(canardos @ dimanche 5 novembre 2006 à 15:33, sur le fil "lumpenproletariat" a écrit :donc les assassins de marseille sont certes des produits de la société. mais des produits conscients. qui aiment faire peur et faire souffrir. ils ont un libre arbitre et agissent plus comme des pervers que comme des lumpen ce qui explique qu'ils sont heureusement peu nombreux à commettre de tels actes, surtout gratuitement.
Je m'interroge (peut-être de façon trop abstraite) sur cette notion de "libre arbitre" et j'aimerais bien savoir quelle était la position de Marx et celle des marxistes là dessus...
En effet c'est un des problèmes qui a le plus intéressé les philosophes "matérialistes" des lumières (La Métrie, d'Holbach, Helvétius) et leurs prédecesseurs (Spinoza). En gros leur position est qu'il ne saurait y avoir de libre arbitre étant donné que l'homme est soumis à la nécessité. Un peu dans la même tradition mais un siècle plus tard, Nietzsche niait également le libre arbitre et allait jusqu'à en attribuer l'invention à la religion, pour laquelle il est nécessaire.
Dans son texte sur la "conception matérialiste de l'Histoire" (dont interluttant avait donné le lien ici), Plekhanov présente la conception de Schelling du libre arbitre, sensée expliquer pourquoi necessité et "libre action des hommes" ne sont pas antinomiques. Je cite un large extrait :
a écrit :Mais, dans les phénomènes historiques, ce ne sont pas des choses inanimées, ce sont des hommes qui agissent, et les hommes sont doués de conscience et de volonté. On peut donc très légitimement se demander si la notion de la nécessité - hors de laquelle il n'y a pas de conception scientifique - des phénomènes, en histoire comme dans la science de la nature, n'exclut pas celle de la liberté humaine. Formulée en d'autres termes, la question se pose ainsi : Y a-t-il moyen de concilier la libre action des hommes avec la nécessité historique ?
Au premier abord, il semble que non, que la nécessité exclut la liberté, et vice-versa. Mais il n'en est ainsi que pour celui dont le regard s'arrête à la surface des choses, à l'écorce des phénomènes. En réalité, cette fameuse contradiction, cette prétendue antinomie de la liberté et de la nécessité, n'existe pas. Loin d'exclure la liberté, la nécessité en est la condition et le fondement. C'est justement ce que Schelling s'attachait à prouver dans un des chapitres de son Système de l'idéalisme transcendental.
Selon Schelling, la liberté est impossible sans la nécessité. Si en agissant, je ne puis compter que sur la liberté des autres hommes, il m'est impossible de prévoir les conséquences de mes actions, puisque à chaque instant, mon calcul le plus parfait pourrait être complètement déjoué par la liberté d'autrui, et par conséquent il pourrait résulter de mes actions, tout autre chose que ce que j'avais prévu.
Ma liberté serait donc nulle, ma vie serait soumise au hasard. Je ne saurais être sûr des conséquences de mes actions que dans les cas où je pourrais prévoir les actions de mes prochains, et pour que je puisse les prévoir, il faut qu'elles soient soumises à des lois, c'est à dire qu'il faut qu'elles soient déterminées, qu'elles soient nécessaires. La nécessité des actions des autres est donc la première condition de la liberté de mes actions. Mais, d'un autre côté, en agissant de façon nécessaire, les hommes peuvent en même temps conserver la pleine liberté de leurs actions.
Qu'est-ce qu'une action nécessaire ? C'est une action qu'il est impossible à un individu donné de ne pas faire dans des circonstances données. Et d'où vient l'impossibilité de ne pas faire cette action ? Elle vient de la nature de cet homme, façonnée par son hérédité et par son évolution antérieure. La nature de cet homme est telle qu'il ne peut pas ne pas agir d'une façon donnée dans des circonstances données. C'est clair, n'est-ce-pas ? Eh bien ! ajoutez à cela que la nature de cet homme est telle, qu'il ne peut pas ne pas avoir certaines volitions, et vous aurez concilié la notion de la liberté avec celle de la nécessité. Je suis libre quand je peux agir comme je veux. Et ma libre action est en même temps nécessaire, puisque ma volition est déterminée par mon organisation et par les circonstances données. La nécessité n'exclut donc pas la liberté. Ma nécessité c'est la liberté même, mais seulement considérée d'un autre côté ou d'un autre point de vue.
:33: Bon, franchement je ne sais pas si c'est la présentation qu'en fait Plekhanov ou si c'est vraiment ce que disait Schelling, mais je ne suis pas convaincu du tout par ce qui me semble être un vague jeu de mot. Si on applique ça aux gamins qui ont mis le feu au bus de Marseille, ça voudrait dire "ils ne pouvaient pas ne pas choisir de le faire, donc il l'ont choisi, et bien qu'il n'aient pas pu faire autrement, c'est donc en toute liberté qu'ils ont mis le feu au bus et à ses passagers !". Parler encore de libre arbitre dans ce cas c'est parler de tout autre chose que ce qu'on entend généralement par là : dire qu'ils ont mis le feu au bus en toute liberté signifie pour moi (et je pense pour canardos aussi) qu'ils auraient pu ne pas le faire.
Dans la suite de ce texte, Plekhanov passe à Hegel puis à Marx, mais il ne revient pas sur cette notion de libre arbitre et on a un peu l'impression qu'il faut entendre par là que le raisonnement de Schelling est encore celui de Marx... Ou en tout cas qu'on peut être marxiste et reprendre sans souci le raisonnement de Schelling.
Mes questions sont donc :
* à canardos : Qu'entendais tu au juste par "libre arbitre" dans la phrase que j'ai citée ?
* à tout ceux qui pouraient y répondre (ou pas) : Marx (ou Engels, ou tout auteur marxiste) a-t-il écrit quelque chose sur cette question du libre arbitre ?