l'affaire Marty-Tillon et le mouvement Trotskyste

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par com_71 » 27 Oct 2002, 00:13

(ROUGE @ 25 octobre a écrit : Procès staliniens
Il y a 50 ans: L'affaire Marty-Tillon


L'Affaire Marty-Tillon : cela n'évoque pas grand-chose à la jeune génération. Et pourtant ! Qui étaient donc ces deux dirigeants du Parti communiste français ?

André Marty était le "héros de la mer Noire", celui qui, en 1919, officier mécanicien sur le torpilleur Protet, avait participé activement à la mutinerie des matelots qui refusaient d'être envoyés contre la jeune Révolution russe. Condamné par le gouvernement français, il sera le dernier amnistié des mutins et adhérera aussitôt au PCF. Assez rapidement, il grimpera dans l'appareil du "Parti" et de l'Internationale communiste dont il deviendra secrétaire en 1931. De 1936 à 1939 il sera chargé par elle de diriger, avec Togliatti (dirigeant du PC italien), les Brigades internationales en Espagne, où il participera aux pires exactions du Guépéou (la police politique soviétique) et les couvrira de son prestige. Il passera la seconde Guerre mondiale à Moscou puis à Alger et à la Libération n'occupera aucun poste ministériel mais sera considéré comme le n°3 du "Parti" (après Thorez et Duclos). André Marty sera le seul dirigeant communiste français ayant l'honneur d'être cité élogieusement dans la très officielle Histoire du Parti communiste - bolchevik - de l'URSS, écrite sous l'oeil vigilant de Staline en 1938.
Charles Tillon est lui aussi un ancien "mutin de la mer Noire". Libéré en 1921, il rejoint à son tour le PCF. Jusqu'à la guerre, son rôle est plus effacé que celui de Marty mais il connaîtra son heure de gloire pendant et après l'Occupation : il sera l'organisateur et le principal responsable des Francs-tireurs et partisans (FTP), l'organisation de résistance créée et contrôlée par le PCF.

L'heure des purges

En quelques semaines ces deux militants qui étaient parmi les plus populaires vont être mis en accusation, sommés de faire leur "autocritique", cependant que pendant quelques décennies on les fera disparaître de l'histoire du "Parti" (n'ayant pas le pouvoir, le "Parti" ne pouvait les faire disparaître autrement...). Brusquement, au cours de séances du secrétariat, du bureau politique puis du comité central (les instances de direction du PCF), ils sont accusés des pires forfaits :

   * désaccords politiques depuis la Libération, tentatives de travail fractionnel puis liaisons policières, pour Marty ;
   * "déviationniste" au sein du Mouvement de la paix (très lié au PCF), calomnies contre l'épouse de Thorez, manoeuvres anti-"Parti" pendant l'insurrection de Paris, réunions fractionnelles avec Marty, pour Tillon.

Au même moment se préparait le procès Slansky en Tchécoslovaquie, dont Arthur London a relaté les détails dans L'Aveu. Il est frappant de constater que certaines méthodes utilisées par les "référents" tchèques pour le faire avouer furent exactement appliquées par leurs homologues français pour faire avouer à Marty et à Tillon des crimes qu'ils n'avaient pas commis, ainsi que pour les contraindre à s'humilier et même à voter leur déchéance. On fit le vide autour d'eux. Marty fut exclu du "Parti" en 1953 et abandonné par sa femme. Il mourut le 22 novembre 1956, très isolé, après avoir noué des contacts avec ces libertaires et ces trotskystes qu'il avait dénoncés toute sa vie. Notre camarade Pierre Frank prit la parole à son enterrement à Perpignan devant quelques centaines de personnes. Bien entendu il n'y avait aucun représentant du PCF, et l'Humanité annonça le décès en quelques lignes de bas de page.
Tillon, lui, partit aussitôt avec sa femme se cloîtrer dans le Lubéron. En 1970 il décide de rompre son silence et signe un appel exigeant que le "Parti" condamne l'intervention soviétique et la "normalisation" en Tchécoslovaquie. Dûment chapitrée par le secrétaire de section d'Aix-en-Provence qui avait reçu des consignes, sa cellule vote son exclusion. Mais Tillon ne joue plus le jeu. Il explique publiquement comment il a été exclu et, pour la première fois, il accuse le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, d'avoir rempli une biographie mensongère, après son adhésion au "Parti" en 1947, en déclarant qu'il était resté en France pendant toute l'Occupation. Il accusera ensuite Marchais d'être parti travailler volontairement en Allemagne. "L'affaire Marchais" prenait la suite de "l'affaire Tillon" mais elle était moins glorieuse. L'émotion fut telle dans l'opinion que l'exclusion programmée de Tillon ne fut pas ratifiée par le comité central : que le chef des FTP ait été exclu par l'ancien métallo de la Luftwaffe (l'aviation de guerre allemande) eut été trop mal perçu. Charles Tillon est mort le 13 janvier 1993 à l'âge de 95 ans, et pour la première fois depuis une quarantaine d'années, une page lui fut consacrée dans l'Humanité où Georges Marchais le présentait comme "une grande figure de notre parti"... Certes, il rappelait qu'il avait été "écarté de ses responsabilités" à la suite "d'accusations injustes", cependant, à ce qu'il affirmait, les instances supérieures du Parti n'avaient jamais ratifié son exclusion : il était donc toujours communiste. A relire les épithètes dont le gratifiaient les dirigeants du PCF (dont le même Georges Marchais) quelques années auparavant on ne peut que tirer une conclusion : Tillon faisait partie de cette attachante catégorie de communistes que la direction du PCF préfère morts que vivants.

Si les méthodes utilisées pour écraser deux dirigeants de premier plan sont maintenant bien connues et pleinement copiées sur celles utilisées en URSS et dans les démocraties populaires, une question demeure : Pourquoi avoir choisi ces deux-là ?
Les PC devaient régulièrement éliminer des cadres afin d'assurer la tranquillité de la direction. Or les cadres à casser prioritairement étaient ceux qui jouissaient d'une popularité qu'ils avaient acquise par eux-mêmes (par exemple en ayant participé à des combats révolutionnaires ou de libération nationale) : ce n'est pas un hasard si les procès des démocraties populaires ont frappé avant tout des combattants de la guerre d'Espagne ou de la Résistance. Le PCF n'a fait que suivre. Après être resté à l'abri en URSS pendant toute la guerre, Thorez y était retourné en 1950 pour se faire traiter un accident vasculaire cérébral. Il est certain qu'il envisageait mal son retour, en santé précaire, au milieu d'une direction qui ne serait pas composée uniquement d'inconditionnels. Il fallait donc que le PCF tire les leçons des procès déjà effectués ou en préparation dans les pays de l'Est et démasque quelques brebis galeuses. Marty qui, malgré son stalinisme ostentatoire, avait conservé des séquelles de mentalité révolutionnaire et le "héros de la Résistance" Tillon étaient les victimes toutes désignées. Bien évidemment cela n'a pu se faire sans l'autorisation de Staline. Et c'est après avoir subi les foudres de son appareil que les yeux de ces deux anciens révolutionnaires commencèrent à s'ouvrir.
On a là la preuve que les militants staliniens n'étaient pas tous des bureaucrates dans l'âme et que certains d'entre eux, tels Marty, avaient couvert les pires actions en croyant sincèrement qu'ils oeuvraient pour la Révolution.

Jean-Michel Krivine.

"il participera aux pires exactions du Guépéou (la police politique soviétique) et les couvrira de son prestige"
Ces exactions étaient des assassinats de révolutionnaires.
Le rôle de Marty pendant la guerre d'Espagne, son "stalinisme ostentatoire" lui fit mériter le surnom de "boucher d'Albacete" .
On devrait également rappeler que C.Tillon était ministre de l'aviation au moment de la répression de l'insurrection de Sétif (50.000 morts).
S'adresser aux militants staliniens d'accord, mais de là à être prêt à excuser les inspirateurs et principaux artisans de cette politique criminelle....
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par pelon » 27 Oct 2002, 11:11

(com @ FALO,27 octobre a écrit :"Il participera aux pires exactions du Guépéou (la police politique soviétique) et les couvrira de son prestige"
Ces exactions étaient des assassinats de révolutionnaires.
Le rôle de Marty pendant la guerre d'Espagne, son "stalinisme ostentatoire"  lui fit mériter le surnom de "boucher d'Albacete" .
On devrait également rappeler que C.Tillon était ministre de l'aviation au moment de la répression de l'insurrection de Sétif (50.000 morts).
S'adresser aux militants staliniens d'accord, mais de là à être prêt à excuser les inspirateurs et principaux artisans de cette politique criminelle....

Je sais que la LCR n'a pas toujours été claire sur Tillon et Marty mais l'article de J.M.K. se termine par :
(extrait article Rouge @ J.M. Krivine,25 octobre a écrit :
On a là la preuve que les militants staliniens n'étaient pas tous des bureaucrates dans l'âme et que certains d'entre eux, tels Marty, avaient couvert les pires actions en croyant sincèrement qu'ils oeuvraient pour la Révolution.

Il n'est pas faux d'expliquer cela. Nous sommes beaucoup à avoir lu "sans patrie, ni fontière" de Valtin.
Bien sûr, la critique pourrait être plus dure car dans certains cas ces militants qui furent révolutionnaires à 20 ans sont devenus de véritables crapules après des années de pratique dans l'appareil stalinien.
Et ce n'est pas un des moindre crime du stalinisme que d'avoir gâché plusieurs générations de militants.
pelon
 
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Message par Louis » 27 Oct 2002, 16:55

a écrit :
S'adresser aux militants staliniens d'accord, mais de là à être prêt à excuser les inspirateurs et principaux artisans de cette politique criminelle....

Je ne pense pas que cela soit le propos de jmk



a écrit :
On a là la preuve que les militants staliniens n'étaient pas tous des bureaucrates dans l'âme et que certains d'entre eux, tels Marty, avaient couvert les pires actions en croyant sincèrement qu'ils oeuvraient pour la Révolution.


Avant d'etre le boucher de ceci et le flic de cela, tillon avait aussi participé a quelques unes des plus belles pages du mouvement révolutionnaire en france

et apres les ftp ne sont pas non plus exemple de reproche, et des assasin&ats de trotskystes peuvent leur etre repproché

Maintenant, l'histoire semble indispensable pour comprendre le stalinisme et sa nature profondément contradictoire, et les impasses ou il mene meme ses plus farouches contempteurs
Louis
 
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Message par com_71 » 28 Oct 2002, 20:32

(LCR @ 27-10 a écrit :et après les FTP ne sont pas non plus exempts de reproches, et des assassinats de trotskystes peuvent leur être reprochés

Je te rappelle que l'UC a refusé explicitement de se réclamer de la Résistance.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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