par Combat » 27 Juin 2006, 17:30
Pour une lecture plus fluide des differentes approches, je poste un resume historique du groupe "Socialisme ou Barbarie" de Castoriadis et Lefort qui considerait l'URSS comme etant un capitalisme bureaucratique(approche que je ne partage pas). Ce que l'on peut constater c'est que l'eloignement du groupe de la position classique de l'extreme gauche sur l'URSS l'a finalement conduit a un profond pessimisme et reformisme dans les annees 60.
Socialisme ou Barbarie en bref
Avant d'exister comme groupe dès 1948, Socialisme ou Barbarie apparaît en 1946 comme tendance minoritaire à l'intérieur du PCI trotskiste, section française de la IVe Internationale. La divergence concerne l'interprétation de la nature de l'URSS et du stalinisme. Contrairement à la position trotskiste classique qui voit dans ladite " Patrie du socialisme " un tat ouvrier, certes dégénéré mais devant être défendu en dernière instance car progressiste par rapport au capitalisme, les personnes regroupées autour de Cornelius Castoriadis et de Claude Lefort analysent l'URSS comme une nouvelle forme de société d'exploitation, un "capitalisme bureaucratique ", o une nouvelle classe (la bureaucratie) non seulement dirige de manière totalitaire la société, mais aussi exploite le prolétariat. Cette lecture, qui se revendique du marxisme révolutionnaire, heurte de plein fouet la doxa " communiste " dominant la période. Elle conduit surtout les membres de Socialisme ou Barbarie à refuser l'attitude jugée complaisante du trotskisme envers l'URSS et, plus largement, envers le stalinisme présent au sein des sociétés libérales par les Partis communistes.
Dès 1949, le groupe Socialisme ou Barbarie fait connaître ses conceptions au moyen d'une revue qui sortira 40 numéros avant de cesser de paraître en 1965. Pendant toute son existence, le groupe poursuit la critique intransigeante de l'URSS, du stalinisme et de ses avatars, à l'Est comme à l'Ouest.
Dans le même esprit, il met en lumière et stigmatise les mécanismes de bureaucratisation du mouvement ouvrier, dans ses formes staliniennes et sociales-démocrates. Développant une conception radicalement critique de la division entre dirigeants et exécutants, ce courant d'extrême-gauche conçoit le socialisme comme la gestion collective de la société par le prolétariat organisé en conseils. Il valorise les processus de lutte autonome de ce dernier et manifeste une forte méfiance face aux appareils syndicaux et politiques.
Très fortement marginalisée dans un contexte o règne à gauche l'hégémonie du stalinisme, l'analyse de Socialisme ou Barbarie devient quelque peu moins abstraite quand surgissent les premières grandes révoltes prolétariennes contre le " socialisme réel ", en Allemagne de l'Est en 1953, puis surtout, en Hongrie en 1956. Sans vraiment mettre fin à l'ostracisme vécu par ces militants, les événements en question confèrent néanmoins une plus large écoute à leurs analyses dans les milieux politique et intellectuel, et renforcent aux yeux de leurs auteurs la conviction d'être dans le juste.
En 1958, dans la conjoncture de la naissance de la Ve République et de la lutte contre la guerre d'Algérie, le groupe passe la vitesse supérieure et se lance dans une expérience militante plus volontariste. Il crée une organisation révolutionnaire nommée " Pouvoir Ouvrier " et publie dès décembre 1958 un mensuel d'agitation du même nom. Opposée à cette optique, car défendant une conception plus souple et moins structurée de l'organisation, une partie des membres de Socialisme ou Barbarie (dont Lefort) se séparent à l'automne 1958 et fondent le groupe Informations et liaisons ouvrières (ILO).
Au plus fort de son implantation, soit au printemps 1961, le groupe Pouvoir Ouvrier compte un peu moins d'une centaine de membres sur toute la France, dont une importante proportion d'étudiants. Il lutte principalement contre la guerre d'Algérie, tout en essayant sans succès de s'implanter en milieu ouvrier.
Dès la fin des années 50, Castoriadis entame une réflexion critique sur la théorie révolutionnaire, avec l'idée que le capitalisme moderne en pleine transformation exige une telle mise à jour. Cette option rencontre de fortes oppositions internes. Les discussions animées vont finalement déboucher sur une seconde scission en juillet 1963. Les camps se sont en effet durcis : schématiquement, le clivage polarise désormais les partisans d'un renouveau révolutionnaire, autour de Castoriadis et de Daniel Mothé notamment, et les défenseurs de la continuité, d'une conception traditionnelle ancrée dans le marxisme, autour de Jean-François Lyotard, Pierre Souyri et Alberto Véga. Les premiers poursuivent sous le nom de Socialisme ou Barbarie, alors que les seconds continuent l'expérience Pouvoir Ouvrier.
Entre 1964 et 1965, les activités de Socialisme ou Barbarie se limitent de plus en plus à la publication de la revue. Accessoirement, le groupe se montre plus ouvert au champ intellectuel, en organisant par exemple des séances publiques où s'expriment Edgar Morin, Michel Crozier, Daniel Guérin ou Serge Mallet. La publication dans les derniers numéros du texte de Castoriadis " Marxisme et théorie révolutionnaire " marque la rupture explicite avec le marxisme. La formule claque : " Partis du marxisme révolutionnaire, nous sommes arrivés au point o il fallait choisir entre rester marxistes et rester révolutionnaires " (n 36, 1964, p. 8).
La revue cesse de paraître en juin 1965. Le groupe, quant à lui, se réunit de moins en moins et s'auto-dissout le 11 mai 1967. Pour s'expliquer, il adresse un texte aux abonnés, pessimiste quant aux possibilités de poursuivre, dans la période, un activisme politique révolutionnaire.