'étais pas sur le trajet de cette particule dans les dix minutes passées. Mais si l'on pouvait répèter l'expérience, je serais peut-être atteint...

Contrairement à ce que pensaient Einstein ("dieu ne joue pas aux dés") et de Broglie, on a pu démontrer qu'il n'y a pas de "variables cachées" et que par conséquent cette nature probabiliste de la matière est fondamentale et non pas due à notre manque de connaissance des lois de la physique.


Même chose, tant qu'on a pas essayé on ne peux pas l'affirmer.

La mécanique quantique ne décrit pas "ce qu'il se passe", elle décrit "ce qu'on va mesurer".

Vu la taille de ce qui nous intéresse, le fait de prendre une mesure perturbe le système, (ce qui explique qu'on ne peut pas connaitre avec précision à la fois la vitesse et la position d'une particule)...

Donc effectivement quand on prend une mesure on se retrouve avec un état qui est d'un coté ou de l'autre, ce qui correspond bien à une probabilité. Seulement il n'est pas possible de refaire deux fois la même expérience pour la simple et bonne raison qu'on a déjà fait une première expérience auparavant et donc qu'on a changé les conditions d'expérimentations...

a écrit : Le problème du rôle de l'individu dans l'histoire, c'est plutôt de savoir si globalement, avec quelques mois ou quelques années de décalage l'histoire de l'humanité aurait ou non été à peu près la même si par exemple telle particule alpha ou gamma de grande énergie avait frappé  là où il fallait; ou si une autre crapule aurait accompli les mêmes saloperies à sa place et avec la même ampleur.


Les expériences de manipulations mentales lié à la publicité où à la prévention ont montré qu'on pouvait changer ou non des comportements rien qu'avec des subtilité, alors à mon avis on ne peut rien préjuger de l'action des grands hommes comme des plus petits (après tout c'est pas Staline qui a tué des millions de personnes, c'est d'autres hommes!)

Et puis on arrive déjà pas à être certain des évolutions de climat, alors celles de l'humanité... ça me parait un peu trop ambitieux...
Dolmancé
 
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Message par Harpo » 01 Mars 2004, 22:04

Quelques questions et remarques :

Est-ce que recevoir un photon gamma là où ça fait mal c'est faire une mesure ?
La physique quantique gouverne l'évolution de la matière et pas seulement lorsqu'on fait des "mesures".
Lorsqu'un photon de 20 MeV se matérialise, ce n'est pas toujours le même ensemble de particules et d'antiparticules qui se forme, et les "conditions extérieures" sont ici sans influence. La répétition de la même expérience, quand elle est possible, ne donne pas toujours le même résultat. Seule la répartition des différents résultats sur un nombre infini d'expériences identiques est théoriquement prévisible.

Tout ceci me paraît un peu déplacé sur ce fil. Si tu veux poursuivre la discussion la-dessus, il vaut mieux en ouvrir un autre sur la physique quantique.

Quant aux expériences de "manipulation mentale" sur la publicité, je ne suis pas très sûr de leur validité scientifique mais je suis assez ignorant dans ce domaine...
En tout cas, si tu pense que la publicité (même sans "manipulation mentale") a un impact, viens coller des affiches avec nous et faire de la prévention contre les idées plus ou moins réactionnaires qui traînent actuellement.
Harpo
 
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