Double violence

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Louis » 24 Juin 2003, 19:38

Issu du Collectif féministe de solidarité créé en 1996 en soutien aux sans-papières et sans-papiers de l'église Saint-Ambroise, le Rajfire (1)s'est organisé en 1998 pour mener une action durable au carrefour des luttes féministes et de celles pour les droits des étrangères et des étrangers. Ses militantes animent une permanence d'information et de solidarité à la Maison des femmes de Paris. L'association se situe dans la continuité de la lutte pour l'autonomie des femmes immigrées et pour l'égalité des droits lancée il y a plus de vingt ans par des groupes de femmes issues de l'immigration dans un contexte de migrations familiales et de dépendance des femmes migrantes.

C'est en incluant les femmes qu'il faut penser les revendications de régularisation des sans-papiers, de liberté de circulation et d'installation et de respect du droit d'asile. La législation française doit reconnaître un groupe social fondé sur le sexe et la sexualité, qui peut être l'objet de persécutions, violences et discriminations en tant que tel. Le droit d'asile pour les victimes de persécutions sexistes ou lesbophobes doit être reconnu. La nouvelle loi sur le droit d'asile ne satisfait en rien à cette exigence.
Les réalités complexes et diversifiées des situations et des parcours des femmes sont négligées par les lois et souvent oubliées dans les combats militants : femmes migrant de plus en plus nombreuses de manière autonome, mais hors de tout cadre légal, jeunes filles menacées de reconduite à la frontière à leur majorité, femmes victimes du système prostitutionnel et de l'exploitation sexuelle. Les lois françaises (depuis 1998) ouvrent quelques possibilités de régularisation aux sans-papiers, mais avec une conception très restrictive des liens personnels et familiaux donnant accès au séjour légal, qui excluent nombre de femmes de ce droit ou les contraignent à des modes de vie très normatifs. L'autonomie des femmes demeure une question centrale, puisque la majorité d'entre elles n'ont accès au droit au séjour qu'en raison de leurs liens conjugaux. En cas de séparation, de divorce, de répudiation ou de polygamie de l'époux, elles perdent leur droit au séjour. Et ce alors que s'appliquent en France des codes de statut personnel discriminatoires. Ce qui pose le problème des violences conjugales et de leurs conséquences, ainsi que celui de l'immigration de travail des femmes.
La législation et la réglementation françaises sur l'entrée et le séjour des personnes étrangères n'est pas sexuée, mais il est possible d'en faire une analyse critique sous l'angle du genre en prenant en compte l'interaction entre ces textes et les réalités sociales d'inégalités entre hommes et femmes.
Ainsi le projet de loi Sarkozy sur l'entrée et le séjour des personnes étrangères renforce la dépendance des femmes vis-à-vis de leur époux et, tout en prétendant favoriser leur "intégration", accentue leur précarité. Alors qu'une femme venue par le biais du regroupement familial obtenait la même carte que son conjoint (le plus souvent une carte de résident de dix ans), désormais ne lui sera délivré qu'une carte de séjour d'un an renouvelable cinq fois. La même précarisation atteint les épouses de Français qui doivent attendre deux ans, au lieu d'un, pour obtenir une carte de résident.
Dans les deux cas, la délivrance et le renouvellement des titres de séjour sont fonction du maintien de la communauté de vie entre les époux. Cette dépendance peut concerner aussi les hommes, mais 80 % des adultes arrivant en France par le regroupement familial sont des femmes. Or les violences conjugales sont le fait des hommes. L'impossibilité de quitter le domicile conjugal pour les femmes étrangères victimes de ces violences est ainsi renforcée. C'est donc bien à l'égard des femmes que la loi française est discriminatoire. Elle conforte le pouvoir des hommes et contraint les femmes à renoncer à leur liberté individuelle et à leur intégrité physique sous peine de perdre leur droit au séjour. Certes, dans une circulaire du 19 décembre 2002, le ministre de l'Intérieur a demandé aux préfets de prendre en compte la situation des femmes victimes de violence : si des femmes peuvent voir renouveler leur titre de séjour malgré une séparation d'avec leur mari, c'est au cas par cas, de façon arbitraire, et en fonction de la pression que pourront exercer les associations qui les soutiennent.
Une autre forme de répression a été instaurée par la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003. Celle-ci fait des personnes exploitées par le système prostitutionnel de véritables délinquantes, le "racolage" pouvant entraîner le retrait de leur titre de séjour. Le projet de loi sur l'immigration entérine cette "double peine". Quant aux femmes sans papiers qui souhaitent s'affranchir du système prostitutionnel ou du trafic des femmes, c'est encore au "cas par cas" qu'elles peuvent espérer une régularisation.
Un dernier exemple : bien qu'il affirme vouloir prévenir les mariages forcés, ce projet de loi ne résout en rien les problèmes des femmes étrangères qui ont vécu en France mais qui ont dû en partir en raison de cette pratique ou d'autres pressions sociales et familiales. Quand elles parviennent à revenir, leur titre de séjour a expiré et elles se retrouvent sans papiers.
Ces situations de double violence et de double discrimination vécues par les femmes migrantes sans papiers ou en situation précaire sont bien connues de tous les groupes qui, comme le Rajfire, agissent avec elles sur le terrain. Aussi un comité d'action "Droits des femmes, droit au séjour contre la double violence" s'est constitué pour lutter de façon coordonnée. Il a interpellé le ministre de l'Intérieur et les parlementaires et obtenu un entretien au ministère de l'Intérieur afin de faire connaître ses analyses et ses revendications.
Mais pour construire un rapport de forces et imposer des changements politiques, il faut organiser un réseau plus large encore, à l'échelle de la France et de l'Europe. Il faut également que toutes les organisations, féministes ou de défense des droits des étrangers, reprennent à leur compte cette lutte.

Clara domingues et Claudie Lesselier

l. Rajfire, c/o Maison des femmes de Paris, 163, rue de Charenton, 75012 Paris. Tél : 01 43 43 4113, fax : 01 43 43 42 13, courriel : [url=mailto:rajfire@wanadoo.fr]rajfire@wanadoo.fr[/url]. ; site : http://maisondesfemmes.free.fr/rajfire.htm.

Rouge 2022 19/06/2003
Louis
 
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