Pour la clareté de la discussion qui a eu quelques tendences à digresser, essayons de reprendre synthétiquement le fond de la discussion entre CPS et LO sur la nature des états du glacis (l'étude historique me semble pour cela plus efficace que le pinaillage terminologique sur les caractérisations):
- Il me semble que l'on peut être d'accord sur la période d'avant 47-48 où suite aux traités (Téhéran, Yalta, etc.) l'URSS reconstruit des appareils d'Etat dans les pays de l'Est. Ces appareils se construisent souvent autour des vieux dirigeants bourgeois et ils n'ont évidemment pas pour fonction de modifier les rapports sociaux de production, de construire le socialisme où d'exproprier la bourgeoisie.
( Just a écrit :
Partout, le Kremlin s'efforça de maintenir ce qui subsistait des Etats bourgeois, de l'ordre bourgeois, Les nationalisations affaiblissaient énormément, économiquement et socialement, la bourgeoisie, déjà très faible comme classe. Telles qu'elles ont été réalisées, elles restaient cependant dans le cadre du mode de production capitaliste. Les entreprises nationalisées fonctionnaient par rapport au marché et à ses lois.
( voix ouvrière @ clt 66 a écrit : La tâche centrale de ces Etats pendant toute cette période « bourgeoise démocratique » (pour reprendre l'expression des staliniens), était de briser le prolétariat et de remettre en marche l'économie sur une base capitaliste, exactement comme en France ou ailleurs.
(...)
Pourtant, malgré les appels et les sourires, le patronat reste par trop faible pour assurer seul le fonctionnement de l'industrie. Parallèlement à une politique ouvertement pro-capitaliste, les régimes d'après-guerre commencent les nationalisations. Ces fameuses nationalisations qui, pour certains, constituent l'argument massue en faveur de la théorie des Etats ouvriers sont faites en majeure partie pendant la période qualifiée de « bourgeoise », y compris par les staliniens, et sous des gouvernements à prédominance de « partis bourgeois ». Elles sont effectuées avec la bénédiction de la bourgeoisie qui est la première à en sentir la nécessité économique absolue.
- Maintenant, ce que nous disent les camarades de CPS, c'est qu'à partir de 47, la bureaucratie soviétique va être poussée "contre son gré" par la politique de l'impérialisme, à exproprier la bourgeoisie et à transformer les états du glacis en états ouvriers déformés:
( Just a écrit :
A partir de 1947, ces conflits ont pris un tour aigu en relation avec la politique que l'impérialisme américain impulsait désormais : il visait à refouler la bureaucratie du Kremlin de l'Europe de l'Est, et éventuellement à s'ouvrir une voie de pénétration en URSS même.
(...)
La bureaucratie du Kremlin n'a pas repoussé sans hésitations, et encore bien moins celle des pays de l'Europe de l'Est, la participation au plan Marshall. Molotov participa à la Conférence de Paris du 27 juin, réunissant les ministres des Affaires étrangères d'Angleterre, de France, d'URSS, qui discutait de la proposition Marshall. Mais Molotov, sans dire non, mit en cause le contrôle que les pays capitalistes, surtout l'impérialisme américain, exerceraient plus ou moins directement sur l'économie de l'URSS et de l'Europe de l'Est, en cas d'acceptation du plan Marshall.
(...)
Il fallait choisir : ou laisser les puissances impérialistes reprendre le contrôle de l'Est de l'Europe, ouvrir la porte à la pénétration capitaliste en URSS, ou aligner les rapports de production de ces pays sur ceux de l'URSS.
Finalement, ce n'est que dans les derniers mois de 1947 que le Kremlin décida définitivement d'aligner les rapports économiques, sociaux et politiques de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie sur ceux de l'URSS. En Bulgarie, à partir du décret du 23 décembre 1947, l'essentiel de l'industrie, de la banque, du commerce extérieur dépendirent de l'Etat. En Hongrie, c'est à partir de la loi du 29 avril 1949. En Pologne, c'est à partir de la fin 1947-début 1948 que l'opération eut lieu. En Roumanie, c'est à partir d'une loi votée le 18 juin 1948. En Tchécoslovaquie, le coup d'Etat de février va faire passer tout le pouvoir entre les mains des staliniens. Il va être le point de départ de l'opération. Pour ce qui concerne l'Est de l'Allemagne, la proclamation, le 11 octobre 1949, de la République démocratique allemande et la constitution d'un gouvernement, le gouvernement Grotewohl, marquent le tournant décisif.
(...)
Désormais, le moteur de l'économie de ces pays ne sera plus le profit, mais la satisfaction des besoins sociaux tels que les plans les exprimeront, c'est-à-dire avant tout les besoins de la bureaucratie, celle du Kremlin en premier lieu, avec les immenses contradictions, insolubles, explosives, que cela implique.
Et le camarade Wolf de nous demander une autre version des faits.
Alors voilà:
( clt 66 a écrit : L'établissement et la consolidation des Etats en Europe Centrale se sont poursuivis dans le contexte mouvant des relations entre l'impérialisme et la bureaucratie soviétique. Or le fossé s'élargit depuis la fin de la guerre entre les deux blocs alliés. Jusque là, la base de l'entente était la peur commune de la révolution prolétarienne à l'échelle internationale, ce qui se reflétait à l'échelle nationale. À partir du moment où le danger de la révolution prolétarienne est éloigné, les impérialistes se retournent contre l'ex-allié dont ils n'ont plus besoin.
Dorénavant, la contradiction entre la nature bourgeoise des Etats occupés par la Russie et leur dépendance de l'URSS devient aiguë. Cette contradiction se manifeste d'abord à travers l'opposition des partis « bourgeois » organiquement liés à l'impérialisme et les P.C. La bureaucratie soviétique sous peine de voir sa mainmise sur l'Europe Orientale remise en cause, est obligée d'engager la lutte. Les P.C. - seuls partis ouvertement pro-russes, ou plus exactement partis sur lesquels la bureaucratie a le plus de contrôle - vont rechercher le contrôle complet des gouvernements des nouveaux Etats.
(...)
Vers la fin 1948, grâce à la répression policière, et sans mobilisation réelle du prolétariat, la quasi totalité des partis autres que les P.C. ont été éliminés ou assimilés.
À partir de ce moment, la résistance des Etats bourgeois à la mainmise soviétique s'est manifestée surtout à travers les P.C. eux-mêmes. Quand ces Etats avaient une assise sociale suffisante, quand ils n'étaient pas directement « noyautés » et contrôlés par le N.K.V.D., quand l'Armée Rouge n'était pas sur place, l'appareil d'Etat, même dirigé par des staliniens, rompait avec la bureaucratie soviétique. Telle est l'explication de la rupture soviéto-yougoslave.
Mais même sur les autres appareils d'Etat la bureaucratie n'a réussi à maintenir son contrôle que par une pression constante, par des purges systématiques au niveau des directions des P.C. (procès Rajk, Kostov, Gomulka, Slansky, Clémentis, etc.). Sous le couvert de lutte contre le Titisme, une sourde lutte opposait l'appareil d'Etat soviétique, aux appareils d'Etats nationaux. Et les exécutés n'étaient pas toujours les anti-russes. Certains parmi les plus en vue - c'est une des rançons de la politique dans ces pays où le pouvoir bonapartiste repose sur une pointe d'aiguille - furent condamnés comme « titistes » tout en étant les représentants officiels de Moscou.
C'est pendant cette période 1948-1949 qu'ont été achevées les mesures soi-disant « socialistes ». La Nationalisation fut achevée (rappelons qu'elle ne touchait plus que les 20-30% de l'industrie). La rupture quasi totale avec l'impérialisme fut consommée et le monopole du commerce extérieur établi. Il ne s'agissait nullement des mesures socialistes mais des mesures nécessitées politiquement.
La bureaucratie russe ne pouvait pas laisser intacts pendant la guerre froide les liens étroits entre les bourgeois nationaux et l'impérialisme.
(...)
Le plan Marshall a été un avertissement pour la bureaucratie. Il montrait à quel point elle ne pouvait pas compter ni sur les appareils d’Etat des Démocraties Populaires, ni même sur les partis communistes pour résister à la pénétration impérialiste. Si elle voulait sauvegarder sa mainmise sur ces Etats, il lui fallait agir, radicalement.
L'établissement du monopole du commerce extérieur n'était pas le fait des Etats des Démocraties Populaires, il leur était imposé. C'était la réponse de la bureaucratie au plan Marshall.
C'est dans ces conditions qu'en 1949, les Etats soi-disant socialistes étaient nés.
Sont-ils des Etats ouvriers déformés ou dégénérés ? Nous avons vu que ces Etats s'étaient construits sans qu'en aucun endroit, à aucun moment le prolétariat intervienne par ses organisations de classe, sur la base d'un programme de classe. Et partout où il dépassait les cadres qui lui étaient fixés par des organisations qui n'étaient pas les siennes, il était brisé dans son élan de la manière la plus violente.
Pour nous, comme pour Trotsky, la désignation « Etat ouvrier dégénéré » a une signification précise. Cette désignation que nous admettons sans réserve pour définir la nature de l'Etat Soviétique, souligne le fait qu'en Russie la classe ouvrière
- a effectivement poussé sa Révolution jusqu'au bout,
- a effectivement détruit le vieil appareil d'Etat,
- a effectivement construit son propre Etat.
Cet appareil d'Etat, prolétarien sans conteste, a dégénéré par la suite pour des raisons que nous ne traiterons pas ici, et la classe ouvrière s'est vue dépossédée de son pouvoir par une couche bureaucratique parasitaire.
Rien de tel dans les Démocraties Populaires, où la classe ouvrière n'a jamais pris le pouvoir, n'a jamais détruit l'Etat bourgeois.
Ces appareils d'Etat, bourgeois par leur nature, bourgeois par leur rôle, subsistent... Ils sont certes contrôlés - d'ailleurs de moins en moins - par l'Etat russe. Mais ceci prouve seulement leur faiblesse et non leur nature et leur fonction sociale. Remarquons en passant que c'est par un abus de langage qu'on appelle bureaucratie les couches politiquement dominantes dans ces pays.
Du coup moi ma question aux camarades de CPS est la suivante:
Comment entre 47 et 49, sans intervention consciente et révolutionnaire de la classe ouvrière, l'action de la bureaucratie soviétique qui a été essentiellement une action de coercition envers les appareil d'Etat des pays du glacis (et bien sûr aussi envers leur classe ouvrière) a pu modifier radicalement le mode de production d'une producton capitaliste, vers la "satisfaction des besoins sociaux" (même déformés par le caractère bureaucratique de la plannifaication)?