(hektorbairlioz @ mercredi 5 mars 2003 à 10:10 a écrit :Les Métamorphoses du Réel - Commencer par les Fins
IMPERIALISME : métamorphoses du temps, métamorphoses de l’espace. Nous vivons sans lieux ni espaces. L’Impérialisme est un état sans « situation ». Les questions révolutionnaires sont à reformuler.
Rien pourtant n’est « manifeste » de ces transformations, il convient donc d’ouvrir la coque polie des apparences pour illustrer la réalité de ce prédicat, et découvrir l’horreur idéologique qui entretient la pandémie de ce virus sociétal.
1 – La négation des repères
Nous vivons en « temps réel », dans une immédiateté déconnectée de tout réel et de toute référence à la « durée ». Nous vivons d’images, chaque jour identiques et chaque jour se voulant différentes. Le temps réel n’existe plus, le « temps réel » est virtuel. Sarkozy est son paravent, quand le souci sécuritaire n’exhibe que l’insécurité en Spectacle global, et que dans le même temps – bien réel celui là – la répression « douce » sévit (en douce) chez Raffarin, hors de l’atemporel des images. De façon identique, les discours guerriers de Bush se font dans une discordance des temps : la violence n’a jamais cessé contre le peuple irakien ; chaque jour, des femmes, des enfants et des hommes meurent de l’embargo à Bagdad.
Nous vivons dans des « espaces abolis ». Le Capital, par transactions électroniques, fait et défait les fortunes, et de même décide les licenciements, les délocalisations dans des lieux non dits. L’argent transite, virtuel, de banque en banque, sans lieu précis. L’argent n’est nulle part, la misère est partout. Les profits des transnationales toutes puissantes éclatent les repères géographiques. Il en va de même en géopolitique. Là où l’Est et l’Ouest s’identifiaient en opposition il y a plus d’une décennie, viennent se substituer les menaces du terrorisme sans lieu, soigneusement entretenues par l’Impérialisme, qui, lorsqu’il ne peut engranger ses dividendes par l’échange inégal, le fait par la force, par la guerre « préventive », inversant ainsi le processus du mur de Berlin et de l’équilibre de la terreur. Selon la même logique, Sharon « détériore » l’espace palestinien, aidé en cela par la CIA qui manœuvre en sous-main un terrorisme « ami ». L’ethnique et le religieux sont aussi de bons prétextes pour l’Impérialisme.
Quel meilleure illustration des temps et espaces éclatés que celle d’un Irak rêvé par l’Impérialisme qui brise à la fois cet Etat Nation et son Histoire pour le replonger dans le chaos « oublieux » du retour au féodalisme, nourri à la tétée des Pétroliers sans frontières !
2 – Les multitudes et l’identitaire
Face à l’anéantissement des repères spatio-temporels restent les multitudes sans identité, et surtout sans force. Le mur répressif des Etats Nations donnait un sens au combat des prolétaires, qui, s’ils « n’avaient pas de patrie » avaient devant eux un ennemi de classe palpable : la bourgeoisie nationale et colonialiste et ses outils de production. Qu’importe aujourd’hui la lutte des travailleurs occidentaux face à l’Impérialisme ? L’Impérialisme casse lui-même l’outil de production, le délocalise. L’usine advient « ailleurs », ainsi que l’exploitation. Sans outil de production, les travailleurs perdent leur rapport de force, ils sont « inexploités », dé-classés et leur combat devient – hélas – celui de Don Quichotte, sur le no man’s land du « rien » aliénant. De masses travailleuses, nous devenons multitudes errantes.
Et nous avons peur. C’est ainsi que surgit le communautarisme et l’identitaire, le repli sur soi-même et sur ce qui nous ressemble. La fraternité d’individu à individu est perdue au détriment d’un individualisme concentrationnaire. Les corporatismes de toute nature s’amplifient chaque jour, le sectarisme s’exacerbe : des groupements de chasseurs à l’église de scientologie, du renouveau mystique aux hooligans, des bénévoles œuvrant pour le caritatif à ceux qui concourent dans les émissions de télévision poubelle, de l’écologie infantile sans portée politique aux comités d’entreprise transformés en agences de loisirs, nombreux sont ceux qui depuis une dizaine d’années tentent de trouver leur identité dans un cocon qui les rassure ou leur ressemble. D’une façon semblable, le verdict honteux du 21 Avril 2002 n’est pas seulement le fruit pourri de la xénophobie, il exprime aussi peut-être le désir frustré d’un retour au « territoire » connu, retour vomitif à l’Etat Nation ultra réactionnaire – certes – mais peut-être significatif d’un rejet inconscient de l’Impérialisme.
3 – La suprématie du Désordre éternel
Lénine n’avait-il pas un discours passablement mécaniste lorsqu’il voyait en l’Impérialisme le stade suprême du capitalisme ? L’Impérialisme est le début d’une ère virtuelle. Non-lieux, non-espaces. Et non-états, ces derniers se voyant relégués à ne plus jouer qu’un rôle régalien, tandis que le Capital s’occupe aujourd’hui – pignon sur rue – de régenter non seulement l’Economie, mais aussi le faisceau Politique. Que sont l’OMC (via L’AGCS), le FMI et autres organismes sinon la main mise de la sinistre « société civile » sur le pouvoir politique ? L’Impérialisme est la métamorphose du Capital économique « en armée politique ». Le décréter comme stade suprême – donc final ? – est erroné. L’Impérialisme n’a pas de force constituée en face de lui. Il peut donc prétendre s’ériger hors du temps et hors de l’espace, s’insinuer « éternel » : c’est à dire – objectivement, son contraire – présent partout à chaque instant. Il est donc un stade simplement nouveau du capitalisme (et non son stade ultime) que supporte l’idéologie de « l’éternité ».
Contrôlant le monde, l’Impérialisme est-il pour autant un Ordre mondial ? Non, et ce pour deux raisons : l’Ordre suppose un temps et un espace bien délimités, et l’Ordre suppose l’immobilisme. Dans une société « globalisée » immobile, les rapports de production sont de fait immobiles, ainsi que la valeur d’échange et la valeur d’usage des biens et services. Une telle société (ou civilisation) mourrait de ses propres contradictions à générer, à long terme, un profit parfaitement « inutilisable » car inopérant par manque de « dynamisme ». Il faut entendre ce terme dans toute son abjection : guerres, trafics d’influence, maffias, corruptions,… L’Impérialisme, comme toutes les phases du capitalisme, (capitalisme primitif de l’Angleterre de la fin du 18ème siècle, capitalisme des Etats Nations, colonialisme,…) ne vit et ne se nourrit que par le désordre et la confusion renouvelés. L’Impérialisme est donc le Désordre mondial savamment organisé sous le couvert manichéen du Bien et du Mal, soit de L’Ordre « apparent ».
4 – La mort des orthodoxies
L’Impérialisme règne sans partage sur le « non-temps » et le « non-espace ». Les Révolutions se construisent – au contraire – dans un contexte spatio-temporel précis et approprié. Octobre 1917 fut un processus lent, à la mesure du temps des hommes, fruit de plus de douze ans de maturation. Les grèves de 1936 et la politique « sociale progressiste » du Front Populaire furent la victoire du peuple, résultant d’une longue période de réaction et d’exploitation. La Révolution de Mai 68 (et non pas les « évènements ») n’est pas « surgie » de nulle part comme certains se complaisent à le dire, mais d’un refus exacerbé de la morale bourgeoise bien pensante qui pesait comme une chape depuis 20 ans. Les grèves de 1995, à l’inverse, se cantonnèrent au mouvement social, et nulle avancée politique révolutionnaire (ni même réformiste) n’en déboucha. Le temps des Révolutions « orthodoxes » était mort.
Peut-on aujourd’hui seulement imaginer une quelconque orthodoxie révolutionnaire ? Comment la classe des travailleurs occidentaux peut-elle envisager cela, alors que son outil de travail lui est chaque jour retiré, que sa force de travail – instrument de sa force révolutionnaire – s’étiole, et qu’il ne lui restera bientôt que sa « pauvreté oisive » ? Comment les pays d’Afrique peuvent-ils l’envisager, alors qu’il meurt du SIDA chaque jour sur ce continent trois fois plus de personnes que lors de l’attentat sur les tours de Manhattan ? Comment l’Amérique du Sud pourrait en faire de même, alors que forcée à un libéralisme à peine émergent, le joug des transnationales et du FMI la fait replonger dans un état de sous-développement ? La fin des révolutions orthodoxes est marquée par l’émergence du nouveau sous-prolétariat planétaire : l’Impérialisme fait basculer le monde de deux siècles en arrière. Et des Révolutions, il ne reste que les ectoplasmes tyranniques et honteux d'Extrême-Orient.
Comment peut donc s’ériger aujourd’hui une praxis révolutionnaire, une visée communiste qui ne prenne pas en compte ce nouveau paradigme des métamorphoses, et le nouveau façonnage sociétal ? Il est insensé d’envisager une praxis qui œuvre par l’orthodoxie du prolétariat constitué en classe consciente, forceps du mouvement révolutionnaire – puisque le prolétariat n’existe plus comme tel, et se voit éclaté en de multiples « lumpens ».
5 – L’émergence du « collectif »
La donne, cependant, n’est pas si désespérée. Les combats n’ont pas cessé pour autant. Ils ont pris des formes nouvelles, internationales et internationalistes. Ces luttes et révoltes qui émergent sont le plus souvent le fait d’associations ou de groupes peu structurés – « collectifs – travaillant sur le terrain social, éducatif et solidaire. La valeur et le mérite de leur ouvrage est précisément la ré-appropriation de « territoires » dans les espaces et les temps niés par l’Impérialisme. Ces « territoires » peuvent être géographiques ou (et) intellectuels. Pour citer certains de ces acteurs, notons le MRAP, ATTAC, Ras l’Front, AC !, Droits Devants,… Il y en a bien d’autres (sans mentionner les « ancêtres » SOS Racisme ou Greenpeace).
A examiner ces terres de luttes nouvellement fertiles, force est de constater que la vigueur de leur action se trouve dans le regroupement ponctuel sur des objectifs précis, le plus souvent à court terme, ou à l’inverse sur des thèmes consensuels aux échéances variables : qui n’a signé de pétitions pour les sans papiers, contre les massacres de Djenine, pour la paix en Irak ? Qui n’a défilé à Barcelone contre l’OMC ou à Florence pour la Paix ? Les intentions et les gestes sont nobles, éthiques et humanitaires. Humanistes. Mais l’appel de ces combats à l’analyse politique, au matérialisme dialectique fait cruellement défaut.
Il y a là bien des ingrédients, et parmi les meilleurs, mais la « sauce » n’est pas faite. Le liant/lien révolutionnaire n’a pas (encore ?) pris. Seule la forme « organisationnelle » semble adéquate aux combats contemporains : réseaux, regroupements ponctuels, unité dans l’action tactique...
La forme est adéquate, car elle reflète le réel de l’Impérialisme, et le combat avec ses propres armes : « partout à chaque instant ». Mais pris isolément chacun des composants – en soi – n’est que de peu de force : ATTAC, par exemple, pour laquelle croît l’engouement chaque jour, est une « université populaire », le plus souvent investie par ceux que finissent par écœurer le discours pathétique du « Nouvel Observateur », ou enrager celui, consistant mais hésitant, du « Monde Diplomatique » (paradoxe !), et son rôle intrinsèque se limite quasiment à cela.
De la synergie dans l’action peuvent se gagner quelques combats ponctuels. Combats consensuels par lesquels le réformisme petit-bourgeois rejoint parfois le discours « vaguement » anarchisant, ce qui n’a rien de fort surprenant, le second étant le « trop-plein » du premier. Il n’y a donc aucune perspective révolutionnaire adéquate, aucun cadrage de praxis pour un communisme renouvelé, et retrouvé. Ces luttes tiennent de l’idéologie « dominée » face à l’idéologie dominante de l’Impérialisme, et non de la dialectique marxiste et de sa théorie pratique.
6 – Que sont nos « amours » devenues ?
Le PCF est malade depuis Mai 68, la température à 3,5% des suffrages exprimés aux dernières élections Présidentielles n’est pas conjoncturelle, et n’est surtout pas uniquement le fait du bilan attristant de quelques strapontins gouvernementaux accordés par les sociaux libéraux du PS. Le PCF peut-il encore guérir ? Je n’en sais rien – je n’en suis plus depuis longtemps. Peut-être le PCF devrait-il « lire » l’Histoire de l’Impérialisme ? Et la comprendre, pour – peut-être – découvrir qu’il n’est devenu que le miroir déformant d’une forme de Nationalisme, partant du bilan « globalement positif » de 1976-78, à la pseudo déstalinisation « annoncée » des années 1980, jusqu’à la mutation pailletée des années 1990… Mais, là n’est pas l’objet du propos. Et s’il l’est, il importe aux militants d’en discuter entre eux. A quoi bon faire la critique du passé en place publique, s’il apporte pas d’eau au moulin du présent ? Le PCF est figé, pétrifié dans le miroir ridicule des 1er Mai soviétiques à faire peur – immobilistes de Brejnev et de Tchernenko. Et le ridicule tue.
La LCR est vive, et son discours n’est pas « simpliste » ainsi qu’on le colporte à l’hôpital du PCF (ou ailleurs). Elle est féconde dans son internationalisme, prompte à (se) mobiliser, mais sa stratégie à se vouloir de toutes les luttes, notamment dans le mouvement social et associatif lui inflige les mêmes retours de bâtons que ceux mentionnés dans la section précédente – l’émergence du « collectif ». Non pas que la LCR soit opportuniste, elle est simplement trop gourmande, et n’analyse pas son combat selon ses propres forces, et selon une dialectique d’état « des lieux ». En grossissant le trait, l’on peut prétendre que la LCR est « gauchisante », sans que cela ait un caractère péjoratif notoire.
LO poursuit son parcours, inoxydable depuis des décennies, classe contre classe, dans un « classicisme » (justement) que plus rien ne reflète dans la majorité des consciences et réalités contemporaines. Ceci est un constat, amer – mais réel – qui sous une forme alternative nous renvoie l’image du Congrès de Tours. La « pureté » de l’intention est louable, et la sincérité indubitable. Mais que représente la valeur et l’efficacité réelle de cette praxis de nos jours ?
Suivent les « mouvances » : Les Alternatifs, les Communistes Libertaires, les Anars de No Border ou autres Saint-Just post-modernes, ces organes nouveaux ou anciens, hybrides, sans organisationnel strict, ce qui fait à la fois leur force et leur faiblesse sur le plan formel de la pratique (qui se distingue ici de la stratégie, plus assimilable à la visée). Du lien communiste de ces groupes méconnus aux Partis orthodoxes, il y a probablement matière à enrichissement.
Restent enfin les communistes « errants » et non nostalgiques, qui ne font que se questionner eux-mêmes en questionnant les autres, ou les « dé-rangeant » par l’apostrophe, pour mieux appréhender le bien-fondé (ou l’infondé) de leur engagement « dégagé ».
7 – Allons-nous « quelque part » ?
Si une démarche telle que celle des Etats Généraux du Communisme (EGC) porte une perspective politique théorique riche et d’origines multiples dans son discours, sa visée est-elle opérante en « situation » ? La perspective ouverte ne se contente-t-elle pas d’adresser un périmètre strictement politico-économique ? N’oublie-elle pas de décliner les combats nécessaires vis à vis de certaines aliénations hors du champ traditionnel, comme s’il existait par nature une hiérarchie des luttes à conduire ou à différer, telles que – liste non exhaustive – le rapport de l’homme à la nature et son exploitation (pourtant déjà exprimé de façon latente par Marx « le jeune » dans le Manuscrit de 1844, et rendu « manifeste » par Lefebvre), le rapport d’exploitation de la supériorité du mâle (pourtant contesté et combattu avec quelque succès depuis Mai 68), le rapport de homme à la création « libre » et immédiate comme acte désaliénant « en soi » (pourtant brandi par le fer de lance du Situationniste), …
Ne continue-t-on pas à penser en rond dans une orthodoxie pseudo renouvelée ? Le corollaire, en question inverse, ne consiste-t-il pas à résoudre l’équation de la multitude des « lumpens », et de la fusionner en des désirs formels et « situés » de Révolution ? Les « sans » de tous bords sont aujourd’hui la vraie question du Communisme, il ne s’agit plus de considérer les « sans » - nous tous en puissance – comme une « armée de réserve », mais bien d’aller là où ils le veulent. Sans obédience. Pour un monde autrement, par une autre praxis révolutionnaire, par une autre culture politique, pour les combats d’aujourd’hui.
Textes de référence :
- Lucien Sève : « Commencer par les Fins, la Nouvelle Question Communiste », éditions La Dispute (1999)
- Michael Hardt/Antonio Negri : « Empire », éditions Exils (2000)
- Daniel Bensaïd : « Le Pari Mélancolique », éditions Grasset (1997)
- Raoul Vaneigem : « Nous qui Désirons sans Fin », éditions Gallimard (1998)
Février 2003
il me semble que ce débat tout a fait riche contient toute une série d'erreur et d'aproximations dont j'aimerais bien discuter "en temps réel"
En particulier, je suis plus que réservé sur l'approche du virtuel et de l'immatériel ! mais nous en parlerons apres diner !