Tien an men

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Ottokar » 21 Nov 2006, 23:28

Je ne sais pas qui a fait quoi à Jussieu, et quels enfants on y mange ou à quelle sauce, mais je sais que j'ai manifesté en signe de protestation au moment de l'écrasement de Tien An Men, avec un cortège LO, et qu'Arlette était là. Il suffit de retrouver le numéro du journal de l'époque.
Ottokar
 
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Message par gerard_wegan » 22 Nov 2006, 22:20

Les deux textes cités plus haut, comme promis (également disponibles au format doc en pièce jointe)

(Lutte de Classe % n°25 % été 1989 a écrit :[center]Chine -- Des manifestations de masse pacifiques au bain de sang[/center]
Le “printemps de Pékin” de 1989, malgré l’ampleur incontestable de la mobilisation populaire qu’il a suscitée, s’est finalement terminé par un bain de sang, un véritable coup de force en fait, au moment où personne ne l’attendait plus, alors même qu’il se préparait quasiment ouvertement depuis au moins quinze jours.

Car il s’est déroulé quinze jours entre ce 19 mai où fut décrétée la loi martiale (que les Pékinois crurent bien à tort inapplicable pour la seule raison qu’ils avaient réussi à paralyser des soldats qu’on leur avait envoyés sans armes et semble-t-il sans ordres), et l’assaut de Pékin par les blindés de cette 27e armée qui, elle, n’a pas hésité devant le massacre. Quinze jours qui virent d’une part le déclin progressif de la mobilisation étudiante et populaire dans la rue, et d’autre part l’acheminement depuis toute la Chine d’au moins une dizaine de corps d’armée différents, 350 000 hommes au total, avec blindés, chars, canons, automitrailleuses... et même missiles sol-air... tout autour de Pékin, et aussi autour de quelques autres villes qui connurent des massacres semblables (comme à Chengdu, la capitale régionale du Sichuan au centre de la Chine).

Jusqu’à cet assaut final, il n’y eut jamais de situation insurrectionnelle à Pékin. Les “fraternisations” avec les soldats décrites par les journalistes occidentaux, et montrées à la télévision, se sont limitées à ce que les soldats entassés dans les camions acceptent harangues, nourriture et cigarettes de la part des manifestants. Dans un premier temps, la troupe mise en contact avec la population de Pékin (dont l’état-major et les officiers, d’après certaines rumeurs, se seraient prononcés contre l’application brutale de la loi martiale) n’a semble-t-il pas trouvé suffisamment de raisons ni de garanties à sa propre sécurité pour, débordant ses officiers, sortir des camions et passer du côté des manifestants, d’autant qu’elle n’avait alors ni armes ni bagages pouvant changer de mains...

Et quand d’autres troupes, armées et bien armées cette fois, sont entrées dans Pékin, non seulement avec des ordres précis mais toute une stratégie préméditée (y compris ce qui est apparu ensuite comme de véritables provocations), la population pékinoise, y compris les ouvriers des faubourgs qui s’étaient portés pacifiquement jusque-là au secours des étudiants, en a été réduite à une résistance désarmée aussi héroïque que sans espoir.

Après le massacre, ça a été la vague de répression du mois de juin, avec son cortège habituel en Chine de listes noires, de rafles dans les quartiers populaires, d’appels publics à la délation, de jugements et de condamnations à mort pour l’exemple d’ouvriers baptisés “voyous”, “délinquants” ou “agents de Taïwan” pour la circonstance, sans parler de tout ce que les vainqueurs de Pékin laissent probablement dans l’ombre : les exécutions sommaires, les tortures, les disparitions de dirigeants étudiants ou ouvriers.

Il est bien difficile aujourd’hui d’apprécier l’ampleur de la répression qui a suivi les massacres, comme de préjuger de sa durée. Tout ce qu’on peut dire, malheureusement, c’est qu’elle n’est pas sans précédents, aussi bien dans la Chine de Mao que dans celle de la “démaoïsation”, cette Chine de “l’ouverture à l’Occident” dont Deng Xiaoping s’est fait le champion depuis treize ans.

Il y a bien une différence. C’est que cette fois, des milliers de journalistes occidentaux ont été témoins des événements, du moins de ceux qui se sont déroulés au centre de Pékin. Bon nombre d’entre eux en effet, venus pour “couvrir” la visite officielle de Gorbatchev en Chine à la mi-mai, se sont retrouvés fortuitement aux premières loges, pour couvrir les manifestations avec tout ce qui a suivi... Et puis, depuis quelques années, il y a aussi ces dizaines de milliers d’étudiants chinois partis étudier aux États-Unis et en Europe (en même temps que le gouvernement chinois multipliait les contrats avec les firmes occidentales), qui, du moins avant l’épilogue sanglant du mois de juin, avaient un contact téléphonique quotidien avec leurs proches et leurs amis résidant à Pékin, Shanghai, ou d’autres villes.

Cela n’empêche pas, évidemment, que bien des éléments d’appréciation manquent sur la portée des derniers événements. La Chine est un immense pays, aussi divers que géographiquement et socialement disparate, malgré sa centralisation administrative. Un pays pauvre dont la population urbaine, encore aujourd’hui, malgré l’afflux de cinquante ou cent millions de paysans dans les villes ces dernières années, ne représente que 35 % de la population totale, l’un des taux les plus faibles du monde. C’est dire que la mobilisation populaire des dernières semaines, n’a probablement touché directement que quelques millions de personnes sur un milliard d’habitants.

Les témoignages des journalistes eux-mêmes, pour avoir rapporté heure par heure le déroulement des événements, ce qui n’est pas rien, n’en sont pas moins très ponctuels, limités à quelques points d’observation essentiellement au centre de Pékin.

Cela dit, et c’est peut-être ce qu’il y a eu de plus nouveau en Chine dite populaire, le monde entier, y compris au moins une partie de la population chinoise elle-même, a pu suivre pratiquement en direct sur les écrans de télévision, pendant quelques semaines, les temps forts de la contestation comme de sa répression à Pékin. Leur forfait accompli, les maîtres de Pékin se sont bien sûr empressés de faire réécrire l’histoire immédiate, au travers de nouveaux montages télévisés falsifiés et de procès publics fabriqués. Mais il n’est pas sûr que cela réussisse à abuser la population chinoise, même si elle est à nouveau contrainte au silence.

Car cette fois-ci, le régime chinois n’a pu cacher ni son impopularité, ni ses crimes, à sa propre population, comme il avait pu le faire aussi bien sous Mao, qu’à l’occasion des différentes vagues de répression et de terreur qui se sont succédé sous l’ère de Deng Xiaoping.

[center]* * *[/center]
L’histoire de la contestation étudiante et des échos qu’elle a rencontrés dans la population des grandes villes en Chine, comme l’histoire de ses répressions successives, ne commencent pas avec l’année 1989.

Sans même remonter à l’épisode de la révolution culturelle lancée par Mao en 1966 et qu’on ne saurait sans abus de langage qualifier de “contestataire”, puisqu’il s’agissait d’une manipulation totalitaire de la jeunesse étudiante et scolaire solidement encadrée par l’armée contre le reste de la population des villes, il y eut une flambée contestataire à Pékin en 1976, quelques mois avant la mort de Mao. En avril 1976, cent mille manifestants occupèrent la place Tien An Men (déjà). La police tira sur la foule. Il y eut des dizaines de morts, sinon des centaines. Puis vinrent les rafles, les campagnes de dénonciation...

Après une lutte intestine à la direction du Parti, c’est Deng Xiaoping qui succéda à Mao. Tout en se posant en homme d’une “démaoïsation” prudente, il reprit cependant les procédés de Mao : il fit alterner de brèves périodes de “dégels”, et de longues périodes de vagues répressives et de durcissements politiques.

Deux ans après la répression de 1976, vint ce qu’on appela pour la première fois “le printemps de Pékin”, en 1978, rappelant la période des “Cent fleurs” en 1956 sous Mao. Des dizaines de milliers de gens vinrent à Pékin exprimer leurs doléances. Des dizaines de milliers de jeunes manifestèrent à Shanghai. Puis, en mars, Deng critiqua « les excès auxquels a donné lieu la libéralisation des derniers mois » ; les arrestations suivirent, aussi massives que silencieuses, avec les listes noires, les rafles, les déportations... Le cours libéral en matière économique auquel l’Occident rend hommage, commençait par un appesantissement de la dictature.

Parallèlement à cette libéralisation économique tous azimuts, commença en 1983 une violente campagne pour écraser la criminalité « qui se développe dans la Chine des quatre modernisations ». En une seule nuit d’été, la police interpella à Pékin plus de trois mille suspects. Les “criminels”, condamnés à mort, étaient montrés dans les lieux publics, puis exécutés ensuite d’une balle dans la nuque. Cette terreur-là dura trois ans. Puis à nouveau, fin 1986, nouvelles manifestations étudiantes, à Shanghai, où des dizaines de milliers de jeunes ouvriers rejoignirent cette fois autant d’étudiants. Les manifestations furent interdites en janvier 1987. Le gouvernement fit délibérément payer les ouvriers pour les étudiants : une dizaine furent arrêtés et emprisonnés à Shanghai...

Mais il ne fallut pas attendre de longues années pour que la flambée contestataire reprenne.

Les manifestations étudiantes d’avril 1989

Le contexte politique s’est un peu modifié en Chine, en 1989. Malgré la répression des manifestations étudiantes de 1986-1987, la chape de terreur qui s’était encore aggravée à partir de 1983, s’est un peu allégée. Quant au régime de Deng Xiaoping, il commence à être sérieusement discrédité. Au sommet, l’appareil dirigeant est à nouveau divisé, dans ce qui apparaît comme une nouvelle lutte de succession, celle de Deng Xiaoping cette fois. Bien des factions rivalisent sans doute pour la succession. Pour simplifier, il y a les “réformateurs”, autour de Zhao Ziyang, secrétaire général du Parti, et les “durs”, avec des gens comme Li Peng, Premier ministre. Quant à Deng Xiaoping lui-même, on attend de savoir de quel côté il arbitrera... Tout cela rappelle la situation de 1976, avant la mort de Mao, où la fraction qui se disait plus libérale de l’appareil, en semi-disgrâce ou pour éviter de l’être, avait tenté de s’appuyer sur un mouvement étudiant contestataire qui prit une extension que ces mêmes “libéraux” n’avaient pas prévue. Deng Xiaoping jouait alors le rôle que tint cette année Zhao Ziyang.

En avril 1989, la contestation part de l’université la plus élitiste de la Chine, celle de Beida, à Pékin. Bon nombre de contestataires et futurs dirigeants sont des fils ou des filles de hauts cadres du Parti, très informés sur les luttes au sein de l’appareil.

Les premières manifestations repartent à l’occasion de la mort de Hu Yaobang, ancien secrétaire général du Parti, qui en son temps passa pour le successeur désigné de Deng Xiaoping, et fut limogé à la suite des manifestations étudiantes de 1986 qu’il n’avait pas su réprimer avec assez de fermeté, lui reprocha-t-on alors. C’est Zhao Ziyang qui lui avait succédé alors à la tête du Parti.

Le 19 avril, quinze cents étudiants et des centaines de curieux assiègent l’immeuble du Parti pour demander des comptes au Premier ministre (Li Peng) sur la mise à l’écart de feu Hu Yaobang. Le 21 avril, dans les campus, naît un syndicat indépendant des étudiants de Pékin. Le samedi 22 avril, les dirigeants du nouveau syndicat décrètent la grève générale de toutes les universités (ce qui ne sera pas suivi d’un effet immédiat...).

À ce moment, au nom du gouvernement, Zhao Ziyang, qui a décidé de miser sur la mobilisation étudiante pour renforcer sa position, organise des obsèques nationales à Hu Yaobang, de la même façon que Deng Xiaoping, il y a treize ans, avait organisé celles de Chou En-Laï.

Il y a les manoeuvres des appareils. Et il y a les sentiments réels de la base contestataire. Quels que soient les liens politiques ou personnels que peuvent avoir ou non les dirigeants étudiants avec la fraction réformatrice de l’appareil dirigeant, la contestation étudiante reflète l’impopularité et le discrédit de l’ensemble du régime, toutes factions confondues, comme en témoigne cet épigramme qui circule dans les campus : « Le fils de Mao est mort au combat, le fils de Lin Piao a tenté un coup d’État. Le fils de Deng Xiaoping empoche les collectes de charité, le fils de Zhao Ziyang trafique des télés »... Tous les dirigeants, réformateurs compris, ont une réputation entachée de concussion ou de népotisme.

Cela dit, les contestataires ont aussi le sentiment d’être sinon ouvertement soutenus, du moins de bénéficier de la bienveillance d’une partie de l’appareil dirigeant. Quand des journalistes demandent aux dirigeants étudiants ce qu’ils veulent, on leur répond : « voir Deng Xiaoping prendre sa retraite, prendre Zhao Ziyang comme successeur (il n’a pas d’autre choix). On espère que la venue de Gorbatchev au mois de mai, va peser dans ce sens-là... »

Fin avril, début mai 1989, la montée du mouvement : « Nous sommes tous une poignée d’agitateurs ! »

Zhao Ziyang, sans encourager ouvertement la contestation étudiante, ne voulait pas non plus se la mettre à dos, et fit sans doute le nécessaire pour en tirer parti dans la compétition qui l’opposait au reste de l’appareil.

Dans un premier temps, tout se passa sans doute selon ses voeux, et de la “meilleure façon” du monde : les étudiants cessèrent de demander des comptes sur le limogeage du prédécesseur de Zhao Ziyang à la tête du Parti, Hu Yaobang. À la place, on vit apparaître sur les murs des campus un dazibao pas fait pour déplaire aux candidats à la succession : « Deng Xiaoping, ton heure a sonné ». Évidemment, c’était vendre la peau du vieux dictateur avant de l’avoir abattu, mais il y avait quelques raisons à cet optimisme prématuré. De jour en jour, les étudiants purent vérifier dans la rue que l’opinion de l’ensemble de la population passait de plus en plus activement de leur côté.

Le premier test eut lieu le mardi 25 avril : une rumeur, confirmée par la suite, disait qu’une réunion du Bureau politique du Parti Communiste Chinois venait de décider la répression du mouvement. Les dirigeants du mouvement étudiant, sans doute en contact avec des cadres réformateurs du Parti, étaient généralement bien informés. En tout cas, aussitôt su, aussitôt divulgué : les passants s’arrachèrent les tracts étudiants avec ce genre de commentaire, recueilli par les journalistes : « nos gouvernants sont vraiment trop pourris ! ».

Deux jours après, le 27 avril, les étudiants organisèrent une manifestation de protestation contre cette décision du Bureau politique. Il y eut quelque dix mille personnes. Ce n’est pas le chiffre des manifestants qui impressionna le plus. Mais l’accueil qu’ils reçurent : la rumeur, la menace répressive, loin d’avoir intimidé quiconque (comme ç’avait été le cas en 1987 après la décision gouvernementale d’interdire les manifestations), fit cette fois descendre dans la rue des milliers de gens venus soutenir les étudiants. Se sentant soutenus, les étudiants chinois réinventèrent l’insolence de leurs prédécesseurs français de 1968, et se mirent à scander, hilares, « nous sommes tous une poignée d’agitateurs ! »...

Dans ce contexte, la décision répressive du Bureau politique allait accélérer les choses en suscitant l’indignation générale : une véritable fronde se déclencha à la base du Parti, comme dans bien des corps de l’appareil d’État. Et pas seulement à la base d’ailleurs : le responsable de la sécurité de Pékin, c’est-à-dire le chef de la police, aurait même menacé de démissionner s’il recevait l’ordre de disperser les manifestants !

Puisque l’exemple venait d’en haut, ne fût-ce que ponctuellement, la fronde gagna rapidement tous les échelons du Parti et sans doute ceux de ses organisations parallèles. La presse et les médias suivirent le même chemin. Le 1er mai, plus de quatre cents journalistes appartenant aux publications officielles (y compris Le Quotidien du peuple, l’organe du gouvernement chinois) et à la radio nationale, envoyèrent des messages de soutien aux étudiants.

Tout semblait presque gagné avant que quoi que ce soit eût vraiment commencé. Si la presse habituellement aux ordres, la police municipale, l’appareil du Parti... se mettaient de la partie, on ne voyait plus très bien qui pouvait appliquer les décisions répressives.

Les événements eux-mêmes, précipités par le ralliement d’une partie de l’appareil d’État, semblaient avoir devancé les plans de mobilisation des étudiants.

Bien des jours auparavant, quand ils cherchaient encore des objectifs de mobilisation, les dirigeants étudiants avaient appelé la population à manifester avec eux le 4 mai, date anniversaire du mouvement du 4 mai 1919, célébrée en Chine comme le début du mouvement démocratique révolutionnaire.

À vrai dire, du côté étudiant, après trois semaines de mobilisation, une certaine lassitude commençait à se faire sentir. Et en ce 4 mai 1989, les manifestants étudiants n’étaient peut-être pas aussi nombreux que les organisateurs l’avaient espéré. Mais la foule, elle, était au rendez-vous, et ce fut là le deuxième test qui fit mesurer aux étudiants la popularité de leur mouvement : mieux qu’au 1er mai, ce furent cette fois des dizaines de milliers de gens qui acclamèrent les cortèges étudiants, leur offrant de l’argent et des rafraîchissements. Des dizaines de milliers de jeunes ouvriers et employés suivirent ou précédèrent le cortège. Et la liesse et l’enthousiasme furent ce jour-là encore plus du côté des spectateurs que des marcheurs...

Des délégations vinrent aussi d’une dizaine de villes de province. Le groupe le plus applaudi fut celui des trois cents journalistes appartenant à tous les grands journaux officiels, donnant le sentiment d’avoir gagné contre la dictature et sa censure sans coup férir...

Content, pas content, Zhao Ziyang ? Prudent. Il acquiesça, sans franchement applaudir. On peut penser qu’il avait besoin d’une certaine mobilisation pour faire pression sur ses rivaux, sans qu’elle passe une certaine limite, pour ne pas effrayer et liguer du coup tout le monde contre lui. La marge n’était peut-être pas très grande. C’est sans doute pourquoi l’ambiguïté de parole restait son élément. Il tint toutefois à rassurer ses rivaux et néanmoins collègues de l’appareil, et peut-être lui-même : « ces manifestations vont se calmer... », déclara-t-il.

La mobilisation étudiante et le courant d’opinion qu’elle avait suscité, en particulier chez les différentes élites du régime, semblaient avoir rempli leur rôle. Tout paraissait pouvoir finir par un compromis entre les différentes factions au pouvoir... “Tout pouvait se calmer...” comme aurait dit Zhao Ziyang... Et le fait est que dix jours se passèrent sans nouvelles manifestations de masses.

Les autorités chinoises, Zhao Ziyang compris, avaient assuré les étudiants qu’elles étaient prêtes au dialogue. Cela ne les empêcha pas d’ignorer les véritables dirigeants du mouvement, et elles refusèrent de discuter avec l’association autonome des étudiants créée au début du mouvement.

Une centaine d’étudiants prirent alors la décision de commencer une grève de la faim, « parce que nous avons épuisé tous les autres moyens d’action pour faire pression sur le gouvernement », expliqua un dirigeant aux journalistes.

La contestation étudiante repassait à la défensive, et adoptait, avec la grève de la faim, une forme d’action par définition minoritaire. Le gouvernement, toutes factions confondues dans un même réflexe, sembla alors attendre que le mouvement s’épuise et se marginalise.

Et puis, Gorbatchev devait arriver en Chine le 14 mai, pour le premier sommet sino-russe depuis trente ans ! Le hasard diplomatique semblait bien faire les choses. Les “réformateurs” chinois pouvaient espérer que le réformateur de l’URSS les féliciterait pour leur habileté et inciterait Deng Xiaoping à choisir leur camp...

Eh bien non. Rien n’allait se calmer. Au contraire, tout allait recommencer à une autre échelle. Bien malgré lui, Gorbatchev allait être le point de départ d’une nouvelle mobilisation populaire sans précédent.

14 au 18 mai : la mobilisation populaire atteint son point culminant au moment où Gorbatchev est à Pékin

À la veille de la visite de Gorbatchev, les étudiants en étaient donc réduits aux grèves de la faim pour faire reconnaître leur mouvement, et semblaient avoir perdu l’initiative de la situation.

Mais l’arrivée de Gorbatchev et celle de milliers de journalistes venus du monde entier avec lui, rebattirent toutes les cartes. Avec la place Tien An Men où devaient se dérouler les cérémonies officielles en présence des télévisions du monde entier, les étudiants pouvaient se saisir d’une tribune mondiale, comme jamais ils n’en auraient rêvée ! Et ils s’en saisirent.

Le jour de l’arrivée de Gorbatchev, les grévistes de la faim (ils devinrent deux mille ce jour-là !) s’installèrent carrément au centre de la place Tien An Men. Les manifestants et les curieux affluèrent toute la journée. À minuit, ils étaient cent mille manifestants, venus « souhaiter la bienvenue au véritable réformateur » (Gorbatchev). Le lendemain, cent cinquante mille manifestants occupèrent la place. Le gouvernement chinois en fut réduit à accueillir Gorbatchev par une cérémonie à la sauvette à l’aéroport. L’initiative retournait aux étudiants !

À partir de là, il est possible, il serait même logique que Zhao Ziyang, qui tint ces journées-là le devant de la scène auprès de Gorbatchev, ait changé à nouveau son fusil d’épaule, et, voyant le succès de l’initiative étudiante, ait pensé à nouveau qu’il pouvait l’utiliser comme il avait pu le faire en avril, en donnant le feu vert à l’appareil du Parti.

En tout cas, à partir du mardi 16 mai, la mobilisation populaire change d’échelle et dépasse largement les seules possibilités étudiantes. Cinq cent mille personnes, un million, on ne sait pas trop, convergent en différents cortèges de tous les coins de Pékin vers la place Tien An Men. Les chauffeurs de bus prennent en stop les cortèges. Les chauffeurs de taxi prennent gratuitement les manifestants...

Et cette fois-ci, les ouvriers aussi sont là, en nombre, et pas seulement les jeunes, chômeurs ou pas. Fait nouveau selon le correspondant du quotidien français Libération, pour la première fois depuis le début du mouvement, les contingents ouvriers arrivent par “unités de travail” entières (les Danwei), chaque contingent derrière ses banderoles. En tête, deux cents à trois cents représentants de la Fédération officielle des Syndicats, qui exigent « une indépendance réelle de leurs organisations par rapport au Parti Communiste ».

Le lendemain, mercredi 17 mai, c’est encore mieux. Un million de manifestants sont dans les rues de la capitale. Pékin est, de fait, en grève générale. Des débrayages se multiplient, paraît-il, en province.

Dans les cortèges, même chose que la veille, plus systématique encore. Tout le monde défile par corps constitués : des ouvriers de la scierie de la capitale, aux journalistes de la télé... Il y a même les cadres, professeurs et étudiants, de « l’école des cadres du Parti Communiste », rien moins. Mieux encore : un millier de militaires en uniforme ont participé à la manifestation avec leurs banderoles : il y a ceux de l’état-major, du département de la logistique, du département politique de l’armée... tous les échelons de la société sont représentés, et la base est venue avec son encadrement habituel...

Alors, mobilisation spontanée ou pas ?

Dix jours auparavant, quand l’envoyé spécial de Libération interrogeait les ouvriers venus encourager les étudiants qui manifestaient le 4 mai, il s’entendait répondre : « Si nous avions un chef ou une organisation, nous aussi nous manifesterions. Mais si le Parti tolère les étudiants, il réprime les ouvriers. Il y aurait de la bagarre... »

Le 17 mai, un autre ouvrier, qui défile lui-même cette fois, dit au même journaliste tout autre chose : « Nous n’avons pas peur des sanctions, parce que les cadres de base sont avec nous. Même la direction de l’usine a changé d’attitude depuis hier. Nous ne voulons pas le chaos, mais il faut faire pression sur les dirigeants. Ils craignent les ouvriers plus que les étudiants ». À suivre son raisonnement, c’est sans doute un ouvrier membre du parti qui parle, mais il explique assez bien la situation et son évolution des derniers jours.

Non, à l’évidence, les ouvriers qui rejoignent aujourd’hui les étudiants, ne se sont pas choisi de nouveaux chefs ni une organisation indépendante. C’est le même Parti -- ou en tout cas une fraction de celui-ci -- qui réprimait les ouvriers, leur interdisait de manifester, qui aujourd’hui les y autorise, et peut-être les y encourage, quand ce ne sont pas les directeurs d’usines eux-mêmes...

Pour le moins, le feu vert a été donné d’en haut, et les vannes ont été ouvertes.

D’un autre côté, les manifestations, même encadrées par les unités de travail, c’est-à-dire l’appareil du parti, n’auraient pas connu un tel succès, une telle ampleur, si les ouvriers n’avaient pas été consentants, voire enthousiastes.

Les hommes d’appareil savent bien qu’il vaut mieux parfois prendre les devants pour mieux contrôler un mouvement que d’être débordés faute de l’avoir déclenché. Et cela vaut sans doute aussi pour la Chine...

L’ampleur de la mobilisation tenait sans doute à son caractère “autorisé”. Restait à connaître le degré de détermination de tous ceux qui étaient venus soutenir les étudiants dans ces conditions. Restait à savoir ce qu’ils feraient quand l’encadrement du Parti ne jouerait plus le jeu de la contestation, mais recevrait d’autres ordres... On n’allait pas attendre très longtemps pour le savoir...

En tout état de cause, la mobilisation populaire fut telle ces journées-là, que la panique et la détermination de sévir s’emparèrent de la faction dirigeante opposée à Zhao Ziyang, en même temps que l’inquiétude et l’indécision gagnaient celle de Zhao Ziyang. On peut manipuler pendant des mois, voire des années, des étudiants et la jeunesse scolaire, comme Mao l’avait montré pendant la “révolution culturelle”, et encore, en les encadrant étroitement par l’armée... On maîtrise bien moins facilement les masses ouvrières qui prennent trop sérieusement et trop rapidement à coeur le feu vert qu’on vient de leur donner.

Et qui sait, ce ne serait pas la première fois qu’une révolution aurait été déclenchée sur une initiative venue d’en haut, et qu’une fois les masses engouffrées dans les brèches démocratiques, on ne puisse plus les faire rentrer dans le rang. Louis XVI en son temps a payé assez cher l’initiative qu’il avait eue de convoquer les États généraux, lui qui en visant une réforme, récolta une révolution ! C’est d’ailleurs le dilemme de toutes les dictatures vieillissantes.

Oh, jusque-là, les ouvriers chinois ne s’étaient pas encore franchement engouffrés dans la brèche. Ils s’étaient contentés, après tout, de défiler assez sagement derrière les étudiants.

Mais à partir du jeudi 18 mai, la mobilisation ouvrière et étudiante gagna encore en ampleur, si c’était possible, et surtout commença à s’étendre sérieusement aux autres villes de province. Le maire de Pékin, rapportent les journalistes, s’inquiétait quant à lui de ce qu’il y ait des milliers d’ouvriers en grève. À Shanghai, des centaines de milliers de personnes avaient défilé sur les quais. Toutes les grandes villes chinoises étaient en passe d’être touchées par la vague.

Ce jeudi 18 mai, des rumeurs sur la démission de Deng Xiaoping circulèrent... « Pékin commence à ressembler à Manille à la fin du régime de Marcos », disaient les journalistes occidentaux. Une Manille où Zhao Ziyang jouerait le rôle qui fut dévolu à Cory Aquino... Mais Zhao Ziyang n’a pas l’assurance que les journalistes lui prêtent... plus exactement il perd l’assurance de l’appui de l’état-major, quand Aquino, dans un contexte analogue, gagnait celle de l’armée sous l’inspiration des États-Unis qui préférèrent lâcher Marcos !

En Chine, c’est Zhao qui fut lâché par l’armée, pas Deng ni Li Peng. Et ce n’est sans doute pas sans raisons que Zhao Ziyang, le lendemain, vendredi 19 mai, allait rendre visite aux grévistes de la faim de la place Tien An Men et les suppliait, en larmes, d’arrêter un mouvement dont il ne savait plus où il pouvait s’arrêter...

Zhao Ziyang avait très bien su accompagner un mouvement, l’encourager par moment même, pour le lâcher au plus fort de sa force, de peur d’un débordement incontrôlable des masses populaires. Bien sûr, ce lâchage lui a fait perdre la partie qu’il avait engagée au sein de l’appareil dans la lutte pour le pouvoir. Mais c’était pour lui un moindre mal.

En Chine, où il n’y a pas d’élections, c’est même de cette façon que se pratique le jeu de l’alternance... D’autant qu’à chaque fois, le prix à payer par les vaincus n’est pas également partagé. Les purges ne frappent pas de la même façon les dignitaires qui ont perdu une manche et qui réapparaissent comme le Phénix à la suivante, et les centaines de milliers de ceux qui, après le bain de sang, sont promis aux camps de concentration ou aux exécutions sommaires.

Vendredi 19 mai : la drôle de loi martiale

Pour l’heure, en Chine, en ce vendredi 19 mai, au lendemain même du point culminant de la mobilisation populaire, l’initiative politique et militaire revient aux rivaux de Zhao.

Après avoir annoncé qu’il allait mettre fin au désordre, Li Peng, à minuit, annonce la loi martiale et l’intervention de l’armée pour protéger les bâtiments officiels.

La guerre est déclarée à la population et ses étudiants. Mais elle commence par une drôle de guerre. Rien n’est encore prêt pour lancer l’épreuve de force décisive contre la population : l’état-major de l’armée est divisé, certains corps d’armée sont encore du côté de Zhao Ziyang, en particulier certains de ceux qui entourent Pékin, et il faut reprendre en main le Parti. Tout cela prendra un certain temps. Et tout cela va se faire en plusieurs phases.

La première phase, les premiers vendredi, samedi et dimanche de la loi martiale, semble tourner miraculeusement à l’avantage de la population : samedi 20 mai, quand les militaires ont voulu chasser les manifestants hors de la place, ce sont les soldats qui ont été refoulés. Dimanche 21 mai, les camions militaires sont paralysés. En fait, la troupe a été envoyée sans armes. Parce que l’état-major espérait que sa seule présence serait dissuasive, ou par mesure de prudence... afin d’empêcher de véritables fraternisations, avec armes et bagages passant du côté des manifestants ? Ou pour donner aux manifestants un sentiment illusoire de sécurité ?

Quoi qu’il en soit, pour le moment le résultat est le même. Cette première victoire de la population a été facile, mais trompeuse.

Le lundi 22 mai, des barricades sont dressées à tous les carrefours, et des dizaines de milliers de personnes convergent à nouveau vers la place.

La première semaine de loi martiale : reprise en mains dans les coulisses et hors de Pékin

Si pour le moment, on laisse la rue aux étudiants et aux dizaines de milliers de gens venus les soutenir, ceux qui ont décidé la loi martiale ne restent pas inactifs. Pour l’heure, ce n’est pas à Pékin, mais dans le reste de la Chine que les choses se jouent.

Deng Xiaoping qu’on ne voyait plus, disparu, mort peut-être, disait la rumeur, est bien vivant. Dès le 18 mai, la veille de la loi martiale, il s’avère selon les informations dont ont dispose aujourd’hui, qu’il avait réuni la commission militaire centrale et donné l’ordre d’acheminer à Pékin des troupes venues de provinces plus sûres que celles de la capitale. Le 20 mai, il s’envole pour Wuhan, au centre de la Chine, pour convaincre les dirigeants des huit régions militaires de suivre Li Peng.

Parallèlement, le Parti est repris en main. L’administration aussi. Comme la presse et les médias. Des appels sont lancés assurant que les étudiants de province qui ont afflué à Pékin, peuvent regagner leurs villes en bénéficiant de la gratuité des trains.

Dans les universités, des listes noires sont dressées. Dans toutes les unités de travail, au fil de la semaine, les cadres doivent se mettre à rédiger des comptes rendus détaillés de leurs activités pendant le mouvement. Des “équipes de travail” ont été dépêchées dans certaines unités pour dresser les listes noires de responsables suspects de sympathies réformatrices.

La presse, la radio, la télé, commencent à fustiger “une poignée de malfaiteurs” et de “criminels” qui ont dévoyé le mouvement étudiant. On fait comprendre aux ouvriers qui ont rejoint en masse le mouvement qu’ils feront les frais de l’intervention militaire.

Toute cette reprise en main ne va pas se faire en un jour. Elle demandera quinze jours, le temps que la mobilisation dans la rue commence à s’épuiser, et que la peur reparaisse un peu partout, à commencer dans les usines.

Deuxième semaine de loi martiale : la mobilisation dans les rues s’épuise, les manifestants diminuent, même si la minorité qui reste mobilisée se radicalise

Dès l’annonce de la loi martiale, une partie de la direction étudiante avait hésité. Leur dirigeant, Wuer Kaixi avait proposé le repli dans les campus, pour ne pas voir de sang répandu. La majorité étudiante ne fut pas de son avis et il fut destitué. Mais dans le courant de la semaine suivante, le mouvement étudiant lui-même commença à s’effriter. Des dizaines de milliers d’étudiants de province commencèrent effectivement à repartir à bord des trains où ils voyageaient gratuitement sur ordre du gouvernement.

En fait, le week-end, et encore les lundi 22 et mardi 23 mai, c’étaient souvent les ouvriers descendus des faubourgs pour soutenir les étudiants, qui montrèrent le plus d’audace et de détermination dans les scènes de “fraternisation”, relative on l’a vu, avec les soldats. Mais de ce côté-là aussi, la mobilisation devint moins importante dans les jours qui suivirent. Voici comment un manifestant ouvrier explique la situation au journaliste de Libération : « les travailleurs n’ont pu se joindre aux étudiants » (qui avaient appelé à la grève générale et à une manifestation centrale). « Dans mon usine, ils ont supprimé le jour de congé pour nous empêcher de manifester. Les cadres du Parti ont lu une circulaire qui interdit aux ouvriers de manifester leur soutien aux étudiants, sous peine de retenue de salaire, voire de licenciement ».

Dans les usines, en effet, les travailleurs commençaient à payer la facilité avec laquelle ils s’étaient mobilisés, avec l’accord des cadres, dix jours avant. Le temps était venu d’éprouver leur détermination. Et malheureusement, quand les mêmes cadres, de base ou non, reçurent d’autres ordres et se mirent à “interdire” de la même façon qu’ils avaient “autorisé”, il n’y eut pas de chefs, ni d’organisations de rechange pour permettre aux ouvriers de passer outre les décisions du sommet. Les menaces de licenciements suffirent à dissuader la majorité d’aller manifester à nouveau. En d’autres circonstances, avec une détermination plus grande, les mêmes décisions, la même loi martiale, les mêmes consignes dans les usines, avec le retournement des mêmes cadres, auraient pu avoir l’effet inverse et provoquer la rage ouvrière. De nouveaux chefs, une nouvelle forme d’organisation auraient pu s’improviser, permettant aux différentes usines de passer outre la loi martiale. Mais ça n’a pas été le cas, malgré la radicalisation d’une petite minorité d’ouvriers, surtout les jeunes, qui continuèrent à manifester avec les étudiants tout en n’ayant plus accès à leurs propres usines.

C’est ainsi qu’à Pékin, il fallut attendre le lundi 29 mai, dix jours après l’annonce de la loi martiale, quand le mouvement avait déjà pratiquement reflué, pour voir la création d’un syndicat libre ouvrier (sur le modèle de l’association autonome des étudiants créée au début du mouvement) « l’union autonome des ouvriers de Pékin ». Ses responsables annoncèrent aux journalistes 5 500 adhérents : « nous avons au moins un représentant dans chacune des quelque deux milles usines de Pékin »...

Un membre par usine, ce n’était pas vraiment beaucoup. D’autant qu’ils ne pouvaient plus se risquer à l’intérieur des usines. Car depuis le samedi 20 mai, des équipes de commissaires politiques faisaient la tournée des entreprises pour dresser des listes noires...

À partir du vendredi 26 mai, c’est franchement le reflux. Beaucoup d’étudiants quittent la place Tien An Men. Seuls resteront quelques milliers d’irréductibles. La poursuite du mouvement a été votée, mais personne n’en aperçoit l’issue. « Ils attendent que le mouvement s’essouffle, puis la terreur viendra », prédit un professeur d’anglais de l’université de Beida.

Dans les rues de Pékin, la peur est réapparue. Il y a des policiers en civil. Les gens parlent beaucoup moins facilement aux journalistes. Le vieux réflexe de regarder toujours derrière soi réapparaît. Rares sont ceux désormais qui osent encore apporter de la nourriture aux étudiants. Les gens sympathisent, mais ils ont peur. On sait qu’il y a eu des manifestations ouvrières dans les villes voisines, pour soutenir Pékin, mais on sait aussi qu’il y a eu des vagues d’arrestations, comme à Wuhan, où les fondateurs du syndicat ouvrier autonome ont tous été arrêtés.

Dans les salles de rédaction de Pékin, tout est redevenu comme avant : « Nous travaillons avec le fusil dans le dos », explique un journaliste dont la rédaction est “protégée” depuis le 20 mai par deux cent cinquante soldats armés !

Le mercredi 31 mai, le gouvernement organise une manifestation du Parti Communiste de soutien à Li Peng, “contre le chaos”. La démonstration n’est guère convaincante : un millier de personnes devant le ministère de la Sécurité, qui sans doute ont dû venir contraintes et forcées. Mais la manifestation peut tout de même avoir lieu, sans autre réaction populaire. C’est un test. Sur Tien An Men, restent quelques milliers d’étudiants.

Le temps de l’assaut final est venu...

Vendredi 2 et samedi 3 juin : au bout de quinze jours de loi martiale, l’armée, suivie de ses blindés, donne l’assaut à Pékin

Trois mille soldats sans armes entrent d’abord à Pékin. La ville entière se lève. Les échauffourées, brèves et violentes, opposent les premières lignes de soldats aux étudiants et aux habitants.

L’état d’esprit n’a plus rien à voir avec les tentatives de fraternisation d’il y a quinze jours. La population de Pékin sait désormais ce qui l’attend. Et si la détermination de ceux qui sont dans la rue est immense, c’est au moment où le piège militaire s’est refermé sur Pékin.

La foule est composée en grande partie de jeunes ouvriers quand les blindés investissent la ville. Le dimanche 4 juin, au moment du massacre sur la place Tien An Men, plusieurs milliers de manifestants se battent à coups de cocktails Molotov. Et il y a aussi tout ce que les journalistes n’ont pas vu, mais qui leur a été rapporté par des témoignages individuels : des combats dans les banlieues ouvrières, où il y a eu aussi des massacres, certains rapportant que la troupe pénétrait dans les maisons particulières et tuait les occupants à la baïonnette.

[center]* * *[/center]
Aujourd’hui, la terreur est retombée sur la population chinoise. Et on a vu comment cette terreur avait un sens de classe, comment elle visait délibérément, publiquement, les ouvriers dont la simple menace d’une possible mobilisation fit tellement peur au régime.

La vague de contestation étudiante et des manifestations de masse des mois d’avril et mai, a à l’évidence soulevé pendant plusieurs semaines d’immenses espoirs au sein de larges couches de la population urbaine chinoise.

Mais le ton des reportages des envoyés spéciaux de la presse occidentale reflétait lui-même cette sorte d’euphorie, aussi unanime que trompeuse, que donne le sentiment d’être tous d’accord contre un régime discrédité et haï. L’illusion de la population chinoise et de ses étudiants, a consisté en particulier à croire qu’elle pouvait compter sur une partie des dirigeants chinois eux-mêmes, sur les “bons” responsables du Parti ou de l’armée, au point de croire avoir déjà gagné, avant que la véritable épreuve de force ait été engagée.

L’illusion a été chèrement payée. Car si du côté des “durs” du régime, la détermination et la préméditation étaient évidentes, du côté des “réformateurs”, ou de ceux qui passaient pour sympathiser avec le mouvement, on n’a jamais choisi de se battre aux côtés de la population. Et probablement une bonne partie de ce clan a pris le parti opposé à partir du moment où il a jugé que les choses pouvaient aller trop loin. À partir du moment où la loi martiale a été décrétée, les responsables politiques, les chefs militaires se sont ralliés les uns après les autres à la loi martiale. Les plus courageux, au mieux, se sont cantonnés dans la neutralité.

On nous disait, au départ, que Zhao Ziyang avait une partie de l’état-major avec lui. C’est possible. Mais alors il l’a perdue bien vite. La population et les étudiants piégés dans Pékin, encerclés par trois cent cinquante mille hommes, avaient bien tort d’espérer que les “bons chefs militaires”, “favorables au peuple”, viendraient à leur secours. Si affrontements il y eut entre corps d’armée, il furent marginaux, sinon mythiques.

La guerre, seuls les partisans du massacre et de la répression, étaient prêts à la mener. Et ceux-là montrèrent tous les signes de leur résolution, y compris en installant en plein Pékin des missiles sol-air ! Quant aux autres, ils ont préféré préserver l’unité de l’armée, celle de son état-major, comme l’unité du Parti et de l’ensemble de l’appareil d’État, c’est-à-dire le retour à l’ordre, plutôt que de remporter une victoire militaire en armant la population de Pékin et en se battant à ses côtés.

Cette histoire n’est pas propre à la Chine. Ce n’est d’ailleurs pas parce que la dictature s’est à nouveau renforcée en Chine, que “l’ouverture à l’Occident” en sera compromise. Dix ans de régime de Deng Xiaoping prouvent d’ailleurs le contraire, comme ses déclarations actuelles ainsi que celles des gouvernements occidentaux qui se gardent de commettre le moindre impair diplomatique.

Non. Le drame qui vient de se dérouler en Chine, c’est l’histoire de bien des mouvements de masse, dans les différents pays du monde, qui se sont arrêtés en chemin, pour avoir fait trop confiance aux politiciens prétendus réformateurs qu’ils croyaient à leurs côtés, alors que ces politiciens n’adoptaient une attitude ambiguë que parce qu’un temps, ils pensèrent pouvoir utiliser ces mouvements de masse, dûment canalisés, pour leurs propres ambitions.

29 juin 1989


(Lutte de Classe % n°28 % décembre 1989 a écrit :[center]La Chine et le “printemps de Pékin”[/center]
Quelques mois après la fin brutale de ce qui a été appelé “le printemps de Pékin”, la démission de Deng Xiaoping de la dernière fonction officielle qu’il occupait encore, président de la commission militaire du Parti Communiste Chinois, met en lumière ce qui fut le véritable enjeu de la bataille politique qui s’est alors livrée, même si cet enjeu est resté caché à bon nombre des jeunes manifestants de la place Tien An Men, qui pensaient se battre uniquement pour la démocratie ou les libertés.

Cette démission, à partir d’un certain moment, fut réclamée ouvertement par les manifestants eux-mêmes. En tout cas, la succession du vieux dictateur, dont la fin est forcément proche, fut certainement la motivation essentielle des prises de position des différents clans qui se partageaient, et se partagent toujours, la direction de l’État chinois, tant ceux qui suscitèrent la mobilisation de la jeunesse étudiante ou tout au moins tentèrent d’en profiter, que de ceux qui s’y opposèrent.

Cette démission, aujourd’hui, ne signifie pas que le vieux leader est désormais complètement hors circuit. Si sa santé ne lui interdit pas de continuer à prendre une part réelle au gouvernement, comme ce fut le cas de Mao dans les derniers temps, il peut fort bien se maintenir au poste d’arbitre suprême. Cette démission signifie encore moins que le problème de la succession est réglé.

Celui qui le remplace à la présidence de la commission militaire, Jiang Zemin, qui avait déjà remplacé Zhao Ziyang au secrétariat général du PCC, après que ce dernier eut été limogé en juin dernier, est présenté comme une personnalité falote. Tout se passe comme si, aucun des clans ou des hommes qui peuvent aspirer à la succession n’étant encore en mesure de s’imposer définitivement, on avait nommé une personnalité de deuxième plan pour tenir la scène en attendant les affrontements décisifs. Bien entendu, avec les honneurs, l’appétit peut fort bien venir à Jiang. Il ne serait pas le premier dans l’histoire qui, propulsé d’un coup d’une place secondaire à la première, afin de remplir l’intérim en attendant que les principaux candidats règlent leur querelle, profiterait de l’aubaine et des possibilités nouvelles que la place peut offrir pour s’en emparer définitivement. Mais cela, seul l’avenir le dira. Tout ce qui est prévisible aujourd’hui, c’est à coup sûr que les luttes pour la succession ne sont certainement pas terminées ni le nom du successeur connu.

La façon dont le mouvement de ce printemps a commencé, par des manifestations de faible ampleur, ayant pour prétexte d’honorer la mémoire de Hu Yaobang, l’ancien secrétaire général du PCC qui avait précédé Zhao Ziyang lui-même et avait été limogé par Deng, peut être déjà un indice que ses inspirateurs étaient à rechercher dans un des clans de la haute bureaucratie chinoise. L’absence de revendications précises et l’appui à un défunt, qui ne représentait donc plus aucun danger pour quiconque mais qui avait été victime des luttes pour le pouvoir, fournissaient le bon moyen pour une clique de bureaucrates qui voulaient faire pression sur les autres. Cette clique pouvait ainsi brandir une vague menace d’utilisation des masses mais en garantissant en même temps que ces masses ne seraient pas mobilisées sur des objectifs qu’elles reprendraient à leur compte ou qui serviraient leurs intérêts. Sous Mao lui-même, les opposants de la “bande des quatre” utilisèrent de cette façon les funérailles de Chou En-Laï. Si Zhao craignait déjà de se voir éliminer, au profit du clan de Li Peng par exemple, il a pu croire trouver dans les funérailles de son prédécesseur, le moyen d’agiter une menace et de faire reculer ses adversaires.

Au cours des événements eux-mêmes, d’autres épisodes semblèrent d’ailleurs confirmer que certaines fractions de la bureaucratie étaient à l’oeuvre. Aussi, lorsqu’une partie des ouvriers de la capitale chinoise se joignirent à leur tour aux manifestations, selon de nombreux témoignages, ce fut souvent à l’instigation soit du syndicat, soit même de la direction de l’usine (les tentatives de création de syndicats libres n’eurent, là, de toute évidence, aucune influence). L’un comme l’autre faisaient partie de la bureaucratie et, dans les circonstances, ne pouvaient qu’être les courroies de transmission de certaines fractions se situant aux niveaux supérieurs.

Le mouvement de ce printemps a mis en branle des centaines de milliers de gens. Mais pour l’essentiel il s’est limité à Pékin. Seules quelques autres grandes villes ont été touchées et uniquement sur la fin, semble-t-il. Des étudiants de province ont certes participé, mais en venant eux-mêmes se joindre à leurs camarades dans la capitale chinoise. Il est quasiment impossible de savoir comment les manifestations dans la capitale ont été vues, suivies et accueillies par l’ensemble de la population chinoise faute d’informations adéquates. Mais il est sûr qu’il est resté limité socialement, à une petite couche, les étudiants ; et géographiquement, à la capitale. Dans un immense pays, qui est de loin le plus peuplé de la planète, cela relativise son importance. Le retentissement mondial qu’il a eu vient du fait qu’il a paru, sans doute faussement, ébranler un moment le régime tout entier. Il vient aussi du fait que pour la première fois depuis bien longtemps en Chine, il s’est déroulé sous les yeux de la presse internationale, ce qui s’explique parce qu’il s’agissait des étudiants de la capitale, milieu avec lequel les correspondants étrangers ont le plus facilement le contact.

À un certain moment, une partie au moins des ouvriers de la capitale se sont joints aux manifestations étudiantes ou leur ont apporté leur soutien. Ce soutien a poussé à une certaine radicalisation des étudiants, sinon dans l’action -- ils n’ont jamais proposé autre chose que la grève de la faim et l’action non violente -- au moins dans les revendications. Mais du même coup, il a aussi condamné le mouvement. En effet, même si c’est Zhao Ziyang lui-même qui en sous-main a encouragé les ouvriers à apporter leur appui aux étudiants, le secrétaire général a très vite pris peur. Il a battu en retraite devant non pas un débordement mais seulement quelques signes avant-coureurs qu’un débordement était possible. Témoin en fut la dramatique apparition qu’il fit en personne sur la place Tien An Men pour supplier les étudiants d’arrêter leur mouvement. Témoin aussi le fait qu’après quelques jours, les autorités, directions d’usines ou responsables syndicaux, qui avaient encadré les ouvriers pour les pousser à soutenir les étudiants, ont battu en retraite. À partir de ce moment, les mêmes incitèrent au contraire, ou même imposèrent que les travailleurs restent dans les usines et renoncent à se joindre aux manifestations. Aussi, lorsque la répression s’est déchaînée, le mouvement était en nette perte de vitesse. Dans les faits, sur la place Tien An Men ou dans les rues de Pékin, l’armée ne s’est pas heurtée à des centaines de milliers de manifestants mais au plus à quelques milliers ou dizaines de milliers.

Le mouvement est donc mort d’avoir mis, implicitement ou explicitement, consciemment ou inconsciemment, ses espoirs dans un des clans qui divisent la bureaucratie gouvernementale. Il a été lâché, avant même qu’il ait lui-même conscience de ses potentialités, par ceux qui l’avaient peut-être initié, en tout cas l’avaient soutenu un bref instant. Mais les Zhao Ziyang et consorts, s’ils étaient prêts à faire état d’une menace de pression par la rue pour leur luttes au sein de l’appareil, n’étaient pas prêts à prendre le moindre risque de voir une réelle mobilisation des masses faire courir un risque au régime. Ils ont préféré leur propre défaite, momentanée, à ce risque-là. Zhao l’a payé par la perte de son titre de secrétaire général et par sa mise à l’écart, peut-être même par l’emprisonnement. Il est à remarquer cependant que si les sentences de mort qui frappent depuis des mois les jeunes manifestants sont bien définitives, la mise à l’écart et l’emprisonnement de Zhao Ziyang ne le sont sans doute pas. Deng Xiaoping lui-même avait connu le même sort pendant la révolution culturelle, avant de revenir au pouvoir après la disparition de Mao. La couardise politique de Zhao ne présage pas son avenir.

C’est l’armée qui a finalement tranché. Pendant des semaines, elle a hésité soit parce qu’elle était elle-même divisée entre les différents clans qui se déchiraient, soit parce qu’elle n’était pas encore convaincue des risques que faisait courir le mouvement au régime et au gouvernement. Sans doute l’état-major attendait de voir si Zhao était ou non capable de se sortir à son avantage et à celui du régime tout entier des manoeuvres qu’il avait entamées en lançant les étudiants dans la rue. En tout cas, l’armée a joué une nouvelle fois en Chine le rôle qui est celui du sabre dans tous les États bourgeois du monde : le recours dernier et définitif lorsque le pouvoir civil s’est mis dans une situation ou périlleuse ou inextricable.

Depuis la répression brutale qui a mis fin au “Printemps de Pékin”, le pouvoir a entamé une reprise en main idéologique du pays. Alors que depuis dix ans ou plus l’accent était mis sur les réformes, l’efficacité économique et même l’ouverture vers l’Occident, c’est la défense du socialisme, de ses idéaux et de ses valeurs (tels que les voient les maoïstes bien sûr) qui est mise en avant. Comme au beau temps de la Révolution Culturelle, par exemple, le régime se souvient qu’il se prétend fondé sur le communisme et le marxisme-léninisme.

Comme toujours en pareil cas, cette offensive idéologique couvre d’abord une offensive policière. Les condamnations et les exécutions d’étudiants et surtout d’ouvriers -- on a commencé par eux -- qui auraient participé aux manifestations de ce printemps, continuent toujours. La presse, un très court instant un peu plus libre, est de nouveau complètement soumise au régime. La voix des dissidents, ou simplement les voix qui expriment un point de vue différent, se sont tues.

Mais la prétendue défense intransigeante du socialisme n’est à l’ordre du jour que pour justifier la terreur policière contre tous les opposants politiques. En revanche, il ne semble pas qu’il y ait de changement dans les orientations sociales ou économiques. Le cours des réformes, impulsé par Deng Xiaoping depuis qu’il est arrivé au pouvoir, semble se poursuivre tout tranquillement, simplement un peu obscurci par les éditoriaux du Quotidien du Peuple ou les déclarations officielles. Dans les campagnes, les exploitations individuelles ou familiales qui sont réapparues après le démantèlement des communes et des grandes fermes collectives, continuent. Les petites entreprises commerciales ou industrielles dans les villes aussi. Les investissements capitalistes étrangers se maintiennent dans les zones franches qui n’ont été ni supprimées, ni diminuées. Et les autorités chinoises cherchent toujours à séduire des grandes entreprises américaines, européennes ou japonaises qui seraient prêtes à se lancer dans l’aventure de mettre sur pied, en collaboration avec l’État chinois, des entreprises industrielles ou commerciales dans le pays.

Après l’intervention de l’armée contre les étudiants, le gouvernement chinois a été condamné par l’ensemble des gouvernements occidentaux, qui jugèrent publiquement que la Chine populaire s’était mise au ban des nations. Mais il ne s’en est suivi aucune sanction ni rupture économique. Quelques projets ont été momentanément gelés, et encore pas tous. Mais les investisseurs éventuels européens, américains, ou surtout japonais, continuent aujourd’hui comme par le passé à prospecter le marché chinois. Et s’ils montrent beaucoup de prudence et de circonspection, c’est exactement comme dans le passé, parce que les perspectives, non seulement politiques, mais surtout économiques de ce marché, d’un grand pays mais très arriéré, ne sont guère tentantes. D’ailleurs, la condamnation de la Chine par les gouvernements occidentaux a été d’autant plus forte que les intérêts de leur impérialisme étaient moins engagés en Chine. Ce n’est certes pas un hasard si c’est le Japon qui a montré le plus de réticence à prononcer cette condamnation, et si c’est lui qui aujourd’hui est en pointe pour rétablir au plus vite tous les liens avec Pékin.

La Chine n’est pas la Hongrie, la Pologne ou l’Allemagne de l’Est. Son appartenance, un temps, au camp dit “socialiste” ne lui donne pas forcément un destin commun avec l’Europe de l’Est. L’histoire mais surtout l’immensité du pays et son sous-développement lui confèrent des caractéristiques particulières, forces et faiblesses. C’est ainsi qu’elle s’est engagée sur la voie des réformes économiques et de l’ouverture sur l’Occident, indépendamment du reste du “camp socialiste”, depuis près d’une quinzaine d’années. Les événements du “Printemps de Pékin” sont survenus au même moment où toute l’Europe de l’Est est entrée en ébullition. Sans doute ici comme là, on peut voir les répercussions et l’influence de la perestroïka soviétique. Pourtant l’évolution de la Chine, qui poursuit depuis longtemps sa propre voie définie par ses seuls intérêts nationaux, est indépendante de celle des pays du bloc soviétique.

C’est le sous-développement, pas l’appartenance, présente ou passée, au “camp socialiste”, qui pose les limites des réformes économiques et de l’ouverture vers l’Occident. Depuis dix ans, ce ne sont pas les Chinois qui se sont fermés aux capitaux privés et étrangers, ce sont les capitaux privés et étrangers qui hésitent, ne voyant pas assez d’intérêt pour eux à s’investir là-bas.

C’est le sous-développement aussi, pas l’étiquette socialiste ni marxiste-léniniste, qui explique le régime politique dictatorial. Depuis près d’un siècle, les difficultés ou l’incapacité de la Chine à instaurer une démocratie, même formelle, sont tout simplement celles de tous les pays sous-développés, où les dictatures militaires et policières sont bien plus nombreuses, fréquentes et durables que le parlementarisme bourgeois.

Pour cette raison, dans le proche avenir, en Chine, l’ouverture vers l’Occident et les incitations au développement de l’entreprise privée peuvent fort bien aller de pair avec le maintien d’un régime dictatorial féroce. La Chine ne fera alors que prendre place parmi tant d’autres pays, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique, au régime similaire, qu’ils se prétendent ou se soient prétendus un jour socialistes ou non.

13 novembre 1989


... Je pense que c'est assez clair, y compris sur l'aspect social du mouvement !

Chine_1989.doc
gerard_wegan
 
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Message par disset » 24 Nov 2006, 00:39

merci de ta diligence gerard wegan
disset
 
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Re: Tien an men

Message par Byrrh » 03 Juin 2019, 12:01

Il y a 30 ans, le 4 juin 1989, le régime chinois envoyait ses chars dans les rues de Pékin et sur la place Tian'anmen pour réprimer dans le sang les mobilisations de la jeunesse.

Je suppose que le prochain numéro de Lutte ouvrière reviendra sur cet événement. En attendant, voici les deux articles parus il y a 10 ans dans le n°2132 de l'hebdomadaire (12/06/2009) :

Chine : le mouvement de contestation de 1989

La majorité des participants du mouvement de contestation du régime chinois qui éclata le 15 avril 1989 étaient des étudiants et des intellectuels, auxquels s'étaient joints aussi des ouvriers, souvent syndicalistes, voulant des syndicats indépendants et dénonçant les différences de niveau de vie entre les dignitaires du régime et le reste de la population.

Depuis 1979-1980, les dirigeants chinois s'étaient lancés dans une libéralisation du système économique. Ils parlaient des « quatre modernisations » (industrie et commerce, éducation, armée, agriculture) et surtout d'ouvrir le pays à des investisseurs étrangers. Au sein du Parti Communiste Chinois (PCC) s'affrontaient les partisans des réformes économiques avec Deng Xiaoping et ceux qui, derrière le Premier ministre Li Peng, souhaitaient la fin des réformes et le retour du contrôle de l'État.

En 1989, étudiants et professeurs réclamaient la « cinquième modernisation » : la démocratie et le multipartisme. Ils étaient influencés par le vent réformiste qui soufflait sur l'URSS, avec la perestroïka de Gorbatchev. Les étudiants exigeaient de meilleurs débouchés en fin d'études, les professeurs des augmentations de salaire.

C'est la mort d'un ancien secrétaire général du PCC, réformateur limogé en 1987 et décédé le 15 avril 1989, qui entraîna des manifestations en sa faveur, conduisant le régime à organiser des obsèques nationales. Cela ne calma pas les manifestants et, le 18 avril, quelques milliers d'étudiants organisèrent un sit-in devant l'Assemblée nationale. Le soir, ils tentèrent de forcer les portes du palais du gouvernement mais furent repoussés par la police. Les campus se couvrirent d'affiches dénonçant Deng et exigeant la poursuite des réformes. Le 21 avril, cent mille étudiants se dirigèrent vers la place Tiananmen où ils s'installèrent avant que la police ne ferme la place. Ils devaient y camper et y faire la grève de la faim jusqu'en juin.

L'occupation de la place attira de nombreuses personnes de Pékin mais aussi des provinces. Bien que la grande majorité de la population soit restée extérieure au mouvement, celui-ci pouvait rapidement l'encourager à lutter à son tour pour ses droits. Les dirigeants chinois étaient conscients du risque qu'ils couraient à laisser le mouvement s'installer et, le 4 juin 1989, l'armée chinoise reprit donc le contrôle de la place, mettant fin à ce « printemps de Pékin ».

Officiellement, la répression aurait fait 579 morts, mais 2 500 selon la Croix-Rouge. Dans les mois qui suivirent, les autorités poursuivirent et recherchèrent ceux qui avaient pu participer au mouvement. Certains furent emprisonnés, d'autres s'exilèrent. Ceux qui au sein de l'appareil du parti dirigeant, comme le secrétaire général du PCC Zhao Ziyang, avaient regardé d'un bon oeil ce mouvement, moins parce qu'ils en attendaient une plus grande liberté dans la vie politique que par calcul personnel, furent limogés et placés en résidence surveillée.

Chine - Anniversaire du massacre de la place Tiananmen : une dictature qui protège les profits des capitalistes occidentaux

Le vingtième anniversaire de ce qu'on appelle ici les massacres de la place Tiananmen et, en Chine, les « troubles politiques du printemps-été 1989 » a été l'occasion, pour les médias et quelques autres, de dénoncer la dictature chinoise qui, le 4 juin 1989, fit réprimer par l'armée le mouvement de contestation apparu le 15 avril 1989.

À l'occasion de cet anniversaire, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a invité les autorités chinoises à publier les noms des personnes tuées, disparues ou arrêtées lors de la répression de 1989. Plusieurs organisations non gouvernementales, comme Amnesty International, ont relevé le sort que les autorités chinoises avaient pu faire, à l'approche de cet anniversaire, à d'anciens participants de ce mouvement, enlevés, arrêtés ou interdits d'entrer en Chine à titre préventif. Des gouvernements et des commentateurs ont profité de l'occasion pour faire la leçon aux autorités chinoises sur leur non-respect des droits de l'Homme.

En 1989, il y avait dix ans que les autorités chinoises avaient entamé une politique d'ouverture économique pour attirer sur leur sol les grandes entreprises du monde capitaliste, sans pour autant assouplir en quoi que ce soit le régime sur le plan politique.

Cependant l'évolution des pays de l'Est dans la période de Gorbatchev semblait ouvrir une brèche, dans laquelle s'engouffra le mouvement de contestation. Après quelques hésitations, voire des signes d'encouragement de la part de certains dirigeants, les autorités choisirent finalement d'interrompre brusquement un mouvement qui réclamait la démocratie et le multipartisme.

En même temps qu'ils réprimaient les étudiants, les dirigeants chinois se débarrassaient de ceux qui, au sein du parti dirigeant, cherchaient à freiner l'ouverture au capital étranger. Celle-ci allait donc se poursuivre, tandis que les autorités chinoises maintenaient un régime dictatorial n'ayant de communiste que l'étiquette d'un parti qui règne sans partage et dont les dirigeants se soucient comme d'une guigne des ouvriers des anciens sites industriels nationalisés ou des paysans des localités rurales, laissés pour compte des fameuses « réformes économiques ».

S'il reste une poignée de dissidents de 1989 qui ont pu conserver quelques convictions, comme Cai Chongguo, ancien syndicaliste réfugié en France, celui-ci soulignait dans Le Nouvel Observateur que « les étudiants qui ont participé au mouvement sont devenus journaliste, avocat, écrivain, patron de grande entreprise et haut fonctionnaire. La Chine est dirigée et contrôlée par la génération de Tiananmen ». Ce sont ces couches de la bourgeoisie chinoise, grande, moyenne ou petite, vivant dans les grandes villes, qui ont été les principales bénéficiaires des « réformes économiques ».

Pour les grandes puissances occidentales, la Chine est un bon client. Quelques jours après l'anniversaire de Tiananmen, on apprenait que la Chine est devenue le deuxième acheteur d'armes de la planète, après les États-Unis. Les dépenses chinoises ont augmenté de 10 % en 2008, ce qui ne devrait pas laisser indifférents les Dassault et autres Lagardère-Matra.

Et puisqu'une fraction privilégiée de la population a vu son niveau de vie augmenter, la marque de luxe Gucci, appartenant au groupe PPR, dont les principaux actionnaires sont les Pinault père et fils, vient d'annoncer qu'elle entendait ouvrir entre deux et quatre nouvelles boutiques d'ici la fin de l'année en Chine, où le groupe a déjà 28 boutiques. La vente des produits de luxe Gucci a en effet augmenté en Chine de 41,5 % en 2008, soit 8 % du chiffre d'affaires du groupe Gucci, qui représente par ailleurs 15 % du chiffre d'affaires de PPR.

Les protestations actuelles - et à vrai dire timides - des dirigeants occidentaux contre l'absence de démocratie en Chine valent leur pesant d'hypocrisie. Depuis plus de vingt ans, la dictature qui règne en Chine rend un service considérable à l'ensemble des capitalistes occidentaux. Ceux-ci réalisent de substantiels profits en sous-traitant dans ce pays une grande partie de leurs productions industrielles. Ils profitent tout simplement du bas prix de la main-d'oeuvre... que le régime de dictature impose par la contrainte.

Alors, pendant que leur personnel politique fait mine de protester, les capitalistes occidentaux et leurs représentants peuvent dire tout bas merci au régime de Pékin de les protéger d'une explosion sociale venant du plus profond de ces centaines de millions de travailleurs exploités.

Jacques FONTENOY

Par ailleurs, je reproduis ces détails horribles - seulement révélés en 2017 - sur la façon dont ont été massacrés les manifestants. Ces informations sont corroborées par quelques photographies absolument atroces, qu'on trouve sur le web mais que je ne posterai pas ici.

(...) Le rapport d’Alan Donald livre un témoignage terrifiant de la violence qui s’est déchaînée dans la nuit du 3 au 4 juin, lorsque l’armée a entamé son avance en direction de la gigantesque place Tiananmen, cœur symbolique du pouvoir communiste occupée par les manifestants. « Les blindés de transport de troupes de la 27e Armée ont ouvert le feu sur la foule (…) avant de lui rouler dessus », écrit l’ambassadeur. Alan Donald cite pour source une personne dont le nom est caché mais qui a obtenu ses informations d’un « ami proche, actuellement membre du Conseil d’Etat », le gouvernement chinois.

Une fois les militaires arrivés place Tiananmen « les étudiants ont cru comprendre qu’ils avaient une heure pour évacuer, mais après seulement cinq minutes, les blindés ont attaqué », rapporte Alan Donald. Les manifestants « ont été taillés en pièces ». Les blindés ont ensuite « roulé sur les corps à de nombreuses reprises, faisant comme une 'pâte' avant que les restes soient ramassés au bulldozer. Restes incinérés et évacués au jet d’eau dans les égouts », rapporte-t-il en style télégraphique. (...)

https://www.20minutes.fr/monde/2193107- ... -tiananmen
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Re: Tien an men

Message par Byrrh » 03 Juin 2019, 12:15

A propos de Cai Chongguo, qui avait été convié à intervenir lors de la Fête de LO de 2007 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cai_Chongguo
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