La Russie, dictature autocratique sous le tsar, était une terre d'émigration bien avant 1917. Ce fut le cas en particulier de beaucoup d'intellectuels, ainsi que de beaucoup de juifs, qui subissaient les persécutions, les "pogroms" (émeutes populaires anti-sémites dirigées, souvent par des agents provocateurs et policiers, contre les juifs en Russie - puis par la suite dans d'autres pays). Avec la crise récurrente du régime tsariste, le gouvernement favorisa largment ces "pogroms" comme soupapes de décompression du mécontentement populaire.
Il faut se méfier de l'expression "russes blancs" que l'on a tendance à coller sur tous les émigrés venus de Russie.
L'écrivain Victor Serge, dont je t'ai précédemment parlé, était dans ce cas, et nullement "russe blanc". Ses parents avaient émigré en Europe de l'ouest à la fin du 19ème siècle. Tu peux retrouver cela en détail dans son livre "Mémoires d'un révolutionnaire".
Je te joins un article (dont l'intérêt est qu'il est introuvable car ancien) sur cet écrivain, tiré du Monde du 29 janvier 1979, que j'ai scanné :
a écrit :
«Le Monde» 29 janvier 1979 :
Modeste et incomparable Victor Serge
En 1890,à Bruxelles,dans une famille d'émigrés et d'opposants au régime tsariste, vint au monde Victor Kibaltchiche, dit Vlctor Serge. Parmi ces âpatrides pauvres et souvent affamés, il vécut dans un «monde sans évasion possible où il ne restait qu'à se battre pour une évasion impossible». Quand il mourut, en exil au Mexique, il était déchu de la nationalité soviétique. «J'ai vu naître, écrit-il, la grande catégorie des "apatrides", c'est-à-dire des hommes auxquels les tyrannies retusent jusqu'à la nationalité».
Avant de clore cette implacable trajectoire, Victor Serge aura plongé dans les luttes révolutionnaires du demi-siècle, à une époque où «les empires s'écroulaient comme châteaux de cartes, les empereurs n'éntaient plus tout à coup que de pauvres bougres en fuite et même fusillables». ll aura combattu aussi les nouveaux despotismes, avortons des révolulions dévoyées,
et sa femme y perdra la raison.
Il abandonne l'enseignement éclectique de son père - mais combien formateur - pour «gagner» sa vie, dès quinze ans, et il exerce divers métiers. En fait, il entre très tôt dans la cohorte des révolutionnairesprofessionnels qui parcourt l'Europe
en tous sens, entre exil et geôles. Condamné, à tort, en 1913, dans l'affaire de la bande à Bonnot,libéré en 1915, il quitte Paris pour Barcelone où il se lie au mouvement libertaire de Salvadôr Segui. De retour en France, il est interné puis «échangé» après l'armistice, il se retrouve à Petrograd, en 1917, et se rallie au parti bolchevik.
Chargé d'importantes responsabilités, il rencontre les grands et des plus humbles personnages d'une révolution menacée par
les Blancs, cernée de puissances hostiles et bientôt dévorée par la bureaucratie triomphante.
Son adhésion à l'opposition de gauche, dirigée par Trotski, lui vaut d'être exclu du P.C., puis la déportation. L'U.R.S.S. est en proie à la folie stalinienne. Même des tenants de la «ligne générale», les plus dociles, disparaissent dans les locaux de la police politique ou dans ce qui était encore innommable : le Goulag. «Les jeunes révoltés français et belges de mes vingt ans ont tous succombé ; mes camarades syndicalistes de Barcelone 1917 ont presque tous été massacrés : mes camarades et mes amis de la révolution russe ont vraisemblablement tous péri - sans exception, sauf miracle», écrira-t-il dans ses «Mémoires d'un révolutionnaire».
Ses activités littéraires le tireront d'affaire. Interdit de publication en U.R.S.S., mais édité à Paris, ses amis belges et français entreprendront une campagne pour sa libération et, en 1936, il est chassé d'U.R.S.S. Emigré en France,il s'exile, lors de la délaite de 1940, au Mexique avec son fils Vlady. ll y meurt en 1947.
Outre une oeuvre romanesque - citons l'admirable «Affaire Toualev»,- d'abondants et lucides articles de presse, victor Serge a écrit ces prodigieux «Mémoires d'un révolutionnaire» (1), publiés après sa mort, et où revit un monde en convulsions.
Il faut lire le témoignage d'un lutteur incomparable et pourtant modeste,qui soumit son socialisme à cette règle prémonitoire: défense de l'homme, défense de la vérité,défense de la pensée.
BERNARD ALLIOT.
* «Mémoires d'un révolutionnaire», de Victor Serge, le Seuil, coll. «Points», 425 pages.
(1) Soulignons le précieux travail d'annotations de Jean Rière
Pour en revenir à ta "presque belle-mère", je ne suis pas bien sûr que l'on puisse la rattacher à la catégorie "russe-blanc". Je crois que ce doit être une personne qui a eu un parcours de vie tout à fait intéressant, et il ne faut pas s'en tenir à des catégories toutes faites. Il faut creuser la trajectoire individuelle de la personne, et l'on découvre souvent des trésors d'expérience humaine vécue.