Les forces productives ont-elles cessé de croitre ?

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par jeug » 03 Nov 2009, 09:28

Sur tous les plans qui ont un rapport avec le progrès, le XXè siècle est celui des paradoxes.
A la fois on raccourcit toujours plus la distance entre la recherche et l’industrie, au profit d’un rapport de plus en plus immédiat.
Et à la fois, on est obligé de maintenir des structures en dehors du cadre naturel du capitaliste pour un minimum de recherche plus ou moins fondamentale.
Et de plus en plus, les progrès (j’allais dire innovations mais le terme même me paraît impropre) sont les moins coûteux possibles en investissement c'est-à-dire basés sur des découvertes bien antérieures.
Sauf que, le XXè siècle n’ayant pas investi autant que ces prédécesseurs sur le plan de l’imagination pure, on arrive bientôt à court d’effets.
C’est flagrant dans le domaine technologique par exemple, où l’évolution des produits sur les dernières décénies a développé l’utilisation des découvertes des siècles précédent en majeure partie.
Ca n’est pas par hasard que les budget d’innovation ont remplacé ceux de la recherche. Et on innove surtout dans l’art de faire du package.
Pendant longtemps on a inventé des services sur la base de découvertes bien antérieures. Maintenant on en est même à innover sur le plan de l’emballage, de la formulaire tarifaire parce que la source des découvertes se tarit.

C’est un des signes que notre organisation économique est un frein au progrès.
jeug
 
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Message par Vérié » 03 Nov 2009, 09:36

(jeug @ mardi 3 novembre 2009 à 09:10 a écrit : Effectivement, il y a plusieurs entourloupes, il me semble, à montrer des chiffres qui croissent.

D'abord, si l'on veut comparer la croissance du XXè siècle à celle du XiXè, déjà, il n'est pas honnête de rapporter les chiffres à l'ensemble de la planète.
Parce qu'entre les 2, l'effort de mondialisation a été fourni.
Il faut faire la comparaison de la croissance sur une unité géographique déjà dans le périmètre agissant du capitalisme au point de départ de la comparaison, c'est à dire au moment du plein essort du capitalisme. Par exemple l'Angleterre. Et là, je doute que notre époque souffre la comparaison de croissance.

La croissance constatée au XXè siècle est plus liée à la démographie, à la mondialisation, qu'à une dynamique du capitalisme, dynamique perdue depuis longtemps. Il me semble.


Avant d'affirmer des choses de ce genre, et de parler d'"entourloupe", Jeug, tu devrais prendre la peine de consulter tous les chiffres fournis et d'en rechercher toi-même. (Si tu n'as pas le temps ou le goût de le faire, ce qui peut se comprendre, reste prudent !)

Mais non, catégoriquement non. Quelle que soit la façon de prendre les statistiques, et quelles que soient les statistiques choisies, toutes sans exception montrent :
-Une croissance plus rapide pendant la période d'après la guerre de 1939-45 que pendant la période de la révolution industrielle, y compris dans les "vieux" pays industriels.
-Une croissance considérable par habitant , donc qui n'est pas liée à la seul croissance démographique. (De plus, comme l'a déjà noté Gaby, une croissance démographique représente déjà par elle-même une croissance des forces productives...)
-Ton idée d'examiner la croissance pays par pays est bizarre - et inverse à celle de Erou qui prétend, à tort, que la croissance n'aurait concerné qu'une dizaine de pays riches. Quand on parle de croissance des forces productives, c'est bien entendu à l'échelle mondiale qu'il faut considérer cette croissance. Celle-ci a bien évidemment été "inégale et combinée" : certains pays se sont développés beaucoup plus vite que d'autres, comme par exemple la Corée, le Japon, et aujourd'hui la Chine.

a écrit : Jeug
Avec un peu de temps, on tracerait la courbe de croissance estimée, déduite de la levée de tous les freins, c'est à dire en passant du capitalisme au socialisme. Et là, on constaterait, oui, une vraie exponentielle.

Ca, c'est une considération de l'ordre de la spéculation intellectuelle. Ca n'a rien à voir avec la discussion sur la croissance ou la non croissance des forces productives entre 1914 et 2000. Ca permet seulement de souligner que le socialisme est indispensable.

Le socialisme ferait incontestablement mieux que le capitalisme. La courbe grimperait-elle aussi vite ? Nous n'en savons rien, car les hommes, maîtres de leur destin, souhaiteraient sans doute aussi travailler moins longtemps et à des rythmes moins pénibles. Mais les spéculations sur le développement des forces productives sous le socialisme, c'est un autre débat !
Vérié
 
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Message par jeug » 03 Nov 2009, 09:39

(Vérié @ mardi 3 novembre 2009 à 09:16 a écrit :Donc, que l'Etat ait pris une place importante, devenant même le principal employeur dans bien des pays, ne prouve pas que le capitalisme boîte.  Ca prouve seulement que nous sommes entrés dans une nouvelle phase du capitalisme.

Ouh là !
Pas du tout d'accord avec cette définition du capitalisme, définition non énoncée mais que l'on peut déduire.
Quand le capitalisme fait appel à l'Etat, ça n'est jamais de gaité de coeur et pour une période espérée très provisoire.

Si on n'est pas d'accord sur ça, c'est normal qu'on ne le soit pas sur la croissance imputable au capitalisme ou au contraire malgré lui !
jeug
 
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Message par Gaby » 03 Nov 2009, 09:54

(jeug @ mardi 3 novembre 2009 à 09:39 a écrit : Quand le capitalisme fait appel à l'Etat, ça n'est jamais de gaité de coeur et pour une période espérée très provisoire.
L'Etat joue un rôle crucial pour le capitalisme, depuis sa naissance. La tendance libérale au moins d'Etat s'efface devant les besoins de la bourgeoisie pragmatique. Il y a plein de marxistes, à commencer par des Russes, qui ont disserté sur le capitalisme d'Etat (pas au sens de Cliff). L'impérialisme ce n'est pas autre chose.

a écrit :Et on innove surtout dans l’art de faire du package.

Bon je veux bien mais quand je consulte mes mails sur mon téléphone quand je prend le RER, tout en écoutant une émission de radio diffusée outre-Atlantique, alors que mon pote, famille populaire, joue à PES sur sa console portable, on est vraiment à un stade détérioré du développement des forces productives par rapport à l'époque où les chiottes n'étaient pas même un standard dans les foyers ? Franchement, faut pas pousser... Quand bien même le marketing prendrait une place plus importante (c'est vrai), ça ne veut pas dire que la production chute, ça veut dire que du temps de travail humain est disponible pour une activité à l'utilité sociale contestable. C'est une conséquence du développement précisément, et dire "on pourrait faire mieux" est un argument politique qu'il faut soumettre aux intérêts des travailleurs (on pourrait aussi augmenter le temps de travail sinon), pas une analyse économique.

a écrit :Parce qu'entre les 2, l'effort de mondialisation a été fourni.
C'est en cours. Trop lentement, il y a urgence. Il y a plein de patelins qui sont loins du marché. Mais ça a changé depuis 100 ans.
Gaby
 
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Message par jeug » 03 Nov 2009, 09:55

Vérié,

Je n'ai pas le temps de répondre point par point.

Déjà sur la forme, j'ai parlé d'entourloupe, je voulais dire erreur, ça n'était pas dans une intention agressive contrairement à ta réponse semble-t-il, désolé si tu t'es senti visé.
Par rapport aux chiffres, je ne les conteste pas mais par contre tes raccourcis dans les déductions.

Pourrais-tu, stp, ne serait-ce que t'interroger sur ça : "une croissance considérable par habitant , donc qui n'est pas liée à la seul croissance démographique".

Ah ?

L'impérialisme a constitué un second souffle extraordinaire pour le capitalisme et derrière lui la mondialisation généralisée.
C'est à ça que l'on doit la croissance par habitant.

La démographie, l'élargissement du marché, la généralisation des échanges, ont permis à un capitalisme pourtant vieillissant par ailleurs de continuer de croître.
Vieillissant par ailleurs, ça veut dire que, contrairement à la période de son envol, il ne "révolutionne" plus rien.
jeug
 
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Message par jeug » 03 Nov 2009, 10:01

a écrit :quand je consulte mes mails sur mon téléphone quand je prend le RER, tout en écoutant une émission de radio diffusée outre-Atlantique, alors que mon pote, famille populaire, joue à PES sur sa console portable, on est vraiment à un stade détérioré du développement des forces productives par rapport à l'époque où les chiottes n'étaient pas même un standard dans les foyers ?

Gaby, je ne parlais pas de, ni ne contestais le, dév des FP.
Tu mélanges visiblement plusieurs interlocuteurs.
Je parlais de progrès technologique.
Et je disais qu'on vit aujourd'hui sur la lancée des fomidables efforts de libération de l'imagination du passé, que notre époque est incapable de reproduire parce que son fonctionnement même en étouffe la possibilité.
jeug
 
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Message par Gaby » 03 Nov 2009, 10:04

(jeug @ mardi 3 novembre 2009 à 10:01 a écrit : Gaby, je ne parlais pas de, ni ne contestais le, dév des FP.
Tu mélanges visiblement plusieurs interlocuteurs.
Je parlais de progrès technologique.
Et je disais qu'on vit aujourd'hui sur la lancée des fomidables efforts de libération de l'imagination du passé, que notre époque est incapable de reproduire parce que son fonctionnement même en étouffe la possibilité.
Ben c'est ce que je conteste, c'est faux... Quand on grave un microprocesseur en 65 nanomètres, ce n'est pas vivre sur le passé en lui collant une belle boite autour.
Gaby
 
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Message par Vérié » 03 Nov 2009, 10:17

a écrit : Jeug
une croissance considérable par habitant , donc qui n'est pas liée à la seul croissance démographique".

Oui, les stats le prouvent à l'évidence : la production n'a pas seulement augmenté en volume total mondial, mais en volume par tête d'habitant. De même que le PIB, qui nous donne tout de même une idée de l'évolution malgré ses limites.
a écrit : Jeug
Quand le capitalisme fait appel à l'Etat, ça n'est jamais de gaité de coeur et pour une période espérée très provisoire.


C'est tout de même un peu plus complexe que ça. Il faudrait carrément ouvrir un fil sur le rôle de l'Etat pour en discuter sérieusement.

Pour faire (relativement) court. Avec des hauts et des bas, l'intervention de l'Etat est permanente dans tous les grands pays capitalistes développés depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et elle s'est manifestée bien avant. Et même à l'époque de la révolution industrielle, par exemple au Japon et en Russie, entre autres.

L'Etat est à la fois un appareil au service du capitalisme et lui même un des plus gros employeurs capitalistes. Il y peut y avoir des contradictions entre la politique de l'Etat et les intérêts immédiats, ou même à plus long terme, de certains capitalistes. Mais il n'est pas possible de dire que les capitalistes se résignent à faire appel à l'Etat la mort dans l'âme. L'Etat leur est devenu en permanence indispensable ! Non seulement par ses subventions et interventions diverses, mais les infrastructures qu'il met en place, ses investissements dans les secteurs non rentables comme la formation et la recherche, son rôle impérialiste (comme l'a rappelé Gaby) pour conquérir et préserver des marchés etc. Si le capitalisme avait vraiment boîté et manifesté les signes de la proche agonie pendant les 70 dernières années, on pourrait parler de béquille, mais ça n'a vraiment pas été le cas.

Bref, il ne faut pas confondre le discours libéral, démagogique anti-étatique, anti-fonctionnaires d'une partie de la bourgeoisie, de ses médias et politiciens avec la réalité de l'attitude de la bourgeoisie par rapport à l'Etat. Ce qu'une partie des capitalistes n'acceptent en effet qu'à contre-coeur, surtout les petits, ce sont les lois sociales qui amputent un peu leur profit et les rend moins compétitifs, alors que les gros encaissent mieux ces faux frais.

D'une manière générale, nous pouvons dire, même s'il y a des contre tendances, que nous sommes entrés depuis la fin de la seconde guerre mondiale dans une nouvelle période de relations entre l'Etat et la bourgeoisie, par rapport à celle de l'époque de Hoover en 1929.
__
PS Rassures-toi, je ne me sentais nullement visé par le terme "entourloupe", mais je me permets, sans la moindre agressivité perso, de t'inciter à émettre ce genre de critique/remarque sur la base de faits et chiffres précis, par à partir de considérations générales subjectives.
Vérié
 
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Message par Aumance » 03 Nov 2009, 10:23

sur le site
http://marx21siecle.com/forcesproductives.php

un article écrit par des personnes qui se décrivent ainsi :

a écrit :Qui sommes nous ?
Nous sommes une ancienne universitaire, économiste, ayant été trotskyste pendant 20 ans.
Nous avons fait le bilan des erreurs et parfois des mensonges.
Nous avons beaucoup lu Marx et beaucoup aimé.
La découverte des écrits militaires de Trotsky et surtout de la réalité de la révolution russe, qui ne fut révolution qu'en février 1917, et coup d'Etat en octobre, nous a engagés à relire et lire bien des livres.
Aujourd'hui, pour nous, le communisme ne fut que du capitalisme d'Etat, qui liquida l'internationalisme.
Et les soviets démocratiques furent liquidés par le bolchévisme. Seul Makno en Ukraine leur accorda l'importance et le respect qu'ils méritaient.
Actuellement, nous sommes libertaires sans parti.
2009




voilà ce qu'ils en disent : désolée pour la longueur du texte !!


a écrit :Les forces productives ont-elles cessé de croître ?


Les forces productives ont-elles cessé de croître dans les années trente du 20ème siècle ?


C'est en 1938 que Trotsky, n'ayant plus confiance dans l'URSS, publie "le programme de transition", base de la constitution, selon lui, de la 4ème Internationale Communiste, en rupture avec la troisième, qui a capitulé. La quatrième avait pour tâche, selon Trotsky, d'offrir à l'humanité, dans l'impasse, une issue vers la vraie révolution prolétarienne, qui passerait par la révolution politique en URSS en vue de restaurer les soviets bolchéviques. C'est une période noire où Trotsky voit, l'un des premiers, la société occidentale face au fascisme. S'ajoute à cela les conséquences de la grande crise économique de 1929 qui touche toutes les sociétés capitalistes. C'est dans cette période que Trotsky reformule les analyses de Marx et présage l'effondrement du capitalisme. Par voie de conséquence, suite à cet effondrement, le socialisme (tel que les bolchéviks l'avaient imaginé) est inéluctable, dit-il. Rapellons que le socialisme, dans la perspective de Marx, qui est celle de Trotsky, ne peut exister que sur la base du développement le plus grand des forces productives, c'est-à-dire en s'appuyant sur les " acquis " les plus élevés de la société capitaliste. Ces acquis constituent selon eux le plus haut niveau de civilisation.

Dans ce cadre Trotsky théorise sur le fait que, face à la crise de 1929, le capitalisme ne peut plus développer les forces productives (voir notre rubrique " valeurs d'usage/forces productives), lesquelles " se révolteront " inéluctablement contre le carcan de la propriété privée des moyens de production, pour finalement imposer ce fameux socialisme, si et seulement s'il y a une relève politique (Le marxisme et notre époque, 26-2-1939.p 147 à 185 oeuvres n° 20. Institut Léon Trotsky). De ce point de vue la révolution politique en URSS est une urgence (révolution politique et non pas sociale puisque cette dernière est accomplie).

De quoi parle Léon Trotsky ? Il ne définit, pas plus que ses prédécesseurs, les termes de forces productives, faisant pourtant de cette expression imprécise un enjeu idéologique considérable.

Les trotskystes ont eux-mêmes tenté d'éclaircir cette question, afin d'accréditer la thèse de leur penseur. C'est ainsi que Bloch, dit Octave Boisgontier, écrivait dans le n° d'avril 1972 de la Vérité un article où il indiquait, qu'à son avis, les forces productives relevaient des valeurs d'usage.
Nous nous élevons en faux contre cette vision arrangeante ..


Rappellons que les forces productives contiennent ensemble, selon les définitions précédentes, déjà énoncées, à la fois des valeurs d'usage utiles aux humains, mais appréciées d'une façon particulière par le capitalisme (richesses matérielles et services utiles), et en même temps les marchandises en tous genres, (dont une masse toujours plus grande peut être contradictoire avec ce qui est utile à l'humanité: marchandises destinées à être seulement détruites, ou à détruire comme l'armement), les moyens de production essentiellement utiles au capital et à l'exploitation, le capital lui-même, la science au service du capital.

D'après Marx, sur le plan théorique, le capitalisme introduit une contradiction entre valeurs d'usage et marchandises, et entre valeurs d'usage et capital. Les marchandises et le capital peuvent détruire les valeurs d'usage. Marx, hélas, n'a pas développé cet aspect des choses, il l'a juste signalé.

Dans la tradition marxiste dominante, la crise des valeurs d'usage va de pair avec celle du capital, ce qui pose un problème fondamental aujourd'hui. Dans le texte de Trotsky que nous allons citer, on remarque qu'évoluent dans le même sens, les richesses matérielles, les privations et les souffrances des masses, le chômage, la paupérisation, la crise industrielle, le capital. L'effondrement du capital va de pair avec celui du niveau de vie des masses.

Citons juste quelques phrases : "....Les forces productives ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle....La croissance du chômage approfondit, à son tour la crise financière de l'Etat et sape les systèmes monétaires ébranlés.....La bourgeoisie elle-même ne voit pas d'issue... elle marche les yeux fermés à la catastrophe économique et militaire..etc" (Le Programme de transition. cahiers du marxisme. 1978)

Ensuite Trotsky indique qu'il ne croit pas à la politique américaine du New Deal qui n'offre aucune issue économique. Il se trompe.

A notre avis, Trotsky va jusqu'au bout des conséquences qui résultent de la notion confuse de "forces productives", laquelle, rappelons le encore une fois, entretient l'idée que la croissance des valeurs d'usage évolue dans le même sens que la croissance du capital.

Or nous savons aujourd'hui que la richesse matérielle peut croître alors que les masses populaires voient leur niveau de vie s'effondrer, que le capital se porte d'autant mieux que le chômage s'accroît, ce qui résulte ici de la théorie même de Marx. Nous savons que la guerre, si elle est une catastrophe humaine, est un moyen de relancer le capital et constitue une source de jouvence pour l'économie, et que les politiques de stabilité monétaire sont obligatoirement des politiques sociales féroces.

Trotsky, qui annonce la nécessité et l'inéluctabilité du socialisme, lie implicitement le sort des grandes masses ouvrières à la croissance du capital. Et comme il ne croit plus à la croissance du capital dans les limites de la propriété privée capitaliste, il ne voit qu'une issue naturelle: le socialisme dans la "propriété collective des moyens de production", c'est-à-dire en fait la propriété de " l'Etat ouvrier et paysan ", c'est à dire de l'Etat dirigé par les bolchéviks, et propriété des apparatchiks. On ne va pas discuter ici de cette perspective qui met de côté la question du vrai pouvoir des ouvriers et les initiatives à la base propres aux peuples. On contestera seulement la notion "d'inéluctabilité". C'est une notion qui n'a pas d'existence dans l'histoire.

Le nazisme, le New Deal et la guerre vont permettre conjointement et paradoxalement au capitalisme de se redresser : relance des moyens de production, dans des conditions d'exploitation tout à fait appréciables !.

Ou plus précisément, la grande crise de 1929 trouvera son issue 1) dans des politiques de paix sociale (New Deal et Front populaire) pour bloquer les tentatives révolutionnaires, ou dans le fascisme pour museler les ouvriers et accroître leur exploitation. Les deux sont complémentaires; 2)dans des politiques de réarmement intensif; 3)dans la guerre elle-même.

Le capitalisme ne s'effondre pas de lui-même et trouve toujours une issue à ses crises, si les peuples n'opposent pas leur propre activité révolutionnaire, même sous une forme encore à peine ébauchée. La barbarie est une issue pour le capitalisme, Marx l'avait vu. Mais la barbarie peut ne peut être homogène au monde entier; elle peut toucher les 2/3 de la planète tandis que le tiers restant sera maintenu dans un relatif confort, avec des écarts croissants entre les niveaux de vie des différentes classes sociales. C'est ce qui se passe aujourd'hui. Dans ce cas, la bourgeoisie a la tâche essentielle "d'acheter" les directions officielles des partis et syndicats du salariat, et "d'acheter" les gouvernements des pays libérés en apparence du colonialisme. La corruption généralisée est l'un des mécanismes de base essentiel à la paix sociale et à la croissance du capital.

Tout ceci pour indiquer que l'expression, "les forces productives ont cessé de croître", n'aurait de valeur que s'il s'agissait uniquement de ce qui est utile au genre humain dès la première guerre mondiale. Mais l'expression serait fausse dès la fin de la deuxième guerre mondiale pour l'Occident. Les grands acquis sociaux, grâce à la guerre et à la reconstruction, dans les pays qu'on appelle développés, a totalement éclipsé la croissance en continu des destructions des pays coloniaux, puis ex colonisés. De plus il faudrait s'entendre sur ce que signifient les "destructions". Par exemple, l'introduction de l'agriculture industrialisée, dans le monde entier, n'a pas été vue, loin de là, même aujourd'hui encore, comme une destruction humaine, environnementale, sociale, culturelle et en termes de production !

En clair l'expression employée par Trotsky en 1938 n'a rigoureusement aucun sens, et constitue l'une des nombreuses impasses du marxisme

Trotsky n'imaginait pas un capitalisme florissant, émergeant d'une crise ou d'une guerre, en laissant un salariat misérable et paupérisé dans les 2/3 de l'humanité. Il n'imaginait pas ce capitalisme donnant des miettes à une partie du salariat mondial, contre l'autre partie; il n'imaginait pas un salariat relativement bien nourri servant à maintenir la paix sociale, contre une exploitation accrue des 2/3 de l'humanité, condition de sa renaissance, mais condition également de la barbarie. Il n'imaginait pas que la barbarie pouvait être le produit de la croissance des forces productives. Il ne pouvait pas imaginer un New Deal assez général en Occident, avec un gendarme communiste à l'est, pour faire repartir la machine, il disait que c'est impossible. Il expliquait que le capitalisme n'avait pas les moyens de produire quelques réformes sociales passagères pour conquérir une partie du salariat contre l'autre. Il n'imaginait pas que le salariat des pays occidentaux, plongé dans la perversité de la consommation à bon marché, par l'écrasement de la paysannerie, ne serait plus révolutionnaire et n'aurait nulle envie, de toutes façons, de ce qui se passait en URSS.

(Ecrit en 2006, corrigé en septembre 2009)


Un commentaire d'une lectrice:
"Sur la question des forces productives, je me
demandais si l'imprécision de la définition ne cache pas la difficulté
de s'entendre sur ce qui est utile aux humains (valeurs d'usage) et ce
qui leur est inutile ou néfaste ? Comme tu le dis, "la grande majorité
des marchandises dans l'agriculture, l'industrie, les services ne
correspondent pas à des besoins humains..." et c'est tout le problème de
la valeur, ce qui est bon pour la vie contre l'ubris, l'excès, la
croissance incontrôlée : les grecs disaient "rien de trop" et la
sagesse populaire : le mieux est l'ennemi du bien...
Actuellement, les marchandises et le capital détruisent les valeurs
d'usage et même si l'inéluctable n'est pas une notion historique on a
plutôt le sentiment que c'est l'inéluctabilité du capitalisme qui fait
question puisque c'est ce modèle qui s'applique partout et qui récupère
et digère toutes les initiatives et les contrefeux (cf. la critique de
l'économie solidaire et du commerce équitable dans "Silence!") Tout ce
qu'on peut espérer c'est que la croissance incontrôlée des forces
productives se résolve en entropie pour accoucher finalement d'une
révolution salutaire devant la barbarie et l'inhumanité d'un système qui
gangrène tout ce qu'il touche."

(Janvier 2007)


Note:
Ajoutons que les guerres et les armes de destruction massive sont une occasion extraordinaire de faire fructifier le capital. Il n'y a nul besoin que la production ainsi réalisée corresponde à un besoin humain. La grande majorité des marchandises dans l'agriculture, l'industrie, les services ne correspondent pas à des besoins humains, qui ne peuvent être définis que par les citoyens eux-mêmes dans des instances parfaitement démocratiques. Par contre elles correspondent à au besoin de la paix sociale par le capital.

Toutes les crises ont été surmontées au moyen de la barbarie. Marx n'a jamais esquissé une quelconque théorie de l'effondrement du capitalisme. Et sa baisse du taux de profit était seulement tendantielle. Les moyens de lutte contre cette tendance ont été fort bien exposés par lui.

Vouloir trouver cette esquisse de l'effondrement dans une citation de Marx dans la "Préface à la contribution à la critique de l'économie politique" nous paraît bien tiré par les cheveux (p 230 V) ?? dans la mesure justement où on ne sait pas de quoi on parle quand on nomme l'expression "forces productives".

En conclusion il y a une logique entre la chute annoncée du capitalisme par Trotsky et l'arrêt de la croissance des forces productives. Notons que cette chute annoncée exclut l'activité autonome du prolétariat comme de celle des masses populaires, ce qui justifie entre autres la dictature en URSS.


(2007)
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Message par Vérié » 03 Nov 2009, 10:57

Si nous voulons discuter de ce texte, je crois qu'il faut se cantonner à la question des forces productives et laisser de côté certaines positions "anars" exprimées, telle que le "coup d'Etat" pour la prise de pouvoir par les bolcheviks, la référence à Makno etc, sinon nous allons partir dans tous les sens.
Sinon :
-La critique de la conception lambertiste des forces destructives est juste.
-La constatation selon laquelle le développement des forces productives peut aller de pair avec la barbarie, ou avec la barbarie sur une partie de la planète est juste aussi.
-En revanche, à mon avis, ce texte déforme et caricature la pensée de Trotsky, en lui prêtant notamment la conception selon laquelle le socialisme est "inéluctable". Et aussi cette conception selon laquelle "les forces productives se révolteront contre leur carcan" :wacko: Les forces productives n'ont pas de dynamique "autonôme" du capitalisme. Leur développement entre en contradiction avec les structures capitalistes, ce qui provoque des crises, mais on ne peut pas dire que les forces productives "se révoltent". Seul le prolétariat peut se révolter et devenir un sujet conscient. C'est peut-être une question de vocabulaire, mais la pensée de Trotsky était tout de même plus subtile, même si on peut contester certaines de ses affirmations et expressions.

Bref, si ce texte décrit bien la façon dont le capitalisme peut surmonter les crises, en l'absence d'intervention révolutionnaire du prolétariat, il prête à Trotsky une vision déterministe, plus ou moins fataliste, qui n'était pas la sienne. De plus Trotsky ne s'exprimait, comme on l'a déjà dit, que pour la période qu'il vivait, pas pour l'éternité...
__
Un exemple :
a écrit : Texte cité par Aumance
Trotsky va jusqu'au bout des conséquences qui résultent de la notion confuse de "forces productives", laquelle, rappelons le encore une fois, entretient l'idée que la croissance des valeurs d'usage évolue dans le même sens que la croissance du capital.

Il me semble que Trotsky, contrairement à ses épigones lambertistes, connaissait lan différence entre croissance des forces productives et croissance des valeurs d'usage. La confusion sur la notion de forces productives semble être celle... des auteurs (encore influencés par les théories lambertistes en dépit de leur virage anar ?), et non pas celle de Marx ou Trotsky...
___

De toute manière, la principale contradiction du capitalisme, c'est l'opposition entre capital et prolétariat, pas l'opposition entre le développement des forces productives et les structures capitalistes. Dans le sens que seule l'intervention consciente du prolétariat peut mettre fin au capitalisme, qui ne disparaîtra pas tout seul, de mort naturelle, selon une vision catastrophiste millénariste. La contradiction entre le développement des forces productives et les structures sociales provoque inévitablement des crises de diverses ampleurs, mais pas "automatiquement" la révolution. La contradiction entre prolétariat et capital, en revanche, peut en effet engendrer une révolution si le prolétariat prend conscience de ses intérêts, des intérêts historiques de l'humanité et de sa force.
Vérié
 
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