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Message Publié : 22 Mai 2005, 21:31
par anchaing
(Combat Ouvrier du 7 mai 2005 a écrit :

Les tueries des 26 et 27 mai 1967 à Pointe-à-Pitre

Il y a 38 ans, des événements sanglants se sont déroulés à Pointe-à-Pitre. Les forces de l’ordre ont tué plus de 80 personnes dont une majorité de travailleurs. Ces massacres ont fait suite à une grève des ouvriers du bâtiment. Ils réclamaient 2% d’augmentation de salaire. Le 26 mai, au cours d’une négociation, les patrons, après leur refus de satisfaire les revendications des travailleurs, ont fait intervenir les forces de l’ordre. Les premiers heurts entre grévistes et forces de l’ordre ont eu lieu sur la place de la Victoire. Jacques Nestor, un dirigeant syndical, a été pris le premier comme cible et tué. Cet assassinat entraîna des émeutes à travers la ville. Il y eut d’autres victimes. Les forces de l’ordre ne firent pas de quartier et tirèrent sans sommation sur des manifestants ainsi que sur des passants qui avaient eu le malheur de se trouver par hasard sur les lieux. Il s’agissait de «casser du nègre». Ces tueries ont fait exploser la colère dans les quartiers où des jeunes ripostèrent par des jets de pierres ou avec des pneus enflammés. Des Blancs furent molestés. On comptera également des victimes dans le camp des forces de l’ordre. Les tueries se poursuivirent dans la nuit jusqu’à l’aube. De nombreux blessés furent transportés à l’hôpital. Le lendemain de ces événements Pointe-à-Pitre avait encore les traces des émeutes et des massacres. Les morts étaient encore dans les rues. C’est ce spectacle révoltant que des lycéens de Baimbridge ont pu voir au cours d’une manifestation qu’ils ont organisée le 27 mai aux cris «d’assassins» contre les forces de l’ordre qui n’ont pas hésité à réprimer violemment à coups de matraque. Le bain de sang a été évité de justesse.
Le pouvoir colonial a fait état de 8 ou 9 morts à l’époque puis a parlé officiellement de 50 morts, et a longtemps fait le silence sur le nombre réel de victimes. Ce chiffre a fini par être révisé pour reconnaître, des années plus tard, plus de 80 morts! Il y a eu également de nombreux blessés. Certains sont restés infirmes. Mais y a-t-il eu une véritable enquête? De nombreuses personnes toujours traumatisées par ces événements ont mis du temps à témoigner. Il faut dire qu’une forte répression s’est abattue, aussitôt après les événements, sur des militants anti-colonialistes et sur ceux qui avaient osé lever la tête ou riposter après ces massacres. Le pouvoir colonial a accusé les militants du GONG (groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe) d’avoir organisé les émeutes à Pointe-à-Pitre. Les dirigeants du GONG ont été arrêtés et transférés en prison à Paris. Cette organisation, apparue en 1963, se réclamait de la «lutte de libération nationale». Elle avait une activité clandestine et se manifestait en écrivant ses mots d’ordre sur les murs. Elle bénéficiait d’une certaine sympathie dans les milieux jeunes, étudiants et également dans le milieu syndical. Jacques Nestor, la première victime, était un responsable syndical mais également un militant du GONG.
Les idées de «libération nationale» sont apparues au début des années 60, dans un contexte politique et social agité. Les élections se déroulaient souvent dans un climat de contestation contre la fraude. Le chômage, la misère, les bas salaires créaient le mécontentement. De nombreux jeunes sans emploi émigraient massivement en France. Le racisme officiel dans les rangs des cadres de la gendarmerie, de la préfecture de la justice, était de plus en plus contesté.
Les événements de Basse-Terre qui ont précédé ceux de Pointe-à-Pitre allaient mettre le feu aux poudres. Le 20 mars, un commerçant blanc du nom de Srnsky a lâché son chien contre un cireur de chaussures installé devant son magasin. Cet incident raciste entraîna trois jours d’émeutes à Basse-Terre. Srnsky a échappé de peu au lynchage.
C’est pour briser le mécontentement grandissant dans la population que le pouvoir colonial a décidé de frapper fort. En réprimant par les armes il a semé la peur. Mais l’intimidation n’atteignit pas ses buts.
Car, dès les mois suivants, des meetings rassemblaient dans différentes communes des centaines de gens qui soutenaient les militants emprisonnés en France et en Guadeloupe et dénonçaient les agissements colonialistes. De nombreux jeunes, au contraire de ce que pouvait espérer le colonialisme rejoignaient les organisations anti-colonialistes de toute opinion qui sortirent très renforcées de cette période.
Et on a vu lors des procès politiques des milliers de jeunes descendre dans les rues, envahir les environs du tribunal de Pointe-à-Pitre. Trois ans à peine après ces événements, les ouvriers agricoles de Guadeloupe se lançaient dans une des plus grandes grèves de l’histoire des travailleurs de ce pays. Ils furent suivis par les ouvriers du bâtiment, et toutes les années qui suivirent connurent une intense activité ouvrière et gréviste. Ce qui provoquait aussi la mobilisation des étudiants et des lycéens. Du reste, le pouvoir ne s’y est pas trompé, il sentit bien qu’une nouvelle génération de militants se formait dans l’idée de ne plus vivre un nouveau massacre comme celui de mai 67, sans riposter sur le même terrain. A partir de cette époque, même quand ces forces de répression intervenaient, le pouvoir prenait beaucoup de précautions pour ne pas arriver à des affrontements violents entraînant des victimes comme en mai 67. De 1967 à aujourd’hui, c’est probablement la plus longue période de l’histoire de Guadeloupe sans répression violente, sanglante des grèves et des mouvements de masses. Et pourtant, c’est une des périodes où il y a eu le plus de grèves enchaînées les unes aux autres depuis 34 ans. Mais la capacité de lutte des travailleurs, l’engagement politique, anti-patronal, anti-colonialiste de nombre d’entre eux, expliquent peut-être cela.
De nombreuses organisations politiques commémorent chaque année les événements des 26 et 27 mai 1967. C’est grâce à ces manifestations, grâce aussi aux nombreux écrits et meetings sur ces événements que les nouvelles générations en savent un peu plus sur cette page d’histoire. Le pouvoir colonial, malgré ses efforts et ses mensonges officiels, n’a pas pu occulter ces événements.