A propos de l'incendiaire du Reichstag

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par gerard_wegan » 06 Juin 2003, 23:09

Trop tard, LCR :D ... mais pour ne pas polluer trop ce fil, j'en ai ouvert un autre avec l'article de "Lutte de Classe" de juin 1977 sur l'"Affaire Varga".
gerard_wegan
 
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Message par gerard_wegan » 12 Juin 2003, 17:06

Retour à la discussion politique...
... un "acharnement" qui ne fait pas de mal !
:D

(précisons d'emblée que je ne fais pas de cette discussion "une affaire personnelle" contre Rojo... il se trouve simplement que c'est lui qui a formulé les idées que je discute ci-dessous)


Ainsi, à propos de Van der Lubbe :
CITATION ( Rojo @ mercredi 4 juin 2003 - 16:42)
Ce qu'il a fait était non seulement stupide, mais criminel.
[/quote]
... et, à nouveau :
CITATION ( Rojo @ mercredi 4 juin 2003 - 20:43)
Ce qu'il a fait était à la fois stupide et criminel.
[/quote]
... la chose semble donc entendue : l'incendie du Reichstag serait donc, et "stupide", et "criminel". Mais est-ce vraiment si simple ?


* Je ne polémiquerai pas sur le terme "stupide" : c'est certes un peu court comme caractérisation politique mais je pense que, sur le fond, on est d'accord -- il s'agit de nier à des actes individuels de destruction, de sabotage ou de terrorisme, perpétrés hors de combats menés consciemment par une frange au moins du prolétariat, toute vertu de "réveiller le peuple" ou de "tirer de l'avant" la révolution (voir à ce sujet le très bon article de Anton Pannekoek, dans PIC n°7, de mars 1933 : "L'acte personnel").


* Le terme "criminel" est plus problématique !
Il ne s'agit évidemment pas ici de qualification juridique : il n'est pas sûr qu'existe un seul droit au monde dans lequel l'incendie volontaire d'un bâtiment public -- fut-il un parlement -- est qualifié de crime, a fortiori passible de la peine de mort ! Ce n'était même pas le cas en Allemagne au moment de l'incendie du Reichstag : il faudra le vote d'une loi rétroactive ad hoc pour pouvoir décapiter Van der Lubbe sous ce seul chef d'accusation...

Il s'agit donc d'autre chose : l'incendiaire du Reichstag porterait une responsabilité lourde et directe dans le déclenchement d'une vague de répression massive contre le KDP (puis plus généralement contre l'ensemble du mouvement ouvrier) par les nazis.
C'est bien, me semble-t-il, ce que dit Rojo lorsqu'il écrit :
CITATION ( Rojo @ mercredi 4 juin 2003 - 20:43)
...faire un truc pareil dans une période pareille, ne pouvait être que l'acte d'un fou manipulé ou d'un total irresponsable.
[/quote]
C'est là que le bât blesse...

Regardons la situation en face :
D'une part, la bourgeoisie impérialiste allemande en marche vers une nouvelle guerre mondiale avait poussé au pouvoir les nazis avec la mission d'atomiser le prolétariat allemand, d'annihiler ses capacités de résistance collective et d'écraser physiquement ses organisations qui ne seraient pas directement inféodées à l'Etat. Le premier sur la liste était évidemment le KPD, et les intimidations, arrestations et même assassinats avaient commencé dès l'accession des nazis au pouvoir (donc avant fin février 33). On sait (même Badia le cite) que l'interdiction du KPD avait été envisagée lors de l'une des toutes premières réunions du nouveau cabinet formé par Hitler : seules les craintes d'une réaction générale de la classe ouvrière l'avait conduit à différer cette mesure... dans l'attente d'une "occasion" qui permettrait de "justifier" l'interdiction. L' "occasion" ne pouvait d'ailleurs trop se faire attendre, au risque pour Hitler de devoir passer ouvertement outre à un possible revers électoral début mars. Tout était donc prêt pour la répression... jusqu'aux listes de militants communistes que l'administration nazie avait récupérées de l'ancienne police "social-démocrate" de Berlin ! On connaît la suite : l'incendie du Reichstag offrira cette "occasion" ; la répression débutera la nuit même !

Où en était d'autre part le KPD ? Il se contentait de préparer les élections de mars, persuadé, comme l'écrivait encore début février son organe die rote Fahne que "Hitler gouverne - mais le communisme avance"... Son siège berlinois avait bien été perquisitionné par les nazis, certains de ses militants pourchassés, plusieurs dirigeants entrés en semi-clandestinité, qu'importe : on préparait les élections qui allaient certainement faire chuter le cabinet de Hitler !... tout en continuant à expliquer aux travailleurs que le "social-fascisme" représentait un bien plus grand danger !
Mais la politique du KPD conservait-elle un volet de rechange, en cas d'échec de ces plans grandioses ? Il semble que même certains dirigeants du KPD l'aient cru :
CITATION ( "Maria Reese et le comintern" - Léon Trotsky - 10 novembre 1933)
Dans sa « Lettre ouverte » publiée par le journal Unser Wort, Maria Reese a dit la dure et amère vérité sur le parti auquel elle appartenait encore récemment. L'agence allemande de la bureaucratie du Comintern n'a rien compris, n'a rien prévu, n'a rien préparé. Elle a remplacé le travail révolutionnaire par des phrases creuses et des rodomontades. Elle a trompé les ouvriers et le parti année après année. Le comité central a trompé même son propre appareil. Des gens qui occupaient dans le parti des postes responsables, comme Torgler , le chef de la fraction parlementaire, ou Maria Reese elle-même, députée au Reichstag, ont cru honnêtement jusqu'au dernier moment que le comité central avait ses plans, qu'il avait préparé les forces nécessaires pour se battre, que le Comintern savait où il conduisait les travailleurs allemands.
[/quote]
... en fait, il n'en était rien !
CITATION ( "Maria Reese et le comintern" - Léon Trotsky - 10 novembre 1933)
Le comité central a laissé le parti à la dérive, sans direction, sans mots d'ordre, sans même explications ; il n'y a pas de précédent d'une trahison semblable des dirigeants dans l'histoire de la lutte révolutionnaire.
[/quote]

Dans de telles conditions, le KPD ne pouvait que périr : en l'absence de toute préparation du parti et des travailleurs au combat inéluctable contre les nazis, le gain d'un délai (qui ne pouvait être que court) n'aurait -- malheureusement ! -- rien changé au résultat. Or le geste individuel de Van der Lubbe n'a influé que sur ce délai, en fixant l'échéance au soir du 27 février 1933. En d'autres termes, il n'a eu qu'une importance tout à fait marginale sur le fond du drame qui se jouait alors pour la classe ouvrière allemande et, de ce point de vue là, son "crime" ne fut pas bien grand.

Il en aurait été évidemment tout autrement si une "provocation" avait précipité un affrontement qui aurait trouvé, malgré une politique juste, le prolétariat allemand dans un état d'impréparation le conduisant à la défaite. Mais il ne s'agit pas de cela ici : la classe ouvrière allemande, du fait de la politique criminelle (là, oui) du Comintern, a été livrée sans combat à la terreur nazie. Tout laisse d'ailleurs à penser (à condition d'avoir un minimum lu Van der Lubbe) que si le KPD avait mené une politique juste face à la montée du nazisme, l'incendiaire du Reichstag n'aurait pas accompli son geste... La boucle est bouclée !


Remarquons pour finir que si quelqu'un comme Badia, bon stalinien, a continué longtemps après guerre, non seulement à reprendre à son compte la légende du "complot nazi", mais aussi à attribuer à l'incendie du Reichstag une telle importance comme "acte de naissance du régime nazi", c'est -- outre son ignorance (réelle ou feinte) de tout ce qui démontait en tous points la thèse stalinienne -- que cette théorie du complot joue un rôle central comme feuille de vigne de la politique du Comintern : si on la retire, il reste cette politique dans toute sa nudité... incapable qu'elle a été de permettre au prolétariat allemand d'opposer la moindre résistance effective à l'écrasement programmé du mouvement ouvrier !... incapable même de comprendre son propre échec :
CITATION ( résolution du présidium de l'exécutif de l'I.C. sur « La situation en Allemagne »)
L'établissement d'une dictature fasciste ouverte accélère le rythme du développement d'une révolution prolétarienne en Allemagne en détruisant toutes les illusions démocratiques des masses et en les libérant de l'influence de la social-démocratie (avril 1933)
[/quote]
En ce sens, la discussion précise sur le rôle réellement joué par les différents protagonistes dans l'incendie du Reichstag (revendiqué comme acte individuel par Marinus van der Lubbe) n'est pas un "détail" !
gerard_wegan
 
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Message par Louis » 12 Juin 2003, 20:06

Et sinon, comment s'est passé le débat a la fête ???
Louis
 
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Message par gerard_wegan » 13 Juin 2003, 10:38

... Bien, puisqu'il n'y avait presque personne :D
gerard_wegan
 
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