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Message Publié : 18 Nov 2005, 10:23
par Cyrano
Les barres d'immeubles, les caves, les bandes, la fureur de vivre, les blousons noirs, les coups de Johnny, la rock attitude, ceux qui tournaient mal. Il y a même eu une sacrée bagarre entre une bande et… LO du coin lors d'une fête locale. Et vous pouvez me croire: LO, pour se défendre, ne se posait pas de questions existentielles. Bien sûr, en face, de braves gars (j'en connaissais, certains travaillaient.), de braves crétins aussi bêtes que méchants, avec dans le lot, quelques voyous.
Mais aujourd'hui a-t-on franchi une étape? Est-on passé de West Side Story à autre chose? Les agressions de lycéens sont-ils le symptôme de cette étape? Il ne faut qu'on oublie de réfléchir dialectiquement.

Vérié a la bonne idée de lancer le sujet. Puisque on emploie ce terme, je suis allé chercher nos classiques. Pour ne pas polluer la discussion sur le fil "Jeunes de banlieue", je mets les textes ici.
Je remarque que y'a très peu de bouquins où ça parle du "lumpenprolétariat"; en général, juste une remarque, une allusion.
Je n'ai pas trouvé, bizarrement, le terme dans les textes de Lénine que j'ai dans mon ordi. Quelqu'un a ça? Ni dans les textes de Lafargue (j'aime bien Lafargue, j'avoue).

Quelqu'un peut-il donner étymologie et histoire du mot "lumpen"? Je n'ai pas trouvé.
Ça n'a rien à voir, je suppose, avec les œufs de lumpen? – De lump, pas lumpen âne bâté! – Ah, j'me disais aussi…et quelqu'un qui bascule dans le lumpen, peut-on dire qu'il peut alors se "lumpéniser"? (j'ai vu ça, dans un message, sur le forum) ? - avec Le Pen, comme racine de mot, of course, pas pénis.

Bon, allez, je balance les extraits de la Bible – qui ne sont pas forcément à prendre comme paroles d'évangile.

Message Publié : 18 Nov 2005, 10:25
par Cyrano
Classique de chez classique, on commence d'abord avec le "Manifeste du Parti Communiste". Après avoir parlé des classes moyennes qui ne «sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices», le Manifeste fait une brève allusion au "lumpen-prolétariat":

«Quant au lumpen-prolétariat, ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, il peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; cependant, ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre à la réaction.»
Karl Marx, Friedrich Engels, "Manifeste du Parti Communiste", 1848.

A la même époque, Friedrich Engels parle du lumpen-prolétariat, dans un article sur juin 1848 en France:

«La garde mobile qui est recrutée, dans sa plus grande partie, dans le lumpen-prolétariat parisien, s'est déjà beaucoup transformée, dans le peu de temps de son existence, grâce à une bonne solde, en une garde prétorienne de tous les gens au pouvoir. Le lumpen-prolétariat organisé a livré, sa bataille au prolétariat travailleur non organisé. Comme il fallait s'y attendre, il s'est mis au service de la bourgeoisie, exactement comme les lazaroni à Naples se sont mis à la disposition de Ferdinand. Seuls, les détachements de la garde mobile qui étaient composés de vrais ouvriers passèrent de l'autre côté.
Mais comme tout le remue-ménage actuel à Paris semble méprisable quand on voit comment ces anciens mendiants, vagabonds, escrocs, gamins et petits voleurs de la garde mobile que tous les bourgeois traitaient en mars et en avril de bande de brigands capables des actes les plus répréhensibles, de coquins qu'on ne pouvait supporter longtemps, sont maintenant choyés, vantés, récompensés, décorés parce que ces "jeunes héros", ces "enfants de Paris" dont la bravoure est incomparable, qui escaladent les barricades avec le courage le plus brillant, etc., parce que ces étourdis de combattants des barricades de Février tirent maintenant tout aussi étourdiment sur le prolétariat travailleur qu'ils tiraient auparavant sur les soldats, parce qu'ils se sont laissé soudoyer pour massacrer leurs frères à raison de 30 sous par jour! Honneur à ces vagabonds soudoyés, parce que pour 30 sous par jour ils ont abattu la partie la meilleure, la plus révolutionnaire des ouvriers parisiens!»
Friedrich Engels, "Les journées de juin 1848", Neue Rheinische Zeitung (1848).

Bien sûr, le pote à Engels, Karl Marx, parlant du même sujet, de la même période, parle aussi du lumpen-prolétariat. Comme la bourgeoisie se sentait inférieure au prolétariat, «Il ne restait donc qu'une seule issue: opposer une partie des prolétaires à l'autre partie.» La bourgeoisie forma donc les bataillons de gardes mobiles avec des jeunes gens de 15 à 20 ans:

«Ils [les jeunes de 15-20 ans] appartenaient pour la plupart au lumpen-prolétariat qui, dans toutes les grandes villes, constitue une masse nettement distincte du prolétariat industriel, pépinière de voleurs et de criminels de toute espèce, vivant des déchets de la société, individus sans métier avoué, rôdeurs, gens sans aveu et sans feu *, différents selon le degré de culture de la nation à laquelle ils appartiennent, ne démentant jamais le caractère de lazzaroni. Étant donné que le Gouvernement provisoire les recrutait tout jeunes, ils étaient tout à fait influençables et capables des plus hauts faits d'héroïsme et de l'abnégation la plus exaltée, comme des actes de banditisme les plus crapuleux et de la vénalité la plus infâme.»
Karl Marx, "Les luttes de classes en France" (1850).

Juste pour finir avec les vénérables incunables fondateurs, je mets une citation extraite d'un texte d'Engels:

«Le lumpenproletariat - cette lie d'individus déchus de toutes les classes qui a son quartier général dans les grandes villes - est, de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est parfaitement vénale et tout à fait importune. Lorsque les ouvriers français portèrent sur les maisons, pendant les révolutions, l'inscription: «Mort aux voleurs!», et qu'ils en fusillèrent même certains, ce n'était certes pas par enthousiasme pour la propriété, mais bien avec la conscience qu'il fallait avant tout se débarrasser de cette engeance. Tout chef ouvrier qui emploie cette racaille comme garde ou s'appuie sur elle, démontre par là qu'il n'est qu'un traître.»
Engels, Préface à "La Guerre des paysans" (1870).

Victor, pas Victor Hugo, mais Victor Serge résume - selon son idée - dans un article la pensée des fondateurs du communisme:

«Bakounine, qui semble n’avoir jamais compris Marx à fond, garde à certains égards des idées spécifiquement russes, sur le rôle, dans la révolution venir, de la pègre, des déclassés, des hors la loi, des bandits: il leur attribue une fonction utile et importante. Le banditisme fut souvent, en effet, dans la vaste Russie paysanne, livrée au despotisme, une forme sporadique de la protestation révolutionnaire des masses; et les déclassés, nobles et petits bourgeois passés à la cause populaire commençaient à former une intelliguentsia révolutionnaire.
Marx par contre, instruit par l’expérience des pays industriels, savait que le "lumpen-prolétariat" ou "sous-prolétariat en haillons" qui constitue la populace des grandes villes, loin d’être, de par sa nature même, un facteur révolutionnaire, est infiniment corruptible et instable, c’est-à-dire enclin à servir la réaction; c’est sur les masses ouvrières organisées qu’il fondait son espoir et non sur le déchaînement de la populace.»
Victor Serge, "La Pensée Anarchiste", Le Crapouillot, janvier 1938.

Message Publié : 18 Nov 2005, 10:27
par Cyrano
Et maintenant, OK pour quelques citations d'un vieux machin du canal historique ?

D'abord un texte d'un presque bolcho, parce que en 1911, Léon n'était pas vraiment bolcho :

« Dans une grève, de même que dans des élections, la méthode, le but, et les résultats de la lutte dépendent toujours du rôle social et de la force du prolétariat en tant que classe. Seuls les travailleurs peuvent mener une grève. Les artisans ruinés par l'usine, les paysans dont l'eau est polluée par l'usine, ou les membres du lumpen proletariat, avides de saccage, peuvent briser les machines, mettre le feu à une usine ou assassiner son propriétaire. Seule la classe ouvrière, consciente et organisée, peut envoyer une foule en représentation au parlement pour veiller aux intérêts des prolétaires. »
Léon Trotsky, "Pourquoi les marxistes s'opposent au terrorisme individuel" (1911).

Espagne, Allemagne, France : trois occasions pour Léon de faire allusion au lumpen-prolétariat, histoire de constater que dans chaque analyse du vieux, cette notion était présente :

« Si les moindres fissures, les moindres interstices de la société bourgeoise espagnole sont envahis par des déclassés originaires des castes dirigeantes, par d'innombrables amateurs de fonctions et de traitements, il en est de même à la base: les crevasses des fondations regorgent de misérables débris, lumpen-prolétariat des classes laborieuses. La misère en faux-col et celle des lazaroni loqueteux sont, en quelque sorte, les sables mouvants sur lesquels repose la société. Ces éléments sont d'autant plus dangereux pour la révolution qu'elle a moins de points d'appui réels pour se mouvoir et qu'elle manque plus de direction politique. »
Léon Trotsky, "La révolution espagnole et les tâches communistes", (Prinkipo, 24 janvier 1931).

« Le pourrissement du capitalisme implique le pourrissement social et culturel. La voie de la différenciation systématique des nations, de la croissance du prolétariat au prix d'une diminution des classes moyennes, est barrée. Un freinage ultérieur de la crise sociale ne peut signifier qu'une paupérisation de la petite bourgeoisie et une dégénérescence de couches toujours plus grandes du prolétariat en lumpen. Ce danger, qui est le plus grave, prend à la gorge l'avant-garde allemande. »
« Le régime fasciste voit son tour arriver lorsque les moyens "normaux", militaires et policiers de la dictature bourgeoise, avec leur couverture parlementaire, ne suffisent pas pour maintenir la société en équilibre. A travers les agents du fascisme, le capital met en mouvement les masses de la petite bourgeoisie enragée, les bandes des lumpen-prolétaires déclassés et démoralisés, tous ces innombrables êtres humains que le capital financier a lui-même plongés dans la rage et le désespoir. »
Léon Trotsky, "La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne", (Œuvres, 1932).

« Radicalement; fausse est l'idée qu'en allant vers la crise future le prolétariat deviendra infailliblement plus puissant que maintenant. Avec la putréfaction ultérieure inévitable du capitalisme le prolétariat ne croîtra pas et ne se renforcera pas, mais se décomposera, rendant toujours plus grande l'armée des chômeurs et des lumpen-prolétaires; la petite bourgeoisie entre-temps se déclassera et tombera dans le désespoir. La perte de temps ouvre une perspective au fascisme, et non à la révolution prolétarienne. »
Léon Trotsky, "Où va la France?", (1936).

Message Publié : 18 Nov 2005, 10:28
par Cyrano
Je m'en voudrais d'oublier les instits rétrogrades présents sur le forum. Donc, pour eux, je choisis, un point de vue plus scolaire, extrait d'un manuel :

« Ainsi, à la base de la division de la société en classes, se trouvent les rapports de production. Il nous faut ici jeter un coup d’œil sur d'autres solutions possibles, et très "en vogue", de la question. L'une des façons de voir les plus courantes, est la division en classes d'après l'indice "riches" ou "pauvres". Si un homme a dans la poche tant d'argent et un autre deux fois plus, il s'ensuit qu'ils se rattachent à deux classes différentes. [...]
Si simple que soit une pareille façon de voir, elle est parfaitement naïve et absolument fausse. De ce point de vue, par exemple, on serait amené dans la société capitaliste, à exclure un ouvrier métallurgiste ou linotypiste du prolétariat, et en revanche, à inscrire un paysan pauvre ou un artisan dans la classe ouvrière. La "classe" la plus révolutionnaire serait alors le "lumpenprolétariat" (le prolétariat des va-nu-pieds), et c'est sur lui qu'il conviendrait de fonder les espoirs comme force devant réaliser le passage à une forme supérieure de société. [...] "Le contenu du porte-monnaie - écrivait Marx dans la Misère de la Philosophie - est une différence purement quantitative, à l'aide de laquelle deux individus d'une seule et même classe peuvent excellemment être jetés l'un contre l'autre." ».
Nicolaï Boukharine, "La théorie du matérialisme historique" (1921).

Message Publié : 18 Nov 2005, 10:29
par Cyrano
In fine, par un souci d'élégance surannée, je mets un texte de femme, mais pas de n'importe quelle femme :

« Dans toute révolution la lutte contre le lumpenprolétariat constitue un problème en soi, d'une grande importance. En Allemagne comme partout, on aura aussi à s'en soucier. L'élément du lumpenprolétariat est intimement lié à la société bourgeoise, non seulement comme une couche à part, comme un déchet social qui prend des proportions gigantesques notamment lorsque l'édifice de l'ordre social s'écroule, mais comme élément intégrant de la société globale. [...]
La révolution prolétarienne aura partout à combattre cet ennemi, cet instrument de la contre-révolution.
Et même en ce cas, la terreur est une arme émoussée, ou plutôt à double tranchant. La plus draconienne des justices de guerre est impuissante devant l'irruption des désordres du lumpenprolétariat. En effet, tout état de siège qui dure mène invariablement à l'arbitraire et tout arbitraire exerce sur la société une action dépravante.
Le seul moyen efficace dont dispose la révolution prolétarienne est en ce cas également : prendre des mesures radicales, politiques et sociales, établir sans délai les garanties sociales de la vie de la masse, et développer l'idéalisme révolutionnaire qui ne peut subsister, à la longue que grâce à une activité intense dans la vie des masses, dans une liberté politique illimitée. »
Rosa Luxembourg, notes préparartoires à "La révolution russe", 1918.

Message Publié : 18 Nov 2005, 16:24
par Jacquemart
a écrit :Quelqu'un peut-il donner étymologie et histoire du mot "lumpen"? Je n'ai pas trouvé.

Je ne connais pas son histoire, mais il me semble que "lumpenproletariat" signifie littéralement "prolétariat en haillons" (les germanistes distingués qui hantent ce forum me contrediront si nécessaire).

Message Publié : 18 Nov 2005, 17:00
par titi
(Vérié @ vendredi 18 novembre 2005 à 17:51 a écrit : Le problème est de savoir si l'on doit caractériser les jeunes de banlieue - ou une grande partie d'entre eux -comme du lumpen.
ça m'énerve : mais QUI fait ça ? qui caractérise "les jeunes de banlieues" comme du lumpen ?

moi je te parle de ceux qui ont brulé qui une école, qui une PMI, qui un théatre. ou ceux qui ont tabassé des lycéens en lutte pour le plaisir ou pour leur faire les poches.
et aussi ceux qui ont brulé la voiture de leur voisin ou un magasin à coté de chez eux.

pas des millions de jeunes qui habitent dans les banlieues.

Message Publié : 18 Nov 2005, 17:22
par logan
(Jacquemart @ vendredi 18 novembre 2005 à 16:24 a écrit :
a écrit :Quelqu'un peut-il donner étymologie et histoire du mot "lumpen"? Je n'ai pas trouvé.

Je ne connais pas son histoire, mais il me semble que "lumpenproletariat" signifie littéralement "prolétariat en haillons" (les germanistes distingués qui hantent ce forum me contrediront si nécessaire).

je ne suis pas germaniste mais "lumpen" se traduit littéralement par haillons, guenilles, loques

Donc lumpen prolétariat = prolétariat en guenilles, habillé de loques