a écrit : 1 - Je trouve que ce que tu dis s'éloigne de ce que dis Trotsky. Et puis Trotsky fait bien le lien avec le matérialisme, la science et ses futures doctrines(donc sûrement, avec celles de la physique). Il utilise l'expression : Matériau de construction, c'est bien plus qu'une logique ou un cadre générale de pensée ou je sais pas quelle autre expression similaire. Les liens entre la théorie et la pratique, entre la réflexion et l'action sont toujours mis en avant, ne sont jamais subordonnés.
Je ne dis surtout pas qu'il ne faut pas faire de lien entre matérialisme dialectique et science. Je pense que raisonner dialectiquement est nécessaire pour comprendre pleinement et adéquatement tout processus, qu'il soit social ou naturel (même si on peut, et c'est ce qui a été fait pour l'essentiel jusqu'ici en science, formuler des théories et lois scientifiques sans recours explicite ou conscient à la dialectique). Ce que je dis c'est que les "lois" ou principes de la dialectique n'ont pas le même statut, ne jouent pas le même rôle dans la connaissance que les lois scientifiques. La dialectique se situe au niveau le plus général des catégories de la pensée. Elle permet d'appréhender le réel non comme une juxtaposition d'objets, d'essences figées, mais comme des processus liés les uns aux autres, dont l'existence est indissociable du mouvement, et le mouvement produit par les contradictions internes. Mais la dialectique en tant que telle ne décrit pas et n'explique pas dans le détail les phénomènes. Elle est l'expression dans la théorie du fait le plus général que la réalité est constituée de matière en mouvement, mais elle ne caractérise pas les différents types de mouvement de la matière aux différents niveaux d'organisation où ils se produisent.
Pour reprendre ce qu'écrit Trotsky (comme quoi je suis pas contre les métaphores à but pédagogique):
("LT @ défense du marxisme" a écrit :La pensée dialectique est à la pensée vulgaire ce que le cinéma est à la photographie. Le cinéma ne rejette pas la photo, mais en combine une série selon les lois du mouvement.
Pour comprendre le monde, il est nécessaire d'en saisir le mouvement, de comprendre le principe général que ce mouvement n'est pas quelque chose d'extérieur qui vient s'appliquer à des choses bien délimités mais est produit par les contradictions qui constituent les choses (c'est à dire les processus) même. Pour comprendre adéquatement le réel, il est nécessaire de "passer de la photo au cinéma", mais comprendre cela ne donne pas le contenu du film. Pour cela il faut une description précise de ce qu'il y a à l'images (ça, c'est le rôle des sciences). Bref, pas de compréhension du monde sans dialectique, mais cela n'implique pas qu'une fois qu'on a énoncé la dialectique on a trouvé tout le contenu des sciences, ni que les lois de la dialectique se situent au même niveau que les lois scientifiques (au sens ou elles pourraient se substituer à elles).
C'est d'ailleurs pour cela que les écrits d'Engels sur la dialectique de la nature sont à la fois datés du point de vue du contenu scientifique concret (et ce n'est pas un reproche, Engels était simplement tributaire du développement des sciences de son temps), et restent malgré tout profondément pertinents (et assez indispensables) du point de vue de la logique génrale qu'il expose.
a écrit :2 - C'est "un petit peu" vraie et ça obéissait à un évident souci pédagogique. Et ça reste ça pour le moment, on se limite pas à ça, il a simplement fait observer le coeur de la Dialectique, l'ossature du mouvement, de la matière.
Le problème ce n'est pas de tenter de vulgariser la dialectique sous la forme d'énoncés généraux.. Mais il faut comprendre qu'en rester à de tels énoncés apauvrit terriblement la compréhension de la dialectique. En particulier, le fameux truc des "3 lois". D'ailleurs pourquoi simplement trois? Trotsky, toujours dans le même texte, développe plus que cela:
(Trotsky a écrit :Dans sa Logique, Hegel établit une série de lois: le changement de la quantité en qualité, le développement à travers les contradictions, le conflit de la forme et du contenu, l'interruption de la continuité, le passage du possible an nécessaire, etc., qui sont aussi importantes pour la pensée théorique que le simple syllogisme pour des tâches plus élémentaires.
Lénine, dans ses commentaires sur la Logique de Hegel encore plus (malheureusement, ce n'est sur MIA qu'en anglais):
(Lenine a écrit :Summary of Dialectics
1) The determination of the concept out of itself [the thing itself must be considered in its relations and in its development];
2) the contradictory nature of the thing itself (the other of itself), the contradictory forces and tendencies in each phenomenon;
3) the union of analysis and synthesis.
Such apparently are the elements of dialectics.
One could perhaps present these elements in greater detail as follows:
1) the objectivity of consideration (not examples, not divergencies, but the Thing-in-itself).
2) the entire totality of the manifold relations of this thing to others.
3) the development of this thing, (phenomenon, respectively), its own movement, its own life.
4) the internally contradictory tendencies (and sides) in this thing.
5) the thing (phenomenon, etc) as the sum and
unity of opposites.
6) the struggle, respectively unfolding, of these opposites, contradictory strivings, etc.
7) the union of analysis and synthesis - the breakdown of the separate parts and the totality, the summation of these parts.
8) the relations of each thing (phenomenon, etc.) are not only manifold, but general, universal. Each thing (phenomenon, etc.) is connected with every other.
9) not only the unity of opposites, but the transitions of every determination, quality, feature, side, property into every other [into its opposite?].
10) the endless process of the discovery of new sides, relations, etc.
11) the endless process of the deepening of man's knowledge of the thing, of phenomena, processes, etc., from appearance to essence and from less profound to more profound essence.
12) from co-existence to causality and from one form of connection and reciprocal dependence to another, deeper, more general form.
13) the repetition at a higher stage of certain features, properties, etc., of the lower and
14) the apparent return to the old (negation of the negation).
15) the struggle of content with form and conversely. The throwing off of the form, the transformation of the content.
16) the transition of quantity into quality and vice versa (15 and 16 are examples of 9)
In brief, dialectics can be defined as the doctrine of the unity of opposites. This embodies the essence of dialectics, but it requires explanations and development.
Le tout c'est simplement de comprendre qu'on n'a pas fait le tour de la dialectique, ni même de son "coeur" avec les trois lois. Et qu'il serait d'ailleurs profondément anti-dialectique de croire pouvoir caractériser dans sa totalité la dialectique avec un certain nombre (même grand) de critères ou lois formels. D'ailleurs dans ce que j'ai cité ci-dessus, ni Lénine, ni Trotsky ne font de leur exposé des lois, une liste exhaustive. Et quand je précise que ni Hegel, ni Marx n'ont produit une série de lois ou principes de la dialectique, ce n'est pas pour dire que Engels, le faisant, aurait trahi je ne sais quoi, mais qu'il était bien clair que la formulation en lois formelles de la dialectique ne peut être qu'une approximation, une toute première approche, qui est très loin de donner une vision claire de la dialectique (et cela était bien sûr le point de vue d'Engels lui-même). Engels a eu raison de le faire, mais il l'a fait, je le répète par souci pédagogique (ce qui n'était absolument pas la préoccupation de Hegel, et ce que Marx, qui semble-t-il avait prévu d'écrire sur la dialectique après le Capital n'a pas eu l'occasion de faire).
Ce qui nous amène à:
a écrit :3 - Je pense pas que parceque les staliniens ont détourné le marxisme dans tous les sens, pour les intérêts bureaucratiques et ceux des bourgeoisies internationales que nous on va se mettre à maltraiter le vieux Engels pour ses efforts, son travail pédagogique(Hegel était mort depuis bien longtemps et Marx ne serait pas d'accord avec Engels ?).
Certes on ne va pas reprocher à Engels ce que les staliniens ont fait de ses écrits. Mais justement, je ne reproche rien à Engels, ce que je dis, c'est simplement qu'il ne faut pas, nous, faire comme les staliniens en sacralisant les "3 lois de la dialectique". Car en réduisant la dialectique à ces trois lois, ils l'ont vidée de son contenu, transformée précisément en son contraire, une série de critères formels abstraits. Donc oui à la formulation de la dialectique sous forme d'un nombre fini de principes généraux comme première approche. Mais en voyant bien les limites d'une telle formulation, et à condition d'étudier cela toujours en lien avec un contenu réel et pas comme des principes abstraits. Et surtout pas en faisant de lois abstraites les "lois fondamentales de l'univers", c'est à dire des principes généraux venant s'appliquer comme de l'extérieur au monde.
Pour le dire encore autrement, c'est parce que le monde est constitué de matière, c'est-à-dire indissociablement de mouvement, que la dialectique en permet une description plus riche, plus complète, et donc plus adéquate, et même qu'à partir d'un certain niveau de détail ou de complexité elle devient même assez nécessaire (en particulier pour élaborer une compréhension de la société permettant de la transformer). Au passage dire cela c'est aussi affirmer le fondement matérialiste de la dialcetique, produite par ce qu'est le monde matériel. Mais cela ne signifie pas que les processus matériels puissent se réduire à l'énoncé abstrait des principes de la dialectique, ou que ceux-ci puissent se substituer aux sciences dans leur fonction d'énoncer et de caractériser les différents processus spécifiques qui constituent le monde.