21 juin 1973

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Louis » 26 Juin 2003, 19:13

Souvenirs, souvenirs....

CITATION (Rouge)Il y a trente ans, suite à des affrontements entre les "forces de l'ordre" et des militants antifascistes, la Ligue communiste était dissoute. Retour sur une page de notre histoire.

Le 28 juin 1973, le Conseil des ministres décide, sur proposition du ministre de l'Intérieur, Raymond Marcellin, de dissoudre la Ligue communiste. Fausse symétrie qui ne trompe personne, le groupe fasciste Ordre nouveau est également interdit. Plusieurs dirigeants de la Ligue sont incarcérés, son local et sa librairie sont mis à sac par la police.
Le prétexte de ces décisions pour le moins étonnantes ? Les affrontements violents qui avaient opposé, une semaine auparavant, les forces policières et plusieurs milliers de manifestants antifascistes protestant contre la tenue d'un meeting d'Ordre nouveau au thème sans ambiguïté : "Halte à l'immigration sauvage !" Les affrontements avaient causé plusieurs dizaines de blessés dans les rangs des forces de l'ordre. La Ligue communiste était la principale organisatrice de cette manifestation au but explicite : "meeting fasciste, meeting interdit !" Retranchés dans la Mutualité, les fascistes étaient protégés par un impressionnant dispositif policier. Situation peu commune : ce sont les manifestants, casqués et armés de cocktails Molotov, qui ont chargé la police, l'obligeant à reculer à plusieurs reprises.
Il est aujourd'hui difficile de comprendre ces événements sans les replacer dans le contexte de l'époque. L'esprit de Mai 68 soufflait toujours : dans la jeunesse scolarisée, dans les entreprises et dans bien d'autres couches de la société. Des dizaines de milliers de personnes s'engageaient pour un changement radical de société. L'irruption du mouvement de libération des femmes allait bouleverser la société française en profondeur. En Italie, le "Mai rampant" reposait la question d'une stratégie révolutionnaire. A nos portes, dans l'Etat espagnol, au Portugal et en Grèce, le mouvement ouvrier menait un combat difficile et clandestin contre des dictatures militaires fascisantes.
La Ligue partageait alors avec d'autres organisations d'extrême gauche une conviction : en Europe occidentale, le développement impétueux des luttes sociales déboucherait rapidement - dans les "quatre ou cinq années à venir" - sur des confrontations révolutionnaires. Pour briser l'offensive sociale et conserver son pouvoir, la bourgeoisie se servirait de tous les moyens : mesures répressives, utilisation de l'armée ou des bandes fascistes. Cette dernière hypothèse s'appuyait sur une réalité vécue : violences policières et utilisation de milices privées contre les grévistes, filatures et fichage de militants politiques et syndicaux, écoutes téléphoniques illégales, ratonnades contre les immigrés, assassinat de Pierre Overney, jeune ouvrier maoïste, par un vigile de la régie Renault. Il fallait donc s'y préparer.
Discréditée par la collaboration avec les nazis et le soutien aux sales guerres coloniales, l'extrême droite française entendait bien se reconstruire à travers une campagne raciste contre les immigrés, une stratégie que reprendra plus tard le Front national. D'où notre volonté d'éviter la banalisation des fascistes et de les "écraser dans l'oeuf".

La Ligue continue !

Nombreux, y compris à gauche, manifestèrent leur désaccord avec notre initiative. Les plus bienveillants pensaient que la Ligue était tombée dans une provocation. Après avoir dissous la Gauche prolétarienne, une organisation d'inspiration maoïste, Marcellin crût un peu rapidement pouvoir renouveler l'opération avec la Ligue. D'abord saisie de stupeur après la diffusion télévisée d'images spectaculaires d'affrontements, l'opinion publique se retourna assez rapidement. D'abord la presse dut rendre compte du contenu du meeting fasciste : déclarations racistes, xénophobes et antisémites, menaces de mort. Le vrai scandale n'était donc pas la manifestation, même si ses formes ne pouvaient recueillir l'assentiment populaire, mais la tenue d'un tel meeting ! Le principal syndicat de policiers diffusa de nombreux témoignages prouvant que la police avait protégé les fascistes qui déchargeaient en toute impunité des stocks de barres de fer et de boucliers. D'autres témoignages attestèrent que la hiérarchie policière, pourtant informée de la formation de la manifestation, n'en avait pas averti les unités présentes sur le terrain, qu'elle avait abandonnées sans consignes ni équipement suffisant. Résultat : Le Nouvel Observateur put qualifier Marcellin de "suspect numéro un".
Les organisations syndicales, tous les partis et dirigeants de gauche, des magistrats ainsi que de nombreux artistes et intellectuels protestèrent contre la dissolution de la Ligue. Grande première : le Cirque d'hiver accueillit un meeting de solidarité où, après de nombreux autres orateurs, Jacques Duclos, dirigeant du PCF, déclara "élever une vigoureuse protestation contre l'arrestation d'Alain Krivine et contre la dissolution de la Ligue communiste". Attitude nouvelle : le PCF avait jusqu'alors traité les militants révolutionnaires de "gauchistes-Marcellin". Néanmoins, la Ligue fut interdite de parole au cours de ce meeting convoqué… pour la défendre.
Au cours de l'été, les dirigeants emprisonnés furent relâchés. Les poursuites judiciaires se perdirent opportunément dans les sables de la procédure. Marcellin avait raté son coup et, quoique dissoute, la Ligue n'en continua pas moins à fonctionner et à intervenir autour de Rouge qui n'avait pas été interdit. Quelques mois plus tard naquit le Front communiste révolutionnaire. Ni le gouvernement ni la justice n'osèrent invoquer le délit de "reconstitution de ligue dissoute". Dernier clin d'oeil, fin 1974, le congrès de l'organisation décida de prendre le nom de Ligue communiste… révolutionnaire.
Ces événements nourrirent un intense débat dans nos rangs : le 21 juin avait-il été une erreur ? Fallait-il pour autant ne rien faire ? La Ligue avait-elle failli basculer dans la violence minoritaire ?
Périodiquement, cette dernière question revient sous diverses plumes : l'ainsi nommée "tentation insurrectionnelle" dont la Ligue était soupçonnée aurait-elle pu donner naissance à une dérive terroriste comme ce fut le cas pour d'autres organisations en Allemagne (bande à Baader) ou en Italie (Brigades rouges) ? C'est oublier un peu vite que la réflexion stratégique de notre courant exclut le terrorisme et que, si la Ligue était une petite organisation, ses liens avec le mouvement ouvrier, produits d'une longue histoire, étaient beaucoup plus étroits que ceux des groupes qui versèrent dans le terrorisme. C'est oublier surtout que l'action de la Ligue communiste était loin de se réduire aux "exploits" de son service d'ordre. Dans les mois qui précédèrent le 21 juin, la Ligue avait animé un mouvement rassemblant des centaines de milliers de lycéens contre la réforme des sursis (loi Débré). Elle avait organisé une conférence de salariés réunissant plusieurs centaines de sympathisants, preuve d'un début d'implantation dans le monde du travail.
Mais le 21 juin marquait bien une rupture avec la période de l'immédiat après-68. Une autre aventure commençait avec Lip, le Larzac, les comités de soldats, la confrontation avec l'Union de la gauche. Et la construction d'une organisation révolutionnaire indépendante immergée dans le mouvement social. Et toujours résolument antifasciste.

François Duval.

Rouge 2023 26/06/2003[/quote]
Louis
 
Message(s) : 0
Inscription : 15 Oct 2002, 09:33

Message par pelon » 26 Juin 2003, 22:32

CITATION
CONTRE LA DISSOLUTION
DE LA LIGUE COMMUNISTE 9/73

Le 28 juin dernier, le gouvernement français interdisait la Ligue Communiste (section
française de la IV e Internationale - Secrétariat Unifié). Quelques jours auparavant Pierre
Rousset, un de ses dirigeants, avait été arrêté lors d'une perquisition au local parisien
de la Ligue Communiste, perquisition au cours de laquelle la police avait saccagé la
librairie et une partie de l'imprimerie. Deux jours plus tard, Alain Krivine, le plus connu
des leaders de la Ligue Communiste, était arrêté à son tour.
Le prétexte à cette dissolution, invoqué par le ministre de l'Intérieur, était la contre-manifestation
organisée par un certain nombre de groupes d'extrême gauche, parmi
lesquels la Ligue Communiste était le plus important mais non le seul, à l'occasion d'un
meeting raciste «contre l'immigration sauvage» tenu à Paris par l'organisation d'ex-trême
droite Ordre Nouveau.
Le prétexte pouvait sembler en or au gouvernement. Pratiquant l'amalgame, il interdisait
du même geste et la Ligue Communiste et Ordre Nouveau dont il avait fait pourtant
protéger le meeting par sa police quelques jours plus tôt. Ainsi il pouvait se présenter
comme le champion impartial de l'ordre contre les fauteurs de désordre, quels qu'ils
soient, de droite comme de gauche.
Mais c'était bien la Ligue Communiste qui était visée. Ce sont ses militants qui ont été
arrêtés et poursuivis. Pour cela, le pouvoir a dû aller chercher des lois vieilles de quarante
ans, alors qu'Ordre Nouveau et ses membres, qui tombaient pourtant sous le coup
de récentes lois contre le racisme, promulguées par l'actuel gouvernement lui-même,
n'étaient inquiétés en rien.
Messmer et Marcellin, l'ex-légionnaire et l'actuel premier flic de France, ont sans
doute cru qu'en interdisant l'une des principales organisations de l'extrême gauche, ils
allaient porter à celle-ci un coup sensible. Peut-être même, car la mesquinerie n'est pas
absente chez nos politiciens, ont-ils encore plus simplement voulu se venger de cette
extrême gauche qui, quelques semaines auparavant, avait été à la tête des luttes des
étudiants et des élèves des lycées et des collèges, luttes qui avaient montré la totale
impuissance du pouvoir contre la révolte de la jeunesse. Enfin  et ce n'est sans doute
pas le moins important des motifs  cette interdiction de la Ligue Communiste venait
compléter la figure que ce gouvernement a choisi de se donner : celle du champion de
l'ordre moral. Messmer, son chef, multiplie les déclarations conservatrices ou mêmes
réactionnaires. Druon, ministre de la culture et académicien, s'en prend aux artistes et
intellectuels contestataires. Royer, maire de Tours, qui s'y est fait une réputation de
cagot puritain, est appelé au sein du gouvernement où, en tant que ministre de l'artisanat
et du commerce, son premier geste est de réclamer l'abaissement de l'âge limite de
la scolarité obligatoire de 16 à 14 ans. Marcellin a voulu donner la dernière touche au
tableau, en montrant que ces champions de l'ordre, de la morale et de la réaction, ne se
contentaient pas de paroles mais étaient fort capables de passer aux actes.
Ce que le gouvernement n'escomptait pas, c'était l'ampleur des réactions devant son
mauvais coup. Réactions de l'extrême gauche, bien sûr, mais aussi de la gauche. Pour
la première fois on a vu ainsi le Parti Communiste Français protester publiquement contre
les coups qui étaient portés contre une organisation trotskyste, et participer même à
l'organisation de meetings de solidarité. On n'avait jamais vu cela en France. Depuis
1968, chaque fois que le P.C.F. parlait des «gauchistes», c'était pour les attaquer, les
vilipender, les insulter. Réactions en France, mais aussi à l'étranger. D'un peu partout,
d'innombrables organisations d'extrêmegauche et de gauche ainsi un certain nombre
de députés du Labour Party de Grande-Bretagne, par exemple firent connaître leur
réprobation contre l'interdiction et leur solidarité avec la Ligue Communiste.
Et comme toujours lorsqu'il a affaire avec un fort mouvement de l'opinion publique, ce
pouvoir qui se veut musclé et fort, a commencé à tourner en rond et même à battre en
retraite. Tout de suite, certains ministres ont fait savoir qu'ils étaient en désaccord avec
l'interdiction. Une partie de la majorité gouvernementale ne s'est pas gênée pour affirmer
que le pouvoir avait fait un pas de clerc qui, loin de porter un coup à l'opposition
révolutionnaire, avait au contraire contribué à souder un peu plus l'opposition tout court.
Au sein même de l'appareil d'État, dans la police et la magistrature, les critiques se firent
entendre haut et fort.
Aussi maintenant le pouvoir, non seulement hésite, mais tente de se débarrasser en
douceur de cette affaire qu'il a lui-même créée de toutes pièces. Alain Krivine, maintenu
en prison plusieurs semaines, a été finalement libéré sous caution en plein milieu des
vacances, une date choisie sans doute pour que cette libération, véritable désaveu de
l'action de Marcellin, passe le plus inaperçue possible. Pierre Rousset, lui, a été jugé
quelques semaines plus tard et s'est vu infliger deux mois de prison ferme. Du point de
vue de la stricte justice cette sentence est parfaitement inique. Mais du point de vue politique
elle est surtout une nouvelle preuve que le pouvoir recule. Deux mois fermes c'est
en effet le temps exact que Rousset vient de passer en prison préventive (et on sait
qu'en France les juges ont l'habitude de justifier cette prison préventive en infligeant de
toute manière au prévenu, qu'ils le jugent condamnable ou pas, une sentence qui corresponde
au temps de prison qu'il a déjà fait préventivement). C'est aussi la limite au-delà
de laquelle il aurait eu à accomplir une autre peine pour laquelle il avait obtenu un
sursis lors d'un procès précédent.
De toute évidence la justice ne confirme pas la politique de répression de l'exécutif.
De toute évidence le pouvoir recule. Si cela se confirme il est à parier que le procès d'Alain
Krivine n'aura jamais lieu.
Pourtant ce recul ne suffit pas. Il ne suffit pas que maintenant, conscient d'avoir fait
une gaffe le 28 juin dernier, le pouvoir abandonne discrètement les poursuites qu'il avait
commencées. La Ligue Communiste reste interdite. C'est cette interdiction que le mouvement
révolutionnaire, que le mouvement ouvrier doivent faire lever.
C'est pour cela que de partout, en France, bien sûr, mais aussi à l'étranger, les protestations
doivent continuer à se faire entendre et la campagne se poursuivre pour obtenir
l'annulation du décret de dissolution de la Ligue Communiste.

Lutte de Classe (série bilingue) septembre 1973 N° 12[/quote]
pelon
 
Message(s) : 33
Inscription : 30 Août 2002, 10:35

Message par iajoulik » 01 Juil 2003, 16:53

... finalement, Krivine est passé en jugement suite à cette affaire ?


question annexe pour Pelon:
Tu as scanné l'article exprès pour la réponse, ou existe-t-il une version numérique de l'ensemble de la collection des anciennes LdC ?
iajoulik
 
Message(s) : 0
Inscription : 12 Oct 2002, 14:58


Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 44 invité(s)