a écrit :27 janvier 1945 : libération du camp d'extermination d'Auschwitz
Dans son N°88 du 6 mai 1970, 25 ans après la libération des camps de la mort, Lutte Ouvrière consacrait l'article suivant à L'univers concentrationnaire :
LA PESTE BRUNE AU POUVOIR
Il y a 25 ans les camps de concentration mis en place par les nazis étaient libérés par les troupes alliées. Le monde entier les découvrait d'un coup dans toute leur horreur car si l'on connaissait, bien sûr, l'existence des camps, bien peu les supposaient tels qu'ils étaient, croyaient ou simplement réalisaient ce que signifiaient exactement les récits que quelques malheureux témoins, échappés par hasard ou par chance, avaient pu déjà en faire.
Depuis, toute une série de récits, d'études, d'enquêtes, de livres de toutes sortes ont retracé ce qu'avaient été les camps nazis. Mais si leur horreur n'est plus à peindre, le pourquoi et comment un pays civilisé peut accepter, tolérer, produire une telle monstruosité semblent échapper encore à l'entendement de beaucoup.
Il suffit pour s'en convaincre de lire et d'écouter la presse française écrite ou parlée à propos de ce vingt-cinquième anniversaire. En guise d'explication elle se contente, la plupart du temps, d'évoquer « la barbarie nazie ». Ce qui est incontestable, bien sûr, mais n'explique rien. Et dans le pire des cas on sent que, s'ils n'osent le dire, les commentateurs pensent tout de même plus ou moins confusément que ce qu'il faudrait écrire ou dire c'est « barbarie allemande ». L'explication raciste ou chauvine oublie allègrement que les camps, les tortures, le génocide, le monde en a connu bien d'autres exemples depuis 25 ans, à commencer dans les différentes colonies où l'armée française essaya de s'opposer au mouvement de libération nationale. Et si ces phénomènes n'y atteignirent pas l'ampleur aberrante qu'ils connurent dans l'Allemagne nazie, ils suffisent en tout cas à prouver que la gangrène est prompte à apparaître et à s'étendre n'importe où, pour peu que les circonstances le permettent.
Ce qui choque d'ailleurs ce n'est pas l'extrême férocité contre les adversaires politiques ou leur élimination physique systématique — cela, aujourd'hui, semble presque normal — c'est la volonté, bien plus que de les liquider, de les rabaisser, les humilier, les torturer, les dégrader. Ce qui choque encore plus c'est la volonté de détruire des populations entières comme les Juifs ou les Tziganes. Cela choque parce que cela semble sans raison. Et c'était en fait sans utilité directe en tout cas pour la classe dominante, la bourgeoisie allemande. Mais c'était tout de même inscrit dans la logique du système qu'elle avait mis en place pour se protéger, pour protéger ses biens, ses actions, ses usines et ses propriétés.
Parce qu'elle avait peur du prolétariat, parce qu'elle avait peur de la révolution sociale, la bourgeoisie allemande fit appel aux nazis, les arma, les finança. La tâche qu'elle leur enseignait était double. D'abord de constituer des bandes armées capables de s'attaquer aux organisations et aux militants ouvriers, briser et désorganiser les premières en éliminant et terrorisant les seconds. Pour cette besogne, il fallait recruter des hommes de main et des tueurs, ceux que l'on a trouvés tout naturellement parmi la racaille des bas-fonds et les débiles mentaux.
L'autre tâche du nazisme était aussi de mobiliser de larges masses susceptibles d'être opposées et de faire pièce à l'éventuelle mobilisation de masse de la classe ouvrière. Ces masses c'étaient celles de la petite bourgeoisie. Et pour mobiliser la petite bourgeoisie conte le prolétariat et au service du capitalisme, il fallait miser sur ses préjugés les plus rétrogrades, sur ses instincts les plus primaires.
Pour remplir ce rôle, les chefs ne pouvaient être qu'à l'image de leurs troupes et des hommes chargés de les encadrer : l'élite de la racaille cultivant les vices et les préjugés les plus aberrants.
C'est pourtant à eux et à leurs troupes de canailles que la bourgeoisie allemande — si fière de sa culture et de sa civilisation — remit finalement le pouvoir. L'espoir et la volonté de liquider complètement la moindre possibilité de combat ou de résistance de la classe ouvrière primait tout le reste.
Mais les méthodes comme les hommes ont leur logique.
Puisque la seule méthode politique que connaissait le nazisme était l'élimination physique, par la mort ou l'isolement, des adversaires, ce ne sont pas les seuls militants ouvriers ou socialistes qui seront victimes mais tous ceux — fussent-ils bourgeois et réactionnaires — qui tentent de s'opposer aux nouveaux maîtres de l'Allemagne.
Puisque l'on a remis tous les pouvoirs à des sadiques ou des criminels, ils se serviront de tous les pouvoirs pour assouvir leurs penchants.
Puisque pour mobiliser la petite bourgeoisie allemande il fallait des imbéciles racistes qui aient eux-mêmes la certitude que le Juif était la cause de tous les maux, puisque à ces gens on a remis l'Etat, c'est l'Etat qui va servir, avec tous les moyens dont il dispose, à la plus grande entreprise antisémite de l'histoire, à l'élimination systématique des Juifs.
Il y a un développement logique qui mène des premiers matraquages de grévistes à la déportation dans les camps des militants communistes et de la constitution de ces camps à celle des fours crématoires et à la destruction de 6 millions de Juifs.
La bourgeoisie allemande qui a voulu et mis sur pied les bandes nazies, qui leur a remis le pouvoir, est directement responsable aussi de tout le reste.
Car il est parfaitement vain de poser, comme certains l'ont fait et le font encore, le problème des camps en terme économique. Bien sûr les nazis ont tenté de faire servir la main-d'œuvre potentielle des camps à la production. Ils ont même — aussi effarant que cela puisse sembler — tenté de se servir des cadavres pour tirer quelques produits de cette matière première que les camps d'extermination fournissaient en abondance. Mais cela ne prouve qu'une chose — outre que l'économie allemande se débattait, au fur et à mesure que la guerre se développait, dans des difficultés de plus en plus grandes et finalement inextricables — que les capitalistes ne perdent aucune occasion de tenter de tirer un profi quelconque, si mesquine et sordide soit cette occasion.
Mais il a été facile aussi de démontrer que le travail des déportés était bien moins rentable que celui des salariés libres et presque d'aucune utilité. Les camps de toute façon n'étaient pas faits pour mettre à la disposition des capitalistes allemands une main-d'œuvre abondante et à bon marché. C'est uniquement parce que les camps semblèrent à un moment disposer de cette main-d'œuvre que certains tentèrent de s'en servir, sans grand succès d'ailleurs.
Qu'importe ! Ce que les camps, ce que tout le nazisme démontrent c'est justement que la bourgeoisie capitaliste aux abois est prête à accepter une régression de la société sur tous les plans, moral, intellectuel et même économique. Tout, même la pire barbarie, même le pouvoir aux fous et aux criminels, plutôt que la révolution sociale, plutôt que la fin du capitalisme.
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