Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Marxisme et mouvement ouvrier.

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par com_71 » 15 Mai 2023, 11:01

Dans le n27 des Cahiers du Mouvement Ouvrier :
Ajoutons un détail : dans le Monde (8 mars 1998), l'historien
Marc Ferro affirme que Soukhanov fut condamné à mort
en 1922 et fusillé aussitôt après une visite de son ancien
camarade Trotsky, qui, grisé par le pouvoir, vint lui expliquer
que c'était la dure loi de la révolution ... Après quoi,
le menchevik "fusillé" écrivit et publia sept volumes
de souvenirs. C'est sans doute un record mondial !

et un texte de Soukhanov : Le discours de Lénine du 4 avril 1917
https://www.marxists.org/francais/cmo/n27/cmo_027.pdf
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6085
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 15 Mai 2023, 11:13

Excellent, monsieur com_71!
Cyrano
 
Message(s) : 1516
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 17 Mai 2023, 18:03

Trotsky, dans son Histoire de la révolution russe, raconte la fameuse nuit où se décide le grand saut:
Le lendemain eut lieu, sur la demande de Lénine, la fameuse séance du Comité central, où la question de l'insurrection fut posée dans toute son acuité. De l'issue de cette séance Lénine faisait dépendre sa politique intérieure : par le Comité central ou bien contre lui. «O nouvelles facéties de la joyeuse muse de l’Histoire ! – écrit Soukhanov. Cette séance décisive des hauts dirigeants eut lieu chez moi, dans mon logement, toujours dans la même rue Karpovka (32, logement 31). Mais tout cela se passait à mon insu.» La femme du menchevik Soukhanov était bolcheviste. «Cette fois-là, des mesures particulières furent prises pour me faire passer la nuit ailleurs : pour le moins, ma femme se renseigna exactement sur mes intentions et me donna un conseil amical et désintéressé, celui de ne pas me donner trop de fatigue après un long voyage. En tout cas, la haute assemblée était complètement garantie contre une incursion de mon côté.» La réunion se trouva, chose beaucoup plus importante, garantie contre une incursion de la police de Kérensky.
Lénine s'attendait à une grande résistance. Mais ses appréhensions se dissipèrent vite. L'unanimité avec laquelle le Comité central avait repoussé en septembre la proposition d'un soulèvement immédiat avait un caractère épisodique. […]
La séance dura environ dix heures sans interruption, jusqu'à la nuit profonde. Pendant une suspension, l'on but du thé avec du pain et du saucisson pour reprendre des forces. […]
La séance du 10 consista presque entièrement en une polémique passionnée avec Zinoviev et Kamenev : Lénine menait l'offensive, les autres venaient à lui successivement.

Le texte cité se trouve ici : https://www.marxists.org/francais/trots ... /hrr43.htm

Une note de bas de page des éditions Smolny sur ce moment:
Galina Flakserman, l'épouse de Soukhanov, était militante bolchevique depuis 1905, membre de la rédaction des Izvestia et assistante au secrétariat du Comité central du parti. Elle avait fait savoir à Sverdlov qu'il pourrait en cas de besoin utiliser leur appartement pour des réunions clandestines, car «c'était un logement spacieux doté de plusieurs entrées, de sorte que les allées et venues d'un grand nombre de personnes n'attireraient pas trop l'attention. » – Voir Rabinowitch. 1976, p. 308.
Cyrano
 
Message(s) : 1516
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 17 Mai 2023, 18:07

lls vivaient bien, monsieur et madame Soukhanov, avec leur appartement spacieux? Je suppose que le livre cité par les éditions Smolny, "Voir Rabinowitch. 1976", est celui-ci:
Alexander Rabinowitch, Les bolcheviks prennent le pouvoir. La révolution de 1917 à Petrograd, La Fabrique Editions, 530 pages. Imprimé en 2016.
Y'a des sauvages qu'ont lu ce bouquin ici ? Ça en a parlé sur ce forum:
viewtopic.php?f=4&t=32861&hilit=Rabinowitch%2C
viewtopic.php?f=11&t=33188&hilit=Rabinowitch%2C

Soukhanov tout malin qu'il est ne pouvait pas se douter que la fine fleur des bolchos reprenait des forces… et avec du saucisson, et chez lui, et à une heure indue, et avec Lénine le visage imberbe portant perruque, dans la nuit du 10 octobre.
10 octobre en calendrier Julien. Pour avoir la date en Grégorien, beautifully simple : vous ajoutez 312 heures et vous divisez par 24.
Dans Les bolcheviks prennent le pouvoir, Alexander Rabinowitch écrit:
Cet appel aux armes fut adopté par dix voix contre deux. Kollontaï se souvient qu’aussitôt après le vote, les tensions s’évanouirent et que tout le monde se sentit soudain affamé. Youri Flakserman prépara le samovar, accompagné de fromage, de saucisses et de pain noir, et tous les participants se ruèrent sur la nourriture. Les débats se prolongèrent un peu, se rappelle Kollontaï, mais ils étaient désormais émaillés de plaisanteries – et de quelques piques bon enfant à l’encontre de Kamenev et Zinoviev.
Ainsi s’acheva cette rencontre historique entre Lénine et le Comité central bolchévique.

On imagine la scène :
– Illitch (à la cantonade): Qui me passe le saucisson?
– Tiens, attends, j'enlève la peau, Vladimir Illitch.
– Y'a plus de thé? Il reste du pif peut-être?
– Oui, artza en a remonté de la cave.
– On se détend ?, quelqu'un a une blague? Zorglub?
– Zorglub: Je suis perso plus bœuf Strogonov que Michel Strogoff. Ah-ah! Ah-ah!
– Illitch: …..
– Lev Davidovitch: ….
– Zinoviev et Kamenev (se tapant sur les cuisses): Illitch a pas compris!
– Galina Flakserman : Ciel! Mon mari!
– Tous : Quoi?
– Galina Flakserman: Non, excuses! C'est artza qui remontait encore de la cave.
– Tous (moins deux): Ouf ! Allez, santé! En avant pour l'insurrection !
Cyrano
 
Message(s) : 1516
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Zorglub » 17 Mai 2023, 19:22

Je n'aurai pu assister à une telle réunion qu'en tant que souris, qui aurait juste participé en prenant sa ration de pain noir.
Merci pour ces détails et révisions.
Zorglub
 
Message(s) : 1040
Inscription : 27 Fév 2009, 01:26

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par com_71 » 17 Mai 2023, 19:47

Pas crédible : y'a pas de vodka !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6085
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 17 Mai 2023, 20:31

:D j'avoue, j'ai un peu francisé les moeurs...
J'aurais du rajouter une réplique de Staline. Mais que peut dire «une tache grise»?

Le compte-rendu de cette réunion par Alexander Rabinowith occupe quelques pages car il s'appuie sur les témoignages et les archives. Par exemple, les positions défendues par Zinoviev et Kamenev sont détaillées.
Cyrano
 
Message(s) : 1516
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par com_71 » 17 Mai 2023, 23:21

Cyrano a écrit :Mais que peut dire «une tache grise»?

"Ces plats ne sont pas assez épicés !" ou "J'aurais aimé avoir une bonne fricassée de champignons à vous offrir."
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6085
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Byrrh » 18 Mai 2023, 07:41

com_71 a écrit :
Cyrano a écrit :Mais que peut dire «une tache grise»?

"Ces plats ne sont pas assez épicés !" ou "J'aurais aimé avoir une bonne fricassée de champignons à vous offrir."

Pas mal !

Ou : "Pouvez-vous vraiment affirmer qu'Untel était présent parmi nous à notre précédente soirée ? Regardez plutôt cette photo de groupe..."
Byrrh
 
Message(s) : 1316
Inscription : 10 Avr 2017, 20:35

Re: Carnets de la Révolution russe par Nikolaï Soukhanov

Message par Cyrano » 18 Mai 2023, 08:30

«Une bonne fricassée de champignons…»
Dans le forum "M.Eastman : Depuis la mort de Lénine", en page 4, il est question de ce genre de plats avec les réflexions d'un dénommé Boris Bajanov qui fut secrétaire du politburo et de Staline à partir de 1923. Il a fuit l'URSS en 1928. Bajanov a écrit un livre, Avec Staline dans le Kremlin, paru en 1930.
Boris Bajanov écrit au sujet de l'exil de Léon Trotsky en Turquie:
Le «merveilleux Géorgien» ne s'embarrasse guère de morale. Sans doute, pour se débarrasser de Trotsky, il ne lui fera pas trancher publiquement la tête. Il sait que l'usage de la guillotine est contagieux comme la grippe. Il préfère agir en douceur, sans trop attirer l'attention.
Trotsky fut d'abord déporté dans une région perdue de l'Asie Centrale. […]
Toutefois, ce n'est qu'une demi-mesure. Je ne reconnais pas mon Staline.
S'il restait fidèle à ses méthodes, il agirait dans cette affaire avec plus de finesse. Par exemple, faisant un beau geste, il se réconcilierait avec Trotsky et lui offrirait un portefeuille... le ministère le plus insignifiant qu'il trouverait à Moscou. Au surplus, nous avons fait quelques progrès depuis César Borgia. Alors, on jetait une poudre expéditive dans une coupe de Falerne, ou bien l'ennemi périssait en mordant dans la chair dorée d'une pomme. Maintenant, les procédés s'inspirent des dernières conquêtes de la science. Une culture de bacilles de Koch mêlée systématiquement et petit à petit à la nourriture détermine une phtisie galopante et une mort rapide, sans que personne n'ait le moindre droit d'accuser un garçon de restaurant d'avoir envoyé ad patres un ennemi. […]
On ne voit pas, en somme, pourquoi Staline n'a pas suivi cette méthode, tellement dans ses habitudes et dans son caractère...
Mais il est, après tout, fort possible que Staline trouve un avantage à voir mourir Trotsky, non en U.R.S.S. mais à l'étranger.

Léon Trotsky commentera dans son Staline en 1940:
En 1930, quand le livre de Bajanov parut, je le considérais comme un simple exercice littéraire. Après les procès de Moscou, je le pris plus sérieusement. Qui avait inspiré au jeune homme de pareilles spéculations ? Quelle était la source de tout cela ? Bajanov a été formée dans l'antichambre de Staline, où la question des bacilles de Koch et les méthodes d'empoisonnement des Borgia étaient évidemment discutées dès avant 1926, année où Bajanov quitta le secrétariat de Staline.

Le sujet du forum où il est question de Bajanov :
viewtopic.php?f=4&t=34875&start=30
Cyrano
 
Message(s) : 1516
Inscription : 03 Fév 2004, 17:26

PrécédentSuivant

Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 13 invité(s)