On ne peut rien te cacher... :hinhin:
Bon, tout cela pour dire qu'à mon avis - et désolé si ce post risque d'être un peu long - ta manière de voir les choses pèche sous au moins trois aspects :
1. Ton critère formel de l'Etat ouvrier (ou du socialisme) n'est pas valide tel quel.
2. Tu ne l'appliques d'ailleurs pas toi-même.
3. Ce critère se réclame à tort de Marx, même sur un plan formel.
C'est parti...
1. Lorsque tu écris que :
a écrit :le maintien du salaire, indispensable au capitalisme et incompatible avec le socialisme
Tu commets une double faute, la première plus bénigne que la seconde. A titre accessoire, le capitalisme a pu, à certaines époques et dans certaines circonstances, fonctionner sans salariat libre. Les plantations esclavagistes du Sud des Etats-Unis, et même les domaines féodaux de l'Europe de l'Est au XVIIe siècle, étaient intégrés au marché mondial, et étaient par bien des aspects des entreprises capitalistes. Mais passons. Comment imagines-tu que les travailleurs puissent être rémunérés sous le socialisme, autrement que par un salaire ? Par des "bons de travail" ? Mais c'est un salaire qui ne dit pas son nom. Par une participation aux bénéfices de leur propre entreprise ? Cela supposerait une concurence entre entreprises collectivisée incompatible avec l'existence d'un plan.
Alors quoi d'autre ?
Ce qui caractérise le socialisme n'est pas la disparition du salaire, mais du capital,
c'est-à-dire des capitalistes... j'y reviendrai.
2. On ne croule malheureusement pas sous les exemples historiques d'Etats ouvriers. Sauf à prendre ses vessies pour des lanternes magiques, il n'y en a eu que deux, dont le premier d'ailleurs plus à l'état de projet que de réalité tangible. Mais sous la Commune, entre autres, le salariat fut bien évidemment maintenu, et pourtant, personne ne songe à remettre en cause sa caractérisation comme Etat ouvrier.
3. J'en viens au fond de l'affaire.
Tant qu'à être formaliste, il faut l'être de manière conséquente. Or, l'expression de "capitalisme sans bourgeoisie" est une formule qui si elle n'est par certains côté pas fausse, embrouille davantage les choses qu'elle ne les éclaire.
Pour Marx, le capital est un
rapport social. Dire qu'il y a capitalisme sans capitalistes du seul fait qu'il reste le salariat, c'est vouloir obtenir un bâton à un seul bout, en coupant l'autre.
On peut toujours trouver des formules qui mettent l'accent sur les points communs entre des choses différentes. Après tout, on est très également fondé à dire que l'homme n'est jamais qu'un singe avec des outils et un langage. C'est très vrai, et cela souligne la continuité, les points communs entre le singe et l'homme. Certes. Mais l'homme et le singe, ce n'est tout de même pas la même chose, ne serait-ce que parce qu'objectivement, ils ne peuvent pas se reproduire ensemble (d'ailleurs, ils essayent rarement, sauf dans les chansons de Brassens).
Avec l'URSS et le capitalisme, c'est un peu le même problème. On peut - et dans certaines circonstances, on doit - souligner les points communs, ne serait-ce que face aux staliniens qui faisaient de l'URSS un paradis communiste sur terre. Et même avant cela, Lénine lui-même a expliqué que l'Etat soviétique devait effectivement accomplir les tâches d'accumulation que la bourgeoisie n'avait pas pu assumer.
Mais souligner les points commmuns ne doit pas faire oublier les différences fondamentales. Le fait que cette "accumulation capitaliste" (les guillemets sont essentiels) doive justement se faire sous l'égide d'un Etat issu d'une révolution ouvrière, cela change sinon tout, du moins bien des choses. Ne serait-ce que parce que cela a permis à l'URSS d'édifier une économie puissante, ce qui aurait été impossible sous le règne d'une bourgeoisie privée.
On peut tout appeler "capital", avec un peu d'imagination. On peut même dire que le féodalisme était un "capital" agraire, basé sur une main d'oeuvre juridiquement dépendante. Par certains côtés, cela exprime une certaine réalité. Mais à quoi cela nous avance-t-il ?
Encore une fois, la question primordiale avec l'URSS, au-delà des querelles d'étiquettes et de caractérisation, est la suivante :
Etait-il indifférent pour les travailleurs soviétiques de vivre dans une économie qui n'obéissait pas à la loi de la rentabilité, ou de voir des branches entières sacrifiées sur l'autel de la concurrence sur le marché mondial ? Et sur un plan tout aussi essentiel, était-il indifférent pour eux d'être volés par une bureaucratie obligée de piquer en douce dans la caisse ou de l'être par une bourgeoisie qui affirme haut et fort son bon droit à le faire ? Nous pensons que non. Et le petit "détail" du fait que le "capitalisme" soviétique était collectiviste, et en quelque sorte honteux, plutôt que privé et légal, méritait que les travailleurs luttent contre un retour au "capitalisme privé".
Et c'est pour cela, pour marquer ce choix, cette non-indifférence aux conséquences d'une re-privatisation de l'économie, que les trotskystes ont choisi de caractériser l'URSS comme un "Etat ouvrier" - et qu'ils continuent de le faire.