par Cyrano » 05 Avr 2004, 14:04
On se calme, svp, on se calme…
Je voudrais faire remarquer d'abord qu'il y a de multiples moyens d'accompagner le développement d'un groupe, sans que cette aide puise nécessairement être retrouvée, sans ambiguïté, dans les lignes comptables d'une entreprise (on peut fournir des locaux, des véhicules, etc.)
Puisque on a parlé, à plusieurs reprises de Daniel Guérin, j'ai ressorti mon bouquin "Fascisme et grand capital" (éd. François Maspero, collection "Textes à l'appui", 1965).
Ne craignez rien : je ne vais pas faire un copier-coller paresseux. Je me suis contenté de relire les passages que j'avais cochés au crayon. Je vais citer juste quelques trucs, comme ça, sans pour autant prétendre qu'ils sont justes (ni qu'ils sont faux !). Mais la mémoire du bouquin de Guérin semble être déviée par son titre : "… et grand capital".
Je n'extrais que les idées de Guérin concernant l'Allemagne.
Une préface de 1945 sur un livre de 1936
Le livre de Daniel Guérin paraît en juillet 1936 (ceci signifie que la rédaction a commencé environ un an et demi avant cette date). C'est pourquoi, Daniel Guérin, dans la réédition de 1945, se demande si les évènements qui ont suivi cette parution, nécessitent une réécriture de l'ouvrage ? Il répond par la négative, puisque c'est la naissance et le développement des fascismes allemands et italiens qui ont été observés.
L'auteur se contente de quelques annotations concernant surtout la manifestation des intérêts de classe sous l'Allemagne hitlérienne.
« Le régime fasciste, malgré des apparences qu'ils se complait à entretenir, n'a pas domestiqué la bourgeoisie. » Il n'est « pas exact » de dire que « le grand capital marchait au pas. »
L'armée, « instrument par excellence de la classe dirigeante » a gardé une « relative indépendance par rapport au régime » et a refusé de se « nazifier » entièrement. Ceci « exprime « [I]l'autonomie » du grand capital et de la grande propriété foncière vis-à-vis du régime fasciste.
La bourgeoisie « tolère » ce régime, malgré ses inconvénients, mais lorsque les inconvénients l'emportent sur les avantages, elle tente de s'en débarrasser. Après l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, il est évident que la bourgeoisie n'a plus envie de continuer un bout de chemin avec l'Adolf.
Guérin insiste sur le fait qu'il faut se souvenir que le fascisme n'est pas « uniquement un instrument au service du grand capital » mais, « en même temps, un soulèvement mystique de la petite bourgeoisie. »
Il faut se souvenir aussi que « Hitler a été hissé au pouvoir avec la bénédiction de la bourgeoisie internationale » [la bourgeoisie internationale aurait peut-être préféré une autre voie, mais bah ! puisque c'est ça qui se présente, le fascisme, alors, pourquoi pas, après tout].
[Hors-sujet, mais je lis que Daniel Guérin écrivait aussi, sur l'antifascisme : « Défions-nous des formules "anti". Elles sont toujours insuffisantes. »]
Bailleurs de fonds
Le premier chapitre du bouquin, justement, concerne les "bailleurs de fonds", ça tombe bien !
« Ce n'est pas assez de dire que la bourgeoisie, dans certains pays comme l'Italie et l'Allemagne, a subventionné le fascisme et l'a porté au pouvoir. » car la bourgeoisie n'est pas homogène, les intérêts de grands groupes capitalistes s'opposent à d'autres.
La fascisme a été principalement « subventionné et appuyé » par les magnats de la métallurgie, des mines, et par les banquiers ayant des intérêts dans l'industrie lourde.
Dans un premier temps, le grand capital utilise les bandes fascistes comme milice antiouvrière. Ces diverses bandes fusionneront dans une organisation unique avec Adolf Hitler comme chef.
Ce n'est pas d'abord, un flot impétueux d'argent : « De 1924 à 1929, les magnats de l'industrie lourde subentionnent juste assez les bandes fascistes pour qu'elles ne disparaissent pas. »
Une partie de la bourgeoisie va miser clairement sur l'arrivée de Hitler au pouvoir. Emil Kirdof, manitou d'un groupe métallurgique puissant déclarera : je suis heureux de vivre assez longtemps, ça m'a « permis ainsi de venir en aide au moment opportun à notre Fürher bien-aimé »
La victoire électorale de septembre 1930 (107 sièges remportés au Reichstag) vient après une campagne électorale qui a bénéficié de moyens importants (subventions et matériel). Hitler lui-même parlera de ces moyens, et qu'on imagine leur efficacité : « lorsque mille orateurs ont chacun une voiture automobile à leur disposition et peuvent tenir en une année cent mille réunions publiques. »
Mais… l'argent ne suffit pas
Le chapitre 2 est intitulé "Les troupes".
Immédiatement Guérin invite à ne pas oublier que les organisations fascistes ne sont pas une invention du capital financier, car ça n'explique pas les « mobiles » qui amènent au fascisme des millions d'êtres humains :
« De telles masses humaines, les magnats capitalistes n'auraient jamais pu, malgré tout leur or, les "dresser sur leur jambes" si elles n'avaient été, au préalable, dans un état d'instabilité ou de mécontentement les prédisposant à être conquises. »
Ach so !
Ceci permet peut-être de recentrer un peu le débat, ne nous énervons pas, car il faut bien lire, tout lire ce que dit Guérin sans oublier que la rédaction de son bouquin s'étale de 1934 à 1936.
Je remarque que Daniel Guérin n'y a pas forcément rien vu…